Archives du mot-clé Jacky Schwartzmann

Kasso de Jacky Schwartzmann

Editeur : Seuil

Jacky Schwartzmann fait partie des auteurs que j’aime beaucoup pour ses intrigues bien trouvées mais aussi et surtout pour son style cynique qui fait preuve d’une belle lucidité. Il y ajoute ici une remarquable fluidité d’écriture.

Débarquant de Marseille, Jacky Toudic revient dans sa ville natale, Besançon, qu’il déteste presqu’autant que les gens. Car Jacky possède un don, arnaquer les gens, et un outil, sa ressemblance avec Matthieu Kassovitz. Depuis Regarde les hommes tomber, tout le monde rêve de côtoyer cet immense acteur et lui en profite pour leur emprunter (de façon définitive) des enveloppes pleines de liquide pour, soi-disant, alimenter les consommations de café lors de la réalisation d’un film imaginaire.

Son retour à Besançon est lié à sa famille : sa mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer et s’est retrouvée à insulter des jeunes en robe de chambre à deux heures du matin en pleine rue. Le docteur Paul Jeune lui annonce l’ampleur de la maladie et qu’une place en Ehpad va se libérer bientôt. Malgré le ressentiment qu’il ressent envers son prochain, il se retrouve bien obligé de régler cette affaire, ne serait-ce que pour signer les papiers.

Ses parents furent professeurs de philosophie ce qui forge un caractère pour un garçon doué en rien. Quand il se rend à l’Ehpad, il s’aperçoit que sa mère prend Nagui, en train d’animer un jeu de chanteurs, pour son fils et Jacky pour son docteur. Il retrouve son ami d’enfance, Yann, qui fait l’homme automate devant l’église Saint-Pierre. Lors d’une soirée au bar Le Gibus, il retrouve sa bande, Yann, Parrain, et Elder. Comme il doit continuer à faire tourner sa baraque, il va sur Tinder et prend rendez-vous avec une dénommée Zoé …

Jacky Schwartzmann va prendre le temps de quelques chapitres pour nous placer les décors, les personnages et son intrigue. Une fois cela fait, il peut dérouler son histoire d’arnaqueur à la petite semaine … mais attention, il y aura moult rebondissements et, pour certains bien surprenants voire renversants.

De la situation du départ, dramatique, l’auteur annonce le ton : Jacky Toudic préférerait que sa mère soit morte plutôt qu’elle subisse et fasse subir sa maladie. On entre directement dans son ton cynique noir. Comme je l’ai dit au dessus, l’avantage des auteurs comiques, c’est de voir le monde différemment et de faire preuve d’une belle lucidité ; bref, de nous faire prendre du recul par rapport à ce que nous vivons tous les jours, et arrêter de se prendre au sérieux.

Avec ce roman, Jacky Schwartzmann abandonne sa méchanceté, y insère même une dose de sentiments en créant ce personnage de sosie de Kassovitz. Malgré ce qu’il raconte, on ressent de la peine pour lui et sa situation. Mais ne vous y trompez pas, l’auteur va régler son compte à beaucoup de gens, et passer en revue nombre de professions et comportements. Des fans de stars de cinéma prêts à faire n’importe quoi pour les côtoyer, aux médecins, les notaires, le monde du cinéma, les artisans, les gilets jaunes, … tout le monde en prend pour son grade et ça flingue pas mal !

Il n’en reste pas moins que Jacky Schwartzmann fait montre d’une belle fluidité dans le style, se montre moins méchant que d’habitude ce qui donne de la force à son propos, et qu’il démontre une réelle assurance dans le déroulement de son intrigue, ce qui fait de son roman, probablement le meilleur qu’il ait écrit à ce jour … du moins c’est mon avis. Je vous garantis de passer un excellent moment avec cet auteur et avec son roman fort drôle, au second degré

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Des poches pleines de poches

Pour bien finir l’année, la dernière rubrique consacrée aux romans en format poche est exclusivement consacrée aux éditions Points, qui fêtaient cette année leur 50ème anniversaire.

A sang perdu de Rae DelBianco

Editeur : Seuil (Grand Format) ; Points (Format Poche)

Traducteur : Théophile Sersiron

Wyatt Smith et Lucy sa sœur jumelle essaient du survivre en élevant leur troupeau de bœufs et de vaches. Ces quelques dizaines de bêtes leur permettent à peine de payer leur ferme, dont ils ont hérité à la mort de leur père. Sous le soleil implacable du désert de l’Utah, Wyatt subit des coups de feu par une jeune fille de 14 ans, qui a abattu quatre bœufs. Wyatt et Lucy l’enferment mais la jeune fille sauvage arrive à s’échapper. Wyatt se lance alors dans une course poursuite effrénée pour récupérer ses 4600 dollars.

