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Duel à Beyrouth de Mishka Ben-David

Editeur : Nouveau Monde

Traducteur : Eric Moreau

Une fois n’est pas coutume, nous allons nous pencher sur un roman d’espionnage, qui plus est situé à Beyrouth. J’en lis peu mais la référence à John Le Carré sur la quatrième de couverture a fini de me décider.

Gadi revient à Beyrouth, au cœur de Dahieh Janoubyé, dans le fief du Hezbollah. Cela fait déjà un an qu’en tant que chef d’unité, il était venu repérer Abou Khaled, en vue d’une opération d’élimination. Abou Khaled avait commandité un nouvel attentat sanglant et la décision a été prise de l’éliminer. Accompagné de son équipe, Gadi avait chargé Ronen de réaliser cette tâche. Tout était prévu, du transport jusqu’à l’assassinat en passant par l’extraction. Sauf qu’au moment de tirer, Ronen n’avait pas pressé la détente et deux hommes ont été blessés lors de la fusillade qui a suivi.

Il aura donc fallu une année pour que la commission d’enquête donne ses conclusions. Gadi s’en sort, non s’en être désigné responsable et Ronen est écarté de toute mission opérationnelle. Ce dernier ressent une bouffée d’amertume, en même temps qu’une forte injustice. Dans le groupe, tous pensent Ronen coupable. Malgré le fait qu’il reconnaisse Gadi comme son mentor, contre l’avis de sa femme Naamah, l’ancienne petite amie de gadi, Ronen décide de retourner à Beyrouth réaliser sa mission envers et contre tous. Gadi se sentant responsable, va suivre ses traces pour l’empêcher de faire une nouvelle erreur.

Ce roman ne cache pas sa volonté de construire un roman d’espionnage costaud. L’auteur, ancien du Mossad, met beaucoup d’application, à la fois dans la réalisation d’une mission mais aussi dans la hiérarchie et les arcanes de décision. Il met un soin tout particulier pour décrire à la fois les réactions des personnages mais aussi leur motivation, en insistant sur l’extrême méticulosité dans la préparation, l’interdiction de toute improvisation, et le respect et l’obéissance qui y règne.

Plus on monte dans la hiérarchie, plus les décisions se font au plus haut sommet de l’état, et personne ne doit aller contre la voix suprême. On y voit aussi les communications faites officiellement à la presse et aux journalistes, des versions édulcorées de la réalité. Tout ceci donne un ton de vérité, de réalité dans cette intrigue dont le suspense va surtout résider dans la réussite de Gadi à arrêter Ronen.

Enfin, on y trouve une belle relation, presque filiale, entre les deux hommes. Qui va l’emporter entre la mentor Gadi et ce qu’il faut bien considérer comme un fils naturel ? On aura droit à plusieurs rencontres, mâtinées de suspense avec des scènes d’action fort réussies pour aboutir à une conclusion que j’ai trouvée sans surprise. Pour toute cette application que l’auteur a mise dans ses descriptions et sa construction des personnages, Mishka Ben-David ravira les fans de John Le Carré dont il ne cache pas sa filiation.

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Histoire universelle des Hommes-Chats de Josu Arteaga

Editeur : Nouveau Monde éditions

Traducteur : Pierre-Jean Bourgeat

Pourvu que l’on accepte la forme, que l’on connaisse l’histoire de l’Espagne, ce premier roman est une vraie surprise, probablement l’une des meilleures en cette année 2022. L’auteur nous présente une autopsie d’un village, une petite histoire dans les interlignes de la grande Histoire.

« A Olariz, nous comprenons la mort et la vie à notre façon. Tout nait, tout meurt. Ni plus ni moins. Et ce, depuis la première aube. Pour les humains ou les animaux. Sans distinction. La vie est la neige première. La mort est la neige piétinée. Les deux sont semblables. »

Le narrateur va donc nous raconter la vie de ce village renfermé sur lui-même, en y mêlant ses souvenirs personnels. Ainsi, il se rappelle son père, accoucheur qui mettait bas des juments. Il avait sept ans quand son père l’avait emmené Olaiceta, Ce matin-là, le narrateur avait trouvé un œuf avec deux jaunes lors de son petit déjeuner. Cela aurait dû être un bon présage. Mais le jeune poulain est né avec deux têtes. Alors, il a emmené la jeune bête dans les bois pour l’achever et l’enterrer. Plusieurs années après, une truie donna le jour à douze petits, comme le nombre des apôtres de Jésus. De rage et de douleur, la truie s’est jetée sur eux et les a tous dévorés. Il en va ainsi de la vie et de la mort. Et il faut toujours écouter les présages, et surtout bien les interpréter.

