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Nos vies en flammes de David Joy

Editeur : Sonatine

Traducteur : Fabrice Pointeau

David Joy fait partie des belles découvertes parmi les auteurs de Noir rural, tant sa plume me parait lyrique et ses sujets lorgnant du coté des habitants des Appalaches. Ce dernier opus en date confirme son talent.

Raymond Mathis élevait auparavant des Beagles, les meilleurs chasseurs d’écureuils du coin. Il n’a gardé qu’une femelle, Tommy Two-Ton, maintenant vieille et aveugle. Quand il rentre à la maison, il est ravi de constater que sa porte est fermée ; Ricky, son fils n’est donc pas venu le voler, en quête de quoi que ce soit à vendre, pour se payer sa dose de drogue. Et la maison est si vide depuis la mort de Doris d’un cancer.

La radio annonce qu’un nouveau foyer vient de se déclarer à proximité du terrain de camping. Ce monde part en cendres, tant le sol est sec. Le téléphone sonne alors qu’il termine son verre. La voix de Ricky est affolée, en affirmant qu’ils vont le tuer. Un homme reprend le combiné et lui demande 10 000 dollars pour récupérer son fils. Cette somme qu’il avait mis de coté pour lui servira donc à sauver la vie de son fils, par loyauté pour sa femme.

Ray se rend au rendez-vous, à Big Cove et rencontre un homme à la queue de cheval. Le dealer affirme que Ricky lui doit cet argent. Ray le menace pour récupérer son fils, et lui intime l’ordre de ne plus rien vendre à son fils. Quelques jours plus tard, Ricky s’enfuit à nouveau et rejoint un groupe de drogués. Son corps sera retrouvé dans la chambre d’un motel.

La construction de ce roman peut en désarçonner certains, surtout qu’il n’y a pas de véritable personnage principal, mais plutôt des groupes d’individus, des drogués, des flics, des dealers et des pauvres gens qui doivent vivre avec cette situation. Je dis pauvres gens car David Joy nous montre bien que, aussi bien au niveau local que national, rien n’est mis en place pour lutter réellement contre ce fléau.

La plume de David Joy se révèle fascinante, s’attardant autant sur les vies de chacun, que nous décrivant les paysages ravagés par les incendies, que l’auteur utilise comme une métaphore d’un pays qui se détruit de l’intérieur ; il narre à merveille la sensation des gens des campagnes délaissés par les hommes de pouvoir, laissant pourrir les zones dont ils ne peuvent retirer un peu d’argent.

Le chapitre 40, le dernier de ce roman, donne la parole à Ray, assis à sa terrasse. Ecoutant le chant des coyotes, il cherche une explication à ce monde en ruine :

« Des années durant, il avait tenté de mettre le doigt sur le moment où les choses avaient commencé à se déliter. Aussi idiot que ça puisse paraître, il jugeait parfois responsable l’arrivée de la télévision. Quand les gens pouvaient voir ce que les autres avaient, ils se mettaient à le vouloir aussi. Ils entendaient la façon dont les gens parlaient de la montagne, et ils commençaient lentement à changer de discours. Les choses qui sur le moment avaient semblé insignifiantes et inoffensives représentaient, avec le recul, un commencement. Mais même avant ça, avant que l’extérieur exerce son influence, les communautés se divisaient et les gens partaient. »

Puis vient enfin, l’instant de lucidité, celui de se sentir exploité par les industriels d’abord, puis par les entreprises de tourisme :

« Des étrangers conduisant de belles voitures et portant de beaux costumes faisaient de belles promesses d’emploi, puis ils repartaient avec leur portefeuille en peau d’autruche bien garni une fois que tout ce qui pouvait être pris l’avait été. Les gens leur couraient désespérément après en agitant les mains dans la poussière et les gaz d’échappement, à bout de souffle, vaincus et brisés, et quand ils finissaient par s’arrêter et regardaient autour d’eux, ils se rendaient compte qu’ils étaient dans un endroit qu’ils ne reconnaissaient plus, qu’ils étaient aussi perdus que des chiens errants. »

En postface de ce roman, un article de David Joy, nommé Génération opioïdes, paru dans la revue America au printemps 2020 pointe la responsabilité des industries pharmaceutiques. Il dénonce le fait que les médecins gavent les enfants de substances au moindre bobo, sans s’inquiéter des risques d’addiction, créant ainsi toute une génération de futurs drogués. Cet article donne une grandiose conclusion à ce formidable roman.

