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Le livre de l’Una de Faruk Šehić

Editeur : Agullo

Traducteur :

Sur Facebook, Sébastien Wespiser avait annoncé son énorme coup de cœur pour ce roman qu’il a publié en annonçant être persuadé de son échec commercial. Je l’ai donc acheté et lu, dévoré, et j’en parle.

Un vétéran de la guerre ayant combattu dans l’armée de Bosnie-Herzégovine se réveille dans une ville inconnue et calme, loin du tumulte des combats. Il perd ses repères dans ce monde, dans son présent, dans son passé. Alors qu’il déambule à proximité d’une fête foraine, il rencontre un fakir qui lui propose une séance d’hypnose. Comme s’il se retrouvait séparé de son corps, il plonge dans son passé.

Il se rappelle son enfance, sur les bords de l’Una, une rivière de Croatie, à l’ouest de la Bosnie. Il se rappelle la nature calme, accueillante, la flore cotonneuse, la faune passionnante, et le bruit apaisant de l’eau qui s’écoule. Il se rappelle la maison de sa grand-mère, en bordure de l’Una, et cette aura magique qu’il a conservée dans ses souvenirs. Il se rappelle tout ce qu’elle lui a appris, tout ce que la nature lui a apporté.

Et puis, vers la fin du roman, bien qu’il s’en défende, il aborde la guerre, dans ce qu’elle a de plus cruel, de plus violent, de plus horrible. Il doute même qu’il y ait participé, il pense qu’il s’agit de Gargan, son autre moi, son double maléfique, son ennemi, celui qui a perpétré tant de meurtres, pour se défendre certes, mais ces actes restent des horreurs, qui font tant de bruit dans sa tête.

Pour paraphraser certains collègues qui parlent de romans « différents », ce roman se mérite, nécessite qu’on lui consacre un peu de temps pour bien profiter de l’ambiance qu’il évoque. Le premier chapitre à cet égard brouille les pistes et nous montre un narrateur perdu dans le brouillard ne sachant ni où il est ni qui il est. Jusqu’à ce qu’il rencontre cette roulotte et ce fakir étrangement pénétrant.

L’auteur étant avant tout un poète, ce roman s’approche plus d’une poésie en prose que d’un roman introspectif. Le narrateur va immédiatement revenir dans un environnement lui apportant calme et réconfort. Il va nous décrire la faune et la flore qu’il a examinées et appris en utilisant des images d’une beauté rare. Les passages nous narrant sa vie avec sa grand-mère jouent la carte de la tendresse et de l’humour, voire le fantastique quand la maison est emmenée par les eaux de la crue.

Puis arrive l’horreur, même s’il recule sans arrêt le moment de l’aborder. Et pourtant, la guerre déboule et un jeune homme comme lui, élevé dans la douceur de la nature. Même l’Una, si pure, immaculée, va être touchée et le narrateur profondément choqué dans ses valeurs. Obligé de subir des horreurs, d’en commettre aussi, il va nous livrer ses fractures et l’impact sur sa vie.

Opposant la Nature à l’Humanité, la Vie à la Mort, ce roman joue sur toutes les partitions, entre poésie et philosophie, entre roman sur la nature et roman de guerre. Ce roman regorge de passage d’une beauté irrésistible, atteignant des sommets que l’on accoste rarement, même si certains passages sont difficilement appréhendables et nécessitent une lecture plus attentive. Assurément, ce roman de Faruk Šehić est un roman à part à apprécier au calme.

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On était des loups de Sandrine Collette

Editeur : Jean-Claude Lattès

Depuis Des nœuds d’acier, son premier roman, Sandrine Collette fait partie des auteures dont je lis tous les romans. Même si les histoires sont différentes les unes des autres, on retrouve des thématiques communes, ici la famille et l’errance, dans un roman fortement émotionnel.

Depuis qu’il est parti de chez ses parents, Liam habite aux abords d’une forêt, loin de toute civilisation. Il vit de sa chasse, de sa culture et se fait ravitailler une fois par mois par Mike, un ami qui a un hydravion. Il a rencontré Ava à la ville lors d’un de ses voyages et elle a accepté de le suivre. Puis Ava a voulu un enfant et Aru est né dans cette nature sauvage, peuplée d’ours et de loups.

Alors qu’il revient de la chasse, il sent que l’atmosphère a changé. Même s’il ne ressent pas de sentiments particuliers pour Aru, ce dernier ne court pas le rejoindre comme d’habitude. En faisant le tour de la maison, il voit Ava allongée. Il se rend vite compte qu’elle a été attaquée par un ours et rend son dernier soupir dans ses bras, dès que Liam a trouvé Aru caché sous sa femme.

