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La chronique de Suzie : Expiations – Celles qui voulaient se souvenir de Kanae Minato

Editeur : Atelier Akatombo

Traducteurs : Dominique Sylvain, Saori Nakajima et Frank Sylvain

Quand j’ai un roman japonais, je fais appel à ma spécialiste du genre, qui adore aussi les polars : Suzie. Et comme l’Atelier Akatombo est spécialisée dans les romans japonais, je les achète et les lui donne pour avis. A ton tour, donc, Suzie, et encore un grand, un énorme merci pour ces avis et ta contribution :

Bonjour amis lecteur,

Voici un moment que je n’étais pas sortie de mon antre. Cette fois-ci, je pense que je vais rester un moment à l’extérieur pur vous parler de mes différentes lectures. En ce moment, je suis dans une phase « romans japonais » et c’est de ces derniers dont je vais vous parler en commençant par le plus récent « Expiations : Celles qui voulaient se souvenir de Kanae Minato (en japonais shokuzai / 贖罪).

Cette auteure a à son actif une quinzaine de livres dont seulement deux ont été traduits en français : « Les Assassins de la 5e B » (Kokuhaku /告白), son plus grand succès, et « Expiations ». Elle n’est publiée que depuis 2008.

Comme souvent au Japon, « Expiations » a fait l’objet d’une adaptation télévisuelle, plus précisément une mini-série de cinq épisodes. Cette dernière sera remontée, un peu plus tard, en un long-métrage en deux parties.

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Mais revenons au livre. L’histoire est simple. Alors que cinq petites filles d’une dizaine d’années jouent ensemble pour la fête d’O-Bon, l’une d’elles part avec un inconnu et on la retrouve assassinée à la fin de la journée, à quelques mètres de ses amies. Bien que les autres filles aient vu l’assassin, bizarrement, ce dernier reste un inconnu car la police n’arrive pas à obtenir une description de la part des enfants. Et, lorsque la mère de la petite fille assassinée s’en mêle, comment les survivantes vont-elles réagir? Doivent-elles vraiment expier pour une faute qu’elles n’ont pas commise?

Ce livre se décompose en plusieurs chapitres. Chacun de ces chapitres va correspondre à une des protagonistes. Chacun des titres des chapitres est axé sur une caractéristique de chaque personnage. L’auteure va expliquer la vie telle qu’elle était perçue par chacun et ce qui a changé avec l’homicide. On va suivre la vie de chaque personnage et leur évolution jusqu’à la prescription du crime, environ quinze ans plus tard. Aux quatre fillettes, va se rajouter une personne supplémentaire. De plus, chaque protagoniste va raconter son histoire à la première personne du singulier pour appuyer encore plus ce qui a pu lui arriver dans sa vie. Le dernier volet, de quelques pages, donne la solution et la raison de cet homicide.

Bien que court (moins de deux cent cinquante pages), l’auteur a un rythme et un style tout en finesse. La description de certains passages, qui serait pénible et douloureuse à lire, est juste évoquée. Elle va donner un élément qui va faire comprendre aux lecteurs l’horreur de la scène. A chaque chapitre, elle distribue des miettes d’information qui vont permettre de raisonner et de se poser des questions pertinentes. Au fur et à mesure de l’histoire, ce qui paraissait aller de soi n’est qu’un faux-semblant. La vérité n’est pas ce qu’elle semble être. La tension monte avec les découvertes et les questionnements de chacun. Et, la conclusion n’est qu’une explication d’une ignorance.

Outre cette histoire d’homicide, l’auteure va confronter deux univers, deux types de culture différents en rajoutant la notion de « hiérarchie » très présente au pays du soleil levant. Ce duel va être symbolisé par les enfants. Ce qui leur paraissait le summum de la classe va être dégradé par rapport aux nouveaux arrivants. Les uns essaient de trouver leurs marques dans un monde qui leur semble ancien alors que les autres envient les premiers et ne veulent pas les intégrer. Les deux univers ont du mal à se comprendre et à communiquer. Les préjugés vont bon train. Tout cela est évoqué par de légères touches au niveau de la vie quotidienne par des choses qui sembleraient étranges dans l’un ou l’autre de ces deux univers. Les enfants vont le démontrer tout au long de l’histoire.

