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L’affaire Myosotis de Luc Chartrand

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Sorti initialement chez Québec Amérique, L’affaire Myosotis se lance dans une deuxième vie avec une sortie en métropole. Ce roman comporte tous les ingrédients d’un bon thriller politique.

Bande de Gaza, janvier 2009. Les chars se sont massés le long du mur, les bombes pleuvent et malgré cela, Ibrahim Shalabi et ses copains jouent dans la rue. Quand un cortège de véhicules est annoncé, ils s’enfuient en sens inverse. Ibrahim a un don pour croquer des visages et quand sa famille est consignée à domicile par la police, son aptitude l’a servi. Un matin, il observe à travers la fenêtre les policiers s’en aller. Quelques minutes plus tard, un bruit envahit l’espace et la maison est réduite en cendres par un missile.

Israël, 2011. Pierre Boileau, travaillant pour le gouvernement canadien se présente à la porte d’une maison. Il cherche Paul Carpentier, son ancien élève qui est devenu son ami, et qui a abandonné sa carrière de journaliste. Rachel, l’ex-femme de Paul, ne peut le renseigner. Pierre donne ses numéros de téléphone pour que Paul le joigne rapidement. Quelques jours plus tard, le corps de Pierre Boileau est retrouvé criblé de balles.

Trois voitures déboulent à coté d’un terrain de hockey. Les policiers sont à la recherche de Paul Carpentier. Celui-ci est surpris de voir apparaitre sa chef, Sarah Steinberg, qui fait partie des Israéliens qui pensent qu’ils doivent cesser leur occupation de la Palestine. Elle lui annonce la mort de Pierre Boileau et lui demande d’enquêter, à cause de ses liens avec le gouvernement canadien. Quand Paul écoute les messages de son répondeur, il se rend compte que son ami lui a laissé plusieurs messages.  

Situé dans une zone de guerre, en pleine période difficile, l’auteur choisit la forme d’un thriller pour nous concocter une intrigue qui en respecte tous les codes. Ainsi, on y voit passer plusieurs personnages, on va voyager dans plusieurs pays, et on va assister à l’implication de plusieurs niveaux du gouvernement canadien dans le conflit israélo-palestinien.

Pourquoi canadien ? L’auteur étant canadien, il tient à nous montrer comment un gouvernement, le sien, qui a toujours soutenu la cause des palestiniens, se trouve à un tournant l’obligeant à changer sa politique étrangère. Il nous montre l’inextricable situation de cette zone, opposant les va-t-en guerre et les pacifistes à travers de nombreux points de vue et s’en tire plutôt bien.

Car écrire un roman situé dans la zone d’occupation sans être ni dans un camp ni historien factuel est une sacrée gageure. Luc Chartrand nous offre donc un thriller de bon niveau, avec des chapitres courts, une plume agréable, une enquête linéaire en y insérant quelques événements ou situations intéressantes, auquel il m’aura manqué ce petit soupçon d’émotion qui en aurait fait un thriller de haut niveau.  

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Tapas nocturnes de Marc Fernandez

Editeur : Livre de Poche

Mon Dieu, que j’ai eu du mal à trouver ce roman, prequel de la trilogie Diego Martin. Comme j’avais beaucoup aimé les trois tomes des enquêtes de notre journaliste espagnol, je ne pouvais passer au travers. Et ayant rencontré l’auteur au salon du livre de Paris, je savais à quoi m’attendre.

Alors qu’elle faisait des recherches pour sa thèse à la bibliothèque du droit pénal de l’université autonome de Madrid, Carolina tombait sur Diego Martin qui l’invitait à prendre un verre. Outre qu’ils ont des gouts communs, le coup de foudre fut immédiat. Rapidement, ils vivèrent ensemble, Carolina sait que le métier de journaliste à Radio Uno est exigent et qu’il voyage souvent. Son interview du chef des FARCs a d’ailleurs eu un grand retentissement.

Sauf que ce matin, elle entend sur son répondeur téléphonique un grand nombre de menaces de mort. Elle se rend au rendez-vous de sleur amie commune Ana, ex-escort girl devenue détective privée. En sortant, elle est surprise par une moto qui roule sur le trottoir, et qui se dirige vers elle. Le conducteur s’arr^te à coté d’elle, et le passager lui tire une balle dans la tête sans sommation.

Quatre jours plus tôt, Diego s’installe dans son siège pour décoller en direction du Mexique. Son ami Miguel lui a arrangé un rendez vous avec un des plus hauts responsables du cartel de drogue de Juarez, La Frontera. Attendu à son hôtel, Miguel lui a arrangé un rendez-vous avec le numéro deux de l’organisation, Ernesto Ochoa. L’interview va être musclée, Diego se montrer provocateur, peut-être trop.

