Archives du mot-clé Polar

La colère de S.A.Cosby

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Szczeciner

J’étais passé à côté de son précédent roman, Les routes oubliées, donc cette lecture ressemble à une session de rattrapage et pour le coup, ce fut une sacrée découverte, entre roman d’action et dénonciation de l’homophobie.

Le roman repose sur deux personnages que tout oppose, Ike Randolf étant noir et Buddy Lee Jenkins étant blanc. Les deux ont connu la prison, et Ike est à la tête d’une entreprise de jardinage et Buddy Lee survit de petits boulots dans une caravane. Isiah, le fils d’Ike et Derek, le fils de Buddy Lee étaient mariés et viennent d’être abattus dans la rue. Ike et Buddy Lee se rencontrent lors de l’enterrement du couple.

Pour les deux hommes, la vie en couple de leurs fils n’est pas normal et ils avaient coupé tous les ponts avec eux. Maintenant qu’il est trop tard, les deux pères ont tout leur temps de ruminer leurs regrets. Si Ike et Mia sa femme s’occupent de l’éducation de leur petite fille Ariana, Buddy Lee veut réparer les erreurs qu’il a faites par le passé, surtout que l’enquête de police n’avance pas d’un poil.

Ike et Buddy Lee vont donc aller voir la police puis les anciens collègues de travail de leurs fils, mais cela ne les avance pas plus. Et puis, Ike doit faire tourner sa petite entreprise et ne veut pas se lancer dans une croisade meurtrière. Quelques jours plus tard, la pierre tombale est cassée et profanée. Pour Buddy Lee, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et il va décider Ike de se lancer à la poursuite des coupables.

Je plussoie tous les avis positifs publiés sur le Net chez les collègues blogueurs ou dans la presse. Avec une structure de roman d’action, l’auteur nous montre l’état de l’Amérique d’aujourd’hui, en implantant son intrigue dans le Sud des Etats-Unis, et plus particulièrement en Virginie Occidentale. De façon totalement assumée et fine, il montre le racisme mais aussi l’homophobie presque comme une base de la société américaine.

Cela passe par la rupture entre les deux pères avec leurs fils, qui n’ont pas accepté ni leur vie commune ni leur mariage, et cela continue avec certaines remarques de Buddy Lee, de mauvaises blagues qui ont l’art d’irriter Ike et qui montrent combien le racisme est implanté en chacun de nous. Et la démonstration se conclura vers la clôture du roman comme une généralisation.

Le roman est basé sur deux personnages vieillissants qui veulent redorer leur blason, et se trouver un objectif de rédemption devant leurs erreurs passées, en laissant libre cours à leur colère. S’ils ne nous paraissent pas agréables de prime abord, je dois dire qu’on finit par les suivre avec beaucoup de plaisir, autant pour leur humour que leur gout du jusqu’au boutisme désespéré, dans des scènes alternant entre sentiments et action pure.

Car S.A.Cosby arrive à trouver le bon équilibre entre humour, psychologie des personnages, dénonciation des extrémistes, rédemption vengeresse, émotions et des scènes visuelles et cinématographiques impressionnantes qui en font à la fois une excellente lecture et un très bon terreau pour un futur film. D’ailleurs, pour retrouver le plaisir que j’ai eu à le lire, j’ai déjà acheté Les routes oubliées qui vient de sortir au format poche chez Pocket.

Publicité

Sarek d’Ulf Kvensler

Editeur : La Martinière

Traducteur : Rémi Cassaigne

Franchement, un premier roman qui est récompensé par le Prix du meilleur premier roman policier de l’Académie suédoise, et qui fait partie des sélections pour le Prix du meilleur roman suédois de l’année et du Prix suédois Crimetime, ça me fait forcément saliver. Pas vous ?

15 septembre 2019. Une jeune femme en état d’hypothermie est récupérée par un hélicoptère ambulance près de la baie d’Aktse. A peine consciente, elle dit s’appeler Anna. Le lendemain, débute l’interrogatoire d’Anna Samuelson à l’hôpital de Gällivare par l’inspecteur Anders Suhonen.

