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On était des loups de Sandrine Collette

Editeur : Jean-Claude Lattès

Depuis Des nœuds d’acier, son premier roman, Sandrine Collette fait partie des auteures dont je lis tous les romans. Même si les histoires sont différentes les unes des autres, on retrouve des thématiques communes, ici la famille et l’errance, dans un roman fortement émotionnel.

Depuis qu’il est parti de chez ses parents, Liam habite aux abords d’une forêt, loin de toute civilisation. Il vit de sa chasse, de sa culture et se fait ravitailler une fois par mois par Mike, un ami qui a un hydravion. Il a rencontré Ava à la ville lors d’un de ses voyages et elle a accepté de le suivre. Puis Ava a voulu un enfant et Aru est né dans cette nature sauvage, peuplée d’ours et de loups.

Alors qu’il revient de la chasse, il sent que l’atmosphère a changé. Même s’il ne ressent pas de sentiments particuliers pour Aru, ce dernier ne court pas le rejoindre comme d’habitude. En faisant le tour de la maison, il voit Ava allongée. Il se rend vite compte qu’elle a été attaquée par un ours et rend son dernier soupir dans ses bras, dès que Liam a trouvé Aru caché sous sa femme.

Liam ne peut se résoudre de vivre dans ces conditions extrêmes avec un enfant de cinq ans. Il décide donc de se rendre à dos de chevaux chez son oncle et sa tante pour leur confier l’enfant. Le père et le fils vont entamer un long voyage dans un nature hostile, lui donnant l’occasion de se pencher sur les liens qui les unissent.

On peut avoir l’impression d’avoir lu ce genre d’histoire, et on peut penser chez Sandrine Collette à Juste après la vague ou chez Cormac McCarthy avec La Route (D’ailleurs, où est-ce que j’ai bien pu le ranger, celui-là ?). Elle choisit donc de s’approprier un thème connu, voire rabâché et y applique sa patte, de façon impressionnante tant l’immersion et l émotion transpirent de chaque page.

Que l’on soit homme ou femme, père ou mère, on se retrouve immergé dans l’esprit de Liam. Narrateur de cette histoire, il nous partage, avec ses propres mots, ses actes, ses pensées et ses décisions même si elles vont nous surprendre, nous choquer, et heurter la morale qu’on nous a inculquée. Sauf que cette histoire se situe dans un monde dur, brutal, celui de la nature sauvage où la moindre faiblesse se termine bien souvent par la mort.

On ne trouvera donc pas de dialogue, ou très peu, Liam étant un taiseux et Aru un tout jeune enfant qui suit son père comme un poids mort. Attendez vous à être surpris, tant par ce que fait Liam que par les scènes d’une dureté impitoyable. Et si je réagis comme cela, cela prouve que j’ai totalement adhéré à cette histoire, et qu’à la fin, j’ai mouillé mes yeux, non pas parce que j’ai accepté cet homme, mais parce que je me suis retrouvé à sa place.

En tout juste deux cents pages, Sandrine Collette nous fait voyager dans un monde inconnu, dans une nature sans pitié, peuplée d’êtres perdus, isolés, survivants. Il n’en faut pas plus pour qu’une auteure au talent immense nous fasse croire à une histoire incroyable, à deux personnages incroyables. Et le fait d’avoir sorti ce roman au moment de la rentrée littéraire d’automne laisse augurer une pluie de récompenses à venir, ce qui ne serait que justice.

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Et toujours les forêts de Sandrine Collette

Editeur : Jean-Claude Lattès

Sandrine Collette est une auteure que je suis depuis son premier roman, Des nœuds d’acier, coup de cœur Black Novel. C’est déjà son huitième roman et pour l’occasion, elle passe chez un nouvel éditeur après Denoël, Jean-Claude Lattès. Pour autant, ce n’est pas un changement de direction littéraire. C’est toujours aussi impressionnant.

Marie est une jeune femme comme les autres. Sauf qu’elle est amoureuse de deux garçons, Jérémie et Marc et qu’elle est enceinte du mauvais, celui qu’elle aime le moins. Alors, cet enfant à venir, elle ne pouvait pas le désirer, ne pouvait pas l’aimer. Elle a tout fait pour le perdre mais il est né, le petit Corentin. Elle l’a délaissé, le laissant crier quand elle partait toute la journée travailler, le laissant pleurer la nuit.

Et puis, vers cinq ans, elle n’en peut plus, veut partir. Elle laisse le petit dans les forêts qui entourent le village, à proximité de la maison d’Augustine, l’arrière-grand-mère de Corentin. Il ne la reverra plus. Il va avoir du mal, mais va apprendre à vivre sans sa mère, et va apprendre de la vieille Augustine qui va l’élever comme un enfant de sa famille. Il va aller à l’école, et poursuivre ses études à la Ville, laissant Augustine derrière lui, le cœur gros.

