Archives du mot-clé Intelligence Artificielle

La vengeance des perroquets de Pia Petersen

Editeur : Les Arènes – Equinox

Derrière ce titre étrange se cache le roman le plus intelligent que j’aurais lu en 2022, un roman que je n’hésite pas à placer dans mon TOP10 tant il pose des questions dérangeantes pour un scientifique de formation, humaniste comme moi.

Il est enfermé dans cette geôle, sans fenêtre, sans repère temporel, sans nom, dans le noir. Il a perdu le sens de la réalité, mais il a conservé la conscience de ce qu’il est. Malgré les moqueries du gardien, il garde une once d’espoir, celle de sortir au grand air, au grand jour ; à défaut celle de voir son avocat comme il devrait en avoir le droit. Se battre, faire des efforts, des mouvements pour sentir son corps, voire d’enfoncer ses ongles dans sa paume pour ressentir une douleur, une preuve d’être encore vivant. Seul, mais vivant.

Emma se définit elle-même comme nordique et européenne et n’a jamais choisi de nationalité, se déclarant citoyenne du monde, « éternelle touriste ». Artiste reconnue pour ses portraits des plus éminents hommes d’affaire, elle vient d’accepter de peindre celui de Henry Palantir, le célébrissime propriétaire de Vision Technologies, l’entreprise chargée de la sécurité par et grâce à la maitrise du numérique, client incontournable des multinationales et des grands pays industrialisés.

Emma souffre de claustrophobie et ne peut se contenter de rester dans le bureau jouxtant celui de Palantir. La force de son art réside dans sa faculté à exprimer la psychologie d’un homme derrière les traits peints sur sa toile. Mais face à un mur sans émotion, elle demande du temps pour comprendre le magnat, le sonder en profondeur via ses actes et ses quelques paroles. Lors d’une de ses sorties, elle rencontre Achille, un homme noir plus âgé qu’elle pour qui elle va éprouver un coup de foudre.

Loin de n’être qu’un roman d’amour, Pia Petersen choisit de placer Emma en tant que narratrice, personnage libre d’agir et de penser. Le génie de cette idée va soutenir tout le roman et opposer l’art à la logique. Relativement peu concernée par les technologies numériques, elle va petit à petit lever le voile sur leurs possibilités, leurs capacités et nous proposer, à nous lecteurs, le choix qui se présente devant nous : devenir esclave des machines ou garder notre liberté de penser, de rêver, de créer.

Surtout n’ayez pas peur, le roman ne possède aucune notion scientifique absconse ou de théorie incompréhensible. Il reste sur le terrain des réflexions d’Emma et de ses questionnements vis-à-vis de la liberté qui lui est chère. Et elle nous explique que, l’homme étant faillible, il est nécessaire de le remplacer par des machines pour certaines tâches, ce qui est le cas pour les usines par exemple. Si on pousse le raisonnement un peu plus loin, on arrive à justifier l’épanouissement du numérique par une volonté de minimiser les risques, gommer les imprévus.

Si cela peut sembler bien théorique, Pia Petersen situe l’opinion sur le terrain des usagers communs, c’est-à-dire nous et en déduit quelques vérités. Rien de tel qu’occuper l’esprit des gens par du divertissement, pour leur éviter de réfléchir, de se rendre compte de leur nouvelle servilité, sous couvert de nouveaux services. Par voie de conséquence, on vend la rapidité, la faculté d’éviter de perdre du temps. La notion d’immédiateté, d’urgence implique de gommer le passé, de ne pas penser au futur … seul compte le présent.

On commence à discerner l’étendue de l’influence d’une telle politique, quand elle touche tous les domaines. Il suffit de regarder les programmes scolaires d’histoire où l’on survole les événements importants, leurs causes et leurs conséquences, ou même la philosophie réduite à sa portion incongrue, sans parler des mathématiques qui deviennent une option en terminale. Notre société ne veut pas que les gens réfléchissent.

Derrière son intrigue, Pia Petersen nous invite donc à une réflexion sur notre société, un peu comme l’ont fait auparavant les grands visionnaires. Sauf que la situation est bien contemporaine et que l’auteure appuie son argumentaire en faisant apparaitre la COVID au milieu du roman, comme pour mieux illustrer son propos tout en faisant monter la tension dans le duel entre Emma et Palantir.