Les personnages sont stéréotypés surtout les enfants avec une caractéristique mise en exergue : la petite timide, la grande sœur responsable, la sportive ou celle qui est en bonne santé. Chacune va percevoir le traumatisme de l’homicide ainsi que leur incapacité à se souvenir de l’agresseur de façon différente. Leur psyché va les protéger, soit en niant un aspect de leur corps, de leur aspect, soit en les convaincant que leur vision d’elle-même est fausse. Cela va engendrer des conséquences graves dans leur vie future. De plus, elles vont devoir gérer un deuxième traumatisme : l’expiation demandée par la mère de la victime. Cette dernière ne considère que son propre malheur. Elle considère que les camarades de sa défunte fille ont échoué dans leur rôle premier : retrouver l’assassin de sa fille. Elle va leur imposer une pression supplémentaire qui va peser lourdement sur leur psyché. La question que l’on peut se poser est de savoir si c’est l’homicide ou les paroles de la mère qui va conditionner leur futur. L’auteur rajoute un doute significatif sur le sujet. Elle laisse au lecteur le choix de trancher.

Etant dans ma période de romans japonais, celui-ci est le plus récent en termes d’écriture. Et, je peux vous dire que l’auteure est très efficace pour mettre en place une atmosphère. J’ai vite senti la différence de comportement entre les nouveaux venus s’installer à la demande de leur entreprise et les natifs qui se contentaient de peu car c’était ce qu’ils avaient toujours connus. On ressent les disparités de vie, de culture comme si on y était, comme si on pouvait se mettre à la place de chacun des protagonistes en se demandant comment on aurait réagi dans de telles circonstances. La culpabilité des fillettes va les poursuivre tout au long de leur vie, alourdie par la sanction de la mère de la victime.

Et, on sent ce poids qui écrase chacune d’elle lorsqu’on prend connaissance de leur histoire. Mais, là où l’auteur est proprement diabolique, c’est qu’elle va vous expliquer que « l’ignorance est la mère de tous les crimes », qu’elle « est la mère de tous les maux ». Car ce qui semble être la vérité n’est qu’une vengeance. Contre qui et pourquoi, difficile de le savoir. Il faudra attendre la conclusion pour comprendre. Ce sont des faux-semblants qui gouvernent les différents protagonistes. On ne peut effacer le passé car il interviendra toujours sur le futur. Le passé se vengera toujours de ce qui a pu se passer, quitte à détruire tout le monde. Il m’a fallu lire quelques pages deux fois pour comprendre certains des sous-entendus de l’auteur car mon cerveau avait décidé de passer outre le message. Efficace, diabolique, manipulateur et tout en sous-entendus, avec une précision dans la description des différences entre les protagonistes qui vont arriver au même point, voici un succinct résumé de ce roman. A lire absolument pour découvrir la noirceur de l’âme humaine. Auteur à suivre.

Sur ces dernières paroles, je m’en vais voguer de librairies en bibliothèques avant de vous parler d’une autre œuvre japonaise. A très bientôt.

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La chronique de Suzie : Le point zéro de Seichô Matsumoto

Editeur : Atelier Akatombo

Traducteurs : Dominique et Franck Sylvain

Dès que l’on parle du Japon, je fais appel à Suzie. Alors, bien que j’aie lu ce roman, je préfère la laisser nous évoquer ce roman policier devenu un classique de la littérature nippone et que l’on peut enfin découvrir en France. Pour ma part, j’ai adoré ce roman et son style nonchalant, tout en ambiances et nous présentant la place de la femme dans la société japonaise. J’ai aussi adoré la fin, et son genre roman policier à la Agatha Christie assumé. Mais il vaut mieux que je laisse la parole à Suzie qui va vous expliquer tout cela mieux que moi :

 

Bonjour amis lecteurs,

Bizarre, ce temps! Je ne pensais pas être restée aussi longtemps dans mon antre ! Ah, c’est juste la météo qui s’amuse avec nous. On est bien au mois de mai. Bon, comme je suis remontée, je vais vous parler d’un nouveau roman, « Le point zéro » de Seichô Matsumoto ( ゼロの焦点  en japonais).

