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Ce n’est qu’un début, Commissaire Soneri de Valerio Varesi

Editeur : Agullo

Traducteur : Florence Rigollet

Chaque année, je retrouve le Commissaire Soneri comme on rencontre un vieil ami. Lors de cette rencontre, nous devisons sur divers sujets qui bien évidemment dévient sur des sujets contemporains. Avec son air désabusé, il fait montre d’une lucidité remarquable et nous parle ici d’héritage.

Soneri regarde la pluie tomber sur Parme quand Juvara, son adjoint vient lui annoncer la découverte d’un corps. L’homme, retrouvé pendu avec une ceinture, a réussi à sectionner les barbelés enfermant le chantier et pénétrer dans ce lieu peu fréquenté avant de se donner la mort, qui remonte au moins à douze heures. Le problème qui se pose à Soneri est de découvrir son identité puisqu’aucun papier n’a été trouvé.

« Les suicidés sont beaucoup plus clairvoyants qu’on le croit. »

En sortant, Soneri voit une dépanneuse manœuvrer pour emmener une Vespa Primavera 125. Le petit scooter a été trouvé près d’un camp de Roms. Dans la valise du mort, Juvara y trouve des habits de marque. Alors qu’il déjeune avec son ami Nanetti, le téléphone vient les déranger : un homme vient d’être assassiné devant chez lui de 23 coups de couteau, pendant que sa compagne prenait sa douche.

« Les hommes vieillissent mieux que les motos. »

Franca Pezzani les reçoit en état de choc. Elle a entendu l’interphone de la porte, puis plus rien. Quand elle s’est inquiétée, elle est allée voir et a trouvé son mari mort, poignardé. Quand elle donne son nom, Guglielmo Boselli, Soneri se rappelle son surnom, Elmo, l’un des leaders du Mouvement Etudiant de 1968. Pourtant, pour lui, Elmo s’était rangé des affaires politiques. Bizarrement, la Vespa s’avère appartenir à Elmo ; la déclaration de vol date de 34 ans !

« Malheureusement, on a tendance à embellir tous nos souvenirs. La mémoire les arrange. »

Dans chaque roman, Valerio Varesi nous parle d’un aspect de la société avec un recul et une lucidité impressionnante, et propose sa vision avec plusieurs années d’avance. Il faut se rappeler que la série a commencé a être publiée en 2003 et montre des aspects dont on retrouve les conséquences aujourd’hui. Si on répertorie les romans sortis en France par rapport aux dates de publication italienne, on trouve :

Le Fleuve des brumes (2003) : Métaphore entre le Pô et l’état de l’Italie

La pension de Via Saffi (2004) : Regrets vis-à-vis de ses propres erreurs passées

Les ombres de Montelupo (2005) : Les erreurs sur le mauvais jugement de son père

Les mains vides (2006) : Le Nouveau Monde a choisi une idole unique : l’argent

Or, encens et poussière (2007) : La fracture entre les pauvres et les riches

La Maison du Commandant (2008) : Le rejet des étrangers et leur statut de boucs émissaires

La Main de Dieu (2009) : La place de la religion dans la société moderne

« le problème n’est pas tant la mort des autres, mais la part de nous-mêmes qui meurt avec eux. »

Ce roman est sorti en 2010 et aborde le sujet des révoltes communistes des années 60 et de l’héritage à la fois sur la société mais aussi, d’une façon plus intime, sur les conséquences des enfants des leaders. On y trouve une réflexion d’un des personnages interrogés qui dit, (je paraphrase car je n’ai pas retrouvé le passage exact) : Les communistes ont créé le bordel, et les gens veulent des règles, de l’ordre. Il n’est pas étonnant que le peuple se tourne vers l’extrême-droite qui leur promet de la discipline.

« Tout est bon à prendre, surtout quand on n’a rien. »

Quand on voit la situation actuelle de l’Italie, on mesure l’aspect visionnaire de Valerio Varesi. Avec son air débonnaire, son art de l’interrogatoire, où il laisse parler les gens mais sait les provoquer au bon moment, Soneri va réussir à démêler cette pelote de laine bien complexe en nous parlant de nous, en nous mettant en garde. Et après avoir tourné la dernière page, je me suis senti plus serein après ma discussion avec mon ami Soneri. On se donne rendez-vous l’année prochaine, bien entendu ! 