Là-bas, ce sont la joie, la jeunesse, l’insouciance, les amis, les lumières, les fêtes. Il se retrouve vite parmi un groupe de douze gamins, et se retrouvent dans les catacombes. Ils s’en moquent de la température qui augmente, ils s’amusent. Jusqu’à ce qu’un souffle chaud balaie toute vie sur Terre. Les douze se séparent, et Corentin sait ce qu’il doit faire : retourner à ses racines et retrouver Augustine.

Après avoir ancré ses romans dans le monde d’aujourd’hui, Sandrine Collette parle du monde de demain à l’occasion de son changement d’éditeur. En effet, elle passe de Denoël à Jean-Claude Lattès, de la collection Sueurs Froides à la littérature blanche. Mais cela n’a en rien changé sa façon de raconter une histoire ni son talent de parler des hommes ou femmes placés dans un contexte noir.

Annoncé comme post-apocalyptique, ce roman parle de l’après catastrophe, d’une vague de chaleur anéantissant tout sur Terre, brûlant les biens et les gens. Evidemment, Sandrine Collette n’a jamais fait dans le gigantisme, dans des scènes époustouflantes de fin du monde. Elle va s’intéresser à la psychologie humaine, à la poursuite d’un objectif quand on a tout perdu, à la recherche de nos racines, de nos familles et à la survie.

On se retrouve donc avec un roman au rythme lent, centré sur le personnage de Corentin, et Sandrine Collette va fouiller ses sensations, ses sentiments, ses pensées, dans un paysage gris, noir, totalement brûlé, détruit. Elle va nous montrer la hargne, la rage de vivre, en mettant en avant la nécessité de survivre, même quand il arrive à destination et commence à reconstruire de quoi vivre.

Il y a donc très peu de dialogues, juste de beaux moments d’introspection, aidés en cela par LE style Sandrine Collette : des chapitres courts, des paragraphes courts, des phrases courtes, des morceaux de sensations emplis de justesse, des répétitions de mots pour mieux s’imprégner de l’ambiance de fin d’humanité. Sandrine Collette ne porte jamais le même costume, celui-ci est noir, à la fois désespéré et plein d’espoir. Et même si la fin est noire et brutale, on gardera longtemps en mémoire le parcours hors du commun de Corentin, emporté par une plume rare.

Quatre pour le prix d’un

Depuis quelque temps, les éditeurs nous proposent des nouvelles ou des novellas en format poche à des prix relativement bas. Voici quatre lectures d’auteurs différents qui peuvent vous donner quelques idées de lecture

Maitres du jeu de Karine Giebel (Pocket)

Maitres du jeu

4ème de couverture :

Il y a des crimes parfaits.

Il y a des meurtres gratuits.

Folie sanguinaire ou machination diabolique, la peur est la même. Elle est là, partout : elle s insinue, elle vous étouffe… Pour lui, c est un nectar. Pour vous, une attente insoutenable. D où viendra le coup fatal ? De l ami ? De l amant ? De cet inconnu à l air inoffensif ? D outre-tombe, peut-être…

Ce recueil comprend les nouvelles Post-mortem et J’aime votre peur.

Mon avis :

Ce recueil proposé à moins de 3 euros est clairement une très bonne affaire.

Post-Mortem nous propose une intrigue machiavélique qui n’est pas sans rappeler les meilleurs romans de Jean Pierre Ferrière. Au menu, un style fluide, et de la créativité dans le scenario qui en fait un excellent moment de divertissement.

J’aime votre peur est plus classique, proposant une course poursuite après un serial killer qui vient de s’échapper d’un hôpital psychiatrique. Si la trame m’a paru déjà vue, je dois dire que la façon de mener l’histoire est bigrement vicieuse et met même mal à l’aise. Mais on a l’habitude avec Karine Giebel !

 

Plein gaz de Joe Hill & Stephen King (JC.Lattès)

plein gaz

4ème de couverture :

Sur une route désolée du Nevada, un gang de motards est pris en chasse par un camion fou, apparemment bien décidé à les éliminer un à un. Il n’existe qu’une seule issue pour sauver sa peau : ne jamais ralentir…

Inspiré par le désormais classique Duel, de Richard Matheson, adapté au cinéma par Steven Spielberg dans son premier film, Plein Gaz marque la première collaboration entre Stephen King et Joe Hill.