Ce roman a été édité au Japon en 1959 après une existence sous forme de feuilleton dans deux magazines connus et il arrive enfin dans nos contrées occidentales. Son auteur, extrêmement prolifique car il a écrit plus de 450 œuvres, a déjà été publié en France dans la période allant de 1982 à 1997 et en 2010 avec cinq romans. « Le point zéro » est son sixième roman traduit en français. Ce monsieur a révolutionné le roman policier japonais en lui donnant une nouvelle ligne directrice.

D’ailleurs, il existe également deux adaptations de ce livre dont le titre anglais est « Zero focus ». La première date de mars 1961, donc juste deux ans après la publication du roman. Ce film est en noir et blanc et il y a quelques différences avec l’histoire originelle. La deuxième version est un remake de celle de 1961. Elle est plus récente, 2009, et également plus fidèle à l’œuvre d’origine. Toutes les deux sont visibles en DVD pour les curieux.

Il semble qu’outre les films, il existe aussi des interprétations pour la télévision (1961, 1971, 1976, 1983, 1991, 1994). Seule, la dernière semble être une série car composée de quatre épisodes. D’après le nombre de versions, les personnages de ce roman ont inspiré les réalisateurs et les scénaristes. Si vous êtes curieux, je vous conseille de rechercher les jaquettes des DVD ainsi que les bandes annonces (disponible uniquement en japonais sans sous-titres, enfin, celles que j’ai trouvées), vous comprendrez beaucoup de choses. Petit conseil, faites-le uniquement après avoir lu le livre. Hum, je sens qu’une séance cinématographique sur PC s’impose …

Mais revenons à notre histoire. L’intrigue se focalise sur une jeune femme Teiko qui accepte un mariage arrangé avec Kenichi Uhara. Après une semaine de vie commune, ce dernier disparaît lors d’un voyage d’affaires à Kanazawa. Teiko, bien décidée à comprendre ce qui s’est passé, se rend dans cette ville de la préfecture d’Ishikawa. Elle découvrira que les apparences sont trompeuses.

Pour nous mettre dans l’ambiance, comparons les deux couvertures de ce roman, la version française et la version japonaise. Toutes les deux correspondent à un aspect stratégique de l’histoire. Sur la première, on voit une femme vêtue d’un manteau rouge vif, sous la neige, qui marche, seule. Les habitations de la rue ont l’air ancien. Çà pourrait être une rue d’un des quartiers historiques de Kanazawa. En revanche, la deuxième met en avant des falaises qui surplombent une mer agitée comme si le point zéro correspondrait au niveau de l’eau. Chacune de ces versions est intrigante. Faut-il se baser sur ces couvertures pour comprendre l’intrigue? Ou n’est-ce qu’une illusion?

Le livre est structuré en 13 chapitres avec un titre qui correspond à ce qu’on peut y trouver. L’intrigue est lente à se mettre en place. L’auteur prend le temps de poser ses indices au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire. Telle Teiko qui connait peu de choses de ce mari disparu, on va essayer de faire s’imbriquer les différents indices, de comprendre ce qui s’est passé.

Mais, le puzzle comporte énormément de pièces qui n’ont pas de point commun, de ligne directrice. De plus, au détour d’une page, on peut tomber sur une belle illustration en noir et blanc qui donne des informations sur le paysage, un point en particulier. Le rythme va commencer à s’accélérer avec la rencontre d’une femme en particulier et relancer l’intrigue sur les bons rails jusqu’au dénouement final.

En ce qui concerne les personnages, on va rencontrer un certain nombre d’archétypes de femmes japonaises à travers Teiko, sa mère et sa belle-sœur mais également Sachiko Murota, l’épouse du président d’une société. Les hommes ne font que graviter autour de ces héroïnes, donner le contexte qui va leur permettre de les mettre en avant, tout en restant dans une position correspondant à leur statut. Ils sont juste des écrins qui mettent en valeur les personnalités de ces femmes.