«  – Qu’avons-nous à voir avec la politique et tout ce qui s’ensuit ? se récria Coriani
– Rien, rien …, répéta Soneri, déçu et rempli d’amertume. Nous, on est seulement là pour ramasser les morceaux. »

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La colère de S.A.Cosby

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Szczeciner

J’étais passé à côté de son précédent roman, Les routes oubliées, donc cette lecture ressemble à une session de rattrapage et pour le coup, ce fut une sacrée découverte, entre roman d’action et dénonciation de l’homophobie.

Le roman repose sur deux personnages que tout oppose, Ike Randolf étant noir et Buddy Lee Jenkins étant blanc. Les deux ont connu la prison, et Ike est à la tête d’une entreprise de jardinage et Buddy Lee survit de petits boulots dans une caravane. Isiah, le fils d’Ike et Derek, le fils de Buddy Lee étaient mariés et viennent d’être abattus dans la rue. Ike et Buddy Lee se rencontrent lors de l’enterrement du couple.

Pour les deux hommes, la vie en couple de leurs fils n’est pas normal et ils avaient coupé tous les ponts avec eux. Maintenant qu’il est trop tard, les deux pères ont tout leur temps de ruminer leurs regrets. Si Ike et Mia sa femme s’occupent de l’éducation de leur petite fille Ariana, Buddy Lee veut réparer les erreurs qu’il a faites par le passé, surtout que l’enquête de police n’avance pas d’un poil.

Ike et Buddy Lee vont donc aller voir la police puis les anciens collègues de travail de leurs fils, mais cela ne les avance pas plus. Et puis, Ike doit faire tourner sa petite entreprise et ne veut pas se lancer dans une croisade meurtrière. Quelques jours plus tard, la pierre tombale est cassée et profanée. Pour Buddy Lee, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et il va décider Ike de se lancer à la poursuite des coupables.

Je plussoie tous les avis positifs publiés sur le Net chez les collègues blogueurs ou dans la presse. Avec une structure de roman d’action, l’auteur nous montre l’état de l’Amérique d’aujourd’hui, en implantant son intrigue dans le Sud des Etats-Unis, et plus particulièrement en Virginie Occidentale. De façon totalement assumée et fine, il montre le racisme mais aussi l’homophobie presque comme une base de la société américaine.

Cela passe par la rupture entre les deux pères avec leurs fils, qui n’ont pas accepté ni leur vie commune ni leur mariage, et cela continue avec certaines remarques de Buddy Lee, de mauvaises blagues qui ont l’art d’irriter Ike et qui montrent combien le racisme est implanté en chacun de nous. Et la démonstration se conclura vers la clôture du roman comme une généralisation.

Le roman est basé sur deux personnages vieillissants qui veulent redorer leur blason, et se trouver un objectif de rédemption devant leurs erreurs passées, en laissant libre cours à leur colère. S’ils ne nous paraissent pas agréables de prime abord, je dois dire qu’on finit par les suivre avec beaucoup de plaisir, autant pour leur humour que leur gout du jusqu’au boutisme désespéré, dans des scènes alternant entre sentiments et action pure.

Car S.A.Cosby arrive à trouver le bon équilibre entre humour, psychologie des personnages, dénonciation des extrémistes, rédemption vengeresse, émotions et des scènes visuelles et cinématographiques impressionnantes qui en font à la fois une excellente lecture et un très bon terreau pour un futur film. D’ailleurs, pour retrouver le plaisir que j’ai eu à le lire, j’ai déjà acheté Les routes oubliées qui vient de sortir au format poche chez Pocket.

Les brouillards noirs de Patrice Gain

Editeur : Albin Michel

On termine cette semaine dédiée à Patrice Gain par son dernier roman en date et j’aurais aimé terminer sur une note positive. Malheureusement, je n’ai pas adhéré à cette histoire à laquelle je n’ai pas crue une seconde.

Raphaël, violoncelliste de son état, termine une tournée de six dates sur la presqu’île de Crozon, quand il reçoit un coup de téléphone de son ex-femme Nathalie. Cela fait onze qu’ils ne se sont pas parlés, onze années pendant lesquelles il n’a pas vu sa fille Maude. Nathalie lui annonce que Maude n’est pas revenue de ses vacances aux îles Féroé avec son petit ami Tomo qui est revenu seul et elle lui demande d’aller la chercher.