Liam ne peut se résoudre de vivre dans ces conditions extrêmes avec un enfant de cinq ans. Il décide donc de se rendre à dos de chevaux chez son oncle et sa tante pour leur confier l’enfant. Le père et le fils vont entamer un long voyage dans un nature hostile, lui donnant l’occasion de se pencher sur les liens qui les unissent.

On peut avoir l’impression d’avoir lu ce genre d’histoire, et on peut penser chez Sandrine Collette à Juste après la vague ou chez Cormac McCarthy avec La Route (D’ailleurs, où est-ce que j’ai bien pu le ranger, celui-là ?). Elle choisit donc de s’approprier un thème connu, voire rabâché et y applique sa patte, de façon impressionnante tant l’immersion et l émotion transpirent de chaque page.

Que l’on soit homme ou femme, père ou mère, on se retrouve immergé dans l’esprit de Liam. Narrateur de cette histoire, il nous partage, avec ses propres mots, ses actes, ses pensées et ses décisions même si elles vont nous surprendre, nous choquer, et heurter la morale qu’on nous a inculquée. Sauf que cette histoire se situe dans un monde dur, brutal, celui de la nature sauvage où la moindre faiblesse se termine bien souvent par la mort.

On ne trouvera donc pas de dialogue, ou très peu, Liam étant un taiseux et Aru un tout jeune enfant qui suit son père comme un poids mort. Attendez vous à être surpris, tant par ce que fait Liam que par les scènes d’une dureté impitoyable. Et si je réagis comme cela, cela prouve que j’ai totalement adhéré à cette histoire, et qu’à la fin, j’ai mouillé mes yeux, non pas parce que j’ai accepté cet homme, mais parce que je me suis retrouvé à sa place.

En tout juste deux cents pages, Sandrine Collette nous fait voyager dans un monde inconnu, dans une nature sans pitié, peuplée d’êtres perdus, isolés, survivants. Il n’en faut pas plus pour qu’une auteure au talent immense nous fasse croire à une histoire incroyable, à deux personnages incroyables. Et le fait d’avoir sorti ce roman au moment de la rentrée littéraire d’automne laisse augurer une pluie de récompenses à venir, ce qui ne serait que justice.

Les gens des collines de Chris Offutt

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons-Reumaux

Chris Offutt publie trop rarement des romans, et cela attire forcément l’œil du fan de polar quand il aperçoit un de ses titres. Etant écrivain pour des séries télévisées, on comprend que son emploi du temps soit chargé. Mais quand on lit ses romans, on regrette qu’il n’en sorte pas plus souvent.

Mick Hardin est de retour dans son village du Kentucky. En tant que militaire de carrière, il a arpenté le monde dans tous les endroits ensanglantés du monde (Afghanistan, Irak, …) et travaille actuellement dans la Police Militaire. Alors qu’on lui accorde une permission, son retour va lui permettre de voir Peggy sa femme enceinte et de ressouder son couple qui bat de l’aile à cause de ses absences.

Sa sœur, Linda Hardin, a récupéré le poste de shérif après la mort du précédent titulaire du poste. Dans des contrées rurales, il est bien difficile de se faire une place lorsqu’on est une femme. Mais Linda n’est pas du genre à se laisser faire.

Quand un vieil homme retraité, qui a l’habitude de partir à la recherche de racines de ginseng, retrouve le corps d’une jeune femme en bas d’une falaise, Le corps ne comporte pas de culotte, ce qui ouvre toutes les possibilités quant au mobile du meurtre. Linda va faire appel à son frère pour qu’il l’aide, car de toute évidence, beaucoup de gens connaissent l’identité du meurtrier et veulent faire leur justice eux-mêmes.

Cette intrigue simple permet à l’auteur de faire de formidables portraits des habitants des campagnes américaines. Mick et Linda vont surtout nous servir de guide pour rencontrer des gens mutiques, plus occupés à protéger leurs affaires et leurs terres qu’à aider les autres. Chris Offutt ne juge jamais personne, il déroule son intrigue, et nous montre ce que sont les vrais américains du cru et de ses problèmes culturels. J’en veux pour exemple l’accueil fait à Mick quand il approche d’une masure, accueilli par un homme armé d’un fusil.

Chris Offutt en profite aussi pour montrer le clivage de cette société, le fossé se creusant entre les pauvres et les riches, les hommes de pouvoir (qui peuvent convoquer le FBI pour une affaire locale, juste par un coup de fil) et le commun des mortels qui doivent se débrouiller. Dans une région calme en apparence, il oppose en permanence la nature calme et sereine à la violence des hommes. Car avec cette affaire, se cache aussi les élections de shérif et tout le monde aimerait que Linda les perde, parce qu’elle est une femme.