Comme l’annonce Marc Fernandez dans l’avant propos, ce prequel a été écrit en forme d’au revoir à son héros. Les fans du journaliste vont se jeter sur cette novella d’à peine 150 pages, et comprendre les relations du clan Diego Martin, et ce qui va forger leurs liens si forts. Pour les autres, je leur conseille plutôt de commencer par la trilogie.

Car ce court roman ne comporte pas de suspense, et l’émotion se limite à l’assassinat de Carolina. Il y aurait peut-être eu la place à en faire un roman à part entière, à développer les relations entre Diego et Carolina, à décrire le Mexique et les scènes de guerre urbaine, à étoffer les méandres de l’enquête. Il n’en reste pas moins que l’on est triste d’abandonner Diego, Ana, et le juge Ponce.

Couleurs de la vengeance de Maurice Attia

Editeur : Jigal

Nous bouclons donc cette semaine consacrée à Maurice Attia par le dernier roman de sa deuxième trilogie qui va nous transporter en 1980, une année où l’on sent de nombreux bouleversements au niveau mondial.

Marseille, jeudi 23 octobre 1980. Toujours obligé de réaliser ses reportages inintéressants, Paco veut remettre à l’honneur les petits cinémas de quartier, les lieux où il a connu tant d’émotions devant les films d’aventures ou d’horreur, étant jeune. Il se rend donc à la Belle de Mai pour interroger les propriétaires du Gyptis. Soudain, une camionnette s’arrête en face d’un bar, deux hommes cagoulés en sortent et tirent dans le tas. Paco note le numéro de la plaque d’immatriculation et appelle les secours. La tuerie fait une dizaine de victimes. Paco voit dans cet acte, une enquête potentielle qui va attiser son esprit d’ex-policier. Le tout va être de ne rien dire à Irène, sa femme.

François Nessim, ex-collègue de Paco et parrain de sa fille Bérénice, débarque à Quetta, au Pakistan, en vue de commencer son reportage sur l’Afghanistan et la résistance contre l’ennemi russe. Cette dernière le guidera jusqu’à Kandahar, la deuxième ville du pays. La première étape se situe à Chaman, la ville frontière. François doit faire attention à qui il parle, de nombreux pro-russes et des espions du KGB sont à l’affut d’ennemis. Dans ce cas, ce serait direction prison avec tortures associées.

Le roman débute sur une enquête tout ce qu’il y a de plus classique. On retrouve Paco et son mal-être en couple. Avide de mystères à résoudre, il se contente d’écrire des articles pour sa rubrique cinématographique. Le hasard le place devant une tuerie et Maurice Attia jalonne le déroulement de sa première partie par la recherche des origines de chaque victime. Mené de façon très classique, à base d’interrogatoires, je me suis posé des questions sur où l’auteur voulait m’emmener.

D’autant plus qu’en parallèle, nous allons suivre un journaliste de terrain, qui arrive au Pakistan pour suivre le conflit en Afghanistan. Dans ces passages, l’auteur va nous montrer l’invasion russe et le harcèlement réalisé par le KGB pour éliminer la résistance. François Nessim est reconnu dans son métier et va mettre à jour des révélations dont certaines nous sont connues aujourd’hui. Mais il est toujours bon de les rappeler.

A partir de la deuxième partie, le lien entre les victimes commence à s’établir et les pistes se dirigent vers l’Europe de l’Est, et des trafics avec l’Europe occidentale. La grande force de l’auteur, c’est de nous prendre à la gorge et de construire des toiles pour relier toutes les affaires. Et la dernière moitié du roman est tout simplement géniale, à la fois par le déroulement de son intrigue que par le rythme haletant adopté. Dans cette deuxième partie, on retrouve aussi ce qu’on a apprécié dans les précédents tomes, cette faculté d’alterner les avis de plusieurs personnages et de passer de l’un à l’autre.

Cette trilogie se repose sur le couple de Paco et Irène et ici, c’est plutôt Paco qui tient le devant de la scène. Dans ce couple en crise, il a envie d’aller voir ailleurs tout en éprouvant du remords. Il en découle une tendance à se jeter dans la gueule du loup et de se trouver dans des situations violentes. Enfin, cerise sur le gâteau, j’accorderai une mention aux deux flics Yul et Brynner et les dialogues cinglants qui m’ont bien fait rire. Ce roman clôt la trilogie par un polar jouissif comme un feu d’artifice.

