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Béton rouge de Simone Buchholz

Editeur : L’Atalante – Fusion

Traducteur : Claudine Layre

Oyé, oyé ! Chastity Riley est de retour dans une nouvelle enquête, l’occasion de profiter de belles heures de polar, fouiller un autre pan de la société moderne et de partager sa vie et ses soucis de femme moderne. Après Quartier Rouge, Nuit Bleue, Simone Buchholz nous en fait voir de toutes les couleurs, retour dans le rouge avec Béton Rouge.

Alors qu’elle sort de chez elle, elle découvre une jeune cycliste qui vient de se faire renverser par une voiture. La police délimite le lieu de l’accident et elle se présente en tant que procureure. De toute évidence, il s’agit d’un délit de fuite. Elle ne peut rien faire de plus, la police judiciaire va bientôt arriver, alors elle rentre chez elle, sous l’œil morne de la lune.

La procureure générale Kolb l’appelle en plein milieu d’un café. Riley doit se rendre au pied de l’immeuble Mohn & Wolff, le plus gros groupe de presse de Hambourg, où on signale un homme enfermé dans une cage. Arrivé sur place, elle découvre un home en mauvais état, torturé et enfermé dans des cages dans lesquelles on met plutôt de gros chiens, avant de les emmener chez le vétérinaire.

Les flics qui protègent le périmètre indiquent que les gens crachaient sur l’homme. Riley va devoir faire équipe avec Ivo Stepanovic, du Département Affaires Spéciales. La victime se nomme Tobias Rösch, DRH de groupe de presse. Le mystère à résoudre ressemble à un choix : s’agit-il d’un acte sadomasochiste ou bien d’une vengeance ? Acte professionnel ou personnel ? Quand une deuxième victime est retrouvée et qu’il s’agit d’un directeur de groupe de presse, Riley et Ivo vont enquêter sur ce groupe.

Les personnages féminins récurrents ne sont pas nombreux dans la paysage du polar et pourtant, c’est toujours un grand plaisir de suivre leurs enquêtes ou aventures. Je citerai, pour celles que je connais, bien entendu Ingrid Diesel de Dominique Sylvain, Lisa Heslin de Jacques Saussey, Léanne Vallauri de Pierre Pouchairet. Ou le lieutenant Ferreira chez Eva Dolan.

Mais quand on lit un roman de Simone Buchholz, on pense tout de suite à sa cousine de caractère Ghjulia Diou Boccanera de Michèle Pedinielli. On retrouve cette même attitude de profiter de la vie, cette humanité envers les autres et cette ténacité dans les résolutions des enquêtes. On retrouve aussi cette même complexité chez ces deux jeunes femmes, qui ont besoin d’un mentor et de rencontres fortuites avec les membres du sexe opposé.

Tout cela pour vous dire que si vous avez aimé les romans précédents de Simone Buchholz, vous allez aimer celui-là. L’auteure a réussi à créer un personnage avec lequel on a une vraie intimité, un plaisir à la côtoyer ; Chastity devient une proche dont on partage le dégout du monde individualiste moderne et actuel. Et cette enquête lui donne l’occasion de plonger dans le monde des grandes entreprises et des licenciements pour faire plus de profit.

On retrouve donc les mêmes recettes que dans les précédents romans, et donc la même joie jouissive de parcourir ces 200 pages. Chastity va découvrir une issue inattendue à son enquête et subira même des déceptions voire des trahisons qui vont nous donner lieu à des aventures à venir encore plus passionnantes, professionnellement et personnellement parlant. Vous l’avez compris, je ne peux vous en dire plus, sous peine de déflorer l’intrigue. Donc il ne vous reste plus qu’une seule option : courir acheter le livre et le dévorer.

Et même si ce livre peut se lire indépendamment des autres, je vous conseille de lire Nuit Bleue auparavant.

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Appartement 816 d’Olivier Bordaçarre

Editeur : L’Atalante.

Collection : Fusion

Olivier Bordaçarre est un auteur décidément à part dans la paysage littéraire français. Il a l’art et le talent de prendre une intrigue plongée dans notre quotidien et de faire dévier la trajectoire vers des zones que le lecteur ne peut envisager. C’est encore le cas ici et c’est encore une fois une grande réussite.

Dans un futur proche, la France ne s’en sort pas du virus, et alterne entre IGT (Isolement Général Total), IGP (Isolement Général Partiel) et IGSP (Isolement Général Semi-Partiel). Les habitants sont confinés chez eux avec des interdictions d’ouvrir les fenêtres. Les ravitaillements sont assurés par des drones et le télétravail est obligatoire. Les contrevenants sont condamnés à des peines allant d’une simple amende à une peine de prison.