Traduit de l’anglais par Antoine Chainas

Mon avis :

L’alliance entre le père et le fils ne m’a pas passionné plus que cela. Soit le roman est trop court, soit il est trop long. En tout état de cause, beaucoup de sujets sont évoqués mais à mon avis juste effleurés ce qui fait que je suis resté sur ma faim, comme par exemple la relation entre le père et le fils, justement. La poursuite apparait tard dans l’histoire et même là, je n’y ai pas entendu le bruit de l’acier que l’on broit, je n’y ai pas vu le sang couler. Et comme je ne me suis pas attaché aux personnages, le résultat m’a paru bien fade et décevant. Finalement, j’ai ressorti le DVD de Duel de Steven Spielberg, et je me suis fait un bon trip autour de ce grand téléfilm.

L’encre et le sang de Laurent Scalese et Frank Thilliez (Pocket)

encre et sang

4ème de couverture :

Au fond d’un vieux garage hongkongais, elle est là. Elle l’attend.

La machine.

Il suffit de taper. Et tout s’écrira, dans la réalité.

Très vite, l’écrivain William Sagnier comprend qu’il tient là l’instrument de sa vengeance. La femme qui l’a trompé. L’homme qui lui a volé son livre. Tous ceux qui l’ont humilié, utilisé, détruit, seront punis à leur tour.

La vie, la mort, la toute-puissance au bout des doigts, là ou se mélangent l’encre et le sang…

Mon avis :

Voici encore une fois une excellente affaire, un roman inédit de deux auteurs reconnus. Et je peux vous dire qu’à la lecture, je me suis éclaté ! J’ai eu l’impression de revenir trente ans en arrière, et de retrouver en train de lire une nouvelle de Stephen King. Car on y retrouve une ambiance impeccable, une inventivité dans cette intrigue fantastique (dans les deux sens du terme. Et quand on a fini les 120 pages de cette histoire, on regrette que cela ne soit pas un peu plus long. Cette histoire, c’est du pur plaisir, de la jouissance littéraire à l’état pur.

Hécate de Frédéric Jaccaud (Gallimard série noire)

hecate

4ème de couverture :

«Le fait divers déverse, divertit, met en branle l’imagination mauvaise de tout un chacun. Sa nécessité ne fait pourtant aucun doute, parce qu’il agite les sentiments de pitié et de mépris sans aucune implication morale ; on ne ressent aucun remords en s’y projetant. Il commence et se termine dans l’impersonnel. Les acteurs de ces petites pièces décadentes n’incarnent personne en particulier ; ils évoluent à l’état brut de caractères théâtraux.»

Le 2 février 2010, Sacha X., médecin de Ljubljana, est retrouvé sans vie à son domicile, le corps déchiqueté par ses trois bullmastiffs. Là s’arrêtent les faits chroniqués en leur temps par la presse internationale. Entre alors en scène un jeune flic, Anton Pavlov, témoin imaginaire de cette scène indescriptible. Cet amoureux secret de littérature se laisse dès lors entraîner dans une quête du sens qui le mènera au-delà de l’obscène : comprendre l’histoire de cette mort étrange, trancher le voile et découvrir derrière celui-ci la beauté, la vérité ou la folie.

Mon avis :

D’un fait divers, Frédéric Jaccaud créé une nouvelle (ou un court roman) qui met franchement mal à l’aise. Entre les scènes explicites et très violente et la descente aux enfers de ce policier, l’auteur pose des questions et laisse le lecteur faire ses propres réponses. Le style de cette nouvelle est formidable, le sujet brulant, et l’ensemble assez impressionnant. On se retrouve en position de voyeur, et on se pose la question de ce qui peut passionner les gens qui s’intéressent aux faits divers. Si le fond est louable et intéressant, la forme parfois « donneuse de leçons » de certains passages peut agacer. En tout état de cause, je vous conseille cette lecture qui est assurément marquante, bien que la violence soit très explicite et donc que certaines pages ne soient pas à mettre entre toutes les mains.

Et n’oubliez pas le principal, lisez !

Vilaines filles de Megan Abbott (Jean Claude Lattès)

Depuis Adieu Gloria, Megan Abbott fait partie des auteurs dont je lis tous les romans, car j’adore sa façon d’écrire, sa subtilité, sa finesse, la façon qu’elle a de construire ses intrigues par petites scènes avec un choix fin de ses phrases, de ses mots, et des émotions qu’elle transmet. Ce roman, encore une fois, tape dans le mille.

A Sutton Grove, les cheerleaders agrémentent les matches de leur équipe. Beth est la capitaine et Addy, sa meilleure amie est sa lieutenante. Pour démarrer cette nouvelle saison, une nouvelle coach débarque. Elle s’appelle Colette French et est bien décidée à leur faire franchir un pas, devenir les meilleures. Elle leur fait faire des entrainements extrêmement durs physiquement, arbore une attitude distante et sans concession, et sa première décision est de destituer Beth de son rang de capitaine.