Corvidés de David Gauthier

Editeur : Envolume

Vous connaissez mon intérêt pour les premiers romans. Celui-ci part d’un sujet simple voire simplissime : découvrir le Corbeau qui empoisonne la vie d’un petit village. Mais quand on s’intéresse à l’humain, cela devient irrésistible. Une grande réussite.

Depuis sa rupture avec Elle, Nicolas Berger ne trouve plus goût à rien. Lui qui faisait montre de bonne humeur devient un être renfermé qui rumine sa rancœur et son malheur. Pour un journaliste, dela pose un sacré problème et c’est ce que lui explique son chef, Gérard, le rédacteur en chef de La Gironde. Une affaire de corbeau vient de surgir dans un petit village alentour et Nicolas dispose d’une semaine pour ramener un reportage.

Dans le train, il lit le dossier qu’on lui a préparé. Les accusations sont précises et tournées comme des vers poétiques mais néanmoins explicites et agressives :

« Le corbeau salue les ignorants, leur donne un peu de lumière, alors notez ceci :

La vieille militante n’a plus de fougue. Cette perdante ne l’ouvre plus. A-t-elle compris qu’elle ne servait à rien ? 

Le chat de la secrétaire binoclarde n’a pas fugué. Il a été écrasé par le boucher. Trop lâche pour l’avouer, il a jeté le cadavre encore chaud dans le fossé.

Des cornes poussent sur la tête d’un adjoint. Il est ridicule, mollasson, incapable de voir que sa femme du nord se fait attraper par tout le monde, même le roi du village.

Votre dévoué corvidé »

On ne peut pas dire que l’accueil soit joyeux. Nicolas se pose au bar en face de la gare et rencontre Mathieu, l’envoyé spécial, le journaliste local, jeune homme embauché en CDD chargé de fournir un encart de temps en temps. Le pilier de bar ne se gêne pas pour dire ce qu’il pense des « fouille-merde ». Il apprend tout de même la bagarre qui a eu lieu lors du dernier conseil municipal, entre le maire et son adjoint. Malgré l’animosité ambiante, Nicolas se lance à corps (à cœur ?) perdu dans cette enquête.

Je me suis lancé plus par curiosité que par intérêt, tant les histoires de corbeaux pullulent dans les polars. Et je me suis laissé prendre au jeu. En fait, ce roman regorge de qualités, la première et la principale étant d’avoir créé ce personnage de journaliste dont la situation personnelle impacte son travail au jour le jour. Désabusé, presque déprimé, il accepte la mission qu’on lui confie, pour se changer les idées.

Et on croit à ce personnage parce qu’il est le narrateur et que l’écriture, à la fois pleine d’humour et de réparties en font un vrai plaisir de lecture. En bon journaliste, Nicolas est curieux de nature et observateur. L’auteur utilise donc un style fluide et descriptif qui nous fait croire à son personnage, et tout ça sans lourdeurs excessives. Comme je l’ai signalé plus haut, on se laisse prendre au jeu.

Et puis, on y trouve la description d’un petit village, où tout le monde se connait, où tout le monde en veut à tout le monde, où tout le monde sait tout et ne sait rien, où tout le monde a son opinion sans le dire. Les ressentiments viennent de toute part, entre les conseillers municipaux, envers les commerçants, envers les vignerons. Plus l’auteur en rajoute, plus le village de Salérac qui semblait calme et tranquille au départ, se transforme en nid de guêpes … et elles sont bigrement agressives cette année, les guêpes !

On va y rencontrer de sacrés énergumènes, des histoires tantôt belles comme des histoires d’amour ratées, tantôt détestables comme les bassesses de certains protagonistes. Le portrait de ce petit village semble tellement vrai que l’on ne peut que louer le talent de l’auteur à observer son prochain et à savoir le retranscrire dans un roman. Une étonnante et une excellente surprise, je vous dis !

La fin de ce roman dénote de l’ensemble du roman, plus violente mais ressemble à un feu d’artifice qui vient clore un beau défilé de petites gens qui grognent dans leur coin. L’auteur nous montre que la vie des villages où ça parle dans le dos, ça fait de grands sourires et ça fait circuler des bruits sur vous. Je ne peux que vous donner un conseil, laissez-vous tenter par ce roman, une très grande réussite.