J’aurais lu pas mal de premiers romans en cette année 2020, et bien peu auront capté mon intérêt. Ce roman-là n’est pas exempt de défauts mais il vaut le détour par la description d’une partie de l’Amérique dont on parle peu, l’Utah, son désert et ses champs immenses et interminables, peuplés de fermes isolées tous les 50 kilomètres. Dans ce cadre, dans ce décor, il n’est pas étonnant de rencontrer des hommes et des femmes dont le principal objectif se résume à la survie. Et tout justifie la légitime défense de ses biens.

Le roman, malgré son scénario qui tiendrait sur un post-it, nous présente des personnages violents, justifiant leur mode de vie par la défense de leurs terres. On se retrouve plongés dans un monde qui ressemble à celui de Mad Max, sauf que nous sommes dans la vraie vie. Que ce soient les hommes ou les femmes, c’est la loi du plus fort qui prime, et de celui ou de celle qui tire vite et bien.

C’est bien le style qui me permet de dire que ce roman vaut le détour. Rae DelBianco a le talent de nous faire ressentir une terre aride, désertique, sous un soleil de plomb écrasant. On suerait presque de grosses gouttes à la lecture de ce roman. Et malgré le fait que l’auteure ait opté pour un style très descriptif mais irrémédiablement froid, clinique, ce qui empêche une quelconque empathie ou identification envers les personnages, on assiste à des scènes violentes dont l’aspect visuel et cinématographique force le respect. Il sera intéressant de suivre cette auteure prometteuse.

Mauvais coûts de Jacky Schwartzmann

Editeur : Seuil (Grand Format) ; Points (Format Poche)

A 47 ans, célibataire sans enfants, Gaby Aspinall cache derrière sa démarche débonnaire une âme de tueur d’entreprise. Acheteur chez Arema, une entreprise d’électricité spécialisée dans le nucléaire, il exerce son métier sans pitié pour ses fournisseurs, leur grattant quelques pourcents qui vont amputer leur marge. Ce matin-là, il se rend chez Nitram pour négocier avec Gressot, le patron, trois pourcents supplémentaires. Il ne sait pas encore que cette visite va engendrer de gros changements dans sa vie.

Gaby assurant la narration, il nous présente le monde de l’entreprise moderne. Ayant roulé sa bosse, il fait preuve d’une lucidité qui fait qu’on se retrouve forcément par son style cynique et méchant. Car Gaby ne croit en rien, ne fait confiance en personne et remplit sa vie vide par l’humiliation de ses fournisseurs. Et dans ce genre-là, quand il s’agit de pointer les travers de notre société, Jacky Schwartzmann est le roi.

Ça flingue à tout va, dans tous les domaines. C’est méchant, autant pour le fonctionnement de l’entreprise, que pour les pompes funèbres ou les hôtels, les restaurants, les parents, les syndicats, les docteurs, la télévision ; bref, tous les domaines que nous rencontrons dans notre misérable vie vont en prendre pour leur grade, le but n’étant pas de dire que c’était mieux avant, mais de pointer l’infantilisation que nous subissons.

Alors oui, Jacky Schwartzmann y va fort, on éclate de rire parfois, on rit jaune tout le temps. Mais surtout on apprécie l’opinion de ce personnage gratuitement ignoble et détestable parce qu’il y a un fond de vérité et des exemples criants de justesse et de lucidité. Ce qui est sûr, c’est que ça ne plaira pas à tout le monde. Mais par moments, ça fait bigrement du bien d’être bousculer dans nos petites certitudes inutiles. J’aime.

Des poches pleines de poches … en humour

Polar et humour

Je suis un fan de littérature humoristique et j’aime bien insérer entre deux polars « sérieux » un roman qui me fasse rire. J’avais déjà fait un billet sur cette thématique avec les romans de Nick Gardel et Stanislas Petroski. Comme je viens d’en lire trois, en format poche, je vous les propose en vous les conseillant très fortement :

La revanche des hauteurs de Guillaume Desmurs :

Editeur : Glénat

La station de sports d’hiver est en ébullition grâce aux afflux touristiques. La journée a vu la température monter avant que la nuit vienne- recouvrir les trottoirs et la rue d’une couche de glace. Au petit matin, on retrouve une touriste espagnole au bas de son balcon. Outre la jolie couleur rouge qui agrémente le blanc immaculé, la thèse du suicide avancée par les gendarmes et la municipalité permet de ne pas faire de vagues.