Anna Samuelson se présente comme une juriste de Stockholm. Fiancée avec Henrik Ljungman, elle indique avoir fait une excursion avec lui, accompagnée par son amie Milena Tankovic et son petit ami Jacob Tessin. Henrik est plus âgé qu’Anna et a été son professeur à l’université. Ils avaient prévu de faire cette excursion dans le parc sauvage du Sarek et ont proposé à Milena de les accompagner. Milena vivait avec Jacob depuis une année et elle leur a proposé de venir avec lui.

Anna se rappelle quand Milena lui a parlé de Jacob, peu avant de partir. Il travaille en tant que consultant chez BCG. Anna ne peut s’empêcher de se renseigner mais personne chez BCG ne connait un homme de ce nom là.

Au moment du départ, Anna croit reconnaitre en Jacob un homme dont elle a suivi le procès en tant que greffière au tribunal de Nacka. Si elle se souvient bien, à l’époque, le dénommé Jacob était poursuivi pour violences domestiques.

Maintenant se pose à elle la seule question vitale : Doit-elle continuer cette excursion avec Henrik ou doivent-ils faire demi-tour ?

Sur une trame proche de A qui la faute de Ragnar Jonasson que j’ai lu récemment, j’ai forcément comparer les deux romans, ce qui n’est peut-être pas une bonne idée.

Le roman de Ragnar Jonasson est un roman choral faisant la part belle à la psychologie de ses personnages. Sarek se présente plutôt comme un roman conté par Anna, alternant les interrogatoires de la police avec sa propre narration.

Le roman de Ragnar Jonasson se passe en un lieu unique, une cabane harcelée par la tempête de glace alors qu’ici nous suivons l’épopée dans un paysage glacé et montagneux, exigent en termes d’efforts.

Mais dans les deux cas, les deux auteurs jouent la carte de la subjectivité et savent ménager le suspense jusqu’à la fin. Dans A qui la faute, la vérité sera à chercher dans le passé des protagonistes ; ici, il sera plus question de tension qui va monter au fur et à mesure de l’histoire.

Enfin, Ragnar Jonasson a voulu un roman court et bref alors que Ulf Kvensler propose de belles descriptions et les sentiments d’Anna, au risque d’être parfois bavard. Dans les deux cas, les deux romans nous proposent un très bon suspense, avec des mailles dans lesquelles on aime se laisser prendre. Et retenez bien ce nom, Ulf Kvensler, car son roman est prometteur pour la suite.

La lisière de Niko Tackian

Editeur : Calmann-Lévy

Parmi les lectures que je note dès le début d’année, on y trouve le dernier roman de Niko Tackian, puisque l’on a la chance d’avoir droit à un nouvel opus tous les ans. Et pour le coup, celui-ci est un sacré puzzle !

Vivian Legoff se rend chez sa belle-mère en compagnie de son mari Hadrien et de son fils Tom. Rien ne devrait survenir jusqu’à ce qu’un choc secoue la voiture, en plein milieu d’un brouillard breton, dans les monts d’Arrée. Il s’agit sûrement d’un chien errant, mais Hadrien tient absolument à s’arrêter pour voir les dégâts. Et comme Tom a envie de faire pipi, cet arrêt tombe bien.

Au bout de quelques minutes, Vivian, restée seule dans la voiture, n’entend plus rien. Elle sort, appelle son mari et son fils, en vain. Quand elle contourne la voiture, elle aperçoit l’ombre d’un homme armé d’une hache et elle s’enfuit effrayée. A un croisement, à bout de nerfs, elle est recueillie par un chauffeur routier qui la conduit à la gendarmerie, en état de choc. La lieutenante Maëlys Mons recueille son témoignage et envoie immédiatement une équipe sur place. Mais les gendarmes ne retrouvent pas de trace de la voiture. Vivian a-t-elle inventée ce cauchemar ?