Un coin de ciel brûlait de Laurent Guillaume

Editeur : Michel Lafon

Parmi mes lectures estivales, celle-ci figurera parmi les plus marquantes, autant par son sujet que par sa construction. Laurent Guillaume fait partie des auteurs qui ont des choses à dire et quand le fond rejoint la forme comme c’est le cas ici, cela donne un excellent polar. Pour ne pas oublier …

Mars 1992, Sierra Leone. A la sortie de l’école, Eden, Saad et Neal décident d’aller dans la forêt pour voir un trésor. Il s’agit en fait d’une genette qui allaite ses petits. Saad sort une souris congelée pour nourrir la mère. Quand le bruit d’une brindille cassée perce le silence, ils se cachent pour apercevoir des rebelles fortement armés. Ils les suivent et Neal voit qu’ils pénètrent dans leur maison. N’écoutant que son courage, il se précipite et voit son père en sang. Arrivant trop tard, il est fait prisonnier et le chef des rebelles oblige Neal à tuer son père.

De nos jours, Genève. Tanya Rigal, journaliste d’investigation à Mediapart, se fait déposer à l’Hôtel des Bergues. A l’entrée, elle se fait intercepter par l’inspecteur Chenaux de la police judiciaire. L’homme avec qui elle avait rendez-vous vient de se faire assassiner, un pic à glace planté dans l’oreille. Une femme de l’ambassade des Etats-Unis, Madame Sharp leur montre le corps de Franck Metzinger et leur annonce qu’un reçu postal prouve que la victime a envoyé un colis à Tanya. Alors qu’elle n’a jamais rencontré le mort, elle est relâchée et va voir le service de sécurité de l’hôtel pour visionner les caméras de surveillance. Elle aperçoit alors le meurtrier qui regarde frontalement la caméra.

De nos jours, Royaume-Uni. Un homme descend du bus devant la prison de Frankland, qui accueille les criminels les plus dangereux. James Songbono rajuste sa cravate et demande à voir M.Rappe, directeur de l’établissement. James vient postuler pour le poste de médecin de l’établissement pénitencier. Etant donné ses diplômes et le peu de candidats, il est tout de suite embauché.

Dès le début de ce roman, la construction attire l’intérêt et le contexte nous prend à la gorge. Dès le premier chapitre, on est plongé en Sierra Leone dont le rôle de fournisseur de diamants est bien mis en scène, et le suspense tout de suite mis en place. Il en est de même avec Tanya qui se retrouve dans un interrogatoire dans la cadre d’un assassinat d’une personne avec qui elle avait rendez-vous et qu’elle ne connaissait pas.

Cette faculté de plonger le lecteur dans une intrigue complexe basée sur trois personnages se poursuit tout au long du roman, aidé en cela par une plume remarquablement concise et précise. En termes de romans à suspense, on sent dès les premières pages que l’on tient entre nos mains un polar costaud de haut de gamme. Et Laurent Guillaume sait de quoi il parle, puisqu’il a travaillé en Afrique et est encore consultant contre le crime organisé pour l’Afrique de l’Ouest.

Laurent Guillaume nous montre donc le sort des enfants soldats, utilisés comme des armes au profit des voleurs de diamants, à travers le destin de Neal. Il nous montre la pauvreté et ne nous épargne rien des massacres ni des vrais instigateurs, mettant en cause à la fois les pays développés (Etats-Unis entre autres) et les terroristes (Al Qaïda). On est loin du film Blood Diamonds d’Edward Zwick, bien lisse qui ne faisait qu’aborder le sujet en occultant la réalité infâme.

Les deux intrigues viennent s’entremêler à la fois pour maintenir l’intérêt du lecteur et pour y apporter un soupçon de mystère. L’enquête de Tanya est plus classique et on ne comprendra qu’à la fin pourquoi elle est embarquée dans cette série de meurtres. Quant au docteur, cette partie se révèle être une sacrée pirouette scénaristique qui apporte une superbe cerise sur le gâteau. Un superbe polar !

Batignolles rhapsody de Maxime Gillio

Editeur : Pygmalion

Voir Maxime Gillio sur les étals des libraires est toujours une bonne nouvelle car c’est l’assurance de passer un bon moment de lecture. Ce roman, en fait, une œuvre de jeunesse totalement remaniée et actualisée, ne déroge pas à la règle.

Au Prince, bar et boite de nuit du 17ème arrondissement, les samedis soirs sont occupés par des prestations de sosies qui viennent exercer leur talent (ou non) en hommage aux stars de la pop music. Ce soir-là, le groupe se nomme Ibex, en référence au groupe de Freddy Mercury datant d’avant Queen, et le chanteur Frédéric Pluton, habité dans son rôle de réincarnation du chanteur britannique.

Après avoir exécuté The show must go on, et formidablement raté les notes aigues de la fin, Frédéric Pluton décide de se mettre au piano pour You are my best friend, la meilleure chanson de Queen d’après lui. Quand il plaque ses doigts sur le clavier du piano, des étincelles en sortent et on retrouve le chanteur amateur mais néanmoins habité, quelque peu cuit, voire grillé sur place, infusant une âcre odeur de barbecue.