Certains ont des difficultés à s’y faire. Ce n’est pas le cas de Didier Martin. Son travail de comptable lui permet de rester en télétravail et les jours passent tranquillement avec sa femme Karine et son fils adolescent Jeremy. Ce jour-là, il a bien rempli sa FJP (Fiche Journalière de Présence) et le résultat de son test hebdomadaire : Négatif. Heureusement que l’Etat est là pour assurer la sécurité des citoyens !

Didier Martin ne remet pas en cause les décisions de l’Etat, il les accepte et les trouve même normales. Il prend cette privation des libertés, ces obligations comme une nécessité pour combattre le virus. En manque de communication à force de ne côtoyer que des sites Internet, il commence à écrire des morceaux de vie, une sorte de journal, sur les murs de son appartement.

Fidèle à ses derniers romans, Olivier Bordaçarre prend une situation que nous connaissons tous (malheureusement) et grossit le trait, pour construire une intrigue terrible et mieux montrer voire dénoncer certaines situations. Pousser le thème du confinement à son extrême, présenter un personnage servile, et imaginer ce que serait notre vie sans droit de sortir, de parler, de vivre, voilà le programme de ce roman et vous n’êtes pas au bout de vos surprises.

Le roman ne nous laisse pas de répit, nous plongeant dans un contexte auquel on adhère tout de suite, grâce aux abréviations que j’ai présentées plus haut mais aussi aux explications simples qui nous décrivent comment doit se dérouler la nouvelle vie. Et cela tient beaucoup au personnage de Didier Martin, le narrateur, qui se présente comme un bon père de famille, entouré de sa femme qui le brime et son fils sans cesse plongé dans son portable.

A lire les écritures de cet homme qui applique à la lettre ce que le Gouvernement lui demande, qui écoute servilement les informations et acquiesce à toutes les décisions, l’auteur nous montre une société de moutons, incapables de se révolter et encore plus de réfléchir au-delà de ce qu’on lui impose. Olivier Bordaçarre nous présente l’adaptation de l’Homme à son extrême, acceptant son destin sans rechigner. Didier Martin représente aussi la figure d’un homme qui se recroqueville, qui s’enferme dans sa taverne, devenant une bête dès qu’on vient le déranger.

On ne peut qu’être époustouflé par le style employé par l’auteur, se fondant totalement dans son personnage, sans jamais être explicite, laissant le lecteur en tirer ses propres déductions. Et petit à petit, Didier Martin, personnage que l’on comprend sans pour autant le défendre, va laisser planer des zones de doutes, créer un malaise avant de nous dévoiler une réalité terrible, fortement dérangeante.

Il ne faut pas prendre ce roman pour un journal du confinement ; on y trouve une vraie psychologie, une vraie histoire et surtout une formidable réflexion sur la façon dont le peuple est dirigé et sa capacité d’acceptation d’une situation qui nous semblerait impossible il y a seulement quelques années. Il y a une phrase que j’aime bien : Réfléchir, c’est déjà se révolter. J’ai envie d’ajouter : et inversement. Et ce roman en est une excellentissime illustration. Il vous faut lire ce roman pour ne pas devenir un mouton de plus.

Nuit bleue de Simone Buchholz

Editeur : L’Atalante. Collection : Fusion

Traductrice : Claudine Layre

Ce roman me donne l’occasion de parler de deux retours, celui de L’Atalante dans le monde du polar avec une nouvelle collection nommée Fusion et celui de Chastity Riley sur les étals de nos libraires.

Fusion, voici le nom de cette nouvelle collection estampillée Polar aux éditions de l’Atalante. A sa tête, on trouve Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, connus pour avoir créé l’association Fondu au noir depuis 2007, et éditeurs de l’excellente revue trimestrielle L’indic, une véritable source de savoir du polar.

Chastity Riley a fait une brève apparition en France, aux éditions Piranha en 2015, dans un roman nommé Quartier rouge, qui était le premier de la série. Il nous présentait un personnage féminin complexe, « rentre dedans », extrême, mais aussi attachant et original.

Il est tabassé par trois hommes dans une ruelle et laissé en sale état. Allongé sur son lit d’hôpital, il se fait appeler Joe, car il se terre dans son mutisme et ne veut rien dire. Dans le cadre de la protection des victimes, on lui octroie un policier de garde devant sa chambre.

Chastity Riley est passé tout proche de la correctionnelle. Pour avoir voulu faire tomber son chef pour corruption, on lui offre un placard doré, la création d’un poste de procureure spéciale pour la protection des témoins. Sa première affaire va être celle de Joe et à force de visites à l’hôpital, elle va réussir à lui tirer quelques informations, en forme de pièces de puzzle pour découvrir une affaire qui fait froid dans le dos.