Raphaël n’écoute que son cœur de père et s’embarque aussitôt pour cette destination exotique et glacée. Dès son arrivée, il entend parler d’un procès retentissant devant avoir lieu bientôt contre des membres d’une ONG Ocean Kepper. Ils sont en effet accusés  d’avoir tué un féringien.

Tout le monde se passionne pour ce procès, mettant en cause le combat de l’ONG contre les traditions de certaines tribus consistant à chasser des baleines et des dauphins avec une sauvagerie venue d’un autre temps. Raphaël se rend vite compte que ni la police, ni le consulat ne cherchent sa fille activement, et qu’il va devoir se débrouiller seul.

On ne peut pas dire que ce roman met longtemps à démarrer : dès le premier chapitre, Raphaël est contacté par son ex-femme, dès le deuxième il traverse les mers et dès le troisième, le contexte de l’ONG est planté. A ce moment-là, on doit être emporté par l’obstination de cet homme pour retrouver sa fille dans un décor frigorifiant, mystérieux et dangereux.

Hélas, moi qui attendais d’être plongé dans ce décor inédit et peu traité dans les romans, je n’ai jamais ressenti l’ambiance bizarre, les pluies frigorifiés, la géographie particulière de ces îles, ni même le contexte important qui s’y déroulait. A partir de ce moment-là, tout m’a paru survolé, plat. Quand on n’entre pas dans un roman, on peut y trouver tous les défauts qu’on veut.

Je n’ai pas cru aux pluies ni aux brouillards. Je n’ai pas cru à Raphaël ni à ses décisions bien souvent étranges. Je n’ai pas cru aux scènes de massacre des mammifères marins. Cela a même fini pas me montrer un message d’une naïveté infantile, dans un monde binaire qui oppose les gentils aux méchants, sans aucune subtilité. Enfin, je n’ai jamais ressenti la moindre once d’émotion.

Je préfère m’arrêter là, ne voulant pas descendre en flamme ce roman. Je préfère rappeler que ceci ne reflète que mon ressenti et que je n’exprime que mon opinion. Je préfère vous laisser votre libre arbitre en allant lire d’autres avis que l’on peut trouver sur Internet, dont beaucoup sont positifs.

Le sourire du scorpion de Patrice Gain

Editeur : Le Mot et le Reste (Grand Format) ; Le Livre de Poche (Format Poche)

Je poursuis ma découverte des romans de Patrice Gain et la semaine dédiée à cet auteur avec ce roman qui démarre comme une balade familiale pour creuser un sujet totalement inattendu.

Alex et Emilie mènent une vie de nomades avec leurs jumeaux Tom et Luna, au gré des contrats de saisonniers. Cet été là, ils passent des vacances dans le Monténégro. Ils rencontrent un serbe nommé Goran qui leur propose une descente en rafting sur la Tara. Emilie n’est pas enchantée de parcourir cette descente dans des eaux déchainées mais Alex se montre confiant et prêt pour l’aventure.

Le début s’avère calme avant d’attaquer les passages plus remuants voire violents dus aux irrégularités des fonds de la Tara. Bientôt, un front nuageux s’affiche et ils se retrouvent dans un orage phénoménal qui fait gonfler les eaux. Le bateau se retourne et ils se retrouvent séparés et obligés de monter les rives pour échapper à la crue provisoire qui s’annonce.

Tom, le narrateur de cette histoire, va rapidement repérer Goran et ils vont partir à la recherche du reste de la famille. Ils doivent se rendre compte que seul Alex manque à l’appel. Ils décident de continuer la descente pour le retrouver mais ne découvrent que son gilet de sauvetage arraché. Il faut bien se rendre à l’évidence qu’Alex s’est noyé. Goran se sentant responsable, il décide de ramener la famille et de les aider dans leur vie quotidienne.

Le début du roman m’a rappelé ma jeunesse et l’excursion et la descente en rafting que j’avais faite il y a plus de 25 ans sur la Tara. J’en garde un excellent souvenir d’autant plus que l’on m’avait expliqué à l’époque le principe. Forcément, je regrette les approximations de Patrice Gain. Dans le cas du rafting, la seule corde qui retient les passagers est située au centre du bateau et non sur les boudins ; on doit donc glisser les pieds sous cette corde ce qui nous assure que le centre de gravité reste à l’intérieur du bateau. Ensuite, les remous sont violents quand le niveau de l’eau est bas et non l’inverse puisqu’ils sont dus aux irrégularités du fond de la rivière. La crue peut être violente, soit, mais elle n’engendre en rien des remous plus importants.