Le narrateur se rappelle aussi Teodora, une jeune femme honnête et pauvre. Son mari avait choisi le camp de la révolution et le couple haïssait le curé et sa religion. Ils travaillaient dans un ferme de riches sans enfant et espéraient hériter à la mort des propriétaires quand un petit Gabriel vit le jour. On dit que le mari de Teodora y mit le feu et Gabriel en réchappa. Par contre, il mourut encore bébé et on dit que Teodora enduisait ses tétons de poison avant de les donner à Gabriel. Les propriétaires les chassèrent et tout le monde au villages les appelaient Les Damnés …

Dans un village rural, éloigné de toute modernité, ce village va nous raconter ses petites histoires, embringuées dans la Grande Histoire. Par son éloignement, il ne subit pas les conséquences de ce qui se passe à l’extérieur. Et les lois sont revenues celles de la nature, celles du plus fort, celles du village. Les hommes y sont rugueux, taiseux, et préfèrent régler leurs affaires entre eux plutôt que de faire appel à quelqu’un d’extérieur. D’ailleurs, on n’y trouve pas de police, chacun fait sa justice.

Construit comme une suite de nouvelles, ce roman tient son fil directeur avec ce narrateur, que l’on imagine vieux, repensant au passé de ceux qui nous manquent. Chaque petit événement est l’occasion pour lui de se rappeler une scène, une personne, un fait marquant. La narration se fait donc sans aucun dialogue et de façon très directe. Cela en devient remarquable quand il arrive à nous passer en revue toute une vie et de faire revivre des fantômes devant nos yeux. J’ai adoré cette narration.

J’ai eu l’impression que l’auteur faisait appel dans certains chapitres à des faits de l’histoire espagnole, et n’en connaissant que des bribes, je me suis senti délaissé, j’ai eu l’impression de passer au travers. Par contre, le dernier chapitre, contre toute attente, est terrible et donne à l’ensemble la cohérence que j’attendais. Josu Arteaga se permet même de nous pointer du doigt, nous montrant que les horreurs qu’il a décrites n’ont rien à envier à celles du monde actuellement. On prend une bien belle claque pour la fin, voire même quelques réflexions philosophiques très justes. Voilà un premier roman surprenant et surtout très réussi. Auteur à suivre.

La sirène qui fume de Benjamin Dierstein

Editeur : Nouveau Monde (Grand format) ; Points (Format Poche)

Benjamin Dierstein a décidé de consacrer une trilogie aux années 2010, celles qui ont vu la défaite de Nicolas Sarkozy, dont deux tomes sont déjà parus. J’avais adoré le deuxième (La défaite des idoles) … eh oui, je les ai lus dans le désordre … et j’ai donc décidé de revenir en arrière avec La sirène qui fume.

Dimanche 13 mars 2011. Une Renault Espace est garée devant le Bunny Bar. La conductrice fait un signe à une jeune femme qui en sort. Elles se rejoignent et prennent la direction de la place de Clichy. Une BMW les suit. Elles se garent sur un parking de Saint Ouen. Le conducteur de la BMW empoigne un Ruger et se dirige vers la Renault. Arrivé à la porte, il tue les deux jeunes femmes de sang froid.

Samedi 19 mars 2011. Le lieutenant Christian Kertesz se traine à son bureau de la Brigade de Répression du Proxénétisme. Il se désintéresse des déclarations de viol du week-end, et rentre chez lui. Au milieu des vapeurs d’alcool médicamenteux, il entend son voisin frapper sa femme et débarquent chez eux, armé de son Sig Sauer. Le coup de téléphone d’un de ses amis corses lui demande de rendre un service : retrouver Clothilde, la fille du sénateur Edouard Le Maréchal. Cette affaire peut lui permettre de rembourser une partie de sa dette de plusieurs millions d’euros envers la mafia corse.

