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Pour la place du mort de Charlie Huston (Seuil Policiers)

Attention, coup de cœur ! Ce roman là, je l’avais noté sur son résumé de quatrième de couverture. Conforté dans mon choix par le billet de l’ami Claude Le Nocher, je l’ai bien vite acheté, puis stocké en attendant que l’actualité se calme. Le voici donc !

C’est l’histoire de 4 copains au début des années 80 : Paul, Hector, George et Andy. Paul est le plus grand, et veut s’engager dans l’armée, pour assouvir sa violence et s’éloigner de son père qui a raté ses études. Hector, mexicain d’origine, est un adorateur de punk rock comme Paul. Pour compléter le groupe, il y a George et Andy, les deux frères : George le grand fainéant et Andy le petit génie des mathématiques. Tous s’ennuient en cet été chaud.

Andy vient de faire une bêtise : il a laissé son vélo dans la rue sans l’attacher. Evidemment, il a été volé, et cela ne peut être que l’œuvre de Timo Arroyo. Celui-ci déboule la rue juché sur le vélo. Timo est le plus jeune du gang Arroyo, qui est composé de Francisco et Ramon, gang qui deale de la drogue au lycée. Lors d’un affrontement de nos 4 comparses avec les Arroyo, ils arrivent à récupérer le vélo.

En guise de représailles, ils décident d’aller cambrioler la maison des Arroyo. Ils fouillent toutes les pièces, découvrent de l’argent dont ils s’emparent, et finissent par tomber sur un laboratoire amateur de fabrication de drogue. Dans un réfrigérateur, ils trouvent des sachets de drogue et Paul s’empare d’un sachet de 500 grammes. Puis, ils continuent par la maison d’un voisin où ils volent des bijoux.

Paul passe un coup de fil anonyme à la police pour dénoncer les Arroyo, et la petite bande débarque chez Jeff, un copain d’école de leurs parents, qui a toutes les combines pour fourguer le résultat de leurs larcins. Seulement, on ne s’improvise pas bandit de grand chemin, surtout quand on a affaire à de vrais truands. Le décor est planté pour lancer la spirale dans laquelle ils vont s’enfoncer.

Le 9 décembre 1980, ma mère entre dans ma chambre pour me réveiller et m’annonce que l’on vient de tuer John Lennon. J’étais au collège et je n’écoutais que les disques des Beatles et de John Lennon. J’ai décidé de rester couché et de ne pas aller au collège. Je ne comprenais pas que l’on puisse tuer un homme, comme ça, sans raison, qui plus est quelqu’un qui prônait la paix. Quelques semaines plus tard sortait Back in black de AC/DC, album hommage à Bon Scott, mort dans sa voiture après une beuverie. Cet album résonnait pour moi comme un cri envers l’injustice de la mort.

Pourquoi cette petite digression ? Parce que les gamins de ce roman vivent par la musique, et que celle-ci est très proche de ce que j’ai écouté. Ce livre m’a fait vibrer dans sa première partie par cette similitude avec ma propre jeunesse, avec ces questions, ces envies, ces sensations, ces réactions envers le monde. Tout ça pour dire que nous avons été jeunes, nous avons fait des conneries, et nous avons tiré les leçons et les enseignements que la vie nous a fait subir.

Ce roman raconte une histoire simple, mais tout sonne juste : les caractères de nos quatre jeunes jusqu’à l’attitude de leurs parents, les situations et les dialogues, la psychologie des personnages sans en rajouter des tonnes, juste par petites touches, leurs rêves juvéniles venant en opposition à la dure réalité vécue par l’échec de leur père ou mère. Ça m’a fait frissonner et a fait résonner une once de nostalgie.

C’est un hymne à tous les parents qui pensent protéger leurs enfants, une symphonie à tous les jeunes qui font des bêtises et apprennent leurs gravités après en voir subi les conséquences. C’est un roman noir, avec cette différence entre la première et la deuxième partie, où d’abord on se prend de sympathie pour eux avant qu’ils fassent un petit tour en enfer, un superbe roman qui nous montre que la vie n’est pas si facile, et que l’expérience s’acquiert au prix de douloureuses épreuves. Avec un suspense haletant et une fin éblouissante, ce roman ne pouvait être qu’un coup de cœur Black Novel décerné haut la main. Vous l’aurez compris, c’est un livre à lire à tout prix.

Le doulos de Pierre Lesou (Plon – Noir Rétro)

Depuis le mois de juin de cette année, les éditions Plon ont créé une nouvelle collection qui s’appelle Noir Rétro, dans laquelle els réédite les romans noirs français des années 50-60. Voici donc le Doulos de Pierre Lesou.