Stella Poliakov est réveillée par son téléphone et sa nuit précédente et fortement alcoolisée lui tape dans la tête. Son chef, Billy Bienstock, rédacteur en chef de Parisnews, un journal en ligne lui demande de faire un portrait de la victime en la mettant bien en garde : ne pas remettre en doute les conclusions de la police, attestant qu’il s’agit d’un accident. Stella va commencer par le sosie de Brian May, qui n’en est pas un …

Par moments, il faut revenir aux règles basiques d’un bon polar : Une bonne histoire, bien racontée, un personnage principal réaliste auquel on s’attache, et un style fluide, direct et rapide. Ce fut la règle des polars d’antan, raconter en deux cents pages une intrigue et faire passer un bon moment au lecteur.

Dans ce cadre-là, Maxime Gillio maitrise son art et nous offre un beau personnage, Stella est craquante. Marquée par la disparition de son ami Gabriel, l’amour de sa vie, elle possède un penchant certain pour l’autodestruction à base de litres d’alcool. Malgré cela, elle est douée pour mener une enquête (à ce titre les dialogues sont savoureux) et va découvrir une sacrée machination.

Et puis, les chapitres sont courts, le rythme est élevé, et l’air de rien, on se rappelle encore de Stella, de son histoire et de cette fin. On en vient même à espérer la retrouver dans une autre enquête. Car si Maxime Gillio ne veut pas passer de message revendicateur, il parle de ce qu’il aime.

Il faut voir ce roman comme un très bon divertissement, mais aussi comme un hommage envers les polars du siècle dernier (Spécial Police par exemple) ainsi qu’envers la culture populaire, Queen en premier lieu, mais aussi nombre de chanteurs aujourd’hui reconnus. Il insiste aussi sur l’importance de cette pop culture dans le quotidien et de sa valeur puisqu’elle est passée à la postérité.

Tiens, je vais me réécouter des chansons de Queen, moi !

La patience de l’immortelle de Michèle Pedinielli

Editeur : Editions de l’Aube

Après Boccanera et Après les chiens, Ghjulia fait son retour pour une enquête plus personnelle, donc plus touchante, et marque aussi un retour dans sa région natale, la Corse du Sud, sauvage, taiseuse, ancrée dans ses traditions. Impressionnant !

Dan, son compagnon, réveille Ghjulia Boccanera dit Diou pour lui annoncer que le commandant Joseph Santucci dit Jo l’attend dans le salon. Dans une autre vie, Jo et Diou ont vécu ensemble. Jo vient l’informer de la mort de Letizia. Son corps a été retrouvé dans le coffre de sa voiture à laquelle on a mis le feu. Pour parfaire l’horreur, l’assassin lui avait tiré une balle dans la gorge.

Letizia est la nièce de JO, la fille de sa sœur Antoinette. Elle était journaliste présentatrice sur France 3 Corse, était tout le temps dynamique et enjouée. Diou a connu Letizia depuis sa naissance, se rappelant ses premiers instants, où l’air a la teneur du coton, où l(atmosphère sent le bébé, les couches de bébé, les lotions de bébé, sa petite tête venue se lover dans le creux de son bras.

Jo a besoin de Diou pour le soutenir lors de l’enterrement, mais aussi d’enquêter en parallèle de la gendarmerie pour connaitre le nom de l’ignoble coupable. Rien ne laissait penser que cette jeune femme, journaliste devenue présentatrice, mariée à Jean Noël Paoli, journaliste aussi, finirait carbonisée dans un coffre de voiture, laissant derrière elle sa petite Maria Stella. Diou doit revenir sur sa terre natale, abandonner Nice et son environnement urbain pour la campagne aride de la Corse du Sud, l’Alta Rocca.

Bien que La patience de l’immortelle soit la troisième enquête de Diou, ce roman peut se lire indépendamment des deux autres. Tout est présenté dès le premier chapitre dans un contexte plombant, parsemé de quelques souvenirs qui mesurent la grandeur du drame. Car même si Diou est du genre rentre-dedans, la disparition de Letizia sonne comme un coup de semonce, la touchant dans ce qu’elle a de plus cher, la famille, le clan.

Michèle Pedinielli, malgré son style sec et son humour cynique, ne peut laisser échapper des mots justes pour faire ressortir le chagrin et les larmes envers cette jeune femme, abattue comme un vulgaire animal. Derrière des décors fantastiques de terre sèche, parsemés d’oliviers pour certains centenaires, se cachent des secrets que personne ne veut dévoiler, car les problèmes se règlent avant tout à l’intérieur du clan.