Le titre de ce roman vient directement du nom du bar BlaueNacht, où Chastity passe ses nuits et rencontre ses amis. Je retrouve avec un énorme plaisir ce personnage féminin hors norme dans une enquête qui va petit à petit se mettre en place, au gré de ses errances diurnes (elle s’ennuie dans ce faux poste) et nocturnes dans les quartiers chauds de Hambourg lors de virées alcooliques.

Je ne vais pas entrer dans le détail pour vous décrire Chastity puisque je l’ai fait grandement dans mon billet sur Quartier rouge. Elle s’appuie sur son entourage, entre amis, amies et amants, ainsi que sur sa cicatrice principale, celle de n’avoir pas connu son père. C’est bien pour cela qu’elle reste proche de Georg Faller, un de ses anciens chefs à la retraite. D’ailleurs, ce dernier a conservé une obsession en tête, celle de faire tomber le ponte albanais de Hambourg, Malaj Gjergj.

On ne peut qu’apprécier la façon d’aborder cette intrigue, et ce style direct, fait de petites phrases, en disant peu mais suffisamment pour créer des personnages plus vrais que nature. Ni bons, ni mauvais, ils ont tous une vraie personnalité et une loyauté que seuls les vrais amis peuvent avoir. On ne peut aussi que se passionner par les valeurs disséminées dans ce roman, par les obsessions de ses personnages et par le sujet de fond, une drogue puissamment mortelle qui va déferler sur l’Europe.

Entre deux chapitres, nous trouvons des témoignages ne dépassant pas quelques paragraphes, passant en revue les pensées de certains des protagonistes. Toute l’originalité tient dans ces passages qui vont nous expliquer certaines choses, puis nous embrouiller pour enfin nous montrer que ce qui est montré n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Même la fin nous pousse à nous demander qui, dans cette histoire, a manipulé qui ?

Jetez-vous sur cette enquête de Chastity Riley car vous allez y rencontrer une femme formidable, inoubliable ; vous allez être plongé dans leurs relations, devenir membre de leur clan, au milieu des Klatsche, Faller, Calabretta, et Carla. Et puis, vous succomberez au style de Simone Buchholz, court, simple, rapide. Et même après la dernière page, vous n’aurez qu’une envie : reprendre tout depuis le début, ne serait-ce que pour aller boire une bière au Blaue Nacht.

Ne ratez pas l’avis de Jean-Marc Lahérrère

Des poches pleines de poches

Voici le retour de cette rubrique consacrée aux livres au format poche.

Les dames blanches de Pierre Bordage

Editeur : L’Atalante

Dans un futur proche, de mystérieuses sphères blanches apparaissent en différents endroits du monde. Elles semblent absorber les enfants âgés de trois ans, ce qui arrive à Léo, le fils d’Elodie. Les pays s’allient pour essayer de les faire exploser mais rien n’y fait. Seuls les enfants avalés permettent de freiner leur progression. L’ONU propose alors de sacrifier des enfants de trois ans, armés d’une ceinture d’explosifs, et promulgue la loi d’Isaac, celle du sacrifice d’un enfant de chaque couple.

Ce roman est rythmé par des chapitres d’une dizaine de pages, portant le prénom d’un personnage rencontré lors de l’intrigue. Il faut savoir aussi qu’aucune notion de temps n’est indiquée, mais que chaque chapitre peut se dérouler plusieurs années après le précédent. Une fois assimilé ce principe, le lecteur peut pleinement se laisser emporter par ce formidable conteur qu’est Pierre Bordage.

L’histoire fait la part belle aux personnages, dont certains se retrouve au centre de l’affaire. C’est le cas d’Elodie, la première mère victime des sphères, de Lucho Herrera, le premier artificier de l’armée française à leur être confronté, de Camille, la première journaliste qui va être consacrée comme la spécialiste des sphères, ou de Basile Traoré, ufologue qui va ressentir une sensation de chaleur à leur proximité.

Les sphères engendrant des parasites et troublant les communications, la société entière va connaitre une régression technologique, revenant par exemple aux pigeons pour communiquer. Il suffit d’imaginer une vie sans transports, sans télévision, sans aucune innovation telle que nous la connaissons aujourd’hui. L’histoire va tourner aux drames terriblement émouvants sur une cinquantaine d’années pour aboutir à une conclusion emplie d’humanisme et de cri au secours envers la souffrance de la Terre. Un roman qu’il serait dommage de ne pas lire.