Jean-Marc est le directeur de l’Office du Tourisme. Il a tout organisé pour que cela passe inaperçu. Alix, une jeune stagiaire est chargée par le quotidien local de faire un entrefilet le plus rapidement possible. Quant à Marc-Antoine, médecin de son état, il vient en vacances avec sa femme Christiane ; il n’aime pas le ski mais elle adore, d’autant plus qu’elle retrouve un ancien amant ancien GO qui va lui permettre d’améliorer son planté de bâton.

Tout se passerait pour le mieux dans le meilleur des mondes si on ne retrouvait pas le lendemain un jeune collégien sous la déneigeuse. Outre la couleur rouge sur la route, cela fait tout de même deux morts inexpliquées en pleine saison touristique. Quand c’est le propriétaire du commerce de journaux qui se retrouve écrasé par ses étagères, la phobie de la présence d’un tueur en série fait son chemin.

On peut dire que Glénat fait son entrée en grandes pompes dans le domaine du polar, avec cette nouvelle collection appelée Neige Noire. Neige Noire devrait nous proposer des polars ayant pour cadre une station de ski fictive. Et ce premier « tome » est un grand, un énorme morceau d’humour décalé et cynique à souhait. D’ailleurs, la dédicace en ouverture de livre nous laisse envisager le meilleur : A pierre Desproges qui a posé la première pierre.

Vous connaissez (ou pas) mon amour pour Pierre Desproges. Si on peut craindre pour ce pari un peu fou, on est vite rassuré par l’humour cynique, pas méchant, et par des descriptions acerbes et minutieusement bien travaillées. On y trouve aussi une redoutable observations de nos semblables et de leurs travers ce qui fait de cette histoire un excellent moment de rire jaune mais pas grinçant. Quant au scénario, contrairement à Des femmes qui tombent du Maître Pierre Desproges où l’histoire et sa chute étaient capillo-tractées, il tient la route avec des scènes délirantes. Une excellente surprise !

Pension complète de Jacky Schwartzmann :

Editeur : Seuil (Grand format) ; Points (Poche)

Dino Scala vit depuis 20 ans avec Lucienne, une riche septuagénaire luxembourgeoise. Ils ont plus de 30 ans d’écart mais cela ne les gêne pas, ni elle qui est aimée, ni lui qui vit la belle vie. Un couple presque normal, quoi ! Ils vivent avec la mère de Lucienne, Macha, presque centenaire. Quand Macha fait un AVC, ce n’est que le commencement d’une descente aux enfers inéluctable.

Résumé comme cela, on peut penser à un roman noir comme on en lit tant. Sauf qu’aux manettes, on retrouve Jacky Schwarzmann, et qu’on se retrouve avec une histoire bien barrée, décalée, écrite dans un style plus assagi que d’habitude mais bien cynique quand même ! Car, il va s’en passer des choses dans la vie peinarde de Dino, qui vont l’emmener du Luxembourg au camping des Naïades de La Ciotat.

Pour ceux qui ont déjà lu les précédents romans de cet auteur, ils y trouveront un style assagi, un humour moins mordant, moins méchant. Et on y trouvera des descriptions toujours aussi drôles de nos contemporains, démontrant une fois de plus que Jacky Schwarzmann a le talent d’observer le monde autour de lui et surtout de nous le décrire de façon irrésistible. Il n’y a qu’à lire la scène du restaurant, celle de la banque ou même l’arrivée des voisins Belges au camping.

Et si l’humour est plus sage, cela sert aussi au scénario ; d’aucuns diraient que l’auteur s’est mis au service de son histoire. Il n’empêche que ce roman est un pur plaisir de lecture. « Demain c’est loin » (Le Seuil, 2017) a reçu le Prix Transfuge 2017 du meilleur espoir polar, le Prix du roman noir du Festival international du film policier de Beaune et le Prix Amila-Meckert 2018. Celui-ci a déjà remporté le prix des chroniqueurs. Nul doute qu’il va encore remporter de nombreuses distinctions.

Un été sans poche de Bram Dehouck

Editeur : Mirobole (Grand Format) ; 10/18 (Poche)

Traductrice : Emmanuèle Sandron

Dans la petite bourgade belge de Windjoek (la traduction néerlandaise donne Coupe-vent, ce qui donne le ton du roman, très humoristique), la vie qui devrait être un long fleuve tranquille va subir des changements : on vient de mettre en route un superbe et rutilant parc d’éoliennes. Doit-on pour autant considérer que c’est la cause des événements dramatiques qui vont déferler sur ce petit village ?

Tout a commencé avec le boucher-charcutier-traiteur Herman Bracke. Le bruit incessant des pales tournant à la vitesse du vent lui fait perdre le sommeil. Après une semaine de nuits blanches, sa spécialité le “Pâté Bracke de Windhoecke” a un goût, une odeur et une couleur de faisandé, alors qu’il n’y a pas de faisan dedans ! Normal, Herman s’est endormi en le préparant et a plongé la tête la première dedans !