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Les lumières de l’aube de Jax Miller

Editeur : Plon

Traducteur : Claire-Marie Clévy

Comme j’ai adoré Candyland ! Forcément, je me devais de lire Les lumières de l’aube, le dernier roman en date de Jax Miller.

Le 30 décembre 1999, La ville de Welch dans l’Oklahoma est balayée par un vent glacial. La famille Freeman habite un mobil-home à l’extérieur de la ville, que l’on peut rejoindre en suivant un chemin rocailleux. Ashley Freeman fête son dix-septième anniversaire. Pour l’occasion, elle a invité son amie Lauria Bible à passer la nuit chez elle, ainsi que deux copains, avec l’accord de ses parents Danny et Kathy. Ces deux-là partiront en fin de soirée, laissant les deux filles allongées dans le canapé devant la télévision.

Le lendemain matin, une fumée dense s’élève de la colline. Le mobil-home est en feu et les pompiers mettront plusieurs heures pour circonscrire l’incendie. A l’intérieur, ils découvriront un cadavre, allongé sur le lit, écrasé par des briques qui avaient été entassées sur le toit et qui sont tombées à cause de la chaleur, quand tout n’est devenu que ruine. On ne retrouve aucune trace de Ashley et Lauria. Le corps étant féminin, tout le monde pense que Danny a enlevé les filles et est responsable de l’incendie.

Le shérif boucle rapidement le périmètre mais les habitants, regroupés autour du sinistre voient bien que l’affaire est gérée avec du laisser-aller. Le lendemain, Lorene Bible, la mère de Lauria est surprise de voir que les flics ont levé le camp. En fouillant aux alentours du mobile-home, ils découvrent un autre corps, celui de Danny, à moitié brûlé et tué d’une balle dans la tête. De toute évidence, la police a fait de nombreuses erreurs, volontaires ou non, mais une question demeure : où sont les filles ?

Il m’aura fallu une cinquantaine de pages pour comprendre où Jax Miller voulait en venir (je ne lis que rarement les quatrièmes de couverture). Pourtant, la mise en place du scénario se conforme aux règles du polar, avec des chapitres très descriptifs et centrés sur la psychologie des personnages. L’auteure passe alors en revue les filles, les parents et les voisins en y insérant des anecdotes qui amènent de l’épaisseur à l’intrigue.

Puis, les mystères s’épaississent avec les négligences de la police, les rumeurs de vengeance liées à de potentiels trafics de drogue et la mort du frère dont on n’a pas parlé au début. Malgré cela, le ton employé m’a laissé comme un goût de manque, a marqué une trop grande distance … jusqu’à ce que je comprenne le livre : Jax Miller a été obsédée par cette affaire et a mené elle-même l’enquête en se rendant sur place en 2015. D’ailleurs elle se met elle-même en scène en parlant de ses obsessions.

Et donc, ce roman n’est pas un polar au sens premier du terme mais plutôt le compte rendu minutieux de plus d’une dizaine d’années de recherche. Ce procédé fort prisé chez nos amis anglo-saxons est dénommé True crime. Chez nous, francophones, il semblerait que nous préférions des émissions du genre Investigations et autres. Je ne pense pas utile de vous préciser que j’abhorre ces émissions et préfère la lecture.

Donc, nous avons affaire à un True Crime, que l’on pourrait traduire par roman d’enquête criminelle. Car des meurtres, il va y en avoir alors que le début du roman ne nous le laissait pas présager. Jax Miller a organisé le roman pour appâter le lecteur de polar, une construction qui fait une large place sur la vie de campagnards américains avec ce qu’il faut de rumeurs, de mauvaises langues et de policiers qui ne veulent pas s’emmerder. Et elle arrive à faire passer à la fois sa passion et son obsession pour cette affaire. Franchement, les essais (ou documents) ne sont pas ma tasse de thé. Mais je dois reconnaitre que l’auteur sait vous attirer dans ses griffes, pour vous plonger dans un monde rural brutal sans autre loi que celle du plus fort. Et puis, on sent dans ces lignes la passion de l’auteure pour cette affaire, on y ressent comme une connexion directe avec ce qu’elle est, comme une communion autour d’une affaire bigre

Des poches pleines de poches

Suite de cette nouvelle rubrique dans Black Novel, consacrée aux livres de poche. La précédente était là.