Si on se concentre sur Teiko, c’est une jeune femme qui découvre une nouvelle vie, celle de femme mariée avec ses avantages et ses inconvénients. Tout fonctionne comme si, auparavant, elle était une page blanche sur laquelle un mari viendrait écrire son histoire. La disparition de ce dernier et les questions qui en découlent vont mettre à mal cette innocence maritale. Elle a du mal à se rattacher à quelque chose. La structure qu’elle avait envisagée a éclaté en mille morceaux et elle doit comprendre la disparition de son mari pour pouvoir se reconstruire.

Chacune de ses femmes montre un aspect particulier de la société japonaise et les conséquences qui peuvent en découler car l’écrin se brise. Qu’auriez-vous fait à leur place?

Un autre personnage a presque autant d’importance que ces héroïnes dans cette histoire, c’est cette ville de Kanazawa et les villes qui se trouvent aux alentours. Il avait déjà commencé à ensorceler l’héroïne à distance. Ce qui va la pousser à chercher son mari, c’est également de pouvoir contempler ces divers paysages ainsi que la saison d’hiver de cette région. Bien que caché, ce personnage distille, déploie sa magie jusqu’à vous enchaîner. Il devient difficile de l’oublier. Il y a comme un gout « d’y revenir ».

Ce qui est bizarre, c’est ce que j’ai eu l’occasion de visiter la ville de Kanazawa l’année dernière, presque soixante ans après la publication de ce livre. J’ai eu la possibilité de voir cette ville en été et non en hiver, comme cela est décrit dans le livre. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps de me promener dans les alentours. J’ai pu retrouver une partie de l’atmosphère qui est décrite dans ce livre. J’y étais sans doute plus sensible.

Maintenant, vous pouvez faire le trajet décrit en seulement 2h30. Je suis donc partie avec un apriori positif sur cette histoire. L’intrigue monte en puissance doucement comme si l’auteur voulait vous laisser le temps d’apprécier cette partie du Japon, ces paysages particuliers. A travers Teiko, j’ai retrouvé cet aspect des femmes japonaises qui se coulent dans un moule codifié à l’extérieur de leur demeure et qui respectent les traditions et cette société profondément patriarcale. L’auteur montre que le monde de l’apparence est ce qui compte et il le fait à travers le personnage de Sachiko Murota. Le regard des autres peut tuer dans cette société stricte. La place des femmes est bien définie et elles ne doivent pas en changer.

C’est un roman que j’ai beaucoup apprécié et qui montre les mœurs de l’époque qui se répercute encore à l’heure actuelle. Pendant un moment, je n’ai pas compris où l’auteur voulait me mener. Mais, en assemblant certains indices, j’ai découvert la vérité un peu avant l’héroïne qui, au vu de la situation, ne pouvait comprendre tout de suite la réalité. L’auteur m’a fait passer par un labyrinthe assez complexe pour trouver la solution de l’énigme et je peux dire que certaines situations étaient plutôt tordues.

Enfin, un des personnages importants de cette histoire reste les différents paysages de la  préfecture d’Ishikawa qui se dressent tout au long de l’histoire pour nous enchaîner, nous ensorceler à travers ces divers coins de la nature. Quasiment toutes les questions trouvent une réponse. J’en suis sortie fascinée, désirant voir Kanazawa sous la neige et goûter cette atmosphère si particulière. Cela m’a également donné envie de lire les autres romans policiers de l’auteur pour retrouver ce lyrisme littéraire. Si vous voulez en apprendre plus sur cette région et sur une période de l’histoire du Japon qui reste méconnue, je vous conseille de vous jeter sur ce roman. Vous aurez du mal à le lâcher avant la fin et vous prendrez ensuite un billet pour le Japon.

Maintenant, il est temps de vous abandonner pour me m’aérer l’esprit avec de nouveaux livres. Mais, je reviendrai bientôt vous parler d’une autre de mes lectures. portez-vous bien et bonne lecture !