J’aime bien cette expression, ce roman est une sorte de duel, un combat entre l’homme et la machine, entre le matériel et le spirituel. On pourrait le taxer de paranoïaque mais les exemples foisonnent avec toutes les applications sur smartphones. Je vois plutôt ce roman comme un perturbateur, un poseur de questions qui appuie là où ça fait mal. J’ai adoré aussi les titres farfelus des chapitres qui ressemblent à des phrases que la machine ne peut comprendre, ne peut créer, ne peut envisager même. J’espère que je vous aurais donné envie de lire ce roman, car le combat se déroule maintenant. Et l’Humanité a du souci à se faire !

Publicité

Face Mort de Stéphane Marchand

Editeur : Fleuve Noir

Au rayon divertissement, à mi chemin entre thriller apocalyptique et roman d’espionnage anti-terroriste, le dernier roman en date de Stéphane Marchand respecte à la lettre les codes du genre en faisant monter la tension.

Alors que Daech a été repoussée hors de l’Irak et la Syrie, l’organisation terroriste a du se replier en Lybie, où, après la mort de Kadhafi, le chaos y règne en maître. Dans une grotte perdue au milieu du désert, Ibtissam, une jeune femme en guerre contre l’occident assiste à la réussite de son programme : des jeunes chiots meurent sous ses yeux en présence d’une nouvelle substance alors que d’autres survivent.

Le jeune diplômé de Polytechnique effectue un stage à la DGSE. On lui donne la mission d’améliorer la toute nouvelle invention, Face Mort, un logiciel qui allie reconnaissance faciale et intelligence artificielle. Il passe des jours et des nuits à le nourrir de photos, de documents, d’informations glanées sur le Net car une connexion semble se faire entre le jeune homme et la machine.

Une vidéo postée sur un réseau social va réveiller la machine, celle d’une décapitation d’un homme au milieu d’hommes masqués. Pourtant, Face Mort va pointer un homme en marge de ce meurtre, ou plutôt un tatouage qu’il identifie et relie au nom de code Sauterelle. Lançant l’alerte aussitôt, il reçoit l’appel du colonel Flache en personne, le conseiller particulier du directeur. Tout le département prend au sérieux cette piste et charge Maxime Barelli, la capitaine à la tête des Forces Spéciales, de trouver et d’éliminer les terroristes. Car elle connait très bien le dossier Sauterelle.

Les raisons de lire ce roman sont innombrables, tant le plaisir de lire un bon roman d’action est là. Stéphane Marchand démontre aussi que pour qu’un plat soit bon, il ne suffit pas d’avoir les bons ingrédients ; encore faut-il avoir le talent pour faire monter la mayonnaise. Prenez une pincée de nanotechnologie, une bonne part de terrorisme, une couche de reconnaissance faciale et une autre d’intelligence artificielle, parsemez d’agents secrets agrémentés de troupes d’assassins sans scrupules au service de la République. Mélangez délicatement, tout en ayant un mouvement énergique dès que les balles sifflent. Saupoudrez avant de servir d’un suspense difficilement soutenable.

Avec tout cela, le plat devrait être excellent. Stéphane Marchant ajoute à ce roman d’action paranoïaque un format de thriller où les chapitres n’excellent pas quatre pages, un style qui va vite, d’innombrables personnages à la psychologie juste brossée, le lecteur devant faire le reste, et vous aurez entre les mains Face Mort. Et même si certaines assertions sur où nous emmène la technologie sont osées, ce thriller va vous faire frissonner.

Ça va vite, on voyage entre l’Europe et le Moyen Orient et on se laisse emmener dans cette intrigue qui flirte avec un futur proche, appuyant sur nos peurs comme quand on enfonce un couteau dans une plaie et qu’on tourne doucement et lentement pour faire plus mal. Avec tout ce qu’on nous montre dans les médias, on en devient fous. Stéphane Marchand ne nous décrit pas un futur forcément réaliste, il grossit le trait comme une projection possible, probable mais dans tous les cas, bien flippante.

Si vous avez déjà peur de tout, si vous croyez aux complots ou aux délires de la science, ce roman va vous conforter dans vos idées. Si vous aimez les histoires bien écrites, les romans d’action, et une réflexion sur ce que nous réserve (peut-être) l’avenir de la science quand elle est mal utilisée ou utilisée à des fins funestes, alors, ce roman est aussi pour vous. Car en parcourant ces pages, on ne voit pas le temps passer, ce qui démontre que c’est un très bon divertissement.