Mais les autres protagonistes de ce roman vont aussi subir les influences néfastes de la rotation incessante des pales, et on va découvrir les dessous de leur vie privée. Entre Walter le facteur qui distribue les plis qu’il veut, Saskia la pauvre chômeuse qui se dévalorise, Jan Lietaer le vétérinaire et son épouse bien peu fidèle, le pharmacien ou l’immigré sénégalais, ce sont une belle galerie de personnages décalés.

Et le ton, parfois cynique, parfois méchant mais toujours drôle, va montrer les travers des uns et des autres pour démontrer comment un grain de sable fait dérailler une société qui est déjà aux limites de ce qu’elle peut accepter. Comme dans un roman de Brett Easton Ellis, tout cela va finir dans le sang, mais avec un gentil sourire aux lèvres. Car ce n’est que de la littérature, n’est-ce pas ? Voilà un roman fort amusant à découvrir d’urgence pour prendre plus de recul par rapport à notre quotidien !

Le coffre de Jacky Schwartzmann et Lucian-Dragos Bogdan

Editeur : La fosse aux ours

Traducteur : Jean-Louis Courriol

Quand j’ai lu la quatrième de couverture, c’est l’originalité de la démarche qui m’a intéressé et la curiosité. Même si ce roman est court, ce roman vaut le détour par sa construction, son humour et son efficacité.

Lyon, de nos jours. Sébastien Gendron est à trois mois de la retraite. Alors que tout le service est soit occupé, soit en vacances soit en maladie, il est chargé d’aller voir ce qu’il en est de cette bizarre affaire : le corps d’une dame âgée de 60 ans environ a été retrouvé dans un coffre de toit, lequel coffre de toit a été abandonné dans un terrain vague.

Il va être bien difficile de trouver l’identité de la vieille dame défunte. L’autopsie est faite par Gwenaëlle Délesté, une femme au regard plus froid que la mort. Un prélèvement ADN va être effectué mais il y a peu de chances qu’on trouve une piste dans le fichier FNAEG. La morte a reçu un coup violent derrière la tête, et elle a été positionnée dans le coffre les bras croisés, comme un rituel. La seule chose qui peut les aiguiller, c’est son implant dentaire qui est caractéristique d’un travail dentaire roumain. Gendron va donc prendre contact avec ses homologues roumains.

Roumanie, de nos jours. Marian Douca est stagiaire dans la police roumaine, et se démène pour faire son travail. La conséquence est que sa femme trouve qu’il passe trop de temps au boulot. Suite à la demande de la police française, il va se lancer dans cette enquête. Après quelques renseignements, il s’avère que l’implant dentaire a été réalisé par le cabinet du chirurgien dentiste Ilié Popa d’Alba Iulia. Voilà une piste à suivre.

2 auteurs, l’un français, l’autre roumain

2 personnages de flics, l’un français, l’autre roumain

2 pays, la France et la Roumanie

2 styles totalement différents, l’un humoristique, l’autre plus direct

Une même enquête menée de front, en parallèle, dans deux pays.

Chaque auteur fait avancer son intrigue, et s’amuse même à renvoyer la balle à l’autre. Il ne faut pas rater en particulier le passage où Marian Douca se fait masser par son collègue et il se fait surprendre par deux bouseux.

L’enquête française est déroulée par Jacky Schwarzmann, auteur connu pour son humour cynique. Il est fidèle à lui-même, se permettant même de donner à ses personnages des noms d’auteurs de polars. Tout le gotha du polar français est donc présent pour notre plus grand plaisir, de Varenne à Ledun, en passant par Villard, Pouy, Phillipon, Leroy, Oppel, Ferey, Dessaint, Delouche ou Claude Mesplède dit « Le vieux ». Je mettrais une mention particulière à Pouy et Villard, responsables du sous-marin.

L’enquête roumaine est plus classique, plus sérieuse, dans un style plus efficace. Elle se déroule en suivant des indices, qui ne coïncident pas les uns avec les autres. On n’a donc pas de fausses pistes mais un continuel questionnement sur ce qui a bien pu se passer.

Je ne connais pas de roman utilisant ce principe d’écriture à quatre mains en forme de ping-pong et c’est bien l’originalité du procédé qui retient l’attention, en même temps qu’un scénario fort bien mené et un hommage envers les grands auteurs contemporains. Finalement, sous des attraits originaux dans la forme, on se retrouve avec un polar fort divertissant. Une des bonnes surprises de cette rentrée littéraire. Soyez curieux !