Ron habite dans une petite cabane, où il vivote avec le peu d’argent qu’il arrive à récupérer. Il sort un petit sachet de drogue de sa poche et sait que c’est son dernier. Tant pis ! il s’envoie la ligne tant désirée avant d’entendre un bruit. Quand il sort, il voit Vulcain, son chien, venir près de lui tout penaud. En passant ses mains sur son pelage, Ron s’aperçoit que son chien est plein de sang.

Ce roman commence comme un roman psychologique, avec Vivian qui a subi un traumatisme et cherche des explications à ce qu’elle ne peut comprendre … et nous non plus d’ailleurs. Et puis, on ne comprend pas non plus ce que Ron vient faire dans cette histoire. Jusqu’à ce que Vivian parte à la recherche de sa famille en parallèle de la gendarmerie.

Et là, attention ! D’un début mystérieux on entre comme dans une partie de puzzle, où on se retrouve avec des pièces qui ne coïncident pas avec le reste du décor. Mais on retrouve suffisamment de nouvelles pièces pour avoir envie de comprendre le fin mot de l’histoire. Vivian ne devient plus le centre de l’histoire, d’autres personnages font leur entrée et tout cela aboutit à une histoire extraordinaire à la construction diabolique.

Niko Tackian, en grand maître d’œuvre de scénarii complexe nous dévoile petit à petit son histoire avec un art totalement bluffant. Il a minutieusement bâti tous les fils de son intrigue, a tranquillement posé des jalons pour nous faire voir à la toute fin une vue d’ensemble, en évitant des scènes sanglantes. Avec ce roman-là, Niko Tackian déploie tout son génie de faiseur d’histoire pour notre plus grand plaisir.

L’Hallali de Nicolas Lebel

Editeur : Editions du Masque

L’Hallali est le troisième tome des enquêtes d’Yvonne Chen après Le Gibier et La Capture, et est affublé d’un sous-titre : « A jouer double, on perd de vue sa cible ». Evidemment, si vous n’avez pas lu les deux premiers tomes, vous pouvez passer les trois prochains paragraphes qui vont spolier un peu les deux intrigues précédentes.

Depuis qu’Yvonne Chen a perdu son équipier Paul Starski, assassiné par un groupe de tueurs nommés Les Furies, elle voue sa vie à les pourchasser pour se venger. Elle a raté l’occasion dans une aventure en Bretagne et a depuis été radiée de la police. Elle patiente devant sa télévision qu’une nouvelle occasion se présente. Quand Alecto, le stratège des Furies la contacte, elle va accepter cette nouvelle mission sous forme d’infiltration.

Alecto conçoit ses missions comme des danses. Celle-ci se déroulera dans le château de Lieselshertz dans les Vosges, où l’on y concocte le Vin des Glaces, un nectar valant des fortunes. L’objectif de la mission sera d’obliger les barons Ulbricht et Herman Mayer à vendre le château pour combler les dettes d’Herman, jet-setter dépensier. Mais cela devra se dérouler sans aucune effusion de sang.

Alecto convoite les talents d’Yvonne et la convie à les rejoindre, lui, Megara et Tisiphone, mais elle ne connaitra pas le scénario et devra improviser. Tisiphone est déjà sur place, Megara et Yvonne joueront le rôle de négociants de vins. En mettant la pression sur Ulbricht, ils devront lui arracher l’achat du château pour une bouchée de pain … ou une gorgée de vin. Mais rien ne va se passer comme on pourrait le croire.

Une nouvelle fois, Nicolas Lebel va nous surprendre, et le mot est faible, dans cette intrigue retorse au possible, où il est question de double jeu, d’agent double, triple voire quadruple. Si la première partie du roman se déroule de façon plutôt classique, on se retrouve totalement retourné quand Nicolas Lebel nous sort une carte de son jeu que l’on n’attendait pas !

Je ne vais pas faire la liste des qualités de Nicolas Lebel : elle serait trop longue. Le roman est remarquablement bien écrit, les dialogues superbes et le scénario retors au possible. On finit par ne plus savoir qui est la proie, qui est le chasseur et surtout si tout ce petit monde maitrise son scénario entre les Furies et la Police. Une nouvelle fois, on ressent tout le plaisir que l’auteur prend à construire ses intrigues et à nous les partager.