Sauve-la de Sylvain Forge

Editeur : Fayard

Depuis ma découverte des ouvrages de Sylvain Forge, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Depuis, il a été couronné du Prix du Quai des Orfèvres en 2018 et a sorti quelques thrillers penchant sur la haute technologie, domaine qu’il maîtrise parfaitement. C’est aussi le fond de cette histoire, écrite sous forme de roman à suspense flirtant avec la forme d’un thriller.

Alexis Lepage a tout pour être heureux : amoureux de la fille du patron d’une société d’investigations contre les fraudes aux assurances, il doit bientôt épouser Clémence et enfin envisager d’avoir un enfant par la PMA. Un cauchemar va le réveiller en pleine nuit : Clara, son amour de jeunesse, qu’il n’a pas revu depuis 26 ans, lui crie : « Alexis, je t’en supplie. Sauve-la ! ».

Le lendemain, un SMS lui annonce avoir reçu un message de Clara Vasilescu. Pour cela, il doit cliquer sur une application jointe par Anael Technologies, et l’installer. Poussé par son désir de la retrouver, il l’installe et se retrouve en contact avec Clara. Elle lui annonce être atteinte d’un cancer, en phase terminale, et veut qu’il retrouve sa fille Olivia, disparue dans un accident de car en Ariège.

Alexis contacte Anael Technologies qui lui annonce que Clara est morte et qu’il est en contact avec une intelligence artificielle que Clara a conçue. Il recontacte alors Clara et celle-ci lui annonce qu’Olivia est sa fille. Alors que Clémence et Alexis ont prévu de prendre une semaine de vacances à Vichy, elle découvre Clara et Alexis lui explique qu’il se doit de retrouver sa fille. Clémence part, fâchée, et Alexis se lance dans l’aventure.

Ah que les massifs montagneux et boisés d’Ariège sont beaux ! Mais qu’ils sont inquiétants sous la plume de Sylvain Forge. Alexis va se retrouver dans un petit village, Sainte Albane, peuplé de personnages hostiles aux étrangers et au milieu d’une végétation dangereuse. Poussé par sa passion, il va se jeter dans le gueule du loup, ce qui peut être pris au premier degré quand on pense au chien qui garde l’auberge de jeunesse.

Avec tous les ingrédients inhérents au thriller, Sylvain Forge utilise un style coupé à la serpe, et des chapitres ultra-courts pour donner du rythme à son histoire. Cela va vite, il y a beaucoup de suspense, et malgré quelques incohérences, on avale ce roman très rapidement, tant on veut connaitre la fin, qui ne sera pas toute rose. On a entre les mains un vrai roman populaire, idéal pour passer un bon moment estival.

Il n’en reste pas moins que Sylvain Forge nous montre les capacités des intelligences artificielles, que nous connaissons déjà au travers de Siri ou Cortina. Ces machines, capables d’apprendre, répondent à nos besoins quotidiens, et plus inquiétants, finissent par ne plus nous faire réfléchir, prenant notre place. Plus inquiétant encore, leur utilisation en devient une drogue tant leur facilité d’utilisation est accrue.

Et donc j’ai avalé ce roman en un peu plus de deux jours, parce que j’ai trouvé le roman facile à lire, l’histoire bien construite et le message intelligent pour y adhérer. Cela prouve que l’on peut dire des choses, alerter les gens grâce à une intrigue de bon aloi. Je ne peux que vous encourager à lire ce livre, distrayant avec une projection sur notre futur qui est loin d’être rose.

L’inspecteur Dalil à Paris de Soufiane Chakkouche

Editeur : Jigal

On trouve souvent sur Internet cette phrase : Jigal, découvreur de talents. On ne peut qu’être d’accord après la lecture de ce roman qui, s’il peut paraître un simple roman policier, possède un vrai style, un vrai ton et un superbe personnage que l’on espère revoir.

