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Je crois que j’ai tué ma femme de Frasse Mikardsson

Editeur : Editions de l’Aube

J’avais beaucoup aimé Autopsie pastorale, le premier roman de Frasse Mikardsson, pour son coté humoristique et l’originalité du sujet, traité par un médecin légiste. Ce deuxième roman traite d’un sujet bien plus grave.

En février 2017, une femme a été tuée de multiples coups de couteau par son mari. Présenté comme cela, cela ressemble à un fait divers tristement actuel (et j’y reviendrai plus tard). Cette affaire a été mise en avant de façon involontaire, dans un discours de Donald Trump d’une part, qui va évoquer un attentat terroriste en Suède, puis dans un questionnement dans la société suédoise sur l’immigration.

Au-delà de cela, il faut savoir que six mois plus tôt, Fatiha avait porté plainte contre son mari Orhan pour violences conjugales, avait porté plainte, avait demandé le divorce, et obtenu l’incarcération de son mari pour un mois et une injonction d’éloignement. Malgré un harcèlement par SMS, personne n’a réagi et cette affaire se termine dramatiquement par le meurtre d’une femme.

Orhan et Fatiha se sont mariés en Turquie, un mariage arrangé selon la tradition kurde, avant qu’ils ne s’établissent en Suède. On se retrouve donc face à une affaire qui, si elle parait simple de prime abord, se heurte en réalité à un choc de cultures différentes et à un courant raciste en Suède qui trouve un écho terrible dans l’actualité récente lors des dernières élections suédoises.

Je ne suis pas adepte de True Crime books, que l’on peut traduire de romans fortement basés sur des histoires vraies, et donc j’en lis pas ou peu. Pourtant, j’ai apprécié celui-ci par les thèmes abordés et la passion qu’anime l’auteur envers la violence faite aux femmes, l’acceptation des différentes cultures et l’égalité des sexes. Par de nombreux côtés, ce polar s’avère bien passionnant.

En tant que True Crime, le roman repose sur de nombreux documents, tels que des extraits d’interrogatoires, des compte-rendu officiels ou des SMS envoyés par les différents protagonistes. L’auteur ayant participé à cette affaire, il bénéficie d’une source d’information de première main, même s’il nous assure ne nous partager que des extraits de textes disponibles auprès du public.

Il aborde un sujet difficile, les violences faites aux femmes, qui me tient à cœur et qui touche tous les pays. Imaginez qu’en France, plus de deux femmes meurent sous les coups de leur conjoint par semaine ; je ne comprends toujours pas comment on peut laisser cette situation alors que tout le monde le sait. Mais l’auteur y ajoute un aspect peu connu, l’aspect culturel, ce qui n’excuse absolument pas ces actes odieux et criminels. Le parallèle avec les discours officiels des grands dirigeants mondiaux montre bien la tendance populiste qui se généralise et qui devient inquiétant.

Frasse Mikardsson aborde aussi avec un certain humour l’égalité homme femme, en particulier quand ses personnages discutent de la position des corps dans les réfrigérateurs de la morgue : doivent-ils être séparés par sexe ou doit-on respecter l’égalité ? Au-delà de cette scène, il montre la difficulté de faire évoluer les mentalités et la nécessité de mettre des priorités devant cette injustice.

S’il n’y a pas de doute quant à la culpabilité d’Orhan, la question à résoudre devient : sommes-nous en présence d’un crime d’honneur ? Orhan était-il en pleine possession de ses moyens ? Frasse Mikardsson nous apprend beaucoup de choses sur ce sujet, en même temps qu’il nous montre une inspectrice très impliquée dans cette enquête, cherchant à trouver les arguments pour qu’Orhan ait une peine lourde, surtout dans un pays qui connait très peu d’actes violents. S’il est totalement différent du premier roman, Je crois que j’ai tué ma femme démontre que Frasse Mikardsson a beaucoup de choses à nous dire et à nous apprendre.