Enfin, il est à noter que si le précédent roman était construit comme une partie d’échecs, celui-ci suit la trame d’un tournoi médiéval, de la présentation des participants au combat jusqu’à sa conclusion. On prend un plaisir fou à essayer de deviner la fin mais cela devient tellement impossible tant l’esprit de Monsieur Nicolas Lebel est tordu. Je note juste un petit regret, c’est d’avoir perdu en humour ce qu’on a gagné en construction de scénario.

Sans collier de Michèle Pedinielli

Editeur : Editions de l’Aube

Après Boccanera, Après les chiens, et La patience de l’immortelle, voici la quatrième affaire de notre détective privée niçoise Ghjulia Boccanera, surnommée par ses proches « Diou », dans une intrigue emberlificotée.

Diou et Dan son colocataire viennent de recevoir une nouvelle lettre de menace, sous prétexte qu’il est homosexuel ou qu’elle a ennuyé quelqu’un dans le cadre d’une de ses enquêtes. La menace ne laisse planer aucun doute : « Toi et l’enculé, on t’aura ». Pourtant, depuis son retour de Corse, elle n’a pas eu d’affaire extraordinaire. Et Dan tient une galerie d’art ce qui est difficilement concevable avec le contenu de la lettre.

Shérif Haïchout ressemble à l’exception dans l’entourage de Diou. Il est son ami et inspecteur de travail. Shérif se bat pour faire respecter les lois de protection des travailleurs. (J’adore la description qu’en fait Michèle : « Shérif est basané, communiste, tenace et obèse »). Shérif travaille sur le chantier Emblema, encore un qui ne sert à rien d’autre que détruire le Vieux Nice. A part quelques accidents transformés en incidents domestiques (ce qui est pratique quand une entreprise ne veut pas voir ses cotisations sociales augmenter), Shérif déplore un ouvrier qui s’est volatilisé. Il demande à Diou de retrouver le disparu, un moldave du nom de Marcus Cebanu.

Diou se rend à l’adresse officielle de Marcus, un immeuble délabré derrière la gare, loué une fortune à des sans-papiers. Sur la boite aux lettres, elle voit plusieurs noms et trouve l’appartement de Marcus. Le jeune homme qui lui ouvre est en fait son cousin. Il n’a plus de nouvelles de Marcus depuis le lundi précédent.

Michèle Pedinielli par la voix de Diou continue de nous parler de notre monde, de notre société et en particulier des « petites gens », les exploités qui rament pour survivre. A travers cette intrigue complexe, elle aborde les conditions de travail sur les chantiers et dévie peu à peu sur un trafic de drogue. Elle aborde aussi les conditions de vie des immigrés, l’homophobie, l’impunité de certains, et le difficile héritage d’un passé sanglant.

En parallèle, nous suivons un jeune homme qui passera par Bologne, pendant les années de plomb. Il va se regrouper avec d’autres jeunes qui ne sont pas impliqués par les différentes factions en œuvre en Italie dans les années 80 mais vont en subir les conséquences dramatiques. A l’image de l’attentat de Nice, l’auteure ne prend pas position, mais porte son regard de témoin envers les victimes, en évoquant celui de Bologne en 1980.

Cette nouvelle enquête de Diou comporte tous les ingrédients des précédentes, et se veut un regard chargé de reproches envers des dirigeants qui n’ont rien à faire des gens qui tentent de vivre avec le peu qu’on leur octroie. Malgré une intrigue à multiples entrées, Michèle Pedinielli narre une belle histoire d’amitié-amour-loyauté qui traverse les âges et conserve son regard lucide sur notre société, où de nombreux passages humoristiques permettent de faire retomber la rage chez le lecteur. Continue, Diou, je te suivrai où que tu ailles !

Kepone de Philippe Godoc

Editeur : Viviane hamy

On avait perdu l’habitude de lire des polars engagés relatant des scandales récents, de ceux qui vous révulsent et vous donnent envie de vomir. Le fait que ce soit un premier roman est un argument supplémentaire pour que je me penche dessus.