Addy est subjuguée par Colette. Elle passe bientôt beaucoup de temps avec la famille French, Matt le mari qui est comptable, travaille beaucoup et est souvent absent et la petite Caitlin, âgée de quatre ans. Addy, qui ne voyait que par Beth, la suivant partout, croyant ce qu’elle disait, buvant chacune de ses paroles se trouve une nouvelle icône, Colette, passant de nombreuses soirées en sa compagnie.

Le sergent Will est recruteur pour l’armée, détaché auprès du lycée. Il est d’une beauté confondante et a cet air triste des gens qui ont perdu leur femme trop tôt. Beth a vite compris que Colette et Will sont amants. Addy va aussi le découvrir. Après quelques semaines, Will est retrouvé dans son appartement, suicidé d’une balle dans la tête. Mais s’est-il réellement suicidé ? Addy, aveuglée par ses idoles, va découvrir une vérité douloureuse.

Une nouvelle fois, Megan Abbott nous concocte un suspense psychologique parfait, à travers les yeux d’Addy qui en est la narratrice. Addy, jeune adolescente, en mal d’émancipation, à la recherche d’un pilier sur lequel se reposer, curieuse du monde des adultes et à l’écoute du moindre des ragots, faisant toutes les déductions sur ce qu’elle apprend pour comprendre ce monde auquel elle ne comprend bien.

Il y a de l’amour dans ce livre, il y a de la haine dans ce livre, il y a de la manipulation dans ce livre, et dans chaque phrase, chaque mot est soigneusement choisi pour semer le doute, pour faire naître le trouble. Encore une fois, la traduction rend formidablement hommage à la subtilité du style de Megan Abbott et en cela, je vous remercie, M. Jean Esch. Car, jusqu’à la dernière ligne de la dernière page, on appréciera le suspense, les questionnements et les doutes que l’on ressent à la lecture de ce roman. Et Megan Abbott excelle dans ces situations intimes de faux semblants.

J’avais déjà apprécié La fin de l’innocence ou Envoutée, qui avançait selon le même principe, mais avec une addition de petites scènes. Cette fois-ci, la narration est plus linéaire, mais avec toute une foultitude de détails qui nous plongent dans le monde inconnu (ou mal connu) pour nous des cheerleaders, ces reines du sport qui prennent des risques inconsidérés pour se lancer des défis, pour se sentir plus grandes que la vie, pour grandir, franchir le pas et devenir adultes.

Megan Abbott creuse aussi le thème du mensonge et de son poids dans la vie. Si Beth apparait comme une intrigante, une star déchue de son piédestal, Colette apparait comme une idole étrange, auréolée d’un mystère fascinant tandis qu’Addy est triturée entre les deux personnes qu’elle adore. Mais que s’est-il réellement passé dans cette chambre ? Megan Abbott ouvre toutes les portes du possible et nous livre un roman sur les adolescentes rêvant de la pureté du soleil remarquable. Mais, qui s’approche trop près du soleil se brule les ailes. D’ailleurs, le soleil existe-t-il pour ces jeunes en mal de reconnaissance ? La fin justifie-t-elle tous les moyens ?

Grâce de Delphine Bertholon (Jean Claude Lattès)

Si ce roman n’avait pas été sélectionné pour le meilleur roman français de Confidentielles.com, je ne l’aurais probablement pas lu. Et cela aurait été dommage tant l’intrigue est à comparer à Johan Theorin par bien des égards.

Peut-on pour autant comparer ce roman à un polar ? Cette question, d’ailleurs, a-t-elle une quelconque importance ? Le début démarre lentement, avec des chapitres alternant entre deux époques, 1981 et noël 2010. Des chapitres qui se parlent, s’appellent, se rappellent et parfois se tournent le dos. 1981, c’est le journal intime de Grâce. 2010, c’est Nathan le fils de Grâce qui vient passer les fêtes de fin d’année en famille. Le fait d’avoir des visions subjectives de deux personnes permet de découvrir petit à petit les drames qui minent cette famille.

1981. Grâce vit seule avec ses deux enfants, Lise l’ainée et Nathan le cadet. Son mari Thomas est tout le temps en déplacement, et ne revient à la maison que ponctuellement. Elle est infirmière, souvent de nuit, et est aidée par une fille au pair originaire de l’est. Elle a décidé de commencer un journal intime, où elle va parler à son mari, de sa vie, ses doutes, ses questions, ses difficultés et de son cruel besoin d’amour.