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Terminus Belz de Emmanuel Grand (Liana Levi)

Premier roman d’Emmanuel Grand, Terminus Belz nous propose de faire un tour sur une île bretonne, dans le monde difficile et apre des pêcheurs, sous fond de polar. Outre que c’est un roman remarquablement écrit, plusieurs des thèmes abordés font de ce roman une curiosité à coté de laquelle il serait dommage de passer.

Ils sont quatre Ukrainiens, trois hommes et une femme. Si Marko Voronine est le personnage central de ce roman, ses trois compagnons d’infortune que sont Anatoli Litovchenko, Vasili Buryak et Iryna Belanov vont assouvir leur rêve, passer en France de façon illégale. Ils s’adressent à des Roumains dont l’une des activités est l’immigration clandestine. En plein voyage, Iryna se fait violer par les passeurs et les Ukrainiens arrivent à tuer leurs agresseurs sur une aire d’autoroute. Ils récupèrent leur argent (25 000 euros) dans la boite à gants et décident de rejoindre la France en se séparant.

Marko décide d’aller le plus loin possible et se dirige donc vers la Bretagne, à Lorient puis sur l’île de Belz où il trouve dans un journal local un offre d’emploi de pêcheur. Après un coup de fil, il est embauché et atterrit dans le seul bar de l’île, où l’accueil est froid pour un étranger qui débarque dans un endroit miné par le chômage. Après une altercation avec les clients du bar, c’est Caradec qui le sort de cette mauvaise passe, ce qui tombe bien puisque c’est lui qui l’a embauché.

Mais Marko va être tenaillé entre l’agressivité des gens du cru, la peur d’être pris en situation irrégulière par la police, la mafia roumaine en la personne de Dragos qui fait la chasse aux Ukrainiens, et sa sœur et sa mère avec qui il arrive à communiquer par mail et qui veulent aussi rejoindre la France. Quand un corps est retrouvé décapité, la situation déjà peu brillante devient pour Marko carrément inextricable.

La première chose que je retiendrai de ce roman, c’est son style, que je qualifierai de littéraire. C’est extrêmement bien écrit, sans être bavard, l’auteur trouvant toujours les bonnes expressions pour nous faire ressentir l’ambiance de cette ile, balayée par le vent, qui rend la vie de ses habitants aussi difficile. Emmanuel Grand en profite aussi pour rendre un hommage prononcé aux pêcheurs, dont le labeur est réellement synonyme de pénibilité, avec au bout du compte, l’obligation de vendre le résultat de leur pêche au supermarché du coin.

Si le roman ne veut pas ouvertement dénoncer cette situation, il se veut en tous cas, un excellent documentaire sur la vie quotidienne de ces gens-là. De même, le fait qu’un étranger débarque et trouve rapidement un travail dans un endroit miné par le chômage va déclencher des bagarres, des engueulades et des remarques qui sont bien l’image de ce que l’on peut entendre dans certains bars. Tout cela est extrêmement bien fait. Et comme c’est très bien écrit, c’est un roman très vivant, où tous les gens se connaissent et se parlent, savent tout sur tout.

Et l’intrigue me direz vous ? Si le début m’a vraiment emballé, parce qu’il m’a semblé très maitrisé, petit à petit l’intrigue passe au second plan. Le meurtre mystérieux va aussi déclencher chez les habitants le retour de leurs peurs ancestrales, et le monstre mystérieux que l’on appelle là-bas l’Ankou, et le roman oscille entre roman social, roman policier avec l’intervention d’un commissaire qui vient d’être muté de la région parisienne, et roman fantastique avec les légendes diaboliques qui assombrissent le moral des gens. Et j’ai eu l’impression que l’auteur oubliait un peu le stress constant que devait ressentir Marko.

Ceci dit, c’est un premier roman très bien écrit, de ceux que je classe dans les polars littéraires, qui prend le temps de regarder les gens, de leur parler, de montrer le quotidien de leur vie, car elle est si éloignée de tout ce que l’on peut imaginer. Tout au long de ces 360 pages, on ne s’ennuie pas, suivant le rythme lancinant et incessant des vagues venant s’abimer sur les falaises, et on passe un sacré moment en compagnie de ces pêcheurs. C’est un roman à découvrir, à savourer, pour le plaisir du beau verbe.