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Oldies : Lucy in the sky de Pete Fromm

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Laurent Bury

Afin de fêter ses 15 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux éditions Gallmeister, spécialisées dans la littérature anglo-saxonne. Je vous propose un roman qui bénéficie d’une aura impressionnante !

L’auteur :

Pete Fromm est un écrivain américain né le 29 septembre 1958 à Milwaukee dans le Wisconsin.

Romancier et nouvelliste, il a connu un important succès public et critique grâce à Indian Creek, roman autobiographique dans lequel il raconte son expérience de la solitude au cœur des montagnes Rocheuses lorsqu’il était adolescent.

Après des études secondaires à Milwaukee, Pete Fromm étudie la biologie animale à l’université de Montana. D’octobre 1978 à juin 1979, il est embauché par l’office de réglementation de la chasse et de la pêche de l’Idaho pour rester seul dans les montagnes, en plein cœur de l’aire naturelle protégée de Selway-Bitterroot, à surveiller l’éclosion d’œufs de saumon.

C’est sur les conseils de Bill Kittredge, dont il a suivi un cours d’écriture créative à la seule fin de décrocher son diplôme universitaire, puis de Rick DeMarini, qui anime un atelier d’écriture auquel Pete Fromm assiste clandestinement, qu’il envisage d’écrire en profitant de son expérience des grands espaces et de la vie au grand air.

Il cumule plusieurs petits boulots, dont celui de maître-nageur à Lake Mead (Nevada), puis de Ranger dans le parc national de Grand Teton, au Wyoming avant de rencontrer un modeste succès avec son recueil de nouvelles The Tall Uncut (1992). La reconnaissance médiatique vient avec ses chroniques d’Un hiver au cœur des Rocheuses (1993), où il relate son expérience de l’hiver 1978-79.

(Source : Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Lucy Diamond, quatorze ans, file à toute allure vers l’âge adulte. Prise entre l’urgence de vivre et la crainte de devoir abandonner ses manières de garçon manqué, Lucy se cherche et joue avec l’amour. Elle découvre par la même occasion que le mariage de ses parents n’est pas aussi solide qu’enfant, elle l’a cru. Son père, bûcheron, est toujours absent. Sa mère, encore jeune, rêve d’une autre vie. Et Lucy entre eux semble soudain un ciment bien fragile. Armée d’une solide dose de culot, elle s’apprête à sortir pour toujours de l’enfance et à décider qui elle est. Quitte à remettre en question l’équilibre de sa vie et à en faire voir de toutes les couleurs à ceux qui l’aiment.

Dans un Montana balayé par les vents, c’est la peur au ventre et la joie au cœur que Lucy, pleine de vie, se lance à corps perdu dans des aventures inoubliables.

Mon avis :

Quand on a 14 ans, un nouveau monde s’ouvre avec ce qu’il comporte de découvertes, de joies et de déceptions. Parce qu’ils habitent proches l’un de l’autre, Kenny et Lucy sont les meilleurs amis. Heureux dans leur vie de famille, ils vont vivre leur passage à l’âge adulte et découvrir ce que leurs parents cachent derrière leur insouciance de façade.

Pour ce faire, l’auteur a créé une famille d’Américains moyens, Chuck le père étant bucheron et donc souvent absent pour de longues périodes de la maison, Lainee la mère venant de trouver un travail. Lucy se distingue par son physique, ses airs de garçon manqué avec son crâne rasé ; cela lui permet de mieux se distinguer des autres au lycée. L’ambiance à la maison est à la fête, surtout quand le père est de retour et les blagues fusent ; il y règne une insouciance qui laisse flotter des passages fort drôles.

Puis lors d’une après-midi, Lucy découvre son premier baiser et ses relations avec Kenny vont s’infléchir vers un horizon qu’elle ne comprend pas, dont elle ne veut pas, préférant garder la douceur de l’enfance. En parallèle, elle s’aperçoit que ses parents qui étaient son modèle de bonne humeur, cachent des secrets qu’elle met à jour petit à petit. Elle se rend compte que le monde des adultes est tortueux et rempli de mensonges.

Rares sont les romans capables de nous emporter dans l’intimité d’une famille avec autant de facilité ! Les personnages ainsi que le ton, volontairement légers et sensibles, y sont pour beaucoup dans l’adoption de cette histoire et de son contexte. Le rythme et les événements vont au fur et à mesure montrer l’évolution de Lucy et placent ce roman sur le haut de la pile en termes de roman d’apprentissage. J’ai trouvé en particulier remarquable les descriptions des relations familiales et leur évolution.

Il serait dommage de réduire ce roman à une bluette d’adolescente qui découvre l’amour. Le personnage de Lucy occupe le devant de la scène, et ce personnage féminin est si fort, si franc, si réaliste qu’il en devient obsédant, inoubliable. Elle a un humour décalé, hérité de ses parents, qui se transforme rapidement en réparties cyniques puis en répliques cinglantes. Le caractère de Lucy se révèle suffisamment complexe pour qu’on s’y attache, tout en contradiction, entre sa volonté de grandir et celle de rester une enfant.