Chris Offutt développe tous ces thèmes avec un style simplifié, limpide, en y ajoutant des traits d’humour dans les dialogues. Mais surtout, il ressort de cette lecture un plaisir immense devant l’évidence de la narration. Chaque phrase, chaque événement paraissent évidents, minimalistes et pourtant si expressifs. Un excellent roman, un polar exemplaire de la part d’un auteur qui fait montre d’un sacré savoir-faire. Du grand art !

Jusqu’ici tout va mal de Pascal Dessaint

Editeur : La Déviation

Le titre du recueil donne le ton pessimiste des nouvelles et propose non pas une alternative à la morosité actuelle mais plutôt un regard différent sur notre monde, entre réalisme, lucidité devant la course au profit et nécessité de prendre exemple sur la nature, toute en sérénité. Ces dix-sept nouvelles que nous offre Pascal Dessaint ressemblent à des cartes postales, des saynètes de tous les jours, des morceaux de vie, balayant des thèmes aussi divers que la solitude, la morosité, la perte de l’espoir, l’amour, l’humour, les relations humaines et la nature qu’il faut protéger, sauver. Elles ne dépassent que rarement les quatre pages mais sont suffisantes pour nous présenter un ou des personnages et marteler un message.

Certains thèmes reviennent dans plusieurs nouvelles, en particulier la difficulté de vivre ensemble et la recherche de l’amour, comme dans Une érection rassurante (Suzanne, allongée à coté de l’homme, se sent bien au milieu de ses livres, et de ce membre vigoureux), ou La corneille rôde toujours (Nathan est couché à coté d’Elodie, et pourtant, il rêve qu’elle part avec le bucheron. Et la corneille les attend dehors).

L’autre thème omniprésent est évidemment la nature et l’auteur nous démontre de grande façon son amour pour la faune et la flore tout en déplorant et dénonçant la faculté qu’a l’homme à s’évertuer à détruire son environnement. Ainsi dans Le papillon orangé, Marc poursuit un papillon lors d’une promenade en montagne et se dit, en repensant au monde, mené par les grands du CAC 40, qu’il a bien raison.

Les méfaits de l’homme et ses conséquences sont bien présents plusieurs fois, dans La passion des chauves-souris (Germain accoudé à sa balustrade observe sa voisine faire l’amour et pense à la chauve-souris européenne qui a décimé ses cousines américaines), dans Lettre à un vieux naturaliste (Un amoureux de la nature montre son désespoir devant le pouvoir de destruction de l’homme), Le seau bleu (son voisin vient de lui apporter un seau d’écrevisses de Louisiane et Antoine ne se sent pas de les manger), ou même Pour des pommes (Simon se balade en bord de rivière quand il entend un homme abattre un pommier).

Il est même étonnant voire amusant de trouver dans certaines d’entre elles de l’humour, Une pêche prometteuse (Marion est chargée de récupérer un caïman en compagnie de deux pompiers Timothée et Maxence et se demande avec lequel elle va finir la nuit), et Une belle victoire (Francis aime en découdre et entre dans un bar qui retransmet un match de football) ou même Connaitre un poète (Luc vient de se faire larguer et raconte à son ami le poème qu’il lui a écrit).

On retrouve dans ces morceaux de vie de nombreux passages sur des gens solitaires en quête de l’amour comme dans Les mains parlent parfois plus que les lèvres (Yvette vient de quitter sa maison, sonnée et entre dans un bar musical où elle va rencontrer un homme), Le désir de Juliette (Le plaisir de Juliette se résume à la rencontre avec des inconnus) ou Elle pensait (Son plaisir est de faire l’amour à des inconnus avec le consentement de son mari).

Il ressort de ce recueil un ton moins de désespoir que de désabusement face à la direction que prend ce monde. Le ton est noir dans Les arbres font guérir plus vite (Laurent rend visite à Ghislain, allongé sur son lit d’hôpital. Ghislain, pour son dernier voyage, veut juste voir les arbres), révolté dans Jusqu’ici tout va mal (Gaëtan, pris de peur, s’est jeté hors du lit pour prendre son fusil et tirer par la fenêtre. Depuis, les gendarmes tiennent le siège) et sans concession dans La bernache et le faucon (Sylvain pense au faucon pèlerin qui fond sur une bernache sans arriver à la tuer) où Pascal Dessaint nous assène l’affirmation suivante :  « La nature sans l’humain serait magnifique ».