Entre deux romans grand format, je lis aussi des romans au format de poche et je ne prends jamais le temps d’en parler. D’où ce titre énigmatique qui répertorie des romans de plus court format qui sont aussi bien des novellas que des romans.

Pyromane de Wojciech Chmielarz

Editeur : Livre de poche (Grand format : Agullo)

Traducteur : Erik Veaux

Le fait que cet hiver soit aussi froid à Varsovie arrange plutôt le criminel qui va mettre le feu à une maison bourgeoise de la banlieue de Varsovie. Il va trouver une échelle dans le jardin, et balancer son cocktail Molotov par la cheminée. A l’intérieur, Klaudia Kameron, ancienne star de la chanson s’efforce de sortir du dressing dans lequel elle est bloquée. Elle arrivera à sortir avec de nombreuses blessures en sautant par la fenêtre alors que son mari, l’industriel Jan Kameron, finira carbonisé.

L’inspecteur Jakub Mortka, dit le Kub, est chargé de l’enquête et se rend sur le site avec son adjoint Kochan. Le responsable des pompiers demande à le voir : l’aspirant Marcin Kowalski lui confirme l’origine criminelle de l’incendie par la présence de morceaux de verre et l’odeur d’essence. Kowalski annonce ensuite au Kub qu’il s’agit du troisième incendie de ce type, les deux autres n’ayant pas fait de victimes.

Premier roman de Wojciech Chmielarz et premier roman d’une série mettant en scène le Kub, cette lecture constitue une très belle découverte. Elle permet en tous, au travers d’une enquête policière que je qualifierai de classique, d’avoir une bonne vision de la société polonaise, pays qui connait des températures extrêmes en hiver. C’est l’un des aspects très intéressant de ce roman, avec le personnage du Kub, rustre et solitaire, divorcé et loin des enquêteurs doués que l’on connait, puisque l’on découvre un policier travailleur et acharné, aimant aller au bout des choses avec obstination.

L’autre aspect de ce roman est de montrer un peuple mystérieux et taiseux, où certains hommes frappent leur femme, où la pègre est bien implantée et a mis la main sur les industriels, où les travailleurs subissent le règne de l’argent volé par les mafias. Le dernier aspect qui va vous décider à lire ce livre est bien l’intrigue, qui malgré quelques longueurs est remarquablement bien menée et qui réserve une surprise de taille dans le dernier chapitre. Décidément, c’est un premier roman qui donne envie de lire la suite, qui est déjà sortie chez Agullo, qui s’appelle La ferme des poupées et dont je devrais vous parler très bientôt.

La dernière expérience d’Annelie Wendeberg

Editeur : 10/18 (Grand format : Presses de la cité)

Traductrice : Mélanie Blanc-Jouveaux

Après une première enquête menée avec Sherlock Holmes (voir Le Diable de la Tamise), Anna Kronberg s’est retirée dans son cottage du Sussex. La jeune femme médecin pensait qu’elle et son célèbre coéquipier étaient parvenus à annihiler une organisation secrète qui expérimentait des bactéries pour en faire des armes de guerre. Mais le professeur Moriarty, véritable dirigeant de l’organisation, a survécu.

Et il a décidé d’utiliser Anna pour entamer des recherches sur la peste… Pour arriver à ses fins, Moriarty kidnappe Anna ainsi que son père. Si la jeune femme veut revoir ce dernier en vie, elle devra obéir. Vivant désormais sous haute surveillance entre la demeure luxueuse de son geôlier à Londres et un entrepôt où elle réalise ses expériences, Anna tente de trouver un moyen pour prendre contact avec Holmes.

Alors qu’elle fomente le meurtre de Moriarty, une relation ambiguë s’instaure avec cet homme violent, manipulateur et effrayant.

Ceux qui ont lu Le Diable de la Tamise vont se jeter sur cette deuxième aventure d’Anna Kronberg, cette jeune femme brillante qui s’est déguisée en homme pour obtenir son diplôme de médecin dans l’Angleterre victorienne. Ceux qui ne l’ont pas lu devront le faire avant de lire celui-ci car l’auteure dévoile beaucoup de choses de l’intrigue de la précédente aventure.

C’est un roman de séquestration auquel Annelie Wenderberg nous convie, et donc on n’y trouvera point d’enquêtes. Tout juste y verra-t-on l’esprit brillant de la jeune chercheuse à l’œuvre pour en déduire où elle est, et son aptitude à monter des stratagèmes pour s’en sortir. Il est tout de même intéressant de voir comment Anna est écartelée entre le professeur Moriarty à la fois brillant et violent et entre son désir de lutter contre la manœuvre maléfique basée sur une guerre bactériologique.