L’inspecteur Dalil coule une retraite paisible en pêchant au bord de la plage avec sa chienne quand une silhouette se dirige vers lui. La petite voix qui lui donne des conseils dans sa tête lui indique qu’il s’agit de l’inspecteur Brahim, son ancien collègue. Celui-ci lui propose de reprendre du service dès aujourd’hui afin de résoudre une enquête qui pourrait bien revêtir une importance vitale pour son pays, le Maroc. Sa petite voix saute de joie à l’idée de retravailler,

Il est reçu par Ali Aliouate, le directeur du Bureau Central d’Investigation Judiciaire, l’équivalent du FBI marocain. Bien vite, Aliouate donne à Dalil une carte de police officielle ainsi qu’une arme. Mais Dalil ne veut pas d’arme, et il n’en a jamais voulu. Aliouate connait bien le dossier de Dalil, et le taux de réussite de ses enquêtes de 100%. L’affaire qu’il lui propose concerne le terrorisme et la France.

Un jeune homme a été enlevé devant une mosquée en plein Paris. Il s’appelle Bader Farisse et est étudiant en transhumanisme. La France accuse le Maroc de ne pas en faire assez contre le terrorisme. L’inspecteur Dalil va être envoyé à Paris pour faire équipe avec le commissaire Maugin, la crème du 36 Quai des Orfèvres. Dalil est accueilli par le commissaire mais bien vite, les petits gestes de Maugin montrent bien que la méfiance est à l’ordre du jour entre les deux hommes.

On aurait pu imaginer un couple de flics dépareillés dans ce roman, mais on a plutôt affaire à deux personnages forts qui font chacun leur enquête dans leur coin, et cela, surtout parce qu’ils se méfient l’un de l’autre. Quoiqu’il en soit, ce roman est un vrai roman policier qui repose sur deux personnages forts, en plaçant au premier plan l’inspecteur Dalil. Et quel personnage que ce Marocain exilé au milieu des fous, c’est-à-dire en France.

Cet inspecteur, habitué à tâter du poisson loin du vacarme de la ville, se retrouve en plein Paris. Si l’on ajoute à cela qu’il parle souvent tout seul, pour répondre à la petite voix qui fait des remarques dans sa tête, cela nous donne des scènes d’une drôlerie irrésistible. Ajoutons à cela qu’il est un fin psychologue, puisqu’il arrive à tirer les vers du nez du plus récalcitrant juste en menant ses questions d’une façon fort intelligente, et vous avez un personnage de flic qu’il va falloir suivre de très près à l’avenir.

Ceci démontre que les dialogues sont extrêmement bien faits, et que l’intrigue est menée avec une maîtrise qui force l’admiration. Et puis, je ne peux que louer ces remarques sur notre mode de vie, ces évidences que l’on ne voit plus puisque la vie parisienne est vue par un provincial étranger. Il n’y a qu’à apprécier ces passages sur le métro, ou la désolation de l’inspecteur Dalil devant les gens qui demandent de l’argent pour manger.

Si le sujet est grave et tout de même bien flippant, la faculté d’implanter une puce connectée à Internet dans votre cerveau, le ton se révèle dans l’ensemble léger, drôle et lucide, même si la scène finale est noire. D’une plume fluide, Soufiane Chakkouche fait une entrée fracassante dans le monde du polar avec un ton remarquablement neuf et rafraîchissant. Ce roman est totalement bluffant et je suis d’hors et déjà fan. Vivement la suite !

Ne ratez pas les avis de Yves et Psycho-Pat

M, le bord de l’abîme de Bernard Minier

Editeur : XO éditions

Délaissant Martin Servaz, Bernard Minier nous offre un nouveau roman orphelin, ce qu’il avait déjà fait en 2015 avec Une putain d’histoire. Avec cette histoire, Bernard Minier nous met en face des dangers de l’Intelligence Artificielle, de façon grandiose.

Moïra est une jeune française particulièrement douée dans le domaine de l’Intelligence Artificielle. Elle vient d’être démarchée à prix d’or de chez Facebook par le conglomérat hongkongais Ming. Ce dernier est valorisé à plusieurs centaines de milliards depuis qu’il a révolutionné le milieu des portables et des applications intelligentes. C’est donc dans un nouveau milieu, un nouveau monde que débarque Moïra.

A l’arrivée à l’aéroport, elle est attendue par un chauffeur particulier qui est chargé de la conduire à son hôtel de luxe. Après s’être rafraichie, elle descend au bar de l’hôtel et est abordée par deux policiers, les inspecteurs Chan (le jeune) et Elijah (le vieux). Ils veulent la mettre en garde contre le conglomérat et son propriétaire mystérieux, M.Ming. Plusieurs femmes travaillant pour Ming ont en effet été retrouvées assassinées.