Lundi 28 mars 2011. Le capitaine Gabriel Prigent n’a pas encore terminé de déballer ses cartons avec sa femme Isabelle. Il arrive de Rennes et sent bien que sa fille de 15 ans, Elise, le déteste. Accueilli par la commissaire Nadia Chatel de la Brigade Criminelle, il fera équipe avec la brigadier Nesrine Bensaada pour l’exécution dans un parking de Saint-Ouen. Mais ses collègues le regardent de travers ; ils n’oublient pas qu’il a dénoncé ses collègues à al police des polices.

Même s’il s’est passé un an et demi entre ma lecture de La défaite des idoles et celui-ci, je n’ai rien oublié de l’histoire ni du style de l’auteur. Je savais donc ce à quoi je devais m’attendre, et je n’ai pas été déçu. Ces deux personnages de flic qui entament leur descente aux enfers sont juste inoubliables dans leurs excès, leurs obsessions, leurs cicatrices ouvertes et leur passé qui les hantent ; deux hommes solitaires courant après une solution non pas en guise de rédemption mais en guise de course vers un idéal inatteignable.

Outre le contexte très fortement policier et formidablement bien décrit, on y découvre l’ampleur de la guerre des services de police, chacun gardant ses informations pour soi. On y découvre aussi des femmes et des hommes prêts à tout, obligés d’affronter le pire. Le fait que Prigent et Kertesz enquêtent séparément dans deux enquêtes qui vont se rejoindre se révélera plus anecdotique, tant l’aura de ces deux-là emplit tout l’espace.

On se retrouve aussi en plein contexte politique bouillonnant : la course aux élections présidentielles bat son plein, la gauche semblant pouvoir l’emporter grâce à son « champion » DSK, avant que la célèbre affaire n’éclate à New-York. L’auteur en dit d’ailleurs dans une interview que ces trois années ont été les plus importantes pour la France et que c’est pour cela qu’il veut y consacrer une trilogie.

L’ambiance, les décors, les personnages nagent donc dans un univers glauque, à base de prostitution infantile et déroule une enquête où tout le monde est impliqué et doit arranger la vérité pour sauver sa peau (ou son poste). Et cela donne un premier roman impressionnant, qui amoncelle les scènes comme on entasse les morceaux de cadavres, c’est violent, dur, aidé par une plume acerbe, rapide, hachée qui donne un rythme infernal à la lecture. On n’a pas envie de lâcher ce roman, et le plaisir qu’il procure nous rendra indulgent quant à certaines scènes de la fin du livre, quelque peu excessives. Vivement le troisième !

24 heures hero de Saphir Essiaf & Philippe Dylewski

Editeur : Nouveau Monde

Tenir un blog permet de découvrir des romans que je n’aurais pas ouverts. En lisant la quatrième de couverture, le sujet ne me tentait pas et le bandeau se réclamant de Brett Easton Ellis m’apparait comme une comparaison inappropriée. Je m’explique : Brett Easton Ellis a certes mis en place des personnages drogués mais c’était pour mieux mettre en évidence les maux de la société américaine. Ici, nous allons suivre un couple de drogués dans ce qui se rapproche d’un livre document.

Le roman se déroule à Charleroi mais il pourrait prendre place n’importe où. Nadia et Arnaud sont un couple, liés à la vie à la mort par l’Héroïne. Arnaud reconnait qu’elle lui a sauvé la vie un nombre incalculable de fois, Nadia le trouve beau et il est la seule personne à savoir la piquer sans qu’elle n’ait ni peur, ni mal. On les voit donc arpenter les rues de cette petite ville à la recherche de leur survie.

Ce roman nous propose de suivre une de leur journée, qui commence à 6H47 et va se terminer à 23H15. Elle commence tôt, quand Arnaud est pris de convulsions, de vomissements et de diarrhées. Le manque se fait sentir et il doit rapidement prendre quelque chose pour stopper la souffrance. Puis, quand Nadia s’éveille, il s’occupe d’elle en lui faisant sa première piqure. La journée commence …

Le reste de la journée va consister à récupérer de l’argent pour se payer suffisamment de doses pour passer la journée, voire en avoir un peu d’avance pour le lendemain. De la manche au vol à la tire, tout nous est montré dans le détail tout en nous détaillant la psychologie des personnages. Cette journée qui aurait pu être la même que les précédentes va pourtant être primordiale pour ce couple pas comme les autres.

La construction de ce roman constitue une des forces de ce roman. De façon alternative, chacun va prendre la parole et cela permet aux auteurs de montrer les pensées de Nadia et Arnaud mais aussi leurs motivations, leurs réactions ainsi que leur passé. Alors qu’Arnaud a fait de hautes études et un travail bien payé, Nadia vient d’une famille modeste et a connu des traumatismes lors de son adolescence.