Si par moments, on sent poindre une certaine réflexion puritaine, l’auteur s’efforce tout de même de rester neutre, dans la peau de Lucy. Il n’en reste pas moins que l’on voit poindre un exemple de lutte pour la liberté, pour l’émancipation de la femme et pour le droit à vivre sa vie comme on l’entend, sans juger les autres. D’autant plus, que l’espoir renait grâce à certains autres personnages qui sortent du lot des moutons. Un roman formidable.

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La crête des damnés de Joe Meno

Editeur : Agullo

Traductrice : Estelle Flory

Après Le blues de la Harpie que j’ai beaucoup aimé et Prodiges et miracles que j’ai zappé, ce roman là ne pouvait que passer entre mes mains. Les avis des blogs que je suis fidèlement étaient unanimes, la période évoquée (les années 90) me parle, les références musicales aussi. Bref, ce roman, il avait tout pour me plaire. Comme j’aime le suspense, il va vous falloir lire mon avis jusqu’au bout pour savoir ce que j’en pense.

Brian Oswald est un adolescent de 17 ans comme tous les autres. Il est affublé de grosses lunettes et n’est pas particulièrement beau. Il est amoureux de sa meilleure amie, Gretchen, qui est grosse mais a un esprit punk et non conformiste qui le séduit. Il passe tout son temps avec elle et ne souhaite qu’une chose : l’inviter au bal de fin d’année organisé par son lycée catholique de South Chicago.

Sauf que Gretchen est folle de Tony Degan, un suprémaciste dans toute sa splendeur (désolé, il fallait que je le fasse). Ce qui fait la différence entre Tony et Brian, c’est bien sa faculté à être à l’aise avec les autres et surtout les filles, enfin, les jeunes femmes. Car Brian se rend compte que grandir, cela veut dire passer de l’âge adolescent à l’âge adulte. Et cela veut dire que le monde apparaît tout de suite très compliqué.

Ce qui motive Brian, ce qui le fait vivre, c’est la musique. Il se lève en musique, chante de la musique dans sa tête, écoute de la musique dans la voiture de Gretchen. Il est persuadé qu’il la fera craquer en lui composant une cassette d’une compilation comprenant les meilleures chansons jamais écrites. Car c’est grâce à la musique, il en est persuadé, qu’il va réussir et grandir.

Que l’on soit clair, dès le début, ceci n’est pas un polar. Que l’on soit clair aussi, ce roman parle du début des années 90 et par ses références musicales, il parlera plus à un lecteur ayant dépassé la quarantaine qu’à un jeune d’aujourd’hui. Pour ceux-là, ce roman, par ses qualités de narration et surtout par son style parlé, honnête, vrai, il fera office de roman culte, comme c’est d’ores et déjà le cas pour moi.

Est-ce une autobiographie ? Est-ce une volonté de replonger dans cette époque mouvementée de la musique ? En tous cas, Joe Meno atteint son but : parler à la fois de la société américaine d’alors (mais a-t-elle réellement changée ?) très carrée, figée dans un modèle ultra conformiste, entre religion et respect des règles, et de la difficulté d’un jeune homme de passer au stade d’adulte.

Il serait erroné de résumer le roman à la vie d’un adolescent cherchant à tout prix à perdre sa virginité. Il y a tous ces moments de la vie de Brian, qui semblent tellement vrais, si communs qu’on les a tous vécus. Qui construisent un paysage fascinant parce qu’on a l’impression d’avoir vécu la même chose.

Entre refus d’un destin tout tracé, difficultés familiales et besoin d’être aimé, reconnu, Joe Meno nous offre un roman universel sur la nécessité de trouver sa place dans la société, quelle qu’elle soit. Et il illustre parfaitement la contradiction du passage à l’âge adulte, où il faut choisir entre faire partie d’un groupe et s’affirmer comme être humain unique. Comment devenir adulte dans une société ouvertement raciste ?

Accompagné d’une bande son qui m’a fait rêver, entre punk et hard-rock, en passant par le jazz (avec les formidables passages chez son ami Rod), ce roman souffle une tempête de nostalgie en citant beaucoup de chansons qui ont tant compté pour moi (et qui comptent encore). Il est amusant de voir apparaître pêle-mêle les Smiths, Black Flag, Les Ramones, les Misfits, les Dead Kennedys ou les New York Dolls, aux cotés d’AC/DC ou Van Halen. J’en ai même découvert beaucoup ! J’ai adoré, c’est un roman qui m’a fait grandir, même encore aujourd’hui. A noter Roman Culte !

Au passage, je tire un grand coup de chapeau à la traductrice Estelle Flory.

A mains nues de Paola Barbato (Denoël Sueurs froides)

Conseillé par mon ami Richard, conforté par le billet de Jean Marc, j’ai donc lu ce roman, dont le sujet, bien noir, me semblait bien violent pour me convenir parfaitement. Finalement, il m’aura fallu à peine trois jours pour avaler ces 480 pages. Quel livre !

Davide est un jeune homme de 16 ans, de bonne famille, dont le père est notaire, et qui fête son anniversaire en compagnie de nombreux amis dans une grande propriété. Alors qu’il sort dans la nuit, pour pisser, on lui met une cagoule sur la tête et on l’enferme à l’arrière d’un camion. Dans le noir, il ressent une présence. Soudain, l’autre se jette sur lui, le frappant sans raison. Alors qu’il envisage de se laisser faire, son instinct de survie le fait réagir et il tue son premier adversaire. Reclus de fatigue, il s’effondre.