Marc Montroy est un jeune journaliste pour un magazine écologiste de métropole « L’écologue ». D’origine guadeloupéenne par son père, il doit enquêter sur le scandale de la Chlordecone, produit inventé par Allied Chemical et interdit par les autorités américaines en 1975. Le brevet a ensuite été racheté par une entreprise brésilienne et fabriqué dans quelques pays dont la France. Il a été utilisé aux Antilles pour lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur pour ces cultures. Il faudra attendre 1993 pour que cet insecticide fortement polluant soit officiellement interdit. En 2023, un non-lieu a été prononcé par la justice française, alors que depuis 2009, le Chlordecone est inscrit dans la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants.

Marc Montroy commence son enquête à Hopewell (Virginie), où le Chlordecone a été fabriqué. Il y rencontre le Professeur Ashland, qui lui en apprend un peu plus, en particulier sur le fait que tout le monde savait avant 1970 que ce produit était dangereux. Il lui annonce aussi que la société qui a racheté le brevet est domiciliée au Brésil, qu’elle se nomme Farma mais que personne ne connait son actionnariat.

Quand il apprend par son demi-frère que l’on vient de diagnostiquer un cancer de la prostate à Celio son père, il décide de le rejoindre et d’en profiter pour continuer son enquête aux Antilles. Apprenant l’agression et la mort du Professeur Ashland, Marc Montroy se retrouve bientôt confronté à une spirale de violence concernant toutes les personnes proches du dossier Chlordecone.

Bien qu’ayant entendu parler de ce scandale sanitaire, je n’y avais pas prêté plus d’attention que cela avant de commencer cde roman. Et heureusement, Philippe Godoc nous remet les pendules à l’heure dans le début du roman, avant de s’orienter vers une intrigue plus resserrée, rythmée et bien stressante. Et il arrive à tenir le rythme du début jusqu’à la fin, remarquable !

L’auteur a donc choisi une forme classique du polar, avec un personnage principal journaliste et qui a toutes les qualités pour nous paraitre sympathique. Comme je le disais, le roman commence par une partie enquête qui permet de situer le contexte avant que Marc Montroy arrive en Guadeloupe. Et à partir de ce moment-là, les événements s’enchainent à une vitesse folle ce qui rend la lecture de ce roman addictive.

Outre son aspect documentaire complet, Philippe Godoc nous parle de la situation des Antilles, des connivences des hommes politiques et de leurs liens avec les riches industriels, de la haine des locaux envers les « Békés », des systèmes mafieux qui se permettent tout pour conserver leur position dominante, tout cela au travers des différents personnages secondaires (qui ne le sont pas).

Bref, ce roman est une excellente découverte, un premier roman comme je les aime, avec toute la passion de l’auteur envers cette région qu’il adore. Il renvoie dos à dos les différentes parties en conservant le recul nécessaire pour que le message porte. Kepone est un roman emballant, bluffant, qui mérite que l’on en parle, autant par ses qualités littéraires que par son sujet, surtout quand on apprend qu’un non-lieu a été prononcé envers les coupables. Rageant !

Respire de Niko Tackian

Editeur : Calmann-Levy (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

Niko Tackian est un auteur que j’affectionne particulièrement, pour la qualité de ses scénarii et son talent à nous plonger dans des intrigues prenantes. Ce nouveau roman est un roman orphelin, qui mélange les genres entre polar et fantastique.

Désirant tourner le dos à sa précédente vie d’auteur de romans, après avoir connu de cuisants échecs après le succès de son premier opus, Yohan a pris contact avec Blue Skye. Cette société lui propose moyennant finances de gommer sa vie antérieure et de s’exiler sur une île, et de tout démarrer. Il avale donc la pilule noire qu’on lui fournit, s’évanouit et se retrouve donc dans une chambre d’hôpital, 48 heures plus tard.