Kabukicho de Dominique Sylvain

Editeur : Viviane Hamy

Le dernier roman en date de Dominique Sylvain nous emmène au Japon, dans la ville de Tokyo et plus exactement dans un quartier peu visité par les touristes. Le quartier de Kabukicho est en effet un quartier « mal famé » où l’on trouve des bars à hôtesses, joliment appelés Love Hôtels. Dans ces bars, les clients viennent surtout pour parler avec de jolies femmes. Elles sont d’ailleurs là pour pousser à la consommation. Elles peuvent avoir des relations sexuelles avec leur client, mais cela est laissé à la discrétion de l’hôtesse.

Yudai est un jeune homme très séduisant, qui a débarqué à Kabukicho parce qu’il trouvait ce lieu à la fois beau la nuit et amusant. Puis il est devenu le patron du Café Château et dirige le bar d’hôtes le plus prisé de ce quartier de Tokyo. Son quotidien est de jouer la comédie de l’amour avec des femmes qui ne demandent qu’à y croire. Après avoir passé du bon temps avec Akiko, il s’inquiète que Kate ne lui ait pas envoyé de mail. Kate avait débarqué au Café Château et l’avait séduit car elle parlait un Japonais parfait, ce qui est étonnant pour une étrangère et aussi très attirant.

Marie est la colocataire de Kate, et travaille dans le bar Club Gaïa. Depuis que Kate ne donne plus de nouvelles, elle s’est rapprochée de la patronne Sanae. Sanae s’inquiète du silence de Kate, car c’était la plus belle et la plus demandée de ses hôtesses. Marie adore Kate, lui envie son aisance, sa bonne humeur, sa beauté, son succès. Rentrée chez elle, elle se met au travail et continue à écrire son roman, La Cité Des Mensonges. Quand le téléphone sonne, c’est un homme s’exprimant en Anglais qui lui parle. Jason Sanders est le père de Kate. Il vient de recevoir une photo de Kate endormie sur son portable, avec un simple message en Japonais : « Elle dort ici ». Sur l’insistance de Jason, Marie va au commissariat pour signaler la disparition de Kate au capitaine Kentaro Yamada, avant que Jason ne débarque au Japon.

Dominique Sylvain nous entraine dans le quartier sulfureux de Tokyo avec beaucoup de subtilité, de respect et de tendresse. Elle arrive à nous faire ressentir cet esprit asiatique de retenue, de secret, de mystère à travers trois personnages principaux qui auront chacun leurs chapitres, en forme de roman choral ; en forme seulement puisque l’écriture est à la troisième personne du singulier.

Dominique Sylvain arrive à nous montrer ce quartier si paisible le jour, qui se transforme en monde des rêves et des lumières la nuit. Elle nous parle d’un monde où les gens viennent parler avec des inconnus, payés pour les écouter, et nous montre les envies de ces hôtes et hôtesses derrière leur masque. Elle nous montre aussi, derrière ce voile de secrets, leurs rêves, leur vie au quotidien.

Dominique Sylvain évite les scènes de sexe, préférant s’intéresser à la psychologie de ses personnages, à travers une histoire de disparition qui se terminera par une belle surprise, maitrisant de bout en bout son intrigue, laissant son écriture au service de son histoire. Et petit à petit, elle va lever le voile, révéler la violence sous-jacente, les rackets, la présence de la mafia, les envies et jalousies qui polluent la vie.

Dominique Sylvain nous livre un roman abouti, passionnant à plusieurs égards, pour une visite guidée dans une ville peu connue des occidentaux. Elle nous dévoile des pans particuliers sur la façon de penser et de vivre des Japonais. Avec ce roman, Dominique Sylvain nous partage son amour pour ce pays où elle y a vécu plusieurs années. Elle y a mis sa passion, son amour, son respect. Cité des mensonges ? Cité des secrets ? Cité des passions déçues. Superbe !

Je vous mets un lien vers deux billets que j’ai trouvé excellents : celui de Genevieve et celui de Polar Noir & Blanc , ainsi que l’interview du Concierge Masqué.

L’homme qui mit fin à l’Histoire de Ken Liu

Editeur : Le Belial – Collection : Une heure lumière

Traduction : Pierre-Paul Durastanti

Je dois cette lecture à l’insistance et au prêt de Greg2. Qu’il en soit grandement remercié car ce livre est un livre choc, une de ces novellas que vous n’êtes pas prêt d’oublier. Il s’agit d’un roman de Science Fiction, flirtant sur le thème du voyage dans le temps, mais il s’agit aussi d’un brûlot, d’un de ces romans qui dénoncent en même temps qu’ils veulent faire preuve de mémoire. Un livre important, donc.