Il se réveille dans une pièce avec d’autres personnes. La tristesse l’emporte et il fond en larmes. Les autres, très musclés se désintéressent de lui, sauf un, qui va l’endurcir et le considérer plus comme un compagnon que comme un ami. Il va lui apprendre qu’ils sont des combattants, des gladiateurs modernes. Ils doivent tuer pour ne pas mourir. Les entrainements se déroulent dans un camion, mais les matches se déroulent en public.

Il semblerait que le responsable de ce centre de détention s’appelle Minuto. Celui-ci a la soixantaine, mais sa démarche à elle seule impressionne. Il va agir avec plus d’attention envers Davide qu’avec tous les autres. IL va apprendre à Davide comment juger les coups, comment jauger les adversaires, comment tuer à mains nues.

Ce roman est divisé en trois parties. La première raconte l’éducation de Davide et occupe les trois quarts du livre. Les deux dernières parties racontent … mais chut ! Il est bien difficile de parler de ce roman, car aussi bien la quatrième de couverture que le résumé du début que je viens de faire peuvent donner une fausse idée de ce que contient réellement ce roman. Donc, je vais plutôt vous décrire mes impressions de lecture.

Tout d’abord, si on ne m’avais pas conseillé ce livre, je ne l’aurais pas lu. Parce que, quand on entend ici ou là que c’est un roman du niveau de Fight Club, je suis du genre à préférer rester sur l’original plutôt que de lire une copie. La moindre des choses que je puisse dire, est que l’on rentre très vite dans le vif du sujet, car au bout d’une trentaine de pages, Davide a déjà tué son premier adversaire. Et là, une bonne chose, la scène de combat est suffisamment tournée vers le personnage de Davide pour ne pas être explicitement violente. Malgré cela, je vous l’avoue, c’est violent, très violent, mais surtout très bien écrit … et traduit.

Davide se réveille donc dans une sorte de cave. A partir de ce moment, le roman ressemble plus à un huis-clos. Et l’histoire avance forcément avec beaucoup de dialogues et de petites scènes. L’auteure prend son temps pour installer les psychologies des personnages. Je ne vous cache pas que je me suis demandé deux ou trois fois si je n’allais pas arrêter ma lecture, parce que je ne voyais pas où on voulait m’emmener. Mais quelque chose dans le style, dans la construction des scènes a fait que je me suis trouvé accroché, à tel point que j’enfilais les pages sans m’en rendre compte. Au bout d’une journée, j’avais lu 230 pages ! Et passé une nuit amputée de la moitié de mes heures de sommeil.

Dans cette première partie, nous allons assister à l’évolution de Davide, du désespoir initial à la construction d’un assassin, à la fois aidé par son collègue de cave Rafaelo, à la fois éduqué par Minuto son maître. Si je l’appelle maître, c’est parce que les hommes enfermés dans la cave sont appelés des chiens. Ces chiens sont devenus des gladiateurs modernes, combattant dans des arènes pour que des gens nantis puissent profiter du spectacle et parier sur son issue. Nous passons de longues heures dans la cave, sans avoir l’impression que les scènes se répètent et nous assistons à des combats (voire nous participons) à des combats sanglants, dont la force visuelle est et hallucinante et frappante et choquante.

Dans la deuxième partie, Davide sort (et en disant cela je ne dévoile rien de l’intrigue) et c’est la partie que j’ai trouvé la moins intéressante. Puis dans la troisième partie, Paola Barbato se renouvelle d’une façon particulièrement vicieuse et visuellement stressante, pour arriver à un final qui va vous surprendre … jusqu’à la dernière ligne. Et je peux vous assurer que cela n’est pas exagéré, tout se passe réellement dans la dernière phrase !

On pourrait trouver de nombreux messages dans ce roman, le lire à plusieurs niveaux. On peut y trouver une dénonciation du tout spectacle sans limites, ou bien une métaphore de la société où il faut tuer pour progresser. Ou même se demander si l’auteure n’interroge pas sur les origines du mal, sur la naissance d’un assassin. Personnellement, j’avoue que certaines phrases m’ont fait me poser des questions, mais sans plus. Je préfère voir ce roman comme un grand spectacle remarquablement construit, à l’écriture addictive, qui comporte des personnages et des scènes qu’il me sera bien difficile d’oublier. La seule mise en garde que je ferai, c’est : Attention ! Des scènes peuvent choquer des personnes sensibles. Vous êtes prévenus : ça va faire mal !

 Et un grand merci à Coco pour le prêt !

Vilaines filles de Megan Abbott (Jean Claude Lattès)

Depuis Adieu Gloria, Megan Abbott fait partie des auteurs dont je lis tous les romans, car j’adore sa façon d’écrire, sa subtilité, sa finesse, la façon qu’elle a de construire ses intrigues par petites scènes avec un choix fin de ses phrases, de ses mots, et des émotions qu’elle transmet. Ce roman, encore une fois, tape dans le mille.

A Sutton Grove, les cheerleaders agrémentent les matches de leur équipe. Beth est la capitaine et Addy, sa meilleure amie est sa lieutenante. Pour démarrer cette nouvelle saison, une nouvelle coach débarque. Elle s’appelle Colette French et est bien décidée à leur faire franchir un pas, devenir les meilleures. Elle leur fait faire des entrainements extrêmement durs physiquement, arbore une attitude distante et sans concession, et sa première décision est de destituer Beth de son rang de capitaine.