Bref, j’ai donc commencé cette lecture avec des aprioris négatifs et heureusement, le personnage de Tom m’a convaincu de rester en sa compagnie. Tout le talent de Patrice Gain se déploie pour nous montrer cet adolescent effondré par la mort de son père, éploré par la douleur de sa mère et attristé de voir sa sœur se détacher de sa famille. Il est bigrement intéressant de voir chaque personnage adopter une trajectoire différente.

On suit donc Tom et les changements dans sa vie, sa famille qui explose et les événements qu’il découvre. Comme il se repose sur sa sœur depuis sa plus jeune enfance, il cherche à obtenir son avis tout le temps. L’auteur nous montre parfaitement la douleur de son narrateur quand sa sœur prend ses distances avec la famille. Puis Patrice Gain nous amène à une révélation amenée doucement, en additionnant les faits qui justifie tout le roman. Patrice Gain a une façon incroyable de mener le lecteur là où il le veut, comme il le veut, au rythme où il le veut. Ce roman ressemble à un match de boxe, avec le round d’observation, le combat acharné et le KO final.

Les gentils de Michael Mention

Editeur : Belfond

Si vous êtes un fidèle de Black Novel, vous savez que je suis un fan de Michael Mention, dont j’ai lu tous les romans depuis 2014. De l’eau a coulé sous les ponts depuis, et il ne me viendrait pas à l’esprit de rater la dernière production d’un auteur au style particulier, personnel et assumé. Ce roman comporte toutes les passions de Michael.

Paris, 1978. Franck Lombard ne peut se résoudre à oublier le drame qui l’a frappé. Lors du braquage de la boulangerie du coin, un homme, drogué probablement, bouscule la fille de Franck. Violemment. La tête frappe le mur … Franck a perdu sa raison de vivre. Il croit que la police va vite trouver le meurtrier. Des jours passent, des semaines, des mois … et toujours aucun résultat.

Sa rage monte, devient insoutenable ; sa femme l’a quitté ; il ne lui reste que la voix de sa fille qui l’accompagne à chaque pas qu’il fait. Il se prend en main, en l’absence d’information, zone dans le quartier des drogués, et n’en retire qu’un passage à tabac. Quand il retourne dans la boulangerie, désaffectée depuis le drame, il tombe sur un squatteur qui lui parle d’un homme arborant un tatouage Anarchie sur l’épaule. Son assassin aurait migré à Toulouse dans une clinique de désintoxication.

Franck se résout à vendre sa boutique de disques à Didier, son collaborateur pour disposer d’argent liquide et se lancer dans sa quête personnelle de vengeance. Là-bas, avec la maigre description du bonhomme, il obtient un nom, Yannick et une destination : il serait tombé amoureux d’une Jane, camée aussi et le couple aurait rejoint une association d’aide aux drogués à Marseille. Le périple de Franck ne fait commencer …

Pour un passionné de musique comme Michael Mention, il fallait bien qu’un jour il aille plus loin que nous laisser en fin de roman sa play-list. C’est chose faite avec ce personnage de Franck, disquaire de métier, dont la musique majoritairement sombre des années 70 va rythmer sa vie, trouver un sombre écho à sa quête personnelle. Car ce roman nous impose un voyage autant intérieur qu’extérieur …

Voyage intérieur tout d’abord, puisque Franck est le narrateur de cette histoire. On y trouve donc beaucoup de pensées et très peu de descriptions extérieures (surtout dans la partie française du roman, puisqu’il est un homme refermé en lui-même, bouillonnant de rage aveugle. Dans ces moments-là, la rythmique lourde accompagne chaque battement de cœur, les pauses apparaissent à chaque indice avant de nous replonger avec une guitare basse entêtante, obsédante.

Voyage extérieur aussi et surtout car Michael Mention nous créé un scénario incroyable en France, puis en Guyane où la force, la puissance, la détermination ne suffise plus à le tenir debout. Ses pensées noires font place à un paysage d’un vert obsédant, tout aussi dangereux, où là aussi, la rythmique vient pulser les lignes, exploser les phrases, quand un danger surgit ou même quand il est aux portes de la mort de soif.

