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Fantaisie héroïque de Gilles Vidal

Editeur : La Déviation

Chaque roman de Gilles Vidal ressemble à un voyage, à la fois dans le monde extérieur et dans celui intérieur du narrateur. Avec ses couvertures magnifiques, sortes de puzzle coloré, l’auteur nous invite à une errance littéraire.

Paul a perdu son père, avec lequel il avait peu de contacts. Après avoir connu un succès critique et public lors de la parution de son premier roman, il cherche l’inspiration en parcourant le monde. La mort d’un oncle dont il conserve peu de souvenirs lui permet de se détacher des nécessités matérielles. Son travail dans une agence de communication pour des publicités occupe ses journées vides d’observation.

Paul a tendance à oublier le passé, et à se contenter du monde présent, celui des autres. Dans un bar, alors qu’il déguste son café, une femme le dévisage. Elle se nomme Charlène, et lui rappelle qu’ils étaient voisins dans la rue des Moulins. Elle vient de quitter son mari, surpris à sortir son sexe dans un ascenseur devant une femme. Paul lui demande de l’accompagner à l’enterrement de son oncle.

Gilles Vidal écrit des romans différents des autres, des hymnes à la littérature, à la culture (populaire mais pas que …) et nous invite à profiter du moment présent. Si l’intrigue passe au second degré, il s’agit ici de suivre Paul dans son voyage, et d’apprécier le verbe, l’image qu’il a bien voulu nous partager.

Il m’est bien difficile de décrire le plaisir que je ressens à cette lecture. J’ai l’impression de lire du Philippe Djian en moins noir et moins introspectif, mais avec un même talent littéraire. Et puis, avec les crises à répétition que nous avons subies, Gilles nous rappelle le plus important : vivre aujourd’hui le moment présent, s’installer à une terrasse et regarder les autres, la vie, la vraie vie. Magnifique parce que puissant !

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Jusqu’ici tout va mal de Pascal Dessaint

Editeur : La Déviation

Le titre du recueil donne le ton pessimiste des nouvelles et propose non pas une alternative à la morosité actuelle mais plutôt un regard différent sur notre monde, entre réalisme, lucidité devant la course au profit et nécessité de prendre exemple sur la nature, toute en sérénité. Ces dix-sept nouvelles que nous offre Pascal Dessaint ressemblent à des cartes postales, des saynètes de tous les jours, des morceaux de vie, balayant des thèmes aussi divers que la solitude, la morosité, la perte de l’espoir, l’amour, l’humour, les relations humaines et la nature qu’il faut protéger, sauver. Elles ne dépassent que rarement les quatre pages mais sont suffisantes pour nous présenter un ou des personnages et marteler un message.

Certains thèmes reviennent dans plusieurs nouvelles, en particulier la difficulté de vivre ensemble et la recherche de l’amour, comme dans Une érection rassurante (Suzanne, allongée à coté de l’homme, se sent bien au milieu de ses livres, et de ce membre vigoureux), ou La corneille rôde toujours (Nathan est couché à coté d’Elodie, et pourtant, il rêve qu’elle part avec le bucheron. Et la corneille les attend dehors).

L’autre thème omniprésent est évidemment la nature et l’auteur nous démontre de grande façon son amour pour la faune et la flore tout en déplorant et dénonçant la faculté qu’a l’homme à s’évertuer à détruire son environnement. Ainsi dans Le papillon orangé, Marc poursuit un papillon lors d’une promenade en montagne et se dit, en repensant au monde, mené par les grands du CAC 40, qu’il a bien raison.

Les méfaits de l’homme et ses conséquences sont bien présents plusieurs fois, dans La passion des chauves-souris (Germain accoudé à sa balustrade observe sa voisine faire l’amour et pense à la chauve-souris européenne qui a décimé ses cousines américaines), dans Lettre à un vieux naturaliste (Un amoureux de la nature montre son désespoir devant le pouvoir de destruction de l’homme), Le seau bleu (son voisin vient de lui apporter un seau d’écrevisses de Louisiane et Antoine ne se sent pas de les manger), ou même Pour des pommes (Simon se balade en bord de rivière quand il entend un homme abattre un pommier).

Il est même étonnant voire amusant de trouver dans certaines d’entre elles de l’humour, Une pêche prometteuse (Marion est chargée de récupérer un caïman en compagnie de deux pompiers Timothée et Maxence et se demande avec lequel elle va finir la nuit), et Une belle victoire (Francis aime en découdre et entre dans un bar qui retransmet un match de football) ou même Connaitre un poète (Luc vient de se faire larguer et raconte à son ami le poème qu’il lui a écrit).