Addy est subjuguée par Colette. Elle passe bientôt beaucoup de temps avec la famille French, Matt le mari qui est comptable, travaille beaucoup et est souvent absent et la petite Caitlin, âgée de quatre ans. Addy, qui ne voyait que par Beth, la suivant partout, croyant ce qu’elle disait, buvant chacune de ses paroles se trouve une nouvelle icône, Colette, passant de nombreuses soirées en sa compagnie.

Le sergent Will est recruteur pour l’armée, détaché auprès du lycée. Il est d’une beauté confondante et a cet air triste des gens qui ont perdu leur femme trop tôt. Beth a vite compris que Colette et Will sont amants. Addy va aussi le découvrir. Après quelques semaines, Will est retrouvé dans son appartement, suicidé d’une balle dans la tête. Mais s’est-il réellement suicidé ? Addy, aveuglée par ses idoles, va découvrir une vérité douloureuse.

Une nouvelle fois, Megan Abbott nous concocte un suspense psychologique parfait, à travers les yeux d’Addy qui en est la narratrice. Addy, jeune adolescente, en mal d’émancipation, à la recherche d’un pilier sur lequel se reposer, curieuse du monde des adultes et à l’écoute du moindre des ragots, faisant toutes les déductions sur ce qu’elle apprend pour comprendre ce monde auquel elle ne comprend bien.

Il y a de l’amour dans ce livre, il y a de la haine dans ce livre, il y a de la manipulation dans ce livre, et dans chaque phrase, chaque mot est soigneusement choisi pour semer le doute, pour faire naître le trouble. Encore une fois, la traduction rend formidablement hommage à la subtilité du style de Megan Abbott et en cela, je vous remercie, M. Jean Esch. Car, jusqu’à la dernière ligne de la dernière page, on appréciera le suspense, les questionnements et les doutes que l’on ressent à la lecture de ce roman. Et Megan Abbott excelle dans ces situations intimes de faux semblants.

J’avais déjà apprécié La fin de l’innocence ou Envoutée, qui avançait selon le même principe, mais avec une addition de petites scènes. Cette fois-ci, la narration est plus linéaire, mais avec toute une foultitude de détails qui nous plongent dans le monde inconnu (ou mal connu) pour nous des cheerleaders, ces reines du sport qui prennent des risques inconsidérés pour se lancer des défis, pour se sentir plus grandes que la vie, pour grandir, franchir le pas et devenir adultes.

Megan Abbott creuse aussi le thème du mensonge et de son poids dans la vie. Si Beth apparait comme une intrigante, une star déchue de son piédestal, Colette apparait comme une idole étrange, auréolée d’un mystère fascinant tandis qu’Addy est triturée entre les deux personnes qu’elle adore. Mais que s’est-il réellement passé dans cette chambre ? Megan Abbott ouvre toutes les portes du possible et nous livre un roman sur les adolescentes rêvant de la pureté du soleil remarquable. Mais, qui s’approche trop près du soleil se brule les ailes. D’ailleurs, le soleil existe-t-il pour ces jeunes en mal de reconnaissance ? La fin justifie-t-elle tous les moyens ?

L’arbre au poison de Erin Kelly (Livre de poche)

Ce roman est épatant, un premier roman totalement bluffant, de ces premiers romans porteurs d’espoir pour le futur, donnant un résultat à la hauteur des meilleurs auteurs de romans. N’hésitez plus, lisez L’arbre au poison.

2007. Karen roule en voiture avec son mari Rex et sa fille Alice. Rex vient de sortir de prison. Dans un virage, elle s’aperçoit que Alice n’est pas attachée et lui dit : « Attache toi, Biba ! ». Karen se rappelle alors ce que lui évoque ce prénom venu d’outre-tombe.

Dix ans plus tôt, Karen est une étudiante en langues ; elle a toujours été douée pour les langues ; elle retient facilement les mots et en connaissait 5 dès son plus jeune âge. Elle a quitté ses parents pour poursuivre ses études à Londres au Queen Charlotte’s College, et vit en colocation avec trois jeunes filles. Lors de son aménagement, Simon, son petit ami lui annonce qu’il veut prendre du recul par rapport à leur relation, ce qui ne la gène pas : une nouvelle vie commence pour elle.

Le hasard lui fait rencontrer une jeune fille qui veut devenir actrice et qui placarde une petite annonce sur le campus : elle cherche quelqu’un qui pourrait l’aider à parler Allemand car elle doit jouer le rôle d’une femme de ménage allemande dans une pièce de théâtre. Elle s’appelle Biba et invite Karen pour une soirée dans sa maison, qu’elle partage avec d’autres jeunes gens et son frère Rex. Pour Karen, une nouvelle vie commence.

Ce roman est totalement bluffant. Souvent, un auteur débarque chez nous avec son premier roman, et on sent dans ce roman toute la passion qu’a voulu mettre dans son récit, toute l’honnêteté à travers une histoire qui lui tient à cœur. Dès les premières pages, on se met à la place de Karen, on est imprégné de sa psychologie, on revient quelques années en arrière, quand on était étudiant, on se remémore ceux qui étaient sérieux dans les études et ceux qui étaient plus volubiles, plus irresponsables.