Le lendemain, elle est accueillie au centre de recherche de Ming. On lui présente les locaux et les membres du comité directeur et de sécurité. Tout y est fait pour que les gens se sentent bien, pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Moïra devra travailler sur DEUS, la dernière innovation de Ming, le logiciel d’Intelligence Artificielle ultime. Elle devra déceler les failles du système et y apporter des corrections et plus d’humanité.

Voilà à nouveau un thriller qui a quelque chose à dire. Et ce n’est pas plus mal. Après Jérôme Camut et Nathalie Hug, c’est au tour de Bernard Minier de nous alerter sur les dangers qui nous guettent. L’auteur va pointer du doigt la conséquence de la mise en place de l’Intelligence Artificielle, quitte à grossir le trait pour les besoins de l’intrigue. Il n’empêche que la démonstration est efficace dans la forme et le fond, et très intelligente.

Dès le début du roman on est plongé dans le mystère. Et plus on avance dans le roman, plus les mystères vont se multiplier. Comme on est dans un thriller, les enquêtes sur les meurtres entourant Ming Company vont rythmer l’intrigue en parallèle de la découverte de l’entreprise de Moïra et de son travail, tout en évitant des termes technologiques trop compliqués. Car le but de Bernard Minier, c’est bien de nous mettre en garde.

En effet, dès le début du roman, l’auteur nous prévient : tout ce qui est présenté dans le roman existe, ce sont des innovations qui sont accessibles ou en cours de développement. Passé ce préambule, il nous montre ce que va être l’Intelligence Artificielle, non pas telle qu’on nous la présente mais telle qu’elle va influer sur nos vies, prendre notre place et supprimer définitivement ce qu’il nous reste de liberté, ce qui fait de nous des humains. Si on peut avoir l’impression qu’il grossit le trait parfois, c’est une démarche louable quand on sait que l’objectif de son roman est de nous alerter. Et même si j’ai moins adhéré à la fin du roman (on ne sort pas dehors quand il y a un typhon), cela n’occulte en rien la force du message, la mise en garde contre le Big Data.

Je vous ai recopié un passage situé en page 95 qui m’a marqué et qui, je l’espère, vous fera réagir :

« Imagine un agent conversationnel qui aura la réponse à toutes tes questions, continua-t-il d’une voix vibrante. Qui te connaîtra mieux que tu ne te connais. DEUS sera capable de te dire si tu dois sortir avec Pierre ou avec Jacques, parce qu’il saura que Jacques te fait rire alors que Pierre te rend triste, même si tu es plus attirée par Pierre que par Jacques. Il saura si tu dois travailler dans la banque ou dans l’informatique, si tu dois faire du vélo ou de la natation, si tu dois étudier le droit ou la médecine, si tu dois te marier ou pas – et comme ça pour les millions de questions qu’on se pose tous dans notre vie quotidienne, de l’adolescence à la mort, les dizaines de choix qu’on a à faire tous les jours : Thé ou café ? sport à la télé ou série ? jean ou robe ? Game of Thrones ou Doctor Who? accepter cet emploi ou en chercher un autre ? Croire ta fille quand elle te dit qu’elle est malade ou l’envoyer à l’école ? Parce que DEUS aura tout noté, jour après jour, et que, contrairement à toi, il n’oubliera rien. Et il ne sera jamais fatigué de t’entendre, de te conseiller, de te guider. Il n’aura jamais envie de t’envoyer sur les roses, comme tes amis, ton conjoint ou tes enfants, de te dire que, décidément, tu es insupportable. Sans rien attendre en retour, il sera là pour toi quels que soient l’heure ou l’endroit. Le plus fidèle, le plus digne de confiance, le plus intelligent, le plus fiable des compagnons. Et tu ne pourras plus te passer de lui … »

Après avoir lu ce roman, cela donne envie de se replonger dans 1984 de George Orwell, dans le cycle des robots d’Isaac Asimov ou même La secrétaire de Jérémy Bouquin. Lisez ce roman ! Pour votre bien, pour notre avenir !