La rythmique est voulue omniprésente dans ce roman, l’auteur jouant avec les mots, adaptant ses phrases au moment raconté, sans jamais perdre l’objectif : montrer jusqu’au bout la passion ultime de son personnage, l’aspect subjectif de cette histoire, qui est une des plus grandes réussites sur un homme obstiné qui a tort (ou pas ?), une histoire qu’il use, torture, déforme pour un final que l’on ne peut deviner en entamant le roman.

De la culture populaire, autre que musicale, on y décerne bien l’influence du cinéma de la fin des années 70, ces films de fous tels que Apocalypse Now ou Voyage au bout de l’enfer (Mon film préféré de tous les temps). Michael Mention réussit la gageure de créer des scènes visuelles telles qu’elles m’ont ramené dans une jungle verte à vomir, opaques et tellement dangereuse car trop calmes.

Voilà pourquoi j’aime Michael Mention et ce qu’il écrit. Il nous parle des Hommes, de leur folie, passée ou présente, revendique sa culture, n’en a pas honte et la revendique, et fait revivre avec son propre style ce que l’on peut ressentir au plus profond de soi. Alors oui, Les Gentils est probablement son livre le plus personnel, probablement le plus difficile à écrire pour lui (imaginer pour un père de perdre sa fille est au-delà de l’horreur) mais c’est avant tout un grand roman de folie.

Petiote de Benoit Philippon

Editeur : Les Arènes – Equinox

Aussi étrange que cela puisse paraitre, j’ai acheté tous les romans de benoit Philippon en grand format et n’en ait lu qu’un (Cabossé) … et je n’ai aucune excuse. Il aura fallu l’insistance de mon ami du Sud pour me plonger dans cette prise d’otage formidable.

A le voir dans la rue, on sent bien que Gustave Sanson dit Gus porte la poisse comme un sac à dos. Sa ressemblance avec Droopy lui a permis de draguer Charlotte, devenue sa femme. Mais de mauvaises décisions aux simples conneries, Gus s’enfonce irrémédiablement en se trouvant toujours des excuses. Sa seule réussite se nomme Emilie, sa fille, l’étoile de sa vie pour qui il voue un amour sans borne.

Quand Charlotte demande le divorce sans droit de garde, Gus décide de se lancer pour défendre sa cause et exprimer l’amour pour sa fille à la Juge des Affaires Familiales. La larme à l’œil de la juge lui fait croire qu’il a enfin gagné une partie … mais il ne s’agit que d’une allergie au pollen et la sanction est immédiate : faute d’un logement décent, Gus perd la garde d’Emilie.

Gus loge dans un hôtel miteux, le « Love Hôtel », dont le V de l’enseigne au néon est en panne et pourrait être remplacé par un S. Gus n’accepte pas cette décision et décide de faire une prise d’otage pour que l’état lui fournisse 500 000 euros et un avion à destination du Venezuela pour sa fille et lui. Il profite d’ailleurs qu’elle vienne récupérer la pension alimentaire à l’hôtel pour mettre en branle son plan foireux.

Après avoir volé des armes à Sergueï, qui loge au 3ème étage, et l’avoir menotté, Gus se retrouve avec Cerise une jeune prostituée, Gwen et Dany deux amants de passage, George le patron de l’hôtel, Boudu un SDF qui fait me ménage, Fatou une immigrée clandestine enceinte. A cette petite troupe va s’ajouter Hubert, livreur de pizza Über (ça ne s’invente pas !). Le grand bordel peut commencer.

Il faut de sacrées couilles (excusez moi l’expression !) pour se lancer dans une histoire pareille, choisir de tels personnages et de tenir le rythme pendant 376 pages. Et pourtant, Benoit Philippon a ce talent rare de nous faire croire à ces êtres cassés et de nous faire rire en trouvant la petite remarque acide ou juste cynique qui va nous les faire adopter. De cette intrigue irréaliste, il va en tirer une grande fresque humoristique mais pas que …

Comme tout huis-clos, tout tient dans les personnages. Benoit Philippon va prendre consciencieusement son temps pour nous expliquer leur passé, et leur itinéraire jusqu’à cet hôtel miteux. Il va nous les peindre tous misérables dans leur vie, toujours burlesque dans leurs déconvenues mais toujours attachants sans jamais se montrer larmoyant, ce qui est un vrai tour de force.