Je lis rarement un recueil de nouvelles d’une traite, préférant piocher au hasard, ce qui n’est pas le cas ici. J’ai adoré la puissance du discours, l’apparente simplicité de la plume toute en finesse expressive, et la force émotionnelle qui ressort de ces lignes. On y trouve dans ce décor désespéré une lueur d’espoir comme dans Le zizi chante le soir (Tom, en observant les oiseaux, se rend compte que l’espoir réside dans la nature). Vivre ensemble et respecter la nature sont les messages forts de ce recueil parfait.

Dans la gueule de l’ours de James A. McLaughlin

Editeur : Rue de l’Echiquier

Traducteur : Brice Matthieussent

Quand j’ai lu la quatrième de couverture de ce roman, je me suis dit qu’il fallait que je le lise. Parce que cela parle de la nature, de la relation de l’Homme avec elle. Parce que c’est un premier roman. Et c’est un superbe roman, beau et profond.

Rice Moore, après un passage par la case prison, a réussi à décrocher un poste de garde forestier dans une réserve animale proche de Turk Mountain, dans les Appalaches. Ce matin-là, il se retrouve aux prises avec un essaim d’abeilles qui s’est installé dans les murs d’un des bâtiments qu’il doit entretenir. Sans équipement particulier, il arrive tant bien que mal à s’en sortir au prix de quelques piqûres mais arrive à mettre l’essaim à nu.

Alors qu’il est en train de se nettoyer après ce combat numériquement inégal, un homme vient le voir et lui demande de le suivre. Alors qu’il était en train de ramasser des champignons, il a découvert le corps d’un ours massacré : le corps a été ouvert et on a coupé les pattes. Rice a d’abord cru que c’était le corps d’une femme. Rice se renseigne et apprend que la vésicule des ours est prélevée et vendue aux asiatiques car elle entre dans la confection de médicaments.

Rice décide donc d’enquêter pour savoir qui massacre les ours, malgré les risques pour lui. Entre les chasseurs et les braconniers, les animaux dangereux et les trafiquants de drogues du coin, Rice doit faire très attention. D’autant qu’il a caché un pan de son passé. Quand il rencontre sa prédécesseuse, Sara Birkeland, il apprend que les braconniers l’ont enlevée, tabassée et violée, ce qui a entraîné sa démission. Indubitablement, il a atterri dans un coin de sauvages.

On peut lire sur la quatrième de couverture : « Dans la gueule de l’ours » a été classé par le New York Times comme l’un des dix meilleurs « Crime Fiction » de l’année 2018 et a reçu le prix Edgar Allan Poe 2019 du premier roman. Si je préfère me faire ma propre opinion et accorde peu d’importance à ce genre de compliments, je ne peux que plussoyer après avoir dévoré ce premier roman.

Ce roman déborde de qualités, à commencer par son écriture, à la fois fluide et détaillée, respectueuse et passionnée, profonde, belle et introvertie, avec très peu de dialogues. Ceux qui cherchent des romans rapides au style haché et efficace devront passer leur chemin. Les adeptes de belle littérature, eux, vont être comblés. Il y a des descriptions d’une beauté fascinante, il transpire de ces phrases une admiration pour la nature ; on y lit dans ces chapitres toute la passion de l’auteur pour la défense de la nature.

Et il y a aussi une histoire, et quelle histoire ! Rice Moore est un ancien délinquant, mais on ne va découvrir que petit à petit son passé, et ses exactions avec sa partenaire Apryl. Et on ressent une menace planante au-dessus de la tête de Rice, de la même façon que la nature qui est décrite peut s’avérer mystérieuse, étrange, pleine d’une aura impénétrable, réservée à ceux qu’elle accepte. Ce qui fait planer au dessus de ces pages une tension sourde, toujours cachée derrière les mots.

Outre ses qualités littéraires, c’est un roman qui pose la question de la place de l’Homme sur Terre, au milieu de la nature. Et on se demande qui de l’Homme ou de la Nature est le plus dangereux. Ceci dit, l’Homme détruit tout ce qu’on lui offre, car il est incapable de savourer les cadeaux. C’est un fantastique et magnifique premier roman, qui rend hommage à la nature, un roman de passionné, incroyablement maîtrisé autant dans la forme que dans le fond, un beau moment de littérature qu’il ne faut pas rater.

J’aimerais ajouter un dernier mot : Le travail du traducteur a été remarquable, car jamais je n’ai ressenti de faute. Au contraire, j’ai l’impression qu’il s’est mis au diapason avec la plume de l’auteur. Chapeau !