Karen est une jeune fille sérieuse, et douée pour ses études. Sa rencontre avec Biba et Rex va changer sa vie, elle va se trouver une nouvelle famille. Karen s’est éloignée de ses parents et elle va s’immerger dans la vie de deux jeunes gens, dont la passé est bien lourd. Il y a Biba qui est totalement irresponsable, totalement incontrôlable, usant et abusant de drogues et de sexe, changeant d’avis comme de chemise. Son frère Rex, de six ans son ainé, est plus effacé, il semble porter les malheurs du monde sur ses épaules, et veille sur sa sœur comme un père. Car ils sont orphelins et vivent dans une maison trop grande pour eux deux.

Erin Kelly prend son temps pour nous imprégner de cette atmosphère lourde et menaçante, contrecarrée par la virevoltante Biba, toujours par monts et par vaux, imprévisible. Mais derrière chaque scène, dans chaque phrase, on sent le malheur du passé, la menace du présent, le drame à venir. Tout au long du livre, on attend sans trop se presser la scène finale, le dénouement dramatique annoncé dès le début du livre, avec ces allers-retours incessants entre passé et présent.

Il y a du Thomas H. Cook dans la construction de l’intrigue, du Megan Abbott dans la subtilité des mots utilisés, du Stephen King (d’ailleurs il signe un formidable hommage) dans la manière d’entretenir la tension, le suspense, mais ce roman m’a surtout fait penser au Maitre des illusions de Donna Tartt. C’est vous dire le niveau de ce roman. Il s’avère être un formidable roman sur l’émancipation, le passage à l’âge adulte, les relations parents-enfants, l’apprentissage de la liberté et la prise de conscience des responsabilités.

Et si vous vous imaginez connaitre la fin, en lisant les cent premières pages, parce que vous avez un peu d’imagination, sachez que la fin est bien plus terrible que tout ce que vous pourrez imaginer. Pas sanglante, non, mais bien terrible pour une Karen qui voulait s’émanciper de sa famille et qui s’en ai trouvé une autre avec l’obligation de porter elle aussi le poids des années passées. Je vous le dis, c’est un premier roman totalement bluffant, passionnant de bout en bout d’un auteur à suivre mais surtout à ne pas rater.

Le dernier roi de Brighton de Peter Guttridge (Rouergue noir)

Après Promenade du crime, voici le deuxième tome de la trilogie consacrée à Brighton, station balnéaire de Grande Bretagne. Ce roman s’avère plus grand, plus fort, plus imposant, exemplaire.

Ce roman est composé de deux parties. La première est consacrée aux années 60, la deuxième se déroule de nos jours. En 1963, John Hathaway est un jeune adolescent dont la passion est la musique. Avec ses copains Charlie, Dan et Bill il forme le groupe des Avalons, et fait la tournée des petits clubs en reprenant des chansons à succès. Il se débrouille tout seul, ses parents étant en Espagne pour une durée indéterminée. Et c’est Reilly, l’homme de confiance de son père qui l’aide dans sa vie de tous les jours.

La ville de Brighton est plongée dans des affaires criminelles retentissantes : on y parle encore du tueur à la malle qui date des années 30, mais aussi de l’attaque du fourgon postal qui est une affaire plus récente. John va s’apercevoir que ses concerts sont organisés dans des clubs grâce à la réputation de son père, que la police lui fait les yeux doux parce qu’il est le fils de Dennis. Entre sa petite vie et Barbara, une trentenaire devenue son amante, il mène une vie facile et nocturne, jusqu’à ce que son père rentre avec sa mère, prise de délires et que son père attribue à la ménopause.

Son père va chasser Barbara, qui est une de ses employées et lui demander de travailler dans son organisation ; tout d’abord, il lui demande de transporter de l’argent, puis de la drogue, puis de vendre de la drogue pendant ses concerts. Petit à petit, il va comprendre l’étendue de l’organisation de son père. Cette formation et ce passé douteux va avoir des conséquences sur sa vie actuelle, quand quarante années plus tard, un homme se fait atrocement empaler.

Le portrait que fait Peter Guttridge de la superbe et riche ville de Brighton est bien peu ragoûtant. En effet, il prend son temps pour montrer comment dans les années 60, le principal gang de Brighton détenait le commerce illicite, des paris au trafic de drogue qui commence (les petites pillules que les jeunes avalent pendant les concerts pour mieux s’amuser !), de la prostitution à la pédophilie. A cela, on ajoute la police qui profite de cet argent, mais qui le dirige aussi tant la hiérarchie est impliquée.

Peter Guttridge a choisi une narration très classique, mettant en opposition deux époques, qui sont les années 60 et les années 2000. Il donne l’impression qu’avant la criminalité était moins violente, moins barbare. Il montre une époque ivre d’amusements, de musique, de joie de vivre, qu’il oppose à notre monde contemporain plus froid, plus brutal. D’ailleurs, dans la première partie, les titres des chapitres reprennent des titres de morceaux populaires, qui disparaissent dans la deuxième partie. Cette première partie, sur les années 60 est exemplaire à tous points de vue, tant elle est parfaitement écrite.

C’est aussi un roman de formation, d’initiation, au travers le personnage de John. Ce jeune homme va petit à petit perdre son innocence, jusqu’à devenir le nouveau parrain de Brighton, suivant en cela les pas de son père. Et le jeune homme de la première partie va se révéler un maitre du crime, que l’on va retrouver au travers d’enquêtes menées par Robert Watts dans une deuxième partie d’une narration plus classique.