Bons ou méchants, ils ont tous une bonne raison de se retrouver au Lose Hôtel (pardon, au Love Hôtel) ou dehors comme la capitaine Mia Balcerzak, chargée de la négociation ; celle-ci va d’ailleurs s’avérer remarquablement psychologue et se retrouver débordée devant la bordel qui va aller en s’amplifiant. Car ce roman déborde d’événements, de rebondissement et nous montre même une évolution des personnages qui fait penser à un roman réaliste tout en gardant ce coté décalé.

A la fois roman délirant et roman humoristique, Petiote s’ancre dans une réalité qui elle est inéluctable. Pour ridicules qu’ils soient, chacun de ces personnages a subi des événements qui l’ont amené là. Benoit Philippon, derrière ses atours de clown en chef, a construit une fresque sociale, qui charrie une énorme vague d’émotions quand à la fin, on verse sa petite (grosse en ce qui me concerne) larme. Vous croyez que ce roman n’est qu’une gigantesque et excellente blague ? Pas sûr …

Mauvais daron de Philippe Hauret

Editeur Jigal

Philippe Hauret m’enchante de plus en plus au fur et à mesure de ses romans. Avec celui-ci, il construit une intrigue remarquable avec un don rare, celui de mettre en valeur les petites gens. Lecture jouissive garantie.

Malgré leur retraite de misère, Daniel et René ont décidé de ne pas se laisser abattre. Vivant ensemble dans la même petite maison, ils réalisent de petits larcins, dont l’objectif avoué est de se payer un camping car, à la place de leur 404 pourrie, pour partir à l’aventure et oublier leur quotidien morne et gris. Ils investissent une maison que les propriétaires ont abandonnée pour une virée dans les Pyrénées et font main basse sur des bijoux. Daniel a tout prévu pour écouler les joyaux, un jeune nommé Eusèbe.

Eusèbe finit d’écluser les bouteilles d’alcool dans la chambre de Leni, ce qui est préférable à aller se casser les reins au boulot. Philomène, la mère de Leni préfère fermer les yeux sur son fainéant de fils, elle qui ne connaitra pas la retraite à force d’heures de ménage payées au noir. Philomène doit y aller justement, mais elle est surprise quand son bourge de patron lui annonce son licenciement, elle qui n’a jamais vu un contrat.

Daniel va à contrecœur déjeuner chez son fils Vincent, juge sans pitié. Sa belle-fille Dalida lui ouvre la porte, le sourire toujours aussi charmeur, son visage toujours aussi enchanteur. Vincent refuse de donner à son père l’argent qu’il réclame pour son camping-car et les informe que leur voisin vient de se faire cambrioler. Des amateurs sûrement, puisqu’ils n’ont pris que les bijoux et pas les toiles de maître exposées au mur. Comme une remarque sans intérêt, Vincent annonce avoir viré sa femme de ménage.

Et je pourrais continuer longtemps comme ça et arriver à la fin du livre sans m’en rendre compte. Car tous les événements s’enchainent, les uns après les autres, comme des pièces de puzzle parfaitement agencées. Tous les personnages vont se croiser sans se connaitre dans ce petit microcosme parfaitement représentatif de la société, entre riches et pauvres, en toujours gagnants et toujours perdants.

Si la plume peut paraitre simple, elle s’avère ici remarquable de précision, acérée et visuelle. On sent que Philippe Hauret a acquis de l’assurance dans son écriture et qu’il a pris beaucoup de plaisir à peindre cette histoires, je devrais dire ces histoires, qui vont petit à petit faire monter la mayonnaise jusqu’à un final à propos duquel on peut dire qu’il fera grincer des dents mais surtout qui remplira d’aise le lecteur.

Car finalement, quelque soit la classe sociale, on se trouve face à des « darons », de mauvais darons qui se révèlent tous plus détestables, ou plutôt méprisables les uns que les autres. Et en guise de victimes, on trouve les pauvres trimards et les jeunes, mais personne ne se remet jamais en cause, chacun est capable de justifier sa vie et ses actes. Je l’ai déjà dit, et je le répète, Philippe Hauret se pose en digne héritier de Thierry Jonquet … et c’est bien pour ça que je l’adore, surtout quand la lecture est jouissive comme ici.

C’est ton nom de Laurent Rivière

Editeur : Toucan

J’avais découvert Laurent Rivière et son personnage récurrent Franck Bostik avec Le dernier Sycomore, et j’avais été agréablement surpris par sa plume simple mais évocatrice qui fournissait un réel plaisir à suivre la vie de cet ex-flic.