2010. Nathan débarque avec ses deux jumeaux Colin et Soline chez Grâce, pour fêter Noël. Il retrouve sa mère, vieillissante, toujours un peu malade et préoccupé. Il retrouve Lise, sa grande sœur perturbée qui n’aime pas son travail et qui est malheureuse en amour. Débordé et débordant d’amour pour ses enfants, il doit tout assumer seul car sa femme est morte à la naissance des jumeaux.

Cette année là est particulière, annonciatrice de drames passés et futurs. D’étranges phénomènes vont petit à petit apparaître dans la maison familiale, Nathan va apprendre que son père est récemment revenu, et Grâce va dans son journal intime se dévoiler une femme exclusive et jalouse envers Christina, la jeune fille au pair.

Que ceux qui pensent que, seuls les auteurs nordiques sont capables de créer un roman tout en ambiance lourde de secrets, courent acheter Grâce. L’histoire va se dérouler lentement, commençant comme deux histoires simples avant de petit à petit devenir bizarre, dévoilant des pans de secrets enfouis sans jamais les nommer explicitement.

D’ailleurs, le style de l’auteur et sa façon de construire son roman sont admirables, tant elle parvient à créer une tension après de longs passages calmes, par une phrase ou juste un dialogues. Le choix des mots est d’une justesse remarquable et les surprises délicieusement torturantes. Et je dois dire que je ne m’attendais pas du tout à un roman, et qu’il m’a fait penser à un tableau auquel on met des couleurs pastel, avant de rajouter rageusement des traits rouges d’une façon tout à fait impromptue.

Au-delà d’un roman à l’ambiance opaque, Delphine Bertholon aborde aussi beaucoup de sujets qui nous amènent à réfléchir, que ce soit l’éducation des enfants, la solitude, l’absence d’un être cher (et la similitude entre Nathan et sa mère), l’importance de l’absence d’un des parents, l’amour, la jalousie. Ce roman, qui est maitrisé de bout en bout, est finalement bien passionnant et dépasse la simple lecture au premier degré. Une bien belle découverte, à situer entre Thomas H.Cook et Megan Abbott. Pas mal, hein ?

La fin de l’innocence de Megan Abbott (Jean Claude Lattès)

Je pense que nous sommes plusieurs à attendre les romans de Megan Abbott, car ils sont d’une subtilité rare, et nous offrent bien souvent des sujets de réflexion intéressants alliés à des intrigue noires de grande qualité. Celui-ci est conforme à mes attentes.

Lizzie est une jeune fille de treize ans, et sa meilleure amie est sa voisine Evie Verner. Leur relation est telle qu’elles passent toutes leurs journées ensemble. Comme les parents de Lizzie sont divorcés, elle aime se retrouver parmi la famille de Evie, au milieu d’une famille normale. D’autant plus que la sœur ainée de Evie, Dusty, est une grande de 17 ans, une icône, un exemple à suivre.

Un soir, à la sortie de l’école, Evie disparaît. Toute la région se mobilise pour retrouver la jeune fille, imaginant le pire. Lizzie est la dernière à lui avoir parlé, lui demandant si elles rentraient ensemble, mais Evie va refuser. Lizzie va donc être particulièrement impliquée dans l’enquête, devenant aussi de plus en plus présente dans la famille Verner. D’autant plus qu’elle se rappelle avoir vu une voiture de couleur Bordeaux trainer devant la maison des Verner. Or, Harold Shaw, l’assureur de la famille possède ce genre de voiture. Lizzie est donc persuadée qu’il est le coupable.

Le titre anglais est bien plus précis que le titre français. The end of everything (La fin de tout) indique clairement ce à quoi vous devez vous attendre. Ce roman, narré à la première personne du singulier, nous place dans la peau d’une jeune fille de treize ans, innocente, naïve, vivant dans un monde idéal entre sa famille et surtout ses amies. Et c’est là toute la qualité de ce roman, subtil comme tous ceux de Megan Abbott.

Car La fin de tout nous montre bien la fin de la jeunesse, la fin de l’enfance, la fin de la pureté et l’entrée dans l’âge adulte. A son niveau, elle va être submergée par des émotions qu’elle ne comprend pas encore, être à la fois sure de ce qu’elle ressent, de ce qu’elle raconte, de ce qu’elle invente, et faire progresser l’intrigue à son niveau. Toujours, nous allons nous retrouver devant cette petite fille qui va à la fois être subjuguée par Dusty, puis attirée par M.Verner, tout cela décrit par de petites scènes mises bout à bout, comme de magnifiques petites briques montant un mur imparable.