D’ailleurs, quand on rencontre quelqu’un, on ne vous demande pas d’où vous venez, mais de quelle famille vous êtes issus. Comme le sujet aurait pu être délicat à traiter, comme il aurait pu verser dans le ridicule quand il touche au plus proche de nos racines, et comme les scènes deviennent irrésistibles de tristesse quand c’est bien écrit. Le chapitre trois, qui montre l’enterrement de Letizia est à ce propos terriblement émouvant, car d’une justesse incroyable.

Diou va donc louvoyer entre famille et habitants, essayant d’arracher quelques mots, une explication auprès de gens taiseux, méfiants, qu’elle finira par nous rendre attachants. En découvrant que Letizia tenait un blog pour publier ses enquêtes refusées par France 3, elle va découvrir des trafics, comme autant de mobiles pour ce meurtre … jusqu’au dénouement final, inattendu, brutal, horrible que l’auteure a la grande intelligence de nous placer en face des yeux en nous plaçant en juge. Mais comment peut-on prendre position face à un tel dilemme ?

Paperboy de Pete Dexter

Editeur : Editions de l’Olivier (Grand Format) ; Points (Format Poche)

Traduction : Brice Matthieussent.

En cette année 2020, nous allons fêter les 50 années d’existence de la collection Points, et les 40 ans de Points Policier. 

Ce mois-ci, j’ai décidé de mettre à l’honneur un grand auteur de romans noirs dont on ne parle pas assez à mon goût. Lisez , relisez Pete Dexter.

L’auteur :

Pete Dexter, né le 22 juillet 1943 à Pontiac dans le Michigan, est un écrivain, journaliste et scénariste américain. Il a reçu le National Book Award en 1988 pour son livre Paris Trout (Cotton Point en France).

Il travaille comme journaliste d’investigation, chroniqueur et éditorialiste pour le Philadelphia Daily News de Philadelphie, le The Sacramento Bee de Sacramento et le Sun Sentinel de Fort Lauderdale avant de se consacrer à l’écriture. Il débute comme romancier en 1984 avec le roman noir God’s Pocket. Il obtient le National Book Award en 1988 pour le roman Paris Trout (Cotton Point en France).

Pete Dexter travaille également comme scénariste, il participe notamment aux adaptations de ses romans. Stephen Gyllenhaal réalise Paris Trout d’après le roman éponyme en 1991, Walter Hill se base sur Deadwood pour réaliser Wild Bill en 1995 et Lee Daniels réalise The Paperboy en 2012 d’après le roman du même nom.

Il a par ailleurs collaboré à l’écriture des films Rush, Les Hommes de l’ombre, Michael et Sexy Devil.

Pour la création de la série télévisée Deadwood, David Milch s’est inspiré du roman Deadwood.

Quatrième de couverture :

Dans une cellule de la prison de MoatCounty, en Floride, Hillary Van Wetter attend la mort. I lest accusé d’avoir assassiné – ou plus exactement éventré – le shérif local. Pendant ce temps, une certaine Charlotte Bless adresse une lettre au Miami Times, expliquant que le condamné va être exécuté pour un crime qu’il n’a pas commis. Flairant une affaire juteuse, le journal décide d’envoyer ses deux meilleurs reporters, James et Acheman, enquêter sur place.

Mon avis :

A Lately, dans le Comté de Moat, Hillary Van Wetter croupit en prison dans l’attente de son procès pour meurtre. Il est accusé d’avoir tué le shérif Thurmond Call, après que celui-ci ait tué à coups de pieds Jérôme Van Wetter, lors d’une arrestation. Le shérif Call n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il a déjà tué seize jeunes noirs en trente-quatre ans d’exercice.

Jack James est le fils du propriétaire du MoatCounty Tribune. Son frère Ward a pris son envol et est devenu une star du Miami Times, avec son acolyte YardleyAcheman. Le procès de Hillary est l’occasion pour Jack de retrouver son frère puisqu’il va être embauché comme chauffeur pour lui. Une dénommée Charlotte Bless, serveuse et nymphomane de son état, leur demande de prouver l’innocence de son futur fiancé …

Jack va nous raconter cette enquête vue du côté des journalistes comme s’il déposait en tant que témoin dans un procès. Il va donc décrire chaque scène et le roman va avancer par de petites scènes ne dépassant que rarement deux pages. On ne peut qu’être ébahi par l’imagination de l’auteur mais aussi par la rigueur qu’il montre dans le déroulement de l’intrigue. Et on peut se dire que Pete Dexter a décidé de se ranger derrière son histoire, mais ce serait mal connaitre ce grand auteur.