Indéniablement, ce Dernier roi de Brighton s’avère un polar costaud, que j’ai eu bien du mal à lâcher, tant la façon qu’a Peter Guttridge de mener son histoire me convient bien : elle est centrée sur les personnages, avance surement grâce à des dialogues remarquablement bien faits, et ne s’appesantit jamais sur des futilités. Ce deuxième tome de la trilogie de Brighton est brillant, étincelant comme les joyaux de cette station balnéaire.

Ne ratez pas l’article de l’ami Claude ici

Le monde à l’endroit de Ron Rash (Seuil)

Ma très chère petite souris,

Comme tu as eu la gentillesse de me prêter Le monde à l’endroit de Ron Rash, je ne pouvais que te parler de cette lecture bouleversante et qui marquera ma (petite) culture littéraire. Mais que puis-je, ou du moins que dois-je ajouter à ton article publié sur ton blog Passion-polar ? J’ai l’impression qu’il me suffirait de crier à la face du monde : Lisez Ron Rash !

Car dès Un pied au paradis, on sentait la patte d’un grand auteur. Quelle façon de maitriser son intrigue à plusieurs voix, de peindre une Amérique des petits, des insignifiants, de petit à petit dévoiler un drame qui de toute façon est inévitable. Et c’était son premier roman. Avec Serena, il frappait (à mon avis) encore plus fort, avec un personnage féminin incroyablement noir dans un environnement composé uniquement d’hommes, où on avait l’impression que le monde est animal et a engendré le mal, une formidable illustration de L’homme est un loup pour l’homme.

Le monde à l’endroit est sorti aux Etats Unis juste avant Serena. Et quand tu as sorti ton billet, tu m’as proposé de me le prêter. Et je ne peux que paraphraser ce que tu en as dit. Pourtant, tu sais bien que je n’aime pas répéter ce que les autres ont dit. Car ce roman est un grand moment, qui confirme que Ron Rash est un grand, un très grand auteur.

De cette histoire dramatique et noire, je n’en dirai qu’un mot : Travis Shelton, un jeune homme de 17 ans, va découvrir un plan de marijuana en allant à la pêche. Il va en voler quelques plans pour les vendre à Leonard, ancien professeur reconverti en dealer de drogue. Les vrais propriétaires sont les Carlton et ils vont piéger Travis et lui couper l’envie de recommencer en lui coupant le tendon d’Achille. Travis va se rétablir et s’installer chez Leonard, qui va le pousser à avoir son BAC.

Tu le sais, ma petite souris, qu’il y a des thèmes qui me touchent particulièrement. La relation Père-Fils fait partie de ceux-là. Travis en rupture avec sa famille va se trouver un nouveau mentor qui lui ouvre les yeux sur ses possibilités mais aussi sur ses conséquences. On ne peut pas sauver quelqu’un qui ne le veut pas. C’est aussi le poids du passé, l’influence des racines et leurs conséquences sur les hommes d’aujourd’hui. En effet, à Shelton Laurel pendant la guerre d’indépendance en 1863, eut lieu un massacre d’innocents uniquement sous prétexte qu’ils appartenaient à l’autre camp. Cet héritage ne s’efface jamais complètement, il y reste toujours des cicatrices.

Par contre, ma petite souris, il y a une chose que je n’aime pas beaucoup. Et je n’ai pas dit que c’est ce que tu fais. Certains mettent une étiquette de Nature Writing à Ron Rash, sous prétexte qu’il écrit et décrit des personnages et des situations qui se passent dans la campagne profonde, et mettant en scène des gens simples. Certes, la nature est omniprésente, dans sa dualité, belle et dangereuse, inégalable et mortelle. Mais Nature writing ou pas, c’est juste de la grande littérature. Et peut-être Ron Rash se pose-t-il la question suivante : L’homme est-il vraiment l’animal le plus évolué sur Terre ? Une question parmi tant d’autres, tant ce roman en regorge.

Enfin, chère petite souris, tu sais combien je suis attaché au style. C’est pour moi ce qui fait la différence entre un bon roman et un excellent roman. On n’y trouvera rien pour relever la tête du lecteur. Le style est brut voire brutal, sec, cherchant l’efficacité, le bon nom, l’adjectif juste ; bref, on est dans l’orfèvrerie, dans le pointillisme, l’obsession de la perfection. Par moment, il m’a fallu reprendre quelques phrases, je te l’avoue, mais dans l’ensemble, je suis époustouflé, impressionné, ébahi devant tant de talent. Tout cela pour te dire que je trouve que c’est une lecture qui se mérite.

Et moi qui n’aime pas mettre des étiquettes, je ne peux m’empêcher de rapprocher ce roman des meilleurs romans des grands auteurs américains. Et en particulier Père et fils de Larry Brown. D’ailleurs, je n’avais pas lu de roman aussi fort sur les pauvres gens depuis bien longtemps. Tu l’auras compris, j’ai adoré. Alors que puis-te dire ? Merci, un grand merci, un énorme merci ! Et comment puis je te remercier ? Ma foi, en publiant cette lettre, telle quelle, et en te dédiant ce billet. Petite souris, cette humble et misérable prose est pour toi, mon ami du Sud.