Quatrième de couverture :

Futur proche.

Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l’observateur d’interférer avec l’objet de son observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l’histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d’État.

Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l’Unité 731 se livra à l’expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d’un demi-million de personnes… L’Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d’occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à l’Histoire.

« Ken Liu est un génie. » Elizabeth Bear

Ken Liu est né en 1976 à Lanzhou, en Chine, avant d’émigrer aux États-Unis à l’âge de onze ans. Titulaire d’un doctorat en droit (université de Harvard), programmeur, traducteur du chinois, il dynamite les littératures de genre américaines depuis une dizaine d’années, collectionnant distinctions et prix littéraires, dont le Hugo, le Nebula et le World Fantasy Award. En France, son recueil La Ménagerie de papier (Le Bélial’, 2015) est lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire 2016.

Mon avis :

Revenons pour commencer sur le titre : Je me demande si, s’il avait été en lettres minuscules, l’auteur aurait écrit histoire avec un h minuscule ou un H majuscule. Car il est bien question d’Histoire. En Anglais, le titre n’offre pas de doute, c’est bien The man who ended History. Car il est bien question, avec ce sujet sur un voyage dans le temps à un endroit et un moment particulier et bien défini, de l’Histoire. Et c’est bien la question que l’auteur nous pose : La possibilité de vérifier de visu certains événements passés nous permettrait-elle de confirmer certains passages de l’Histoire ? Ou au contraire, cela ne ferait-il que semer la discorde et laisser libre cours aux négationnistes de tous poils sous prétexte que les participants à cette expérience ne sont que des témoins, donc faillibles.

En ce qui concerne le titre, l’auteur (et la version française, mais pas sur la couverture) a ajouté The man who ended History : A documentary. Effectivement, la forme de cette novella est construite comme un documentaire. Chaque plan y est décrit et passe d’un témoin à l’autre, donnant même la parole aux scientifiques ou à leurs conjoints. Quelle bonne idée d’avoir construit le roman de cette façon, donnant ainsi plus de force et de véracité à ce qui y est raconté, rendant ainsi chaque chapitre, chaque témoignage passionnant.

Le sujet central est l’Unité 731, ce laboratoire créé dès 1932 à Pingfang, localité proche de la ville de Harbin au Mandchoukouo (actuelle province du Heilongjiang en République populaire de Chine), où les Japonais se sont livrés à des expérimentations sur des Chinois vivants, soit disant pour étudier des maladies. On y trouve quelques passages difficiles tant ils sont cruels mais le principal n’est pas là. Il est bien sur dans ce qu’il advint après, tous ces soldats innocentés pour peu qu’ils reconnaissent ce qu’ils avaient faits, ces pseudo-chirurgiens qui ont été réhabilités par le Japon ou les Etats Unis pour peu qu’ils partagent leur savoir. Ce livre contient des témoignages de certains d’un camp ou de l’autre et même des opposés à cette expérimentations qui affirment, arguments à l’appui, que cela n’a aucune importance.

En un peu plus de 100 pages, Ken Liu nous pond un roman impressionnant, passionnant, dont le but est surtout de nous faire réfléchir sur l’Histoire, sur les réactions des uns et des autres et nous pose la grande question : Qu’est-ce que l’histoire ? Pour ma part, j’ai trouvé un peu réducteur de dire ou laisser entendre que l’histoire est un amoncellement de faits. Je pense qu’il faut plutôt trouver le déroulement logique qui amène à de telles exactions, en trouver les causes pour éviter que cela n’arrive à nouveau. Mais ce n’est que mon avis. En tous cas, c’est une novella à ne manquer sous aucun prétexte.

Haïku de Eric Calatraba (Editions Sudaresnes)

Voici un premier roman qui, après être sorti en deux tomes en version électronique, est sorti en version papier aux éditions Sudaresnes. C’est un roman d’action, dans la pure tradition du genre, c’est du très bon.