Petit à petit, les scènes fortes vont se dévoiler, montrant les largesses de la justice, l’impunité des shérifs qui ont tous les droits et l’aveuglement et la culpabilité des policiers et de la population. Je pensais lire une charge contre la peine de mort, et je trouve une charge contre le système américain, avec au premier plan la façon dont on (mal) traite les journalistes, seuls êtres impartiaux, à la recherche de la vérité dans un système pourri jusqu’à la moelle.

Dès lors, la critique de la société américaine se fait autant acerbe que subtile, par petites touches, à travers des anecdotes à première vue anodines. J’en veux la réaction de la gouvernante noire du père du narrateur qui n’apprécie pas que ce dernier affiche sa sympathie envers les gens de couleur ; ou bien quand Ward devenu journaliste à succès a tout le temps d’étudier le lieu d’un accident d’avion de ligne, de compter le nombre de victimes, parce que les secours avaient une mission plus urgente : intervenir sur un incident d’un avion privé.

Décidément, ce roman s’avère plus subtil, plus intéressant que ce qu’il peut paraitre au premier abord. Et puis, si je peux vous donner un dernier conseil, en plus de celui de lire tous les romans de Pete Dexter. N’allez pas voir le film qui n’a retenu que les scènes trash pour totalement gommer l’aspect progressiste du roman.

L’arbre aux morts de Greg Iles

Editeur : Actes Sud

Traductrice : Aurélie Tronchet

En tant que deuxième tome de la trilogie consacrée au Mississipi, L’arbre aux morts commence juste après les événements relatés dans Brasier noir et s’affiche comme un pavé presque aussi gros que son prédécesseur. Il est donc indispensable d’avoir lu Brasier noir avant de lire celui-ci.

Caitlin Masters et Penn Cage, qui doivent se marier, ont échappé à la mort après l’incendie de la résidence de Brody Royal, où ils étaient retenus prisonniers. Henri Sexton, le journaliste qui a enquêté sur les Aigles Bicéphales, groupuscule raciste anti-noir, s’est sacrifié pour les sauver et a emporté avec lui l’infâme Brody Royal dans les flammes. Mais Caitlin et Penn vont se séparer car la course poursuite n’est pas terminée.

Caitlin Masters veut à tout prix publier les recherches d’Henri Sexton dans le journal dont son père est le propriétaire, en forme d’hommage envers Henri qui lui a confié plus de trente années de documents. De son coté, Penn Cage doit retrouver son père, le vieux médecin Tom Cage, accusé du meurtre de l’infirmière noire Viola Turner, et déterminer une bonne fois pour toutes les zones d’ombre de son passé.

Tom Cage sait très bien qu’il ne peut compter sur personne, sauf Walt Garrity, un ancien Marines et son meilleur ami. Il se retrouve avec un tueur à gages, ligoté sur la baquette arrière, envoyé par Forrest Knox pour le tuer. Car Forrest, chef de la police d’état, veut se débarrasser du vieux docteur pour qu’il ne dise pas ce qu’il sait sur les rencontres qu’il a pu faire dans les années 60, suite aux meurtres de jeunes noirs.

Aussi imposant que le premier tome, ce pavé possède toutes les qualités qui ont fait le succès de Brasier Noir, à savoir une intrigue complexe basée sur un nombre important de personnages ayant chacun leurs chapitres, des rebondissements et des dialogues très bien faits. A la limite, ce deuxième tome, contrairement au premier, apparaît très calibré, et cela se ressent par moments, d’où une sensation de quelques longueurs.

Mais l’impression globale est très positive, et ce roman est à classer dans les polars historiques américains où des personnages fictifs côtoient les faits historiques pour expliquer des événements contemporains. Dans Brasier Noir, Greg Iles montrait comment les dirigeants politiques, économiques et policiers œuvraient contre les noirs, quitte à perpétrer des meurtres pour se débarrasser des personnes gênantes. Ici, Greg Iles décrit comment la mafia de la Nouvelle Orléans a mis la main sur l’économie et la politique, et tente de donner une explication de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Et il décrit aussi comment la mafia a renforcé sa position après l’ouragan Katrina.

Alors la construction est passionnante car faisant avancer les pions sur l’échiquier en fonction des différents événements, passant en revue les conséquences en décrivant les réactions des différents protagonistes. Et chacun va courir après un objectif qui lui est propre, Penn Cage après son père, Caitlin après son scoop, Tom pour sa survie, Forrest pour effacer les preuves et témoins l’incriminant à l’aide des membres des Aigles Bicéphales ; à cela, il faut ajouter John Kaiser du FBI et Walker Dennis le shérif qui représentent le coté de la loi.