 

Maître des eaux de Patrick Coudreau

Editeur : Manufacture de livres

Je commence l’année 2020 par un premier roman sorti dès le début de l’année dans une maison d’édition que j’aime beaucoup. Connue pour les romans de Frank Bouysse, la Manufacture de Livres nous offre un roman dont l’univers est proche de son auteur phare.

A Brissole, petit village français, il ne fait pas bon être étranger, entendez ne pas être né dans le village. Les Grewicz ont débarqué au village, ont construit une ferme, se sont mis à élever des moutons. Et ils ne se sont jamais intégrés aux gens du village. D’un autre coté, les Brissoliens ne voulaient pas d’eux. Pas étonnant qu’il leur soit arrivé un malheur, un grand malheur.

Plusieurs années après, Mathias Grewicz revient à Brissole. Et les surnoms renaissent sur les lèvres des villageois, avides de protéger leur vie. « Grevisse », « Ecrevisse » sont les termes hurlés par la horde qui poursuit Mathias dans les forêts alentour. « On aura ta peau ! ». Quand on a un nom bizarre, on a forcément des choses à cacher ! Les chasseurs ont aperçu une ombre, ils ont tiré et ont touché Mathias au bras. Mathias va trouver refuge dans une grotte et préparer sa vengeance.

Mais il est bien surpris quand il est rejoint par une petite fille. Elle dit s’appeler Elia, être la belle-fille du maire, Preret. Elle sait combien c’est un salaud, ce Preret, elle sait bien qu’il frappe sa mère. Alors, elle est prête à l’aider, en lui apportant des médicaments et de la nourriture.

Pour son premier roman, Patrick Coudreau fait preuve d’une belle maîtrise dans sa façon de mener son intrigue, et nous offre un roman que beaucoup d’auteurs américains de la vague « Nature writing » ne nieraient pas. C’est une course poursuite entre des chasseurs et leur proie au milieu d’une nature apaisée dont les éléments ne demandent qu’à se déchaîner.

Alternant les points de vue entre Mathias et les habitants du village, il fait avancer son histoire tranquillement, faisant intervenir la petite Elia, la belle-fille du maire et qui est probablement la seule personne sensée de ce roman. Roman de personnages plus que roman de nature, il démontre de façon éloquente la folie des hommes face à la puissance tranquille de la nature.

C’est aussi un roman qui montre la bêtise violente des hommes face à l’inconnu, la peur des autres et les boucs émissaires qui sont victimes des imbéciles, comme toujours. Et ce que je retiendrai, c’est la bonne adéquation entre l’histoire, le style et la longueur du roman qui fait qu’on le lit d’une traite, sans s’arrêter. Et après avoir tourné la dernière page, je me suis dit que j’avais éprouvé le même plaisir que quand j’avais découvert Franck Bouysse, avec Grossir le ciel. C’est un signe.

Le poids du monde de David Joy

Editeur : Sonatine

Traducteur : Fabrice Pointeau

Avec Là où les lumières se perdent, son premier roman, David Joy faisait une entrée fracassante dans le monde du roman noir rural américain, plus par son style très expressif que par son sujet. Avec Le poids du monde, son deuxième roman, il persiste et confirme tout le bien que l’on pouvait en attendre.

Little Canada, petite ville perdue dans les Appalaches. Thad et Aiden n’ont jamais eu la vie facile, et c’est probablement la raison pour laquelle ils sont devenus amis pour la vie, des sortes de frères de sang. Aiden a vu son père tuer sa mère, puis retourner l’arme contre lui. Devenu orphelin, il aurait du être pris en charge par l’Assistance Publique. Il a fallu toute l’obstination d’Alice, la mère de Thad, pour qu’Aiden soit adopté par Alice.

Des années ont passé. Thad et Aiden habitent un mobil-home misérable, échoué juste devant la maison d’Alice. Thad va s’engager dans l’armée, pour combattre en Afghanistan. Aiden se fera coincer par la police pour un sachet d’herbe et restera au pays. Un jour qu’Aiden répare une tuyauterie dans la maison, il devient l’amant de son meilleur ami. Si cela ne change rien dans la relation des deux amis, cette relation fait patienter Alice dans son envie de partir loin de ce coin pourri.