A bientôt. Pierre

La fin de l’innocence de Megan Abbott (Jean Claude Lattès)

Je pense que nous sommes plusieurs à attendre les romans de Megan Abbott, car ils sont d’une subtilité rare, et nous offrent bien souvent des sujets de réflexion intéressants alliés à des intrigue noires de grande qualité. Celui-ci est conforme à mes attentes.

Lizzie est une jeune fille de treize ans, et sa meilleure amie est sa voisine Evie Verner. Leur relation est telle qu’elles passent toutes leurs journées ensemble. Comme les parents de Lizzie sont divorcés, elle aime se retrouver parmi la famille de Evie, au milieu d’une famille normale. D’autant plus que la sœur ainée de Evie, Dusty, est une grande de 17 ans, une icône, un exemple à suivre.

Un soir, à la sortie de l’école, Evie disparaît. Toute la région se mobilise pour retrouver la jeune fille, imaginant le pire. Lizzie est la dernière à lui avoir parlé, lui demandant si elles rentraient ensemble, mais Evie va refuser. Lizzie va donc être particulièrement impliquée dans l’enquête, devenant aussi de plus en plus présente dans la famille Verner. D’autant plus qu’elle se rappelle avoir vu une voiture de couleur Bordeaux trainer devant la maison des Verner. Or, Harold Shaw, l’assureur de la famille possède ce genre de voiture. Lizzie est donc persuadée qu’il est le coupable.

Le titre anglais est bien plus précis que le titre français. The end of everything (La fin de tout) indique clairement ce à quoi vous devez vous attendre. Ce roman, narré à la première personne du singulier, nous place dans la peau d’une jeune fille de treize ans, innocente, naïve, vivant dans un monde idéal entre sa famille et surtout ses amies. Et c’est là toute la qualité de ce roman, subtil comme tous ceux de Megan Abbott.

Car La fin de tout nous montre bien la fin de la jeunesse, la fin de l’enfance, la fin de la pureté et l’entrée dans l’âge adulte. A son niveau, elle va être submergée par des émotions qu’elle ne comprend pas encore, être à la fois sure de ce qu’elle ressent, de ce qu’elle raconte, de ce qu’elle invente, et faire progresser l’intrigue à son niveau. Toujours, nous allons nous retrouver devant cette petite fille qui va à la fois être subjuguée par Dusty, puis attirée par M.Verner, tout cela décrit par de petites scènes mises bout à bout, comme de magnifiques petites briques montant un mur imparable.

Et là où je suis abasourdi, c’est par la maitrise du suspense psychologique mis en place par Megan Abbott, utilisant un mot flou à plusieurs significations, nous laissant avec plusieurs interrogations, et impatients de connaître la suite. D’ailleurs, je voudrais souligner l’excellent travail de la traductrice Isabelle Maillet, pour avoir aussi bien rendu toute la subtilité, le doute et l’insouciance cachés dans le texte. Quelle maitrise dans le choix des mots, dans la construction des phrases, dans le flou des expressions.

C’est un roman que j’ai eu beaucoup de mal à lâcher, tant on est envahi par les pensées de Lizzie, tout en gardant ce léger détachement pour se rendre compte de ce qu’elle raconte ; en gros, c’est une expérience assez bouleversante, qui nous rappelle sans cesse qu’un drame est en train de se dérouler. Le suspense est très bien entretenu, avec une grande tension car c’est Lizzie qui est aux commandes, et jamais on ne se doute de ce qui va arriver. Elle nous démontre combien il est difficile de descendre de la vie de princesse, de sortir de l’enfance pour entrer dans la vie des grands. Un roman tout simplement magnifique.

Pour la place du mort de Charlie Huston (Seuil Policiers)

Attention, coup de cœur ! Ce roman là, je l’avais noté sur son résumé de quatrième de couverture. Conforté dans mon choix par le billet de l’ami Claude Le Nocher, je l’ai bien vite acheté, puis stocké en attendant que l’actualité se calme. Le voici donc !

C’est l’histoire de 4 copains au début des années 80 : Paul, Hector, George et Andy. Paul est le plus grand, et veut s’engager dans l’armée, pour assouvir sa violence et s’éloigner de son père qui a raté ses études. Hector, mexicain d’origine, est un adorateur de punk rock comme Paul. Pour compléter le groupe, il y a George et Andy, les deux frères : George le grand fainéant et Andy le petit génie des mathématiques. Tous s’ennuient en cet été chaud.

Andy vient de faire une bêtise : il a laissé son vélo dans la rue sans l’attacher. Evidemment, il a été volé, et cela ne peut être que l’œuvre de Timo Arroyo. Celui-ci déboule la rue juché sur le vélo. Timo est le plus jeune du gang Arroyo, qui est composé de Francisco et Ramon, gang qui deale de la drogue au lycée. Lors d’un affrontement de nos 4 comparses avec les Arroyo, ils arrivent à récupérer le vélo.

En guise de représailles, ils décident d’aller cambrioler la maison des Arroyo. Ils fouillent toutes les pièces, découvrent de l’argent dont ils s’emparent, et finissent par tomber sur un laboratoire amateur de fabrication de drogue. Dans un réfrigérateur, ils trouvent des sachets de drogue et Paul s’empare d’un sachet de 500 grammes. Puis, ils continuent par la maison d’un voisin où ils volent des bijoux.