On retrouve dans ces morceaux de vie de nombreux passages sur des gens solitaires en quête de l’amour comme dans Les mains parlent parfois plus que les lèvres (Yvette vient de quitter sa maison, sonnée et entre dans un bar musical où elle va rencontrer un homme), Le désir de Juliette (Le plaisir de Juliette se résume à la rencontre avec des inconnus) ou Elle pensait (Son plaisir est de faire l’amour à des inconnus avec le consentement de son mari).

Il ressort de ce recueil un ton moins de désespoir que de désabusement face à la direction que prend ce monde. Le ton est noir dans Les arbres font guérir plus vite (Laurent rend visite à Ghislain, allongé sur son lit d’hôpital. Ghislain, pour son dernier voyage, veut juste voir les arbres), révolté dans Jusqu’ici tout va mal (Gaëtan, pris de peur, s’est jeté hors du lit pour prendre son fusil et tirer par la fenêtre. Depuis, les gendarmes tiennent le siège) et sans concession dans La bernache et le faucon (Sylvain pense au faucon pèlerin qui fond sur une bernache sans arriver à la tuer) où Pascal Dessaint nous assène l’affirmation suivante :  « La nature sans l’humain serait magnifique ».

Je lis rarement un recueil de nouvelles d’une traite, préférant piocher au hasard, ce qui n’est pas le cas ici. J’ai adoré la puissance du discours, l’apparente simplicité de la plume toute en finesse expressive, et la force émotionnelle qui ressort de ces lignes. On y trouve dans ce décor désespéré une lueur d’espoir comme dans Le zizi chante le soir (Tom, en observant les oiseaux, se rend compte que l’espoir réside dans la nature). Vivre ensemble et respecter la nature sont les messages forts de ce recueil parfait.

Because the night de Gilles Vidal

Editions : La Déviation

Gilles Vidal se positionne comme un auteur à part, livrant des romans personnels, avec des themes récurrents, au risque de laisser des lecteurs sur le bord du chemin. Et de chemin, il est question ici :

Angus ne s’attarde pas au cimetière, il reprend sa route dans sa voiture qui ressemble à une vieille 604. Au milieu des montagnes, il se sent seul, délaissé rejeté par un paysage qu’il n’a jamais aimé. Alors qu’une femme hurle son chagrin devant l’église, un homme pense le surprendre en arrivant par derrière. En fait, il lui demande juste de l’emmener dans un village plus haut.

« Bref, avant le grand effondrement, tout le monde savait bien qua ça allait partir en sucette, mais personne ne réagissait. Et puis la nature, qui est bien plus maline que nous, préparait sa vengeance, et elle fut cinglante, elle ne nous a pas tous virés de la planète, mais si elle persiste encore un peu dans la punition, il ne restera bientôt plus personne. »

Depuis le Grand Chaos, l’Humanité est devenue une somme de groupuscules, de communautés dont la motivation est la défiance envers l’autre. Malgré le risque encouru, Angus accepte de le conduire là-bas, et de rencontrer les six personnes habitants ce village.

Gilles Vidal nous propose un roman pas comme les autres, peut-être plus personnel, en tous cas plus difficile d’accès : un voyage dans des paysages immaculés, seulement habités par des survivants, un voyage à l’intérieur d’un homme, coincé entre passé et présent, entre souvenirs et désolation.

De la multiplicité d’antan, il ne reste plus rien, plus personne, plus de décors, plus de couleurs, plus d’odeurs. Chacun se méfie de l’autre dans un nouveau monde où il faut s’adapter pour survivre. Alors, Angus préfère rêver, se rappeler comment c’était bien avant, comment on pouvait s’amuser, se parler et s’aimer.

A coups de longs paragraphes, sans aucun dialogue, avec de nombreuses digressions, Gilles Vidal construit son roman introspectif en prenant le pari que l’on va le suivre. Ce roman nécessitera un certain effort, devant son hermétisme à nous laisser se raccrocher aux basques d’Angus, qui comporte des phrases d’une beauté fulgurante. Et si en cherchant le monde, on ne faisait que chercher soi-même ?

Octobre à Paris de Gérard Streiff

Editeur : La Déviation

J’ai eu beau chercher parmi mes lectures, je n’avais jamais lu un roman de Gérard Streiff. C’est maintenant chose faite avec ce roman qui rappelle une date importante : le 17 octobre 1961.