Au retour de Thad, les deux amis luttent tous les jours pour leur survie, en faisant de petits boulots ou en volant des broutilles qu’ils revendent ensuite. La crise de l’immobilier va leur permettre de récupérer le cuivre et profiter d’une manne financière inespérée. Aiden va pouvoir se procurer de l’alcool et Thad de la drogue, à laquelle il s’adonne depuis son retour de la guerre. Mais quand ils vont chez le dealer local pour acheter leurs doses, un événement dramatique va déclencher leur descente aux enfers …

A l’instar de son premier roman, Là où les lumières se perdent, David Joy prend comme décor les campagnes américaines, et comme personnages des désœuvrés, des délaissés du rêve américain. Il nous les présentent comme des hérissons écrasés sur le bord d’une autoroute, et personne ne s’arrête pour leur prêter main forte, rien n’est prévu pour leur tendre la main. Thad et Aiden n’ont pas perdu leurs illusions envers le système américain, dans le sens où ils ne sont jamais entrés dedans.

On ne peut s’empêcher d’y voir, non pas une dénonciation, mais une volonté de coller à une vérité, un état de fait sur la façon dont est gérée la société américaine. On peut aussi y voir une leçon, à la morale facile à mon gout, qui est qu’il suffit de sortir du droit chemin une fois pour subir toute sa vie les conséquences. Il n’empêche que Thad et Aiden entrent tous les deux dans cette catégorie : volontairement ou non, ils subissent leur vie de misère, soit pour des raisons familiales, soit pour des raisons d’honneur national. Dans les deux cas, nos deux amis d’enfance ne font rien pour sortir de leur fange, et on ne leur donne pas non plus de deuxième chance.

Il n’empêche que je n’ai pu m’empêcher d’y voir une bien belle illustration sur le bien et le mal, sur le fait que le mal est créé par l’Homme alors que la nature est innocente et d’une beauté infinie. Il n’y a qu’à lire les nombreux passages où l’auteur nous décrit la beauté de la forêt, ou le chant des oiseaux, avant de nous plonger dans une scène d’une noirceur brute. On peut aussi, au fur et à mesure du roman, y voir une déclinaison de la difficulté des choix et comment assumer leurs conséquences. Et cela ne marcherait pas sans la fantastique finesse de la plume de David Joy.

Avec ses descriptions détaillées mais toujours bien trouvées, il arrive à entrer dans l’intimité des personnages et imaginer leurs réactions de façon tout à fait humaines face à des événements qui les dépassent. Cette écriture en devient tellement évidente qu’elle en devient belle dans son déroulement dramatique, et devient d’autant plus violente que l’on s’est habitué à un rythme lancinant et lent. Et quand on arrive au dernier chapitre, on pense avoir fait subir à Alice, Thad et Aiden tout ce qui était humainement supportable, mais c’était sans compter un dernier chapitre extraordinaire. Avec ce deuxième roman, David Joy fait fort, plus fort que son précédent, et entre avec son style bien à lui, dans la liste des auteurs américains à suivre, car il a encore plein de choses à nous raconter.

Un dernier petit mot : Le titre anglais étant The weight of this world, je trouve dommage de l’avoir traduit par Le poids du monde et non pas Le poids de ce monde, qui collait mieux au roman. Sinon, je titre mon chapeau au traducteur qui a su rendre hommage à l’écriture imagée de David Joy.

Les arbres, en hiver de Patrick Eris

Editeur : Wartberg

Depuis le temps que je vois passer le nom de cet auteur, il fallait bien que j’essaie un de ses romans. Et bien m’en a pris. Outre l’écriture qui est simple mais tout simplement belle, il y a une certaine liberté dans le ton, dans la façon de mener l’intrigue, qui font de ce roman une superbe découverte pour moi.

Dès l’age de 7 ans, il a fugué pendant une semaine complète, pour se retrouver en tête à tête avec la nature. Le narrateur n’a jamais oublié cette semaine de rêve et de liberté et la nature le lui a bien rendu, tant elle semble lui parler, le guider dans sa vie de tous les jours. Il est devenu gendarme à Clairvaux-les-Lacs.

Ils y sont quatre, ou plutôt ils y étaient quatre : Garonne, Caro et Serge en plus du narrateur. Il les appelle le Scooby gang. Depuis que Garonne a pris sa retraite, le Scooby gang a perdu un de ses membres, non remplacé, faute de budget. Malgré cela, l’ambiance reste bonne ; en tous cas, le narrateur fait tout pour qu’elle le reste.

Une famille, massacrée au couteau a été découverte dans une ferme isolée. Les corps ont été placés dans la cuisine, comme un simulacre de repas familial. Pour des gendarmes, peu habitués à ce genre de meurtres, c’est le choc. Personne ne va s’intéresser à ce massacre, et ils ne savent comment faire. En cherchant un peu, ils découvrent qu’une autre famille a été tuée pas loin du coté de Saint Claude. De là à imaginer qu’un tueur en série rôde, il n’y a qu’un pas que personne n’est prêt à croire.