Raphaël est de retour à Nice. Après avoir passé quelque temps à Paris, le voici de retour dans son pays, après avoir obtenu sa mutation au commissariat de cette belle ville méditerranéenne. C’est un homme qui porte en lui la mort de sa femme et élève seul sa fille Lila, sa raison de survivre. Alors qu’il rentre d’une soirée, il se fait aborder par trois hommes qui veulent son fric. En deux temps, trois mouvements, les trois hommes sont en fuite. Raphael est le plus jeune 7ème dan de Aïkido.

Au même moment, une trentaine de russes débarquent à l’aéroport de Nice. Quelque temps après, ils embarquent à bord d’un gigantesque yacht. Rachovsky accueille ses invités. Arrivé dans les eaux internationales, ils commencèrent leur présentation pour des investissements immobiliers. Un peu plus tard, ils annoncent avoir découvert un traitre, et le tuent avant de jeter le corps à la mer.

Raphaël fait la connaissance de Lucchi, son partenaire. Son surnom, Lucchi Luke, fait référence à sa rapidité pour faire feu et mouche. Leur première affaire est étrange : Ils doivent trouver le coupable d’un meurtre sur un Russe, Oulov, tué par un homme en moto, dans un parking d’Antibes, qui lui a coupé une main avant de le bruler avec de l’essence. Surtout, un haïku est tagué sur le mur :

La fin de l’hiver.

Tailler le buisson malade.

Brûler les épines.

Eric Calatraba, avec ce premier roman, se lance à corps perdu dans l’écriture de polars. Et c’est une franche réussite. Car, pour tout vous dire, ce roman m’a accompagné lors d’un voyage, et je n’ai pu le lâcher avant de l’avoir fini, le soir, très tard. Je ne vais pas vous dire que c’est un chef d’œuvre, mais c’est un pur roman d’action comme on en lit rarement. Du moins, comme on en lit rarement de bons. Car c’est extrêmement difficile d’aller intrigue, psychologie et action, tout en tenant le lecteur en haleine.

Donc, Eric Calatraba a suivi les codes du roman d’action, voire du thriller, même si le scenario lorgne plutôt du coté de l’enquête policière. La logique de la progression est impeccable, il n’y a aucun indice qui tombe du ciel et c’est un vrai plaisir à lire, aidé en cela d’un style simple mais efficace. Ce roman nous permet aussi de beaucoup voyager, de Nice à la Suisse, en passant par la Russie, le Japon ou même l’Italie (je crois que je les ai tous cités).

On peut se demander si le fait de divulguer le nom de l’assassin vers le milieu du livre est une bonne chose. En fait, cela a peu d’importance, puisque la clé est plutôt à chercher du coté de la motivation du tueur. Et là, je dois dire que Eric Calatraba fait fort, dénonçant dans un chapitre terrible des horreurs que je ne peux que vous engager à lire. En cela, avec ce mélange de polar et de sujet grave, cela m’a fait penser à Maurice Gouiran.

Il y a aussi ce personnage de Raphaël, qui tient une place prépondérante dans le roman, et qui, même s’il est très gentil et lisse, nous permet de nous initier à ses passions. Tout d’abord la moto, qui personnellement me laisse de marbre ; l’opéra ensuite ; mais c’est surtout avec ces quatre-cinq chapitres se déroulant au Japon que l’on peut lire les meilleurs morceaux. C’est non seulement beau, cette éducation d’un expert en Aïkido, et c’est surtout extrêmement bien décrit, tellement bien fait que c’en est passionnant.

Tout est fait pour que l’on arrive à un final époustouflant. Celui-ci arrive avec une course poursuite à en perdre le souffle, en moto, à travers les petites routes du sud de la France. On pourra reprocher quelques scènes moins fortes, mais ce serait vraiment pinailler, car ce roman est bluffant. Avec ce roman, Eric Calatraba joue sa carte à fond, met les gaz, vous met à terre d’un mouvement et vous en met plein les oreilles sur un air de la Tosca. En tous cas, Haïku n’a rien à envier aux maitres du genre.