Construit de façon chronologique, égrenant les jours les uns après les autres, nous allons suivre Anna dans un roman très psychologique, avec peu d’action mais beaucoup de détails quant à ses recherches qu’elle est obligée de mener sous peine de voir son père assassiné. Sherlock Holmes fera quelques apparitions comme quelqu’un qui agit dans l’ombre et la fin appelle un tome supplémentaire qui promet, je ne vous dis que ça. Ce roman est tout de même à réserver aux aficionados du grand enquêteur anglais.

Ne ratez pas l’avis de la Belette, grande spécialiste de Sherlock Holmes et de l’ami Claude

Le livre des âmes de James Oswald

Editeur : Bragelonne

Collection : Thriller

Traduction : Jean Claude Mallé

Nous avions découvert James Oswald avec De mort naturelle. C’était un roman qui nous introduisait un nouveau personnage de flic, domicilié à Edimbourg, nommé Anthony McLean. L’intrigue du roman oscillait entre roman policier et roman fantastique. C’est encore le cas pour cette deuxième enquête.

Noel s’approche à grands pas, et le temps devient pluvieux et gris, à l’image de l’humeur de l’inspecteur Anthony McLean, qui est encore considéré comme un petit jeune, depuis sa promotion. Cette période festive rappelle de mauvais souvenirs à McLean puisque c’est à cette période que sa fiancée a été assassinée par un tueur en série, douze ans plus tôt. Heureusement, il a fort à faire en ce moment.

L’équipe de McLean est chargée de débusquer un gang de trafiquants de marijuana qui sévit en ce moment à Edimbourg. Un indic leur fournit une information, mais la perquisition est un fiasco. C’est une bonne occasion pour Duguid (surnommé Dugland et concurrent de McLean) de se foutre de sa gueule. Il y a aussi ces incendies étranges, qui se déclenchent dans des sites appelés à être rénovés, mais on ne comprend pas comment le feu démarre.

Quand on découvre le corps d’une jeune femme égorgée dans une rivière, tout le monde pense que le Tueur de Noel, celui qui a tué la fiancée de McLean est de retour. Sauf que Anderson, le tueur en question, vient d’être assassiné en prison. McLean se croit obligé d’assister aux funérailles, même s’il ne croit pas aux fantômes et autres morts-vivants. Mais s’agit-il vraiment d’un copieur ?

Je dois dire que si j’ai lu ce roman, c’est bien parce que j’ai senti des qualités dans le premier, et la curiosité a fait le reste. Je dois dire que pour un deuxième roman, c’est tout de même très maitrisé. Les chapitres se lisent les uns derrière les autres, et la simplicité du style alliée aux rebondissements et à l’intérêt que l’on porte au personnage principal, tout cela fait que le lecteur que je suis a avalé le roman en trois jours.

Il faut dire qu’on y ressent des améliorations dans la description des scènes, que le rythme est plutôt lent, avançant à la vitesse de l’enquête, et surtout, la démarche des enquêteurs est logique et du coup, ils n’apparaissent pas comme des super-héros qui devinent les mystères auxquels ils sont confrontés. On en apprend un peu plus aussi sur Tony McLean, sur son passé et on le sent plus sur de lui, surtout face à Dugland, et on a droit à des joutes verbales jouissives pour peu que l’on s’attache à ce personnage particulier.

Ce que j’apprécie aussi dans ce roman, c’est ce mélange des genres entre roman policier, thriller et fantastique. On a droit tout au long du livre à des questionnements, à des incertitudes : on se demande si Anderson n’est pas encore vivant, si on n’a pas à faire avec un livre maléfique, et que dire de ces incendies spontanés ?

Il est donc inutile de vous dire que j’attends encore plus du prochain roman. J’aimerais une intrigue aussi costaude, un style rapide et la poursuite de la découverte de Anthony McLean. Et si James Oswald me lit (on a le droit de rêver) j’aimerais que l’aspect fantastique soit plus fouillé, mis en avant, car cela rajouterait à mon avis une touche de mystère supplémentaire. Dans celui-ci, le fantastique est tout juste abordé et j’aurais aimé que cela soit plus fouillé, car cela aurait pu être une cause de frissons. En tout état de cause, je suis partant pour la troisième enquête.