Dans ce nouveau roman, après la précédente et douloureuse affaire où Bostik devait enquêter sur la mort de Mathieu Groseiller (Le couz’), il a décidé de prendre le large, pour se ressourcer. Il laisse derrière lui sa femme adorée Lyly et prend la direction du Morvan, ses terres natales où l’attendent une vieille maison familiale. La proximité des bois lui permettra de devenir bucheron amateur, de faire des efforts physiques et se vider l’esprit.

En arrivant, une ancienne petite amie lui apprend qu’il est en réalité le père d’un adolescent. En apprenant qu’elle était enceinte, elle avait décidé de garder l’enfant sans en informer Bostik. Mais aujourd’hui, le bébé est devenu un adolescent difficile, qui sèche les cours, qui cache de l’argent dans sa chambre. Elle a peur qu’il soit impliqué dans des rackets ou pire, dans un trafic de drogue et pense qu’il a besoin d’être recadré par son père.

Bostik hésite, n’a pas encore pris sa décision mais la rencontre avec Livia, une amie archéologue va changer ses priorités. Lors de fouilles dans une cave des maisons noyées par le lac artificiel de Pannecière, elle a trouvé des ossements humains. Il semblerait qu’il s’agisse du squelette d’un enfant et les os attestent qu’il a été maltraité, ou du moins qu’il a reçu de nombreux coups. Bostik retrouve sa passion des enquêtes dans une affaire qui va lui en apprendre beaucoup sur sa région et sur lui-même.

Laurent Rivière va donc prendre comme argument la mise au vert de son personnage Franck Bostik pour nous parler de la dureté de la vie campagnarde mais aussi de la maltraitance des enfants. Il va aborder aussi la politique de repeuplement des campagnes dans les années 80 où l’on plaçait des orphelins dans des familles du Morvan (et probablement ailleurs) sans qu’aucun contrôle sérieux ne soit réalisé.

L’auteur aborde cet aspect en parallèle de la psychologie de Bostik, que l’on découvre hésitant, presque timide, en tous cas face à un problème qu’il ne sait pas gérer : comment prendre contact avec un adolescent de 12 ans alors que l’on est son père naturel ? Il fait cela sans esbroufe, de façon tout à fait naturel et je retrouve cette qualité que je cherche dans un roman : ce talent de dérouler une intrigue sans que l’on s’aperçoive de petits artifices.

Laurent Rivière confirme tout le bien que je pensais de sa plume et de sa faculté à dérouler une intrigue en mettant au premier plan la psychologie de son personnage. Il arrive à créer une intimité avec Bostik ce qui le rend attachant. Il ajoute dans ce roman un petit je-ne-sais-quoi qui rend son livre passionnant, intéressant, et on prend un grand plaisir à suivre Bostik dans ses problèmes personnels (qui vont se compliquer à la fin du roman et peut donner une idée pour la suite) et dans son enquête. Bostik devient un personnage que l’on a plaisir de fréquenter, de suivre ; en un mot, comme en cent, vivement le prochain !

La maison de la pieuvre de Serge Brussolo

Editeur : H&O

De cet auteur protéiforme et prolifique que j’aurais découvert sur le tard, je me délecte de ces romans faciles à lire et toujours surprenants. Et ce dernier roman a de quoi vous surprendre. En moins de 250 pages, il nous fait passer par toutes les émotions.

Et cela commence dès le prologue, où nous nous retrouvons avec Norman en voiture. Il ramène son fils Johan à son père, l’histoire de quelques jours, le temps qu’il l’éloigne de sa femme néfaste, le temps de son divorce. Sauf que Grand’Pa Lester dirige une secte qui honnit toute modernité et lui a fait subir une éducation sévère voire violente. Quant à Grand’Ma, elle est faite du même bois. Mais Norman pense que pour quelques jours, Johan peut les supporter.

Logiquement, on s’attend à ce que Serge Brussolo revienne sur cette éducation « à la dure ». Eh bien non, nous revenons certes en arrière, mais au moment où Norman décide de fuir son père et sa mère à l’adolescence, à la suite d’une blessure qui menaçait de s’infecter mortellement. Il sera accompagné de Branton, un boxeur mal vu de la secte. Débarquant à L.A., ils ont survécu de petits boulots avant qu’il ne rencontre Wilma, une actrice manquée qu’il épousera. Wilma créant une société de films pornos, Norman n’a pas d’autre choix que d’envisager le divorce.