Goliat de Mehdi Brunet

Editeur : Taurnada

2019 : David Corvin se réveille devant sa bouteille d’alcool vide.

Septembre 2016 : Ancien agent du FBI, David s’est reconverti comme agent de sécurité à San José pour l’amour de sa femme Abigaël, qui en tant que scientifique spécialisée dans la chimie moléculaire. La prochaine mission d’Abigaël doit l’envoyer sur une plateforme pétrolière norvégienne, ce qui déclenche une grosse crise dans le couple. David décide de la suivre.

Octobre 2015 : Sur un chantier à San Francisco, le corps d’une femme est découvert mutilé  et exposé. L’inspecteur de police Curtis reçoit l’aide des agents du FBI Diaz et Munny. C’est le cinquième victime d’un tueur en série qu’ils pourchassent.

Juillet 2013 : Un Boeing 777 en provenance d’Incheon prévoit d’atterrir à San Francisco. Rowdy Yates se réjouit de retrouver sa femme Maggie, après un contrat juteux signé en Corée.

Juillet 2013 : Franck est un ancien soldat, marqué par ce qu’il a vécu en Irak. Il prend la route en direction de l’aéroport de San Francisco pour retrouver Jessica sa femme et Evelyne sa fille qui reviennent de Seoul par le vol du Boeing 777.

Juillet 2013 : Le Boeing 777 en provenance de Corée s’écrase à l’atterrissage.

Ce petit roman, par la taille, est véritablement une surprise pour moi et une véritable réussite. La construction, faite d’allers-retours entre présent et futur, passant d’un personnage à l’autre, d’un lieu géographique à l’autre, peut sembler compliquée. Il n’en est rien tant la maitrise en est impressionnante et les personnages parfaitement marqués et reconnaissables au premier paragraphe. Le fait que David Corvin soit le narrateur dans quelques chapitres rajoute à la tension et à notre envie de savoir comment cela va finir.

C’est de l’excellent divertissement, avec ce qu’il faut d’émotions, ce qu’il faut de mystères, quelques scènes morbides non explicites, et une tension qui monte jusqu’à un final fort réussi. Si l’identité du tueur est connue une centaine de pages avant la fin du roman, c’est pour mieux nous serrer entre ses serres pour savoir comment cela va se terminer. Les recettes à la fois du thriller et du roman policier sont respectées, avec une volonté de construction qui ajoute au mystère et à la tension nerveuse croissante. Le final, en pleine tempête est à la hauteur de l’attente, la conclusion noire comme il faut. Bref, ce roman est un très bon divertissement surprenant.

Oldies : Cinq femmes et demie de Francisco Gonzales Ledesma

Editeur : L’Atalante (2006) ; Points (2011)

En cette année 2020, nous allons fêter les 50 années d’existence de la collection Points, et les 40 ans de Points Policier. Cela faisait un bon bout de temps que je voulais découvrir Francisco Gonzales Ledesma et son personnage d’inspecteur récurrent Ricardo Méndez. Il aura fallu un cadeau de mon ami Jean le Belge pour que je me lance. Je peux vous dire qu’après cette lecture, je lirai toutes ses enquêtes.

L’auteur :

Francisco González Ledesma, né le 17 mars 1927 à Barcelone et mort le 2 mars 2015 à Barcelone, est un écrivain espagnol, auteur de nombreux romans policiers. Son personnage le plus célèbre, l’inspecteur Ricardo Méndez, apparaît pour la première fois dans Le Dossier Barcelone. La qualité et la force de ses romans lui ont valu les faveurs du public, la reconnaissance de ses pairs et de nombreux prix littéraires.

Né le 17 mars 1927 dans le quartier populaire de Poble Sec à Barcelone, c’est grâce à l’aide d’une tante qu’il étudie au collège, puis entreprend des études de droit qu’il finance avec des « petits boulots » et en écrivant des « pulps ». De 1951 à 1981, sous le pseudonyme de Silver Kane, Francisco González Ledesma écrit plus de mille westerns et romans d’aventures qu’il livre parfois au rythme de trois par mois. En parallèle, entre 1957 et 1965, il a recours au pseudonyme Rosa Alcázar pour faire paraître une vingtaine de romans d’amour. En 1948, son premier roman signé de son patronyme, Sombras viejas, est couronné par le Prix international du roman. Cependant, interdit trois fois, il ne sera jamais publié en Espagne.