Dans les années 50, Maurice Faugel, dit Maur sort de prison après avoir purgé une peine de 5 années de prison. Maur est tombé suite à un cambriolage qui a mal tourné mais il n’a jamais balancé ses complices. Pendant sa détention, Maur apprend que sa femme Arlette a été assassinée. Depuis sa sortie de prison, il loge chez Gilbert, un receleur. Obnubilé par la vengeance, il tue Gilbert et lui dérobe des bijoux et de l’argent, sur qu’il est d’avoir supprimé l’assassin de sa femme.

Après avoir enterré son butin, il rentre chez Thérèse chez qui il habite provisoirement, pendant qu’il prépare son prochain coup. Maur reçoit la visite de Silien, son meilleur ami. Silien est soupçonné d’être un indic de l’inspecteur Salignari, mais Maur n’en croit rien. C’est son meilleur ami. Silien ne veut pas participer à ce nouveau coup et fait comme s’il n’était pas intéressé, alors qu’il ramène les outils pour percer le coffre fort d’une villa situé proche du bois de Boulogne.

Maur remercie Silien puis attend Remy, qui doit arriver juste après le départ de Silien. Silien, une fois dehors, se précipité dans une cabine téléphonique d’un petit bar pour appeler l’inspecteur Salignari. Puis, plus tard, Silien revient chez Thérèse, l’agresse puis obtient l’adresse du cambriolage. Lors de ce cambriolage, les flics débarquent. Maur et Remy s’enfuient à pied, pris en chasse par la police. Remy est atteint par une balle, et va mourir, Maur va descendre Salignari pendant sa fuite. Maur va-t-il pouvoir s’en sortir ? Quel est le rôle de Silien ? Qui est ou sont les traîtres ?

Si vous avez vu le film de Jean-Pierre Melville (1962) avec Serge Reggiani (Maur) et Jean-Paul Belmondo (Silien), vous devez lire ce livre. Si vous ne l’avez pas vu, lisez le avant d’aller acheter le film. Car c’est un roman avec un scénario implacable avec des personnages forts et une ambiance du tonnerre. Evidemment, des passages du film me sont revenus en tête pendant la lecture, et cela grâce à la force d’évocation du texte, qui joue beaucoup sur les contrastes : J’avais un souvenir d’un film aux couleurs sombres (c’est un film en noir et blanc) avec des éclairages peu nombreux mais violents. Et c’est ce qu’on retrouve dans ce roman. Il y a peu de descriptions, mais chacune d’entre elles met en place cette ambiance noire.

Outre le scénario, plus retors que ce que l’on peut croire, la galerie de personnages est parfaitement réussie. Vous ne trouverez pas de longues descriptions psychologies, juste quelques phrases par ci par là des pensées des protagonistes. Mais majoritairement, ce sont leurs actes qui décrivent le mieux les traits de caractère des personnages. Avec un Maur obnubilé par sa loyauté envers ses amis, avec un Silien trouble dont on ne sait jamais ce qu’il fait, l’intrigue se déroule avec une froideur tranquille. Ne cherchez ni bon, ni mauvais chez les truands ou chez les flics, il faut juste se laisser emmener par cette histoire.

Une nouvelle fois, les éditions Plon, via leur collection Noir rétro ont bien fait de ressortir ce roman noir, qui sent bon les années 50 à Paris, dans le milieu des petits truands d’après guerre. Avec des personnages forts et une intrigue solide, une ambiance sombre voire glauque, ce roman confirme que l’on peut acheter cette collection les yeux fermés. Celui ci est une très bonne histoire d’amitiés viriles avec son lot inévitable de loyautés et de trahisons. C’est du polar costaud, poisseux, presque un témoignage de cette époque.

En ce qui me concerne, il m’en retse deux à lire (Rictus et Rififi chez les femmes) et un à acheter (Le demi-sel). A bientôt donc.

Bloody Valeria de Stéphane Gravier (Mon petit éditeur)

L’avantage des partenariats avec les éditeurs, c’est que l’on découvre de nouveaux auteurs, de nouveaux horizons, et une écriture personnelle parfois. C’est surtout l’occasion de lire des auteurs que je n’aurais pas découvert tout seul. Merci donc à Blog-0-Book et Mon petit éditeur pour cette découverte.

Victor se réveille ce matin là avec une pêche d’enfer. Sur son Fenwick, il est bien décidé à faire du grand rangement dans le hangar 23. Sur le chemin, il se fait doubler par une dizaine de cars de CRS. Arrivé sur place, Marcel, son ami de toujours, qui l’a aidé à sortir de l’ornière, lui apprend que l’usine a été déménagée en intégralité pendant le week-end. Au bout d’une bataille rangée qui dure peu, les CRS déménagent les ouvriers pour laisser passer les derniers convois de machines.

Nathan est docteur en médecine générale. Un homme bâti comme une armoire à glace nazie l’attend avec une photographie : celle de Nadine sa femme et Laurie sa fille qui ont été kidnappées. Le seul message du gorille est : « Suivez les instructions ». Nathan doit parler à quelqu’un, et surtout pas à la police. Il se résigne à appeler son frère Victor, qu’il n’a pas vu depuis deux ans. Nathan travaillait alors aux urgences et n’a pas été capable de sauver Marie, le future femme de Victor, qui venait de se faire renverser par un camion.