Et là encore, on s’attend à la bataille entre Norman et Wilma … Eh bien non ! je ne vais pas vous raconter la suite, mais on se retrouve ici avec un auteur qui joue avec nos nerfs, et qui choisit des itinéraires qui ne sont pas ceux que l’on attend. On est toujours surpris par la direction de l’intrigue et on assiste même à la fin à de beaux rebondissements même quand on croit la situation établie.

Serge Brussolo ne s’attarde pas sur les descriptions, ni sur les psychologies. Toutes les situations, tous les actes permet de décrire bien plus efficacement leur psychologie. Et en moins de 250 pages, on va visiter une sombre secte perdue au fond des bois et les bas-fonds du cinéma de Los Angeles, dans une style fluide et toujours agréable, ce qui en fait un divertissement fort agréable.

On était des loups de Sandrine Collette

Editeur : Jean-Claude Lattès

Depuis Des nœuds d’acier, son premier roman, Sandrine Collette fait partie des auteures dont je lis tous les romans. Même si les histoires sont différentes les unes des autres, on retrouve des thématiques communes, ici la famille et l’errance, dans un roman fortement émotionnel.

Depuis qu’il est parti de chez ses parents, Liam habite aux abords d’une forêt, loin de toute civilisation. Il vit de sa chasse, de sa culture et se fait ravitailler une fois par mois par Mike, un ami qui a un hydravion. Il a rencontré Ava à la ville lors d’un de ses voyages et elle a accepté de le suivre. Puis Ava a voulu un enfant et Aru est né dans cette nature sauvage, peuplée d’ours et de loups.

Alors qu’il revient de la chasse, il sent que l’atmosphère a changé. Même s’il ne ressent pas de sentiments particuliers pour Aru, ce dernier ne court pas le rejoindre comme d’habitude. En faisant le tour de la maison, il voit Ava allongée. Il se rend vite compte qu’elle a été attaquée par un ours et rend son dernier soupir dans ses bras, dès que Liam a trouvé Aru caché sous sa femme.

Liam ne peut se résoudre de vivre dans ces conditions extrêmes avec un enfant de cinq ans. Il décide donc de se rendre à dos de chevaux chez son oncle et sa tante pour leur confier l’enfant. Le père et le fils vont entamer un long voyage dans un nature hostile, lui donnant l’occasion de se pencher sur les liens qui les unissent.

On peut avoir l’impression d’avoir lu ce genre d’histoire, et on peut penser chez Sandrine Collette à Juste après la vague ou chez Cormac McCarthy avec La Route (D’ailleurs, où est-ce que j’ai bien pu le ranger, celui-là ?). Elle choisit donc de s’approprier un thème connu, voire rabâché et y applique sa patte, de façon impressionnante tant l’immersion et l émotion transpirent de chaque page.

Que l’on soit homme ou femme, père ou mère, on se retrouve immergé dans l’esprit de Liam. Narrateur de cette histoire, il nous partage, avec ses propres mots, ses actes, ses pensées et ses décisions même si elles vont nous surprendre, nous choquer, et heurter la morale qu’on nous a inculquée. Sauf que cette histoire se situe dans un monde dur, brutal, celui de la nature sauvage où la moindre faiblesse se termine bien souvent par la mort.

On ne trouvera donc pas de dialogue, ou très peu, Liam étant un taiseux et Aru un tout jeune enfant qui suit son père comme un poids mort. Attendez vous à être surpris, tant par ce que fait Liam que par les scènes d’une dureté impitoyable. Et si je réagis comme cela, cela prouve que j’ai totalement adhéré à cette histoire, et qu’à la fin, j’ai mouillé mes yeux, non pas parce que j’ai accepté cet homme, mais parce que je me suis retrouvé à sa place.

En tout juste deux cents pages, Sandrine Collette nous fait voyager dans un monde inconnu, dans une nature sans pitié, peuplée d’êtres perdus, isolés, survivants. Il n’en faut pas plus pour qu’une auteure au talent immense nous fasse croire à une histoire incroyable, à deux personnages incroyables. Et le fait d’avoir sorti ce roman au moment de la rentrée littéraire d’automne laisse augurer une pluie de récompenses à venir, ce qui ne serait que justice.