A chaque fois que j’ouvre un roman de chez Wartberg, la première chose que je me dis, c’est que c’est remarquablement écrit. Le style est clair, explicite et plaisant à suivre. Et du coup, la deuxième chose que j’ai remarqué, c’est que chaque auteur a son style bien à lui, sa « patte ». Tout cela pour dire que les auteurs ont gardé leur identité et que le choix de cette maison d’édition est très pointu. Bref, ça me plait !

Et ce roman est formidable. J’en prends pour exemple cette façon de nous faire entrer dans le personnage, cette psychologie à la fois subtile et pointue de nous montrer un homme attaché à sa région et qui s’obstine à trouver la solution sans en connaitre les méthodes. Comme le narrateur, la région est abandonnée, personne ne s’intéresse à ce coin perdu et, évidemment, personne ne peut imaginer qu’un tueur en série sévisse dans nos campagnes !

C’est aussi un des gros points forts de ce roman : Il montre gentiment des aspects sans revendiquer mais en disant les choses clairement. Il y a les coupes budgétaires qui hantent le début du roman, puis les décisions arbitraires qui laissent esseulés des gendarmes qui n’ont aucune idée de comment mener une enquête. Enfin, il y a ce jeu de téléréalité qui passionne tous les habitants, alors qu’ils feraient mieux de s’intéresser à leurs voisins. C’est vrai que la vie semble plus belle derrière un écran plat mais le narrateur nous montre que la nature est plus grande, plus belle parce qu’en trois dimensions, voire quatre si l’on compte les voix qu’il entend.

Ce roman m’a charmé, m’a enchanté, avec son personnage si bien dessiné et son intrigue si surprenante. Car, comment résout-on une affaire de meurtre ? Comment fait-on pour communiquer avec des gens obnubilés par leur télévision ? Nul doute que je vais bientôt lire un roman de Patrick Eris, tant celui m’a émerveillé en toute simplicité.

Ne ratez pas les avis des amis Claude et l’Oncle Paul

Le chant de la Tamassee de Ron Rash

Editeur : Seuil

Traduction : Isabelle Reinharez

J’adore Ron Rash, depuis son premier roman (sorti aux Editions du Masque, si je ne m’abuse). Donc, tout naturellement, vous trouverez mes avis sur ses romans :

            Un pied au paradis

            Le Monde à l’endroit

            Serena

            Une terre d’ombre

Le chant de la Tamassee est le deuxième roman de Ron Rash.

C’est par un événement dramatique que commence ce roman. Les Kowalsky, une famille aisée, sont venus pique-niquer sur les bords de la Tamassee, une rivière large restée sauvage, avec beaucoup de courant. Ruth Kowalsky, agée de 12 ans, se dit que ce serait bien de mettre le pied sur 2 états différents, et décide de traverser à pied la Tamassee. Entrainée par le courant, elle se noir et son corps se retrouve coincé juste avant une chute d’eau.

Maggie Glenn, qui raconte cette histoire, est journaliste photographe pour un journal de Caroline du Sud. Elle a quitté son village pour rejoindre la ville comme tant de jeunes filles. Quand son journal veut couvrir la dramatique noyade, c’est naturellement à elle que l’on pense, puisque c’est une enfant du cru. Elle couvrira donc cet événement avec son collègue journaliste et star Allen Hemphill.

Maggie retrouve donc des gens qu’elle connait, qu’ils soient de la famille ou de simples connaissances, dont Luke Miller, son amour de jeunesse. Ce dernier, d’ailleurs, s’est battu pour faire protéger la Tamassee par le Wild & Scenic River Act. Rien ne peut être fait pour récupérer le corps de Ruth Kowalsky. Mais le père de celle-ci, espère bien obtenir une autorisation des habitants du coin, au nom de la pitié et du repos de l’âme de sa fille, pour faire installer un barrage provisoire, le temps d’une journée.

Ron Rash va donc nous montrer cette bataille entre deux clans : les Kowalsky voulant faire enterrer leur fille, et les habitants du coin qui veulent protéger ce petit coin de paradis, cette rivière incroyable qui leur permet de profiter des bienfaits du tourisme. En tant que tel, c’est déjà un sujet de roman à lui tout seul et il n’y a qu’à voir (enfin, lire) la scène où Kowalsky défend sa cause, accompagné du technicien qui construit ce type de barrage. Il n’y a qu’à ressentir les inimitiés entre les habitants du village, qui ne roulent pas sur l’or et Kowalsky, désespéré, mais qui peut se payer à lui tout seul le cout de ce barrage. On y retrouve, montré de la façon la plus intelligente qui soit, l’éternelle lutte des classes.