« L’escalier de pierre donne sur le vide. On devine en aplomb une étendue d’eau noire. De part et d’autre de la volée de marches se tiennent des policiers, leurs visages disparaissent sous un large casque et d’énormes lunettes de motocycliste. Ils portent un manteau de cuir tombant sur de hautes bottes, brandissent des matraques. Des civils, des Maghrébins, en file indienne, gravissent l’escalier. Ils sont frappés, méthodiquement, les flics visent la tête, ils tapent pour tuer. Au sommet, ils précipitent les suppliciés dans le vide. Les corps virevoltent et s’écrasent sur la surface de l’eau dans un claquement sec. »

Ce cauchemar réveille Chloé Bourgeade, à bord de sa péniche. Son colocataire, Racine, dort encore. Après un petit déjeuner vite expédié, elle se dirige vers Le Sémaphore, l’agence de détectives privés. Pierre Leglay, DRH d’une enseigne de grande distribution, leur demande d’éclaircir la mort étrange de son père Bernard. Policier à la retraite, ce dernier passait son temps à la pêche et son corps vient d’être retrouvé noyé.

Pierre Leglay leur montre une lettre que son père venait de recevoir, un tract daté du 31 octobre 1961, qui détaille les différentes étapes de la répression des manifestations des Algériens. Marike Créac’h la patronne de l’agence décide de confier cette affaire à Chloé, la seule détective disponible. Très vite, Chloé reçoit des lettres de menace anonymes et même des messages sur son répondeur lui demandant de ne pas remuer ces « vieilles histoires ». Cela ne fait que la motiver davantage.

Ce roman comporte tous les atouts pour me plaire. On y trouve un personnage obstiné, rigoureux, décidé à ne rien lâcher ; Un scénario basé sur des entretiens, construit avec une grande rigueur ; et un style rapide, efficace qui aidé par des chapitres courts permet de lire vite ce roman pour savoir de quoi il en retourne.

Et on est ravi du dénouement et on ne peut que louer la volonté de l’auteur de faire œuvre de mémoire, sur un fait d’histoire qui démontre que l’Etat peut se faire plus assassin que ceux qu’elle traque. L’auteur nous montre aussi que nous avons fermé les yeux, nous n’avons rien entendu des cris, des corps qui s’écrasaient sur l’eau, nous n’avons pas vu les coups pleuvoir, nous n’avons pas voulu savoir ce massacre organisé.

A ce titre, je vous encourage à aller voir cet article explicite que j’ai trouvé sur le site de Telerama :

https://www.telerama.fr/debats-reportages/retour-sur-le-17-octobre-1961-nous-avons-su-mais-nous-nous-sommes-tu-6999020.php

Voilà un roman salutaire.

L’art de la fuite est un secret de Gilles Vidal

Editeur : La Déviation

Après le fantastique Loin du réconfort, Gilles Vidal nous revient avec un nouveau roman qui nous parle d’un homme sur la route, en errance. Une nouvelle fois, cette histoire pas comme les autres nous convie à observer le monde.

« La toile était restée sur le chevalet, inachevée, et je ne cessais de penser à elle tandis que, à pied, je me dirigeais d’un pas vif vers la gare en jetant de temps à autre quelques regards furtifs autour de moi comme si j’avais eu le feu aux trousses. Mais sans doute était-ce le cas?

Je pris au distributeur automatique le premier billet pour n’importe où. J’entends par là que, étant pressé, je choisis celui dont le départ était le plus imminent tout en ayant malgré tout choisi dans un éclair de lucidité de me diriger vers le sud. Tant qu’à faire. »

A la vue de sa toile, installée sur le chevalet, Victor est pris d’une angoisse et ne trouve qu’une issue, celle de la fuite. Il se rue à la gare et prend le premier train pour une destination inconnue. Dans le compartiment, tous les voyageurs lui semblent suspects jusqu’à ce qu’il rencontre Agnès qui lui demande de l’aide. Bizarrement, il accepte de la suivre …

Il m’est bien difficile de ne pas relier Loin du réconfort avec L’art de la fuite est un secret. J’ai tellement aimé le premier et j’ai adoré marcher aux cotés de ce peintre ici. Sur un thème proche, celui d’une itinérance, Gilles Vidal nous convie à un voyage en forme de fuite pour éviter une angoisse, sorte de paranoïa bien mystérieuse. Est-ce la peinture qui menace Victor, ou le résultat de son imagination ou talent ?

Ce voyage vers l’inconnu, écrit en un seul tenant, nous propose non pas de multiples rencontres, mais une multitude de scènes plantées comme des décors. Ou plutôt devrais-je dire comme des peintures. Victor décrit sa vie comme une multitude de toiles qu’il aurait pu peindre pour raconter sa fuite vers ailleurs, sans but ultime si ce n’est celui de se retrouver ou de trouver l’autre.