Les deux personnages se retrouvent donc liés par le lien de la drogue, s’engueulant souvent, se tapant dessus parfois, mais se raccrochant toujours l’un à l’autre. On ne va pas parler de fierté ou de futur, Arnaud et Nadia ont dépassé le stade d’envisager de vivre. Leur seul objectif est de trouver une dose pour aujourd’hui et une pour le réveil du matin. D’ailleurs, se droguer ne leur procure que rarement un bien-être ; cela devient plutôt un besoin vital, comme une nourriture ou une boisson.

Je ne me suis pas attaché à ces personnages, mais je dois reconnaitre que cette plongée dans un monde que je connais mal est remarquable dans sa forme et dans son fond. Cette lecture me confirme qu’on n’a pas le droit de juger ces jeunes gens mais qu’on a un devoir de les aider. D’ailleurs, le roman nous montre une scène dans un local d’une association qui donne un semblant de solution.

Avec cette immersion, ce roman marquant nous emmène dans un monde qu’on ne veut pas voir, mais qu’il faut bien combattre, surtout quand on apprend qu’on peut acheter une dose d’héroïne pour moins de dix euros. Je dois tout de même signaler que cette lecture est à réserver à des personnes averties pour la violence de certaines scènes et pour les descriptions explicites. Un roman document à lire !

Le chouchou du mois d’avril 2020

C’est dans un contexte bien particulier que je boucle ma 10ème année de Black Novel. Eh oui, dès vendredi, nous fêterons le 11ème anniversaire en fanfare ! J’ai évidemment évité de publier des avis concernant des romans que vous ne pouvez pas vous procurer, donc j’ai fait la part belle au Déstockage, et balayé tous les genres. Il ne vous reste plus qu’à choisir selon vos goûts et vos envies de découverte.

Parmi les nouveautés, De mort lente de Michaël Mention (Stéphane Marsan) est un roman rageur comme seul sait le faire notre Michaël national. Il aborde ici les perturbateurs endocriniens dont on nous gave, au détriment de notre santé. Clairement dénonciateur, c’est un roman important.

Du sang sur l’asphalte de Sara Gran (Editions du Masque)est la troisième enquête de claire DeWitt, la meilleure détective du monde. Toujours minée par ses obsessions, l’auteure nous convie à la résolution de trois énigmes dans un polar complexe qui n’est pas, pour moi, le meilleur de la série.

La cité des rêves de Wojciech Chmierlarz (Agullo), quant à elle, est la quatrième enquête du Kub et comme d’habitude, il construit une enquête policière costaude pour montrer une facette de la société polonaise. Cete série est en train de devnir un incontournable des romans policiers.

Pour les habitués de Black Novel, la rubrique Oldies rend hommage, cette année, à la collections Points et j’ai parlé de Blanc comme neige de George Pelecanos (Points), le premier roman de la série Strange et Quinn, un quasi-reportage sur Washington et sa société multiculturelle, avec en premier plan, le racisme Noir/Blanc.

J’aurais aussi continué ma découverte de La compagnie des glaces avec les tomes 13 et 14 (Station Fantôme et Les Hommes-Jonas) de GJ.Arnaud (French Pulp). Si ce sont des tomes moins visionnaires, ils nous font découvrir une nouvelle civilisation et nous narrent les retrouvailles entre Lien Rag et Jdrien son fils.

Chez moi, le printemps rime avec Nouvelles. De but en noir de Gilles Vidal (La Déviation) possède des formats plus courts mais a l’avantage de balayer tous les genres. L’auteur dévoile tout son art de la nouvelle dans ce recueil à ne pas manquer. Cinq polars du XXIème siècle (Capricci), lu dans le cadre de mon déstockage, est un recueil de cinq nouvelles écrites par cinq auteurs contemporains (Anne Bourrel, Sébastien Gendron, Frédéric Jaccaud, Hervé Commère, Sophie Loubière) et qui nous parlent avec noirceur et cynisme du monde d’aujourd’hui.