Et puis, viennent ensuite les vautours … car dans tout malheur, juste derrière le décor, on retrouve les profiteurs. Ils eussent pu être les fossoyeurs, ou même le constructeur de barrage amovible. On les retrouvera finalement sous les traits de promoteurs immobiliers, qui pensent que si l’on enfreint la loi une fois pour détourner le cours de la Tamassee, alors on pourra par la suite autoriser la construction d’immeubles à destination des touristes.

Ensuite, s’il n’y avait pas un personnage fort, cela pourrait paraitre un roman commun, classique. Vers le milieu du livre, on découvre l’histoire familiale de Maggie, alors que l’on ne s’y attendait pas du tout. Et je dois vous dire que cette histoire dévole un deuxième drame humain, sans effets, mais avec toute l’horreur que peut nous réserver la vie de tous les jours. C’est tout simplement du grand art.

Enfin, il y a le style de Ron Rash, si simple et si beau. Il a une capacité à vous montrer les choses, à nous faire voir la nature, les arbres, à nous faire entendre le bruit assourdissant de la chute d’eau. Et puis, la thématique prend toute son ampleur à la fin du roman : L’Homme est finalement opposé à la Nature. La Nature est si forte, l’Homme si faible. La Nature est si belle, l’Homme si laid. La Nature est si calme, l’Homme est si fou. Remarquable !

Clouer l’ouest de Séverine Chevalier (Manufacture de livres)

Hasard des programmations, ce roman vient de se voir attribuer le Prix Calibre 47 2016.

Il est vrai que, quand on a lu Grossir le ciel de Franck Bouysse, on a forcément envie de lire d’autres livres de cette collection Territori, mariage entre la Manufacture de livres et les éditions Ecorce. Lire ce roman, c’est comme se laisser happer par des paysages, ce livre comporte des pages incroyables, inoubliables. Ce livre est porté par une plume poétique rare, un joyau pur, sans taches (de sang).

L’histoire se déroule sur le plateau des mille vaches. Karl est parti, probablement pour voir la mer. Il revient quelques années plus tard dans son village, ou plutôt devrais-je dire dans sa famille. Rien n’a changé : tout est resté comme avant. Il retrouve sa mère, ses frères, ses amis. Il retrouve surtout sa fille Angèle, cinq ans, qui ne parle pas. Comme si elle voulait taire des secrets. Mais tous en ont.

Karl a la maladie du jeu, il est revenu chercher de l’argent pour payer ses dettes. Karl sait à qui il va demander cela. Il revient dans un endroit où les gens n’ont pas bougé. Les habitants n’ont pas bougé, enracinés dans leur vie comme le sont les grands arbres de la forêt. Karl débarque dans un endroit de non-dit. Personne ne parle, tout le monde voit. A chaque visite, à chaque endroit visité, Karl se rappelle sa jeunesse, avant le drame, ses quatre cent coups avec Serge et Pierre …

Et puis, il y a ce vieux sanglier qui arpente la région, cette bête noire que personne n’a vu, que tout le monde a cru voir, que tout le monde chasse, que tout le monde souhaiterait tuer. Ce vieux sanglier n’est-il pas aussi une image de leur vie ? Un mirage vers un ailleurs ?

Dans ce roman, Séverine Chevalier se lâche. On ressent la passion qui a poussé l’auteure à écrire cette histoire. D’une construction pas forcément linéaire, avec des chapitres flashbacks qui évoquent le jeunesse de Karl, l’histoire (plus que l’intrigue) avance, au rythme du vent qui balaie les plaines. Tous les personnages se retrouvent coincés dans une région hostile, au milieu d’une nature qui observe et qui menace.

Tous les personnages n’ont pas d’avenir, aucun espoir. Tous pensaient que Karl était parti pour vivre une vie de lumières, Il est revenu comme avant, sans son morceau d’oreille que son pote lui a arraché. Il y règne une sorte de tension, comme quand on entre dans un clan et que tout le monde vous regarde. Sauf que tous scrutent la terre, celle qui ne leur donne plus rien et qui les retient.

Séverine Chevalier accumule les scènes dans des chapitres courts comme on regarde des images collées dans un album photo. Et chaque mot, chaque phrase veut dire quelque chose. L’auteure atteint avec ce roman la quintessence du minimalisme, atteignant des sommets de poésie, remplissant le lecteur d’images, de sons, d’odeurs tous plus justes et plus beaux les uns que les autres. Cela donne un roman à la fois original et beau, d’une beauté silencieuse et triste. Impressionnant.

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