Tokyo ville occupée de David Peace (Rivages Thriller)

Si vous vous intéressez un peu au polar, vous avez sûrement entendu parler de David Peace, l’auteur du célèbre Red Riding Quartet. Je les ai tous lus, car j’ai été tout de suite convaincu par la description de son monde, son style, sa construction. Tokyo ville occupée est le deuxième tome de sa trilogie sur le Tokyo d’après guerre, après un premier tome Tokyo année zéro (qui vient de sortir en poche chez Rivages noir) qui était difficile à lire.

Le Tokyo de 1948 est une ville qui se reconstruit. Le Tokyo de 1948 est une ville qui est traumatisée. Le Tokyo de 1948 n’a pas oublié sa défaite. Le Tokyo de 1948 subit la honte de l’occupation américaine. C’est dans ce contexte psychologique difficile que commence le roman. Dans ce Tokyo dénaturé, un écrivain a décidé de mener à terme un livre sur un événement dramatique.

Le lundi 26 janvier 1948, à 9H30, l’agence Shiinamachi de la banque impériale ouvre ses portes. C’est une journée comme les autres, le directeur de l’agence fait son discours du matin. En début d’après midi, M Ushiyama, le directeur, rentre chez lui car il ne se sent pas bien. Puis, juste avant la fermeture, un homme se présente en imperméable marron, avec un brassard du ministère de la santé publique. Sa carte de visite porte un nom : Yamagushi Jiro. Il annonce une épidémie de dysenterie et dit avoir un remède. Deux flacons sont sortis d’une malette métallique. Les seize employés boivent le breuvage.

Sur les seize employés, dix meurent aussitôt. Les six autres se tordent de douleur. Seuls quatre d’entre eux vont survivre. La banque impériale va signaler que d’importantes sommes d’argent ont disparu, soit 164 405 yens et un chèque de 17 450 yens. Ce chèque sera d’ailleurs encaissé par un homme qui a fourni une fausse adresse et dont le signalement ne correspond pas au portrait robot.

L’enquête de police sur cet empoisonnement collectif va avancer doucement. L’inspecteur H va suivre la piste des cartes de visite et arrêter un homme : Hirasawa Sadamichi. Mais une des survivantes va être formelle : ce n’est pas le coupable. De toute évidence, c’est une erreur judiciaire.

David Peace est connu pour prendre des affaires véridiques et recréer un monde son monde autour, avec un style et une construction toujours originaux. Parfois, cela est déroutant, éprouvant, difficile à lire et à suivre. Ici, ce n’est pas le cas. Autant, Tokyo Année Zéro m’avait désarçonné, autant celui là m’a passionné. Le livre est construit autour de douze chandelles pour les douze personnes décédées, racontant l’affaire par un des protagonistes. Cela va d’une survivante à des inspecteurs, en passant par un enquêteur de l’armée américaine ou un journaliste. Et, comme d’habitude, son style fait à base de phrases courtes, de répétitions, de morceaux de poésie pure, nous fait plonger dans la psychologie des personnages.

Mais son ambition est aussi de montrer le traumatisme d’une nation, désarçonnée, déboussolée, déracinée, assommée par la défaite. C’est une nation qui se reconstruit à partir de rien, et qui découvre les horreurs que leurs congénères ont fait pendant la guerre, à savoir les recherches sur des poisons bactériologiques à des fins militaires avec des essais sur des cobayes humains que furent les prisonniers de guerre. Et personne n’est épargné avec le rôle trouble des Etats-Unis qui veulent récupérer les résultats de ces recherches.

Ce roman s’avère plus abordable que le précédent (un des chapitres est dur à suivre, mais ne gêne pas la compréhension), mais tout aussi brillant. Sa construction très originale et son sujet parfaitement bien maîtrisé confirment tout le talent de cet auteur décidément à part dans le monde du roman noir. Si le suspense est très bien entretenu, n’en attendez pas un roman d’action, mais plutôt un roman qui fouille les âmes, dans toute leur complexité. Tokyo Ville Occupée se révèle un très bon roman de David Peace, et si vous ne connaissez pas cet auteur, c’est le moment de vous y mettre.