Belle réflexion sur l’art et sur la capacité de voir le monde qui nous entoure, Gilles Vidal utilise un rythme nonchalant pour prendre le temps de décrire devant nos yeux des peintures que Victor aurait pu créer. Et plus qu’un roman angoissant, il nous offre des morceaux d’une rare beauté grâce à une formidable maitrise des couleurs et des détails judicieux qu’il incorpore à ses phrases.

Finalement, si au lieu de se chercher soi-même, on trouvait l’autre ? L’homme ne doit-il pas avoir pour but de chercher et trouver le contact humain ? L’art de la fuite est un secret s’avère finalement un roman plus profond qu’il n’y parait.

De but en noir de Gilles Vidal

Editeur : La Déviation éditeur

Une fois n’est pas coutume, je vous propose un recueil de nouvelles. Edité par un petit éditeur, ce recueil est écrit par un spécialiste du genre, Gilles Vidal, et vous ouvre les facettes du noir domestique, en balayant tous les genres de littérature.

Maty :

Bob Richard est compositeur et doit écrire une chansonnette qu’on lui a commandée trois semaines auparavant. Vivant avec Mathilde, 22 ans plus jeune que lui, ils se sont engueulés et sa main est partie. Depuis, elle a disparu, jusqu’à ce que le téléphone sonne.

Écrite avec un style simple, Gilles Vidal fouille les relations d’amour et les petits événements qui engendrent les étincelles de l’Art. Avec subtilité, avec justesse, avec douceur, il nous raconte cette histoire avec beaucoup de retenue mais avec émotion.

Plus mort tu meurs :

Dans la famille, on est tueur de père en fils. C’est à ses 18 ans que son père lui a appris à tuer. Depuis, il est devenu le meilleur. Romain Vanel, du moins est-ce le nom qu’il utilise en ce moment, va devoir réaliser un contrat bien particulier.

On en viendrait presque à éprouver de la sympathie pour ce tueur à gages tant la description qui en est faite est limpide et empreinte de sentiments. Et finalement, cette nouvelle s’avère plus noire, plus féroce, plus cynique que prévu.

A la gorge :

Fred Boland rentre chez lui retrouver sa fille Liz enceinte. Elle lui annonce qu’un paquet l’attend, déposé devant leur porte dans la journée. Quand il l’ouvre, il y a une autre boite dedans, comme des poupées russes. Puis il trouve une clé …

A partir d’une idée simple, Gilles Vidal nous enfonce dans un mystère, faisant monter le suspense et la tension, au fur et à mesure que l’on découvre Fred Boland par ses actes. Puis, Gilles Vidal oblique vers une intrigue polar plus classique.

Bas Zarb :

Dans un monde futuriste où on ne se dit pas Bonjour mais Enculé, où on ne se dit pas Au revoir mais Enculé, Zarb s’abrutit de sitcoms télévisées quand il reçoit un coup de fil d’un de ses clients.

On imagine bien un monde futuriste à la Mad Max et ce personnage crade au possible. Je suis un peu sceptique quant à cette nouvelle et son humour gras.

Un coup d’essai bien arrosé :

Séverine Bourdin est flic et elle sort tout juste d’une enquête sur un vol d’un magasin de spiritueux. Alors qu’elle rend visite à ses parents, une macabre découverte l’attend …

Tout en faux-semblants, cette nouvelle semble nous plonger dans l’horreur juste avant de nous fournir une chute surprenante et excellentissime.

On part ?

Le narrateur s’est laissé entraîner à une fête organisée dans un appartement bourgeois. Dans les brumes alcoolisées, il aperçoit une beauté à tomber. Elle s’appelle Dinah et lui propose : « On part ? ». Et c’est le début de son cauchemar.

Entre nouvelle érotique et nouvelle noire, Gilles Vidal nous concocte une histoire classique.

De l’autre coté :

Rencontre entre un survivant et une rescapée dans un paysage imaginaire ou futuriste … ou bien est-ce un songe ?

Revival :

Magnifique texte d’un homme méticuleux qui laisse vagabonder son imagination, et qui attrape au vol des souvenirs, certains joyeux, son grand-père, son cerf-volant, et d’autres beaucoup plus douloureux. C’est la nouvelle que je préfère dans ce recueil.

Come in terme :

Bienvenue dans la mafia russe. Léon et Raymond sont une équipe de tueurs à gages. L éon surveille et Raymond fait le sale travail. Sauf que Raymond n’a aucun sentiment, ni aucune attache sentimentale ; il est attardé et se laisse manipuler sans s’en rendre compte.

Cette nouvelle est une petite histoire bien noire.

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