Une secrétaire de Jérémy Bouquin

Editeur : French Pulp

Sortir un roman une semaine avant les fêtes de Noël est indéniablement une bonne façon de passer inaperçu. C’est le désagrément qu’a subi le dernier roman en date de Jérémy Bouquin, dont on n’a entendu parler nulle part. Alors, j’en parle …

Emilie a la quarantaine et a toujours rêvé de devenir profileuse. Mais la vie ne nous conduit pas toujours là où on veut. Elle a eu un mari, un enfant Antonin. Quand son mari s’est suicidé, elle est retournée chez son père et a du assumer la charge du foyer. Aujourd’hui, Antonin est un ado accro aux jeux sur Smartphone, et son père, atteint par la maladie d’Alzheimer, perd la mémoire.

Elle suit les cours de criminologie de Jacques Durand, une pointure du domaine. Pour arrondir ses fins de mois, elle fait pour lui des fiches de lecture sur des ouvrages traitant de meurtres en série, qu’il utilise de son coté pour dorer sa réputation d’expert international. Lui récupère les lauriers du travail d’Emilie. Il faut dire qu’avec son physique ingrat, elle a du mal à s’imposer.

Quand Jacques Durand lui parle d’un travail de secrétaire chez le juge Tarmon, elle n’hésite pas. Il s’agit de tester un nouveau logiciel capable de compiler des millions de données pour offrir de nouvelles pistes dans des affaires criminelles ou de détecter des incohérences. Ce qui est fantastique, c’est que la machine apprend elle-même. Le juge Tarmon accepte de tester la machine … et Emilie, et prend comme cas test la disparition de la petite Manon, l’affaire qui fait grand bruit en ce moment.

Ah ! que j’aime le style de Jérémy Bouquin ! Que j’aime ses phrases courtes ! Que j’aime son rythme ! Que j’aime aussi ses personnages ! ça claque, ça va vite et les scènes s’alignent avec du une célérité qui pour moi est très agréable. On n’y trouve pas de grandes descriptions, juste le strict minimum pour nous plonger dans un décor et nous parler de la psychologie des personnages.

Après Une femme de ménage, nous voici donc avec Une secrétaire et c’est une bonne façon de montrer la vie des petites gens, qui doivent bosser comme des fous et s’occuper en plus de leur famille. La vie d’Emilie, de ce point de vue là, est bien difficile, entre son fils qui passe ses journées sur sa tablette et son père atteint d’Alzheimer. A coté, elle doit travailler pour ramener de l’argent et donc s’absenter beaucoup en laissant derrière elle ses deux phénomènes en qui elle ne peut avoir confiance. Il n’est pas question pour Jérémy Bouquin de s’appesantir sur ce contexte mais il l’utilise pour mettre un peu plus de pression sur son personnage tout en marquant bien la difficulté de la vie moderne.

Cette histoire fait montre d’une belle originalité puisque Emilie va être chargée de rentrer les données dans un logiciel intelligent. C’est un sujet bien casse-gueule car cela aurait pu être ennuyeux. Que nenni ! Jérémy Bouquin va insérer dans son intrigue la passion d’Emilie et des rebondissements, qui vont nous faire avancer au rythme des découvertes d’Emilie. Et puis, petit à petit le logiciel va prendre une importance de plus en plus importante, menant même l’enquête par ses questions ciblées. On passe alors dans un domaine fantastique qui n’est pas sans rappeler les thèmes chers à Stephen King.

Et ce n’est pas la seule référence que l’on va trouver. L’intrigue fait penser aux Racines du Mal de Maurice Dantec, qui est d’ailleurs cité dans un dialogue, ainsi qu’un bel hommage global à 1984 de George Orwell. Quant à la fin, et sans vouloir vous en dire plus, elle nous fait penser à Fight Club de Chuck Palahniuk. On y trouve aussi Benoit Minville qui fait une apparition. Ne vous y trompez pas, ces références n’étouffent pas le roman, elles ne sont pas là pour pallier un manque dans le scénario. C’est plutôt une volonté de l’auteur de souligner ses goûts. L’auteur s’amuse même à évoquer ses autres romans (j’ai relevé La Meute, excellent roman à lire).

Plus le roman avance, plus la tension va monter. La situation va se complexifier pour Emilie, qui est définitivement intenable. Tout cela va débouler sur une fin apocalyptique, un peu trop rapide à mon gout, sans pour autant donner toutes les clés de l’intrigue. Comme c’est une trilogie, on peut s’attendre encore à de sacrés rebondissements dans le prochain tome. Vivement la suite !