Déstockage, c’est le nom de la rubrique que j’ai inauguré en 2020. Le principe est de choisir au hasard (ou presque) un roman dans mes bibliothèques. Cela m’a permis de découvrir un classique du roman policier Le petit vieux des Batignoles d’Emile Gaboriau (Flammarion), agrémenté d’une langue d’un autre siècle avec une intrigue digne de Sherlock Holmes. Cela m’a permis aussi de me rappeler mes lectures adolescentes avec Doctor Sleep de Stephen King (Livre de Poche), la suite de Shining. Cela m’a permis enfin de me conforter dans le fait que Joseph Incardona est un auteur à part et très doué avec Chaleur de Joseph Incardona (Finitude), qui nous fait revivre le championnat du monde de sauna à travers des personnages formidables à la recherche d’un dernier défi, celui de leur vie.

Enfin, last but not least, La défaite des idoles de Benjamin Dierstein (Nouveau Monde) est un fantastique roman qui balaie les années 2011 à 2012, de l’assassinat de Kadhafi à l’élection de François Hollande. Avec un style rythmé, digne d’un James Ellroy, il nous montre les magouilles dans les services de police et les Services Secrets dans une histoire qui fuse à toute allure. C’est aussi probablement ma plus belle découverte et c’est pour cette raison que j’ai décidé de distinguer ce jeune auteur à l’ambition de géant en lui attribuant le titre (honorifique) de chouchou du mois.

J’espère que ces avis vous seront utiles dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant et plus que jamais, n’oubliez pas le principal, lisez !

La défaite des idoles de Benjamin Dierstein

Editeur : Nouveau Monde

J’ai laissé passer le premier roman de Benjamin Dierstein, La sirène qui fume ; mais je ne pouvais pas rater son deuxième. Ce pavé de 634 pages denses est un roman à mi-chemin entre polar et roman politique, et c’est une sacrée découverte !

Jeudi 20 octobre 2011. Un militaire portant un tatouage de serpent dans le dos et le cou observe un immeuble à Syrte. Cet immeuble, le District 2, renferme les derniers dignitaires du régime libyen, Mouammar Kadhafi et sa garde rapprochée. Ils tentent une sortie avant d’être pris pour cible par des missiles. L’homme les suit, et se rapproche de la caverne où ils se sont terrés. Le peuple arrive à attraper Kadhafi après une interminable fusillade, le roue de coups. Alors, l’homme s’approche et lui tire deux balles dans la poitrine ; Kadhafi n’est plus.

Christian Kertesz, ancien lieutenant de la Brigade de Répression du Proxénétisme, sort libre, après trois mois d’incertitude. L’IGS a réussi à le faire virer mais pas emprisonner. Il va pouvoir reprendre les affaires. Sa première visite est pour Clotilde Le Maréchal, la victime de sa précédente enquête, enfermée à l’institut Robert Merle d’Aubigné spécialisé dans les appareillages suite à des amputations. Clotilde, cette jeune pute de 17 ans dont il est fou amoureux. Puis il rejoint Didier Cheron, qui après un passage aux RG, est à la tête de Noticia, une entreprise de sécurité et renseignement. Ses clients, Patrick Rougier et Elias Khoury veulent décrocher le contrat de construction d’un hôpital à Tripoli, donc il faut des informations croustillantes sur leur concurrent. Enfin, il finit sa soirée au Liberty, un club d’entraineuse tenu par les Corses les plus recherchés de France. Ils veulent revenir sur la marché de la drogue et lui proposent un plan.

Laurence Verhaeghen est une jeune capitaine de la Police judiciaire, ambitieuse et divorcée, mère d’une petite Océane. Elle se retrouve en charge d’un meurtre dans un hôtel en réfection et, à six mois de la présidentielle, a la libération de Kertesz à gérer ; car elle ne veut pas le laisser en liberté. Dominique Muller, la victime avait reçu des menaces, peut-être le rackettait-on ? Cet hôtel appartient au groupe Bessin, qui sert à blanchir l’argent de la mafia. Zimmerman, son directeur l’appelle. Bien qu’elle ne soit pas syndiquée, elle a beaucoup de relations, certaines haut placées, et elle pourrait jouer un rôle important dans la déstabilisation de la Gauche. Il lui demande de tout faire pour trouver des armes contre Flanby, François Hollande, le candidat de la Gauche.

Je n’ai pas lu La sirène qui fume, son premier roman ; et je peux vous dire que je vais le lire très vite. Ce roman est totalement bluffant, totalement surprenant, totalement addictif. Malgré ses 640 pages, je l’ai lu en à peine quatre jours, et c’est tellement passionnant que j’aurais pu en reprendre encore quelques centaines de pages. Pourquoi ? Parce que cela me rappelle les meilleurs moments de lectures de mes auteurs favoris.