Yohan découvre son nouveau nom Achab, et son nouveau métier, détective ; Achab comme le nom du capitaine du roman de Melville « Moby Dick. », dont il trouve un exemplaire dans son bureau. La maison dans laquelle il se réveille est fonctionnelle, rangée et la cuisine pleine de vivres. Le docteur Temple lui souhaite la bienvenue dans un monde où chacun a un nouveau nom.

Rapidement, Flint lui présente l’île, et son rôle sur l’île, épicier. Cette île est ravitaillée toutes les semaines, mais on n’y trouve aucun port. De même, en tant que détective, il n’a aucun mystère à résoudre, si ce n’est de découvrir ce paysage paradisiaque, qui présente des faces cachées. Son esprit curieux va le pousser à en savoir plus. Bientôt, il apprend que son prédécesseur s’est suicidé.

Le savoir-faire de Niko Tackian n’est plus à démontrer, quand il s’agit de dérouler une intrigue mystérieuse. Prenant comme point de départ un exil, il nous concocte un huis-clos en introduisant petit à petit les questions que Yohan se pose. Et nous, en tant que lecteurs, nous ne pouvons que le suivre dans sa recherche, d’autant plus que les habitants laissent planer des doutes qui sèment des troubles dans ce paysage.

Bien que le rythme soit lent, on ne peut qu’être attrapé par ces descriptions, ces rencontres, et ces questionnements. En tant qu’auteur de thrillers, il termine chaque chapitre sur un suspens qui vous oblige à continuer la lecture. Psychologiquement, c’est bien fait, c’est prenant, mais il faut dire que l’on a affaire avec un auteur qui maitrise son sujet et sait passionner son lectorat.

Ce roman m’inspire deux ou trois réflexions. La première est qu’il a été écrit pendant le confinement et que le thème de l’enfermement et de l’isolement ressort très nettement de cette intrigue. La deuxième vient de l’insertion dans l’intrigue d’un aspect surnaturel, fantastique (un mur invisible) qui n’était pas forcément nécessaire pour l’histoire. Enfin, la fin m’a laissé dubitatif. Sans critiquer l’imagination de Niko Tackian, cette conclusion donne l’impression que l’auteur ne savait pas comment mettre le pont final à son roman. Il faudra d’ailleurs que je lui demande quand je le verrai dans un salon, pour savoir s’il avait prévu cette fin dès qu’il a commencé son écriture.

Ceci n’est pas une chanson d’amour d’Alessandro Robecchi

Editeur : Editions de l’Aube

Traducteurs : Paolo Bellomo & Agathe Lauriot Dit Prévost

Suite au billet de Jean-Marc Lahérrère, j’avais acquis ce roman et l’ai mis de côté. Maintenant que les trois tomes sont sortis, nous commençons donc une semaine complète dédiée à Alessandro Robecchi et son personnage récurrent Carlo Monterossi.

A voir les célébrités (que l’on appelle « stars ») squatter les émissions de télévision et étaler leurs problèmes de cœur, Carlo Monterossi a l’idée de transposer le concept auprès des gens du public et créé l’émission « Crazy Love ». Grâce à des scenarii concoctés aux petits oignons, l’émission rencontre un succès immédiat dès lors qu’il s’agit de regarder les malheurs de la ménagère, aidé en cela par la présentatrice vedette que tout le monde s’arrache Flora de Pisis.

Sauf que Carlo Monterossi ressent de la lassitude et veut arrêter de produire son émission pour « l’Usine à merde ». Quand un homme frappe à sa porte en voulant lui coller une balle entre les deux yeux, Carlo va faire appel à des deux amis Nadia et Oscar pour résoudre ce mystère plus tôt que la police ne serait capable de le faire.

Un homme riche monsieur Finzi fait appel à deux tueurs à gages pour résoudre un petit problème. Afin de pouvoir réaliser son centre commercial, il fait appel à un intermédiaire pour déloger des gitans du terrain. Mais l’affaire tourne mal, avec tirs de coups de feu et lancers de cocktail Molotov. Le bilan est lourd, deux morts côté gitans dont un enfant, et des policiers blessés. Il veut donc se débarrasser de l’intermédiaire incompétent.