Et là où je suis abasourdi, c’est par la maitrise du suspense psychologique mis en place par Megan Abbott, utilisant un mot flou à plusieurs significations, nous laissant avec plusieurs interrogations, et impatients de connaître la suite. D’ailleurs, je voudrais souligner l’excellent travail de la traductrice Isabelle Maillet, pour avoir aussi bien rendu toute la subtilité, le doute et l’insouciance cachés dans le texte. Quelle maitrise dans le choix des mots, dans la construction des phrases, dans le flou des expressions.

C’est un roman que j’ai eu beaucoup de mal à lâcher, tant on est envahi par les pensées de Lizzie, tout en gardant ce léger détachement pour se rendre compte de ce qu’elle raconte ; en gros, c’est une expérience assez bouleversante, qui nous rappelle sans cesse qu’un drame est en train de se dérouler. Le suspense est très bien entretenu, avec une grande tension car c’est Lizzie qui est aux commandes, et jamais on ne se doute de ce qui va arriver. Elle nous démontre combien il est difficile de descendre de la vie de princesse, de sortir de l’enfance pour entrer dans la vie des grands. Un roman tout simplement magnifique.

Satori de Don Winslow (Jean Claude Lattès)

Voici donc avec un peu beaucoup de retard le dernier roman de Don Winslow en date, à savoir Satori, un roman en l’hommage de Trevanian et reprenant le personnage de Nicholaï Hel que l’on retrouve dans Shibumi.

1952. Nicholaï Hel est russe d’origine, fils d’une aristocrate qui a fui les russes communistes pour Shanghai. Ayant perdu sa mère, il est élevé par Kishigawa, son père adoptif et spirituel. Alors que Kishigawa est emprisonné pour crimes de guerre et condamné à mort, Nicholaï décide de le tuer pour lui éviter cet affront. Nicholaï va donc passer trois années en prison pour ce crime, pendant lesquelles il va être torturé par Diamond, jusqu’à ce que les services secrets américains lui proposent un marché, via Haverford.

Il aura droit à de l’argent, une nouvelle identité et de nouveaux papiers s’il accepte de tuer Voroshenine, un Russe qui est influent auprès de Mao. Le but de cet assassinat pour les Américains est de créer la discorde entre les Russes et les Chinois, dans cette zone d’Asie du Sud-est qui ressemble de plus en plus à une poudrière.

Nicholaï est un expert en arts martiaux, parle plusieurs langues et peut se révéler un redoutable tueur. Il accepte la mission et se retrouve dans une propriété du pays basque, subit une transformation de son visage par chirurgie esthétique, et est formé par la sublime Solange à la finesse de la culture française. Nicholaï, qui tombe amoureux de Solange, trouve là une nouvelle motivation à réussir sa mission, et endosse l’identité de Michel Guerin, trafiquant d’armes français, qui doit vendre de l’armement pour les Vietminh.

Il ne faut pas attendre de ce roman un chef d’œuvre absolu, mêlant la situation politique de cette région du globe en mutation en 1952, avec une action constante et un héros universel. Ce roman est un très bon divertissement, avec un personnage principal qui se rapproche de tous ceux que l’on connaît bien, de James Bond à Largo Winch, un personnage invincible, tueur à gages au grand cœur, à la fois romantique et sans pitié.

Ce roman est à considérer à part dans l’œuvre de Don Winslow, car il faut, à mon avis, le voir comme un hommage à Trevanian, et Don Winslow se met au service de son histoire, adaptant son style (habituellement plus direct et efficace) à une forme plus romanesque que l’on trouve dans les grands romans d’aventure d’antan. Si certaines scènes sont à la limite de l’extravagance, voire irréalistes, cela se lit bien et avec beaucoup de plaisir.

Ce roman démontre surtout que Don Wnslow est un grand conteur, un érudit respectueux de l’auteur original et un passionné de la culture asiatique. Et surtout qu’il est probablement le meilleur styliste du polar à l’heure actuelle. Sa conclusion personnelle, en fin de roman, pleine d’humilité, force le respect. Et même si ce roman n’est pas celui que je préfère de Don Winslow (lisez La griffe du chien ou Savages), Satori s’avère être un très bon divertissement qui fleure bon la nostalgie des grands roman d’aventure ou d’espionnage.

L’année du rat de Régis Descott (Jean Claude Lattès)

Sujet énigmatique mais qui semble passionnant, coup de cœur chez Entre deux noirs, cela me semble suffisant pour aller y voir de plus près. Un polar à mi chemin entre anticipation et thriller.

Nous sommes en France dans la Mégapole, que l’on n’appelle plus Paris. Lors du pot de départ d’un collègue, une vieille Chinoise fait les sombres prophéties suivantes à Chomovski, dit Chim’, le meilleur flic du Bureau de la Recherche et de la Traque : Pour toi le monde entier va s’écrouler / Pour toi ce monde va disparaître / Et ce qui le remplacera te fera regretter d’être né / Aujourd’hui la mort a pénétré chez toi / Cette année tu vas mourir.