Ce roman est à la fois un polar et à la fois un roman politique. Le contexte se situe entre l’assassinat de Kadhafi et l’élection présidentielle de François Hollande, un contexte fort pour tout ce qui concerne la police, surtout si on se rappelle que Nicolas Sarkozy a été Ministre de l’Intérieur et a toujours gardé une relation particulière avec les forces de l’ordre. On va y voir une vraie bataille entre les différents services de la police, que la nouvelle structure n’a pas su effacer. Cette bataille, c’est la droite contre la gauche, un syndicat contre l’autre, une guerre idéologique contre l’autre.

Mais c’est aussi une période trouble quant à la politique extérieure de la France, en Lybie tout d’abord, ce qui est au centre de ce roman, mais aussi ailleurs, avec l’avènement de l’état islamique, tout juste abordé dans le roman. Et quand le grand banditisme, la mafia corse, veut redorer son blason sur le marché de la drogue, elle se retrouve face à des clans bien plus cruels que ce qu’elle est capable de faire. Face aux Albanais ou aux libyens, c’est toute une machination qui rapporte des millions d’euros par mois que nous démontre ce roman.

Ce roman, c’est aussi l’itinéraire de deux personnages forts, ni gentils ni méchants. Ils sont tous deux d’un coté de la ligne jaune, mais pour autant, leurs méthodes sont les mêmes. De la manipulation au chantage, des interrogatoires musclés aux meurtres, tous les moyens sont bons pour arriver à leur objectif. Ils sont tous deux forts, impressionnants, inoubliables, mais ils ont aussi chacun leur point faible qui causera leur perte ou une partie de leur vie. Kertesz et Verhaeghen, ce sont l’illustration parfaite de deux faces d’une pièces qui n’est rien d’autre que la société française actuelle, aux mains des mafieux de tous bords.

Ce roman, c’est un style extraordinaire. Les phrases sont courtes, les rebondissements abondent, les événements se suivent à fond de train. Caryl Ferey disait du précédent : « Un putain de bon roman … du DOA sous amphets, précis, nerveux, sans fioritures ». Et je suis totalement d’accord avec lui. Je vais même en rajouter une couche. Car ça pulse à toutes les pages, ça fuse, ça va vite et je n’ai pu empêcher mon rythme cardiaque d’accélérer à chaque instant. Les dialogues sont toujours bien placés, et bigrement bien faits, justes. Ce roman rappelle DOA, certes, mais aussi Dominique Manotti (par le sujet, le style) sans oublier le Grand James Ellroy, celui du Grand-Nulle-Part. Impressionnant !

Avec sa construction, qui insère dans sa narration des extraits de programmes radiophoniques, l’auteur nous plonge dans l’époque (pas si lointaine), à laquelle l’auteur a décidé de consacrer une trilogie. Après la Sirène qui fume, La défaite des idoles en est le deuxième. Et je peux vous dire que je piaffe d’impatience à l’idée que je doive attendre un an avant de lire le troisième. Je termine juste par un conseil : Ne ratez pas ce roman, c’est de l’or en barre !

Et si on parlait de l’Afrique …

Je vous propose deux romans dont le contexte, au moins en partie, parle de l’Afrique. Deux romans courts qui logent dans une poche, certes, mais deux romans émotionnellement forts et deux romans édités par deux petits éditeurs. Comme quoi, il faut aller chercher les pépites ailleurs que sur les étals de supermarchés.

African Queens de Patrice Montagu-Williams

Editeur : Les chemins du hasard

Ayaan a décidé de quitter la Somalie après la mort de sa sœur survenue lors de son excision et quand son père lui a présenté un vieil homme comme son futur mari. Avec son autre sœur Zohra, elle a connu tous les déboires que connaissent les migrants, les voyages en bateau, en camion, les passeurs insistants et même le manque de nourriture. Elle arrive à Barbès et tombe dans un réseau de prostitution géré par la Hyène.

Boris Samarcande est commissaire dans le 18ème arrondissement, à la tête d’une cinquantaine de policiers. Il aime son quartier, même s’il a affaire à tous les trafics en tous genres. Lors d’un contrôle de papiers anodin, une de ses équipes tombe sur un homme transportant des organes humains.