Si ce deuxième tome m’a paru un ton en dessous de Brasier Noir, c’est parce qu’on arrive à voir la recette utilisée par Greg Iles pour construire son intrigue. J’ai eu l’impression qu’il en faisait trop, par moments. Pour autant, je l’ai lu avec un grand plaisir et je l’ai trouvé passionnant et convaincant dans sa démonstration des événements survenus en 1963 et j’ai beaucoup apprécié la fin, où certains personnages n’en sortent pas indemnes. Cela augure de belles heures de lecture pour la suite, car toutes les questions n’ont pas encore trouvé leurs réponses. A suivre … avec Le sang du Mississippi.

Le jour où Kennedy n’est pas mort de R.J.Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Fabrice Pointeau

Le dernier roman en date de Roger Jon Ellory ne fait pas exception à la règle : il nous parle des Etats-Unis. Et pourtant, il s’avère être un roman surprenant à bien des égards, et en particulier vis-à-vis de l’histoire puisqu’il s’agit d’une uchronie. Et si John Fitzgerald Kennedy n’était pas mort le 22 novembre 1963 ?

23 novembre 1963. Ed Dempster et Larry Furness fouillent un immeuble au coin de Houston et Elm Street. Ils découvrirent des cartons empilés de façon à faire un mur entre les escaliers et la fenêtre. Et derrière le mur de cartons, juste a coté de la fenêtre, une balle de 6mm toute neuve, inutilisée. Malheureusement, elle tombe entre deux lames de parquet. Impossible d’en faire plus.

Mitch Newman est journaliste photographe. Il a connu Jean Boyd le samedi 19 avril 1947, lors de l’anniversaire de celle-ci et est tombé immédiatement amoureux d’elle. Ils ont fait tous les deux les mêmes études, ne se sont plus quittés, jusqu’en juillet 1950 où il s’engagea comme photographe de guerre en Corée. C’était comme un appel pour lui, une déchirure pour elle. Mitch a passé 4 mois d’horreurs en Corée avant de revenir à jamais marqué et Jean a refusé de le voir, et même de répondre à ses lettres.

Chacun a fait son chemin, lui devenant photographe très porté sur la boisson, elle reporter au Washington Tribune jusqu’à ce que le 5 juillet 1964, Mitch apprenne que Jean s’était suicidée, en avalant des somnifères. Ne comprenant pas son geste, Mitch se rend dans sa maison, récupère son chat et va voir la mère de Jean, Alice. Elle non plus ne comprend pas ce geste. Mitch, pour rendre hommage à l’amour de sa vie, va reprendre l’enquête sur laquelle elle était et qui lui a occasionné d’être virée du Tribune. Mais plusieurs événements lui montrent que quelque chose de louche se trame.

Roger Jon Ellory avait déjà abordé la famille Kennedy dans une nouvelle, sortie hors commerce Le Texas en automne, dans laquelle il se mettait dans la tête du président assassiné. Il revient sur cet événement, en bon passionné des Etats-Unis pour une uchronie, ce qui lui donne une originalité par rapport à tout ce qui a pu être fait, écrit, édité sur cet événement incroyable du vingtième siècle.

Roger Jon Ellory est un écrivain doué pour raconter des histoires, et ce roman le démontre une nouvelle fois. Il a cette art de créer des personnages plus vrais que nature, de les positionner dans des situations réelles ou imaginées, mais en tous cas de nous immerger dans une histoire forte. C’est ici le personnage de Mitch qui va porter le scénario, un personnage attachant cherchant à réparer ses erreurs du passé, et qui va, à la fin du roman, se prendre une belle claque en apprenant qui il est réellement.

Entre les chapitres consacrés à l’enquête, qui avance comme dans un brouillard, nous allons naviguer en eaux troubles dans les services secrets, l’intimité du président et de sa famille et toutes les magouilles mises en place pour faire réélire Kennedy. L’auteur insiste beaucoup sur les trucages des votes pour placer JFK à la tête du pays, sur les financements de sa campagne par la mafia.

Pour autant, on ne trouvera pas de révélations sur la mort du président ; j’ai même trouvé qu’il y allait avec des pincettes, préférant mettre l’accent sur son personnage principal, se croyant investi d’une mission en mémoire de son amour perdu. Mais le roman est moins fort émotionnellement. Le déroulement de l’intrigue est remarquablement bien fait, prenant, passionnant, jouant avec les personnages réels comme avec des pions. Et c’est ce que je retiendrai de ce roman, un excellent polar jouissif en forme de jeu de piste.