En parallèle, les gitans ne peuvent pas laisser impuni cet acte meurtrier envers les leurs. N’ayant aucune confiance envers la police, et ils ont raison, ils vont mandater Hego et Clinton pour retrouver les assassins et les faire disparaitre de la surface de la Terre, ce qui ne serait pas une lourde perte.

Si vous ne le savez pas, je nourris une véritable aversion envers la télévision. Je ne peux donc que louer Alessandro Robecchi quand il l’évoque sous le terme « Usine à merde ». Et je m’attendais à détester Carlo Monterossi avant même de tourner la première page. Par son métier, scénariste et producteur d’émission de bas-étage (c’est mon opinion), Carlo pourrait ressembler à un chasseur de primes sans âme, courant après le profit en créant des émissions voyeuristes sans limites pourvu que cela lui ramène du fric.

Sauf que Carlo Monterossi, après avoir rencontré un succès incommensurable, songe à changer d’orientation devant son « bébé » qui devient de plus en plus obscène. Vous l’aurez compris, loin d’être un personnage exempt de tout reproche, nous avons affaire à quelqu’un en quête de rédemption, d’autant plus qu’on va vouloir attenter à sa vie. En comparaison, ses acolytes Nadia et Oscar sont plus effacés … mais attendons la suite de la série.

Par contre, les deux autres groupes permettent de profiter pleinement de l’humour de l’auteur, très cynique et bien noir comme je l’aime. Autant Carlo nous montre un humour noir et désabusé sur le Système, autant les tueurs à gages nous offrent des répliques d’une drôlerie irrésistible. Même certaines scènes prêtent à rire surtout dans la dernière émission de Crazy Love, flirtant avec du burlesque.

Enfin, Alessandro Robecchi a construit une intrigue retorse à souhait. Au-delà de faire avancer trois groupes indépendants n’ayant aucun lien, il va bâtir son édifice petit à petit et faire se rencontrer tout le monde, d’une façon totalement naturelle. On ne peut qu’être ébahi par cette maitrise mais aussi par le rythme global, même si on peut regretter quelques passages inutilement bavards et la présence d’un groupe néonazi qui aurait mérité à lui seul une enquête supplémentaire.

En conclusion, j’ai envie de dire : « Chouette, un nouveau personnage récurrent à suivre. » Mais il faut aussi souligner la remarquable acuité du monde de la télévision, la description de groupes néonazis, le ton personnel parsemé d’humour caustique et des personnages attachants. Ceci n’est pas une chanson d’amour, qui rappelle un titre de Public Image Limited, est une très bonne entrée en matière dans les affaires de Carlo Monterossi.

Nés sous X de Cicéron Angledroit

Editeur : Palémon

Après Sois zen et tue-le … voici le deuxième tome des aventures de Cicéron Angledroit (dit Claude Picq), René et Momo.

Margueron arrive à vivre en commettant de petits larcins avec un ou deux complices. Cette fois-ci, il a eu un bol pas possible. Suivant des braqueurs de banque, il les a vus se séparer et l’un d’eux cacher son butin dans une maison avant de ressortir. Margueron n’avait eu qu’à entrer par effraction et mettre la main sur quelques belles liasses, qu’il ne devrait pas partager pour une fois.

René vient déranger Cicéron alors qu’il garde sa fille, pour lui proposer une nouvelle affaire, une affaire pas ordinaire. Margueron déjà attablé au bar de l’Interpascher lui montre la une du Parisien, une rafle spectaculaire de la police à Mennecy. Bizarre que la police ait débarqué  une demi-heure après Margueron dans la maison où la braqueur a déposé son butin. Mais chose plus étrange encore, le braqueur que Margueron a suivi pose en photo, non pas avec les menottes aux mains mais en tant que policier ayant procédé à l’interpellation. Il y a du pourri dans l’air !

Cette affaire ne va pas lui mettre plus de beurre dans les épinards. Mourad N’Guyen, son peut-être futur potentiel client et connaissance de René, Il lui montre un extrait de journal des Yvelines où, lors d’une prise d’otages, le forcené a été tué. A première vue, ce n’est qu’un fait divers, mais l’homme en question est le sosie, trait pour trait, de Mourad. A Cicéron de trouver une potentielle possible lignée, pour un plein gratuit pour la Fiat, car Mourad tient la pompe à essence.