Paul passe un coup de fil anonyme à la police pour dénoncer les Arroyo, et la petite bande débarque chez Jeff, un copain d’école de leurs parents, qui a toutes les combines pour fourguer le résultat de leurs larcins. Seulement, on ne s’improvise pas bandit de grand chemin, surtout quand on a affaire à de vrais truands. Le décor est planté pour lancer la spirale dans laquelle ils vont s’enfoncer.

Le 9 décembre 1980, ma mère entre dans ma chambre pour me réveiller et m’annonce que l’on vient de tuer John Lennon. J’étais au collège et je n’écoutais que les disques des Beatles et de John Lennon. J’ai décidé de rester couché et de ne pas aller au collège. Je ne comprenais pas que l’on puisse tuer un homme, comme ça, sans raison, qui plus est quelqu’un qui prônait la paix. Quelques semaines plus tard sortait Back in black de AC/DC, album hommage à Bon Scott, mort dans sa voiture après une beuverie. Cet album résonnait pour moi comme un cri envers l’injustice de la mort.

Pourquoi cette petite digression ? Parce que les gamins de ce roman vivent par la musique, et que celle-ci est très proche de ce que j’ai écouté. Ce livre m’a fait vibrer dans sa première partie par cette similitude avec ma propre jeunesse, avec ces questions, ces envies, ces sensations, ces réactions envers le monde. Tout ça pour dire que nous avons été jeunes, nous avons fait des conneries, et nous avons tiré les leçons et les enseignements que la vie nous a fait subir.

Ce roman raconte une histoire simple, mais tout sonne juste : les caractères de nos quatre jeunes jusqu’à l’attitude de leurs parents, les situations et les dialogues, la psychologie des personnages sans en rajouter des tonnes, juste par petites touches, leurs rêves juvéniles venant en opposition à la dure réalité vécue par l’échec de leur père ou mère. Ça m’a fait frissonner et a fait résonner une once de nostalgie.

C’est un hymne à tous les parents qui pensent protéger leurs enfants, une symphonie à tous les jeunes qui font des bêtises et apprennent leurs gravités après en voir subi les conséquences. C’est un roman noir, avec cette différence entre la première et la deuxième partie, où d’abord on se prend de sympathie pour eux avant qu’ils fassent un petit tour en enfer, un superbe roman qui nous montre que la vie n’est pas si facile, et que l’expérience s’acquiert au prix de douloureuses épreuves. Avec un suspense haletant et une fin éblouissante, ce roman ne pouvait être qu’un coup de cœur Black Novel décerné haut la main. Vous l’aurez compris, c’est un livre à lire à tout prix.

Gianrico CAROFIGLIO : Le passé est une terre étrangère (Rivages Noir)

Giorgio est étudiant en droit. Avant de commencer sa dernière année d’études, il rencontre Francesco. Celui-ci lui propose de participer à une partie de poker, et Giorgio gagne de l’argent, beaucoup d’argent. Alors, Francesco lui annonce qu’il a triché, qu’il est capable de gagner quand il veut, et il lui demande de participer à son aventure. Francesco est quelqu’un qui est facile d’accès, il trouve toujours des cercles de jeu entre particuliers et ils deviennent vite inséparables (« amis » dit Francesco ). En fait, Francesco va vite l’entraîner non pas sur la ligne blanche mais au-delà de cette ligne, et la descente aux enfers va commencer.

Le rythme est lent dans ce livre, car l’auteur montre comment un jeune homme intelligent va petit à petit subir l’influence d’un homme (pourtant de son age) jusqu’à en devenir un véritable esclave. Sa volonté est effacée, ses désirs deviennent ceux de Francesco, et jamais, il ne ressent le besoin de se rebeller, même quand on atteint des actes de délinquance graves. Le roman est écrit à la première personne, et l’auteur a l’intelligence, via des chapitres très courts de ne pas nous laisser le temps de réfléchir, un peu comme le héros de son roman.

Maintenant, le style est basique. Pas de grandes phrases, pas de lyrisme. Parfois, en lisant ce livre, je me suis demandé si cela venait de l’auteur (et donc si c’était voulu) ou si cela venait de la traductrice. Mais on ne peut s’empêcher, malgré l’histoire assez prenante, de rester sur sa faim tant le style et les mots sont sommaires.

J’avais lu ses deux précédents romans publiés chez Rivages. Ils concernaient les aventures de Guido Guerrieri, avocat à Bari. Il y avait dans ces livres un vrai style enlevé et positif, un humour parfois corrosif et donc un vrai plaisir de suivre les dénouements de ses procès.  Témoin involontaire (Rivages Noir) parlait du racisme et permettait d’introduire le personnage de cet avocat qui ne perd jamais son sourire malgré tout ce qui lui arrive.

Les yeux fermés (Rivages Thriller) parlait de la maltraitance des femmes et est un roman vraiment impressionnant. Je vous le conseille très fortement car il atteint des sommets et même dépasse les meilleures pages de John Grisham.

Pour Le passé est une Terre Etrangère, je retiendrai le titre qui est absolument génial, mais peu l’histoire, car dans le genre initiation d’un innocent aux dessous du crime, j’ai déjà lu mieux. Donc bien mais sans plus.