Annoncé comme le premier roman d’une série de quatre, African Queens mérite amplement le détour, pour peu que vous ne soyez pas trop sensibles. Et je vais vous expliquer mon ressenti. Tout d’abord, les chapitres sont très courts et les dialogues réduits au strict minimum. Cela donne une impression d’urgence et permet d’avoir beaucoup de scènes. Ce roman est donc à réserver à ceux qui aiment ce style « coup de poing », dont je fais partie.

En parlant de style, il est plutôt à classer du coté des behavioristes, c’est-à-dire que l’auteur ne s’étend jamais sur les sentiments des uns ou des autres, mais préfère rester en retrait et laisser les actes de ses protagonistes parler pour eux-mêmes. En cela, African Queens est plus proche d’un reportage réalité, qui aurait pour titre « Bienvenue dans l’enfer de Barbès ».

Et ce style clinique, voire chirurgical rend la lecture émotionnellement pénible, pour moi en tous cas. Car je me suis attaché à Ayaan, je l’ai suivi dans son périple, dans sa nouvelle vie. Et lire ce qui va lui arriver, sans une goutte de sang, je tiens à le préciser, dans des scènes où il n’y a pas un brin d’émotions, cela reste tout de même un sacré morceau à avaler pour un être humain normalement constitué, c’est-à-dire avec une petite dose d’humanité. Je ne veux pas dire que l’auteur va trop loin, mais il a décidé d’être franc, de montrer une certaine réalité et il vaut mieux être prévenu que la réalité n’est pas belle à lire.

Ne ratez pas l’avis de l’Oncle Paul

La dernière chance d’Abdelilah Hamdouchi

Editeur : Nouveau monde

Traductrice : Valentine Leys

Sophia Beaumarché a 73 ans et a toujours aimé les jeunes hommes. Elle s’est mariée à un Marocain qui l’a persuadée d’ouvrir un restaurant au Maroc, Chez Sophia. Depuis, elle est à la tête d’un lieu où tout le monde s’arrache les places pour déguster de bons plats. Cinq ans auparavant, elle a découvert que son mari la trompait et s’est remariée avec Othmane, un jeune juriste de 30 ans au chômage. Mais Othmane a fait cela pour avoir de l’argent. Il a en fait une amante Namia bien plus jeune que la septuagénaire.

Alors qu’ils rentrent après le service du soir, dans la villa Sophia, Othmane déclare aller promener leur chien. En réalité, c’est pour retrouver son amante Namia. Quand il revient, il trouve Sophia avec un couteau planté dans le ventre. Sous le coup de l’émotion, il enlève le couteau et appelle la police. Comme il est le bénéficiaire du testament, Othmane fait figure de coupable idéal.

C’est le premier roman policier marocain que je lis et c’est une belle surprise. Certes, pour les habitués du genre, ce roman va passer pour un modèle du genre. L’auteur y respecte en effet tous les codes et réussit à enchaîner les scènes avec une logique très plaisante. On peut même dire que l’auteur a écrit ce roman avec beaucoup d’application, de respect et d’amour pour le genre policier. Cela n’empêche pas de faire preuve de créativité dans le déroulement de l’intrigue, bien au contraire. Car on y retrouve un excellent équilibre entre la narration et les dialogues.

On va donc suivre deux personnages principaux puis trois, mais je ne vous parlerai que d’Othmane et d’Alwar, l’avocat arrivant plus tard dans le roman. Othmane est un jeune qui veut se sortir de la mouise et voit qu’il peut profiter de l’argent d’une septuagénaire pour survivre. Alwar est l’inspecteur chargé de l’enquête et on découvre un personnage extrêmement rigoureux et appliqué dans son travail. Dans les deux cas, les psychologies des personnages, bien que simples, sont remarquablement bien faites.

Ne croyez pas que ce roman se contente d’avoir une intrigue policière, aussi bien construite soit-elle. Abdelilah Hamdouchi ne va pas s’étendre sur les pauvres qui vont vendre leur corps aux riches des pays « civilisés » mais plutôt sur l’omnipotence de la police, du fait qu’ils ont tous les droits et qu’ils peuvent tout se permettre. Et je vous passe les détails sur la façon dont ils parlent aux gens, et en particulier aux femmes qui n’ont pas droit à la parole. Finalement c’est un roman très intéressant.