On retrouve donc nos trois compères dans de nouvelles aventures avec au centre Cicéron qui aimerait passer plus de temps avec sa fille. Mais entre l’envie de faire tomber des flics pourris pour aider le commissaire Saint Antoine (ce dernier n’avait pas de nom dans le premier tome, et puis avouez que c’est un bel hommage !) et cette mystérieuse histoire de ressemblance, il a de quoi faire !

Bref, ce que j’aime, c’est l’impression de suivre Cicéron dans ses pérégrinations, comme si elles étaient improvisées, de goutter à ses réflexions et ses détournements de la langue française (il y en a moins que dans le premier tome) et son ton toujours décontracté et humoristique (il n’y a que les contrepèteries où je passe au travers). Ajoutez-y une pincée de sexe, une grosse louchée de personnages frappés avec leurs descriptions à l’avenant et vous obtenez un bien agréable divertissement.

Dans les règles de l’art de Makis Malafékas

Editeur : Asphalte

Traducteur : Nicolas Pallier

Cela faisait un petit bout de temps que je ne m’étais pas penché du côté de chez Asphalte. Il a suffi que mon dealer de livres attire mon attention sur ce premier roman pour que je plonge aussitôt. Accrochez-vous, ça va vite.

Ecrivain grec vivant à Paris, Mikhalis Krokos profite du lancement de son dernier roman consacré un musicien de jazz John Coltrane pour revenir à Athènes. Tout est prévu pour que le livre soit annoncé en grandes pompes lors de la Documenta, la grande exposition d’art contemporain, qui est pour la première fois décentralisée en Grèce.

Il retrouve Christina, sa grande amie, qui lui demande un service. Lors d’une soirée orgiaque, leur ami Harry a demandé à ses invités de dessiner sur un tableau pour créer une œuvre nouvelle. Alors qu’elle avait abusée d’alcool et de drogues, elle a fait un pari de dérober le tableau, ce qu’elle a fait. Mais, pleine de remords, elle voudrait le rendre à Harry et ne sait pas comment le faire.

Le lendemain matin, malheureusement, Christina se rend compte que quelqu’un a pénétré chez elle et a dérobé le tableau. Krokos, par gentillesse, accepte de rendre visite à son ami Harry dans sa luxueuse villa d’Hydra pour savoir s’il est l’auteur du vol ou s’il tient vraiment à récupérer cette peinture sans aucun intérêt. Krokos vient de mettre un doigt dans un engrenage qui va le dépasser.

Ce roman comporte tous les ingrédients d’un polar pour me plaire. On se retrouve avec un personnage principal jeté en pâture dans une affaire qui au départ peut paraitre simple et qui va se compliquer au fur et à mesure. On apprécie le style simple et rythmé ainsi que les événements qui s’enchainent et qui créent un tourbillon qui nous entraine dans sa course folle. Bref, c’est du pur plaisir.

J’ai été surpris de la facilité de l’auteur à nous faire vivre l’ambiance chaude (cela se passe en été) d’Athènes, à nous décrire la ville et à nous présenter le festival, les coulisses, les antis qui montent leur propre contre festival. Et on a droit aussi à des fêtes, toutes plus orgiaques les unes que les autres, avec drogues, alcools et sexe à gogo, ce qui entre en opposition avec l’état de délabrement du pays.

Et c’est ce chemin là que Makis Malafékas nous propose d’emprunter avec le trafic d’œuvres d’art, élargissant même son propos au niveau international, dans lequel il ne se gêne pas pour montrer une Grèce plus victime que proactive sur ce terrain. Je ne sais pas si ce qu’il raconte à des bases réelles, le fait est que j’ai passé un bon moment avec ce roman et que je le recommande chaudement (je vous rappelle que cela se passe à Athènes en été !). Et puis, un auteur qui cite Richard Brautigan est forcément à suivre !