Chim’ est tout bonnement le meilleur flic de la brigade, et c’est pour cela qu’il travaille seul. Aucun autre flic ne serait capable de suivre ses déductions. Il vit seul, depuis que l’amour de sa vie, Vera est partie. Quand il l’appelle au téléphone, elle l’écoute et lui parle dans le vide. Depuis le 3ème conflit, les choses ont changé mais les hommes restent les mêmes. Tout au plus, les moyens d’investigation ont évolué, les transports sont plus rapides, mais les interrogatoires ressemblent plus à de la torture qu’à de vrais entretiens.

Chim’ est toujours mis sur des affaires mystérieuses que personne ne saurait résoudre. Cette fois, sept personnes ont été tuées dans une ferme de Normandie : quatre ont été égorgées à pleines dents et les femmes violées. Les tueurs, qui n’ont pris aucune précaution, sont restés plusieurs jours sur place, jusqu’à l’arrivée d’un livreur de semence de cheval. La recherche de fous récemment libérés ne donne rien, jusqu’à ce que l’analyse ADN montre quelque chose de plus inquiétant : Ces hommes ont leur ADN modifié ce qui en fait des hybrides mi-hommes mi-rats. Et ce n’est pas la seule des surprises auxquelles Chim’ va être confronté.

La moindre des choses que l’on peut dire, c’est que le futur tel que le voit Régis Descott n’est pas joli. Paris est devenu la Mégapole, il y fait noir et nuit comme dans Blade Runner, les gens sont à la recherche de la dernière drogue à la mode, et l’obsession de tous est de ne pas vieillir d’où les derniers médicaments en date qui permettent de garder une peau de bébé et de vivre plus longtemps. Les policiers ont tous les droits, et les séances d’interrogatoire ressemblent à des séances de torture dignes de la Gestapo. Enfin, les riches entreprises de pharmaceutique génétique sont devenues des intouchables. Autant de sujets qui nous poussent à réfléchir sur ce que peut devenir ce monde.

La plongée dans ce monde futuriste est brutale, abrupte, violente. On rentre dans le livre d’un coup, au travers d’un personnage qui semble en dehors du système. Dire qu’il nous est sympathique serait exagéré, mais c’est plutôt un personnage classique que l’on rencontre dans tout polar : un écorché solitaire qui dérive après son échec amoureux, qui se plonge dans le travail pour oublier.

L’intrigue est fort bien faite, elle nous fait voyager de France à la Norvège comme un thriller, sauf que ce roman est plutôt un roman policier d’anticipation à mon goût.  J’ai trouvé Régis Descott plus à l’aise dans les scènes intimes ou intimistes et dans les dialogues que dans les scènes d’action. Et à part les premières pages que j’ai trouvées un peu lourdes, et quelques descriptions scientifiques un peu longues que j’ai sautées, on est vite pris dans le rythme, avançant dans cette histoire hallucinante qui finira par vous faire faire des cauchemars … comme à moi. Et puis la fin … fantastique !

Fratelli de Jean Bernard Pouy et Joe Pinelli (JC.Lattès)

Cela faisait plusieurs mois que l’on m’avait prévenu de la sortie de ce livre, en me soulignant une fantastique histoire de Pouy avec de superbes dessins de Pinelli. Le résultat ne m’a pas déçu, loin de là.

New York, 1946. Emilio vient de débarquer aux Etats-Unis en provenance de son petit village sicilien. Il vient retrouver son frère qu’il n’a pas vu depuis quarante ans, pour effacer le drame qui a endeuillé sa famille. En effet, quarante ans plus tôt, le frère cadet Roberto a été assassiné et son frère Ercole a disparu juste après. Pour Emilio, c’est l’occasion de retrouver l’honneur perdu et d’en finir avec ces fantômes qui le hantent, de terminer sa vie par un fratricide.

Ercole sait que son frère le cherche, il sait que l’issue sera dramatique. Il a l’avantage de connaître le terrain de cette bataille familiale. Il travaille à Little Italy, et ses recettes font fureur dans son restaurant. Lui, qui est en survivance depuis quarante ans, est nerveux dans l’attente de cette confrontation mortelle. Alors, il erre dans cette ville, mais sait que l’issue est inéluctable.

Le duel entre ces deux hommes étrangers à leur environnement, étrangers à leur monde sera sans surprises, violent, irrévocable, au milieu des brumes et des brouillards de ce nouveau monde qu’ils subissent sans le vivre. C’est un roman court d’une centaine de pages sans fioritures, sans suspense mais avec une ambiance à couper au couteau.