Déçu par la profession d’avocat, il cherche une autre voie. L’assouplissement de la loi sur la presse lui permet de devenir journaliste en 1963, ce qui lui permet de « réaliser un vieux rêve d’enfance ». Il entre à La Vanguardia, dont il deviendra rédacteur en chef. Il y fonde un syndicat de journalistes clandestin auquel adhère un autre futur auteur de romans policiers, Manuel Vázquez Montalbán. Refusant d’écrire le moindre papier sur Franco pour ne pas trahir ses opinions, il devient un orfèvre dans l’art de rédiger les informations de façon défavorable au régime sans encourir les foudres de la censure.

La transition démocratique qui suit la mort du caudillo lui permet de faire publier un premier roman sous sa véritable identité : Los Napoleones. Cet ouvrage, écrit en 1967, n’avait jamais été présenté à la censure par l’éditeur, de peur de le voir interdit. Les années 1980 sont fécondes pour Francisco González Ledesma qui crée le personnage de l’inspecteur Ricardo Méndez dans Le Dossier Barcelone (Expediente Barcelona, 1983), suivi par sept titres dans le même cycle. Il publie également dix autres romans noirs. Il utilise à deux reprises le pseudonyme Enrique Moriel pour faire paraître des romans noirs.

Il reçoit la Creu de Sant Jordi en 2010.

Quatrième de couverture :

Palmira Canadell est morte violée puis assassinée par trois voyous. Et Méndez n’a reçu pour mission que d’assister à son enterrement. Il fera davantage en partant explorer les petits cafés, les rues étroites, les appartements et les cours intérieures où se cachent les secrets de Barcelone. Le sang coule dans la cité catalane, et des ombres y planent aussi.

Méndez observe que cinq femmes se réunissent dans un bar en vue d’un tournage publicitaire : certains trembleraient s’ils savaient la vérité. Tandis que, depuis la fenêtre de sa chambre, une autre femme découvre en son nouveau voisin un tueur chargé de l’assassiner.

« Voici l’histoire la plus intime de Méndez, de ses vieilles solitudes et de ses rues qui n’ont l’air de conduire nulle part. C’est aussi l’histoire secrète de six femmes (peut-être cinq et demie seulement) que leur naissance destinait à n’être que des victimes, dévorées l’une après l’autre par les hommes riches de la ville. »

Mon avis :

Quelle personnage que ce Ricardo Méndez ! Relativement âgé mais refusant de prendre sa retraite, son chef le charge d’activités sans importance. Mais il s’intéresse aux affaires envers et contre tous, de façon non officielle. Il n’arrête pas non plus les truands ou assassins, s’arrangeant pour leur passer l’envie de franchir la ligne jaune. Mais c’est surtout un personnage à l’image de son pays, regrettant le passé illustre de l’Espagne, celle avant la dictature, regrettant la décrépitude de Barcelone, regrettant la modernité qui transforme les humains en machines sans sentiments.

Pour cela, il vit dans son quartier pauvreux et sale, et se retrouve avec une affaire dont il ne doit pas s’occuper : Une femme a été enlevée, violée et tabassée à mort. Son corps a été retrouvé dans un terrain vague. Pourtant, elle était du genre à ne pas se laisser faire. En parallèle, il se croit suivi par un tueur à gages, Reglan et se tient prêt à toute agression. Et puis, il y a cette femme qui raconte sa vie, poussée à la prostitution par sa mère … et puis il y a ces cinq femmes qui se préparent à un tournage publicitaire …

Roman foisonnant, roman déstructuré, roman baroque, le ton y est des plus originaux mais aussi parfaitement cohérent, à la fois par le sujet, le décor et le personnage de Ricardo Méndez. On n’y est jamais perdu, et même, on s’attache à tous ces personnages rencontrés, tous ces lieux visités. Le Barcelone que l’on parcourt est loin du faste de Las Remblas, les trottoirs sont sales, les nuits glauques, et Ledesma nous partage son amour de ces immeubles populaires, de ces quartiers humains.

Et puis, il y a ce sujet terrible, ces scènes d’une dureté et d’une ignominie infâme : ces femmes tour à tour insultées, maltraitées, battues, violées, voire tuées par des hommes riches, dont l’impunité fait monter la rage, la colère et l’envie de tout balayer d’un coup de balayette. La plume de Francisco Gonzales Ledesma a cette puissance unique pour faire passer ce message et il montre que malgré les années qui passent, rien ne change jamais, la société s’enfonce de plus en plus dans l’ignominie. Et ces femmes représentent une belle allégorie de la ville de Barcelone, qui s’est laissée séduire par l’argent et a laissé son peuple perdre son espoir au profit du capitalisme, quand la corruption et l’impunité sont élevées au rang de nouvelle religion. Un roman toujours d’actualité, hélas.