Jean Bernard Pouy a laissé de coté tous les effets de style pour se mettre au service d’une histoire de revanche, de vengeance, d’honneur, de liens de famille, de liens de sang ou du sang, avec une fin qui ressemble aux duels des westerns américains. Tout le livre se déroule dans la tête des protagonistes, fait d’impressions, de sensations, de souvenirs, de cauchemars, mais sans aucun doute sur leur objectif, sur leur avenir, sur leur destin.

Si l’on ajoute à cela les dessins / peintures de Joe Pinelli, tout en gris flouté, on en ressort imprégné d’un monde trouble, gris, où le monde n’est fait que d’impressions et jamais de claires images, de couleurs, d’espoir. C’est une fantastique illustration de ce monde d’après guerre, de ce monde qui parait si gris à Ercole et Emilio. C’est aussi une formidable rencontre entre deux artistes qui sont sur la même note, sur la même partition, pour le plaisir des yeux.

Vous l’aurez compris, c’est un superbe livre qui nous conte une courte mais simple histoire dramatique. C’est un livre qui va naturellement trouver sa place dans votre hotte du père Noël, et qui ravira autant les amateurs de littérature que les aficionados de dessins à l’ambiance sombre. Une œuvre d’art qui se doit de figurer en bonne place dans votre bibliothèque.

La huitième confession de James Patterson (JC.Lattès)

Qui peut dire qu’il ne connaît pas James Patterson ? C’est l’auteur de thrillers le plus vendu au monde. Suite aux films adaptés de son œuvre avec Morgan Freeman dans le rôle d’Alex Cross, j’avais lu les deux livres le collectionneur et le masque de l’araignée. Voici donc le dernier en date : la 8ème confession.

Cindy Thomas tombe par hasard sur un regroupement de SDF : au milieu se trouve le corps d’une personne assassinée. La victime est un prédicateur porteur d’un message d’espoir pour les sans-abri, qui s’appelle Bagman Jesus. Clairement, ce genre de meurtre n’est pas la priorité de la police. Après l’autopsie, il s’avère que l’homme a été battu à mort avant qu’on lui tire cinq balles dans la tête. Cindy Thomas décide de ne pas lâcher l’affaire et va plonger dans le passé de cet homme qui n’est pas le saint que l’on croyait.

De son côté, Lindsay est appelé sur une scène d’un crime. Le couple star de la ville, Isa et Ethan Bailey sont retrouvés morts, allongés dans leur lit. Il n’y a aucune trace de violences, c’est comme s’ils s’étaient endormis pour ne plus se réveiller. Claire, la médecin légiste est bien ennuyée, sur les corps n’apparaissent aucune trace visible de meurtre. Comme la pression des politiques est grande, à défaut, Lindsay veut considérer cette affaire comme un meurtre.

La recette semble tellement facile quand on lit ce livre : vous prenez deux meurtres mystérieux dont l’un n’intéresse personne (Qui peut s’intéresser du meurtre d’un SDF ?) et l’autre qui est exactement l’inverse (le meurtre d’un couple faisant partie des gens les plus riches de San Francisco). Autant le premier nous interpelle par l’identité du mort, autant l’autre apparaît comme le meurtre parfait. Bref, tout est fait pour nous mettre l’eau à la bouche.

La recette du best seller ou du page turner est parfaitement appliquée ici. Il y a peu de descriptions, des chapitres ultra courts donnant une impression de rythme et un style simple donnant la part belle aux dialogues, bien que l’enquête, elle n’avance pas spécialement vite. Cela donne l’impression que ce roman a été écrit comme un scénario, attendant juste qu’un studio s’intéresse au sujet (à moins que ce ne soit déjà fait).

Ce livre a été écrit à quatre mains. En effet les auteurs sont James Patterson et Maxine Paetro. Pourtant, on ne ressent jamais décalage de style, l’ensemble reste uniforme. Seuls les passages avec Lindsay, écrits à la première personne, font ressentir un vécu féminin.

N’ayant pas lu les précédents épisodes du Women Murder Club, je dois dire qu’il m’a été un peu difficile de me retrouver dans la psychologie de nos quatre comparses. Ceci dit, cela se lit vite, bien, comme un livre dont on ne cherche rien d’autre qu’une intrigue solide pour se changer les idées. C’était mon cas, la mission a été accomplie. J’ai passé un bon moment avec cette lecture, même si je n’ai pas l’impression que ce roman constitue le meilleur de James Patterson. Cela en fait une enquête distrayante. Dans le genre, j’ai lu mieux, j’ai lu pire.