Arrivé à l’hôpital, le gorille l’attend. Après le rappel des menaces d’usage, il lui laisse une enveloppe contenant une partie des instructions. Il doit récupérer une poche de groupe O+ au dépôt de l’hôpital, et rejoindre un homme qui lui donnera une seringue. Nathan devra injecter le contenu de la seringue dans la poche vers 20 heures, détruire la seringue et conserver la poche.

Et Victor va essayer d’aider son ami et son frère avec sa nonchalance et son insouciance en participant à une aventure de représailles contre le PDG et en suivant le gorille qui menace la vie de la famille de son frère. En parallèle des péripéties de Victor, il y a Valeria, belle, belle, belle à en mourir … logotwitter

Voici donc le début de ce thriller petit par la taille (233 pages) mais grand par le talent. Comme quoi, il n’est pas utile d’écrire des pavés pour intéresser et passionner le lecteur. D’une écriture agréable, alternant la première personne quand c’est à Victor de raconter, et la troisième personne quand ce sont les autres, Stéphane Gravier nous plonge dans une sombre histoire de chantage politique, avec un rythme dilettante au début pour finir par un sprint effréné.

J’ai particulièrement apprécié les chapitres où Victor nous raconte sa vie, sa philosophie du « Rien à foutre », alors que ses actes contredisent ses pensées. Inconscient du danger, nonchalant, plein d’humour, toujours prêt à rendre service aux gens qui ont de la valeur à ses yeux, il nous est immédiatement sympathique, et on est pressé de retrouver le chapitre suivant pour suivre ses pérégrinations. En cela, Stéphane Gravier sait construire des personnages à la psychologie simple certes mais attachante.

Et puis, il a la bande son, fournie d’ailleurs en introduction du livre par un lien Internet vers Deezer. Il s’agit essentiellement de rock, de AC/DC à Franz Ferdinand, c’est-à-dire très proche de ce que j’écoute. D’ailleurs, il faut que j’écoute Tuxedommon que je ne connais pas. Cela permet de rythmer la lecture grace à ces évocations qui réveillent tant de bons souvenirs.

Ce roman sera donc pour moi une bonne découverte pour un roman très distrayant, avec un personnage attachant et un style fait de comparaisons et digressions humoristiques et décalées. Un bon moment de lecture drôle et attachante.

Le dernier debout de Marc Zuber (Editions du Lamantin)

Les éditions du Lamantin m’ont proposé de lire un roman de leur nouvelle collection consacrée au roman noir, et qui s’appelle, avec beaucoup d’humour, Le lamantin des profondeurs. Evidemment, c’est aussi l’occasion de découvrir un nouvel auteur, et c’est un roman que j’ai trouvé attachant pour des raisons personnelles dont je vais vous parler.

25 novembre 1989 : Le match de rugby France – Nouvelle Zélande bat son plein. Le score est serré, les deux équipes se rendent coup pour coup. Quand Marin Malvie contre un dégagement Black et récupère le ballon ovale. Il court vers la zone promise avec pour seul obstacle l’arrière de l’équipe adverse, qu’il arrive à éliminer. Au moment de plaquer le ballon dans l’en-but, un néo-zélandais le propulse en touche, lui déboîtant l’épaule. Marin est sorti sur civière et aperçoit dans les tribunes son frère, Malo, qu’il croit mort depuis 15 ans.

Marin Malvie est un jeune homme qui, malgré de nombreux drames familiaux, a réussi à se construire un mental de combattant. Son grand père a connu la déportation lors de la seconde guerre mondiale, son père était résistant. Son frère meurt par noyade lors d’une sortie en mer en 1974 et ses parents disparaissent tragiquement dans un accident de voiture juste trois semaines après. Contre l’avis de sa famille, il a mené seul ses études de journalisme pour devenir aujourd’hui journaliste indépendant et joueur de rugby international.

L’apparition de son frère va bouleverser la petite vie bien rangée de Marin, batie autour de Sophie sa femme et Marie sa fille. Il va mettre entre parenthèse sa vie professionnelle et ses entraînements de rugby pour répondre à la question qui va l’obséder : retrouver son frère, qu’il croit mort depuis 15 ans. D’ailleurs, il trouve dans les tribunes, à la place où son frère était assis, un prospectus de vente aux enchères de livres d’Antoine Artaud, le poète préféré de son frère.

Un homme trône en haut des tribunes du Parc des Princes vides, regardant Marin récupérer le prospectus. Il s’appelle Antoine Bévilaqua, dit Le bœuf. Il est tueur professionnel depuis plus de 40 ans au Chenil. Le chenil, c’est le surnom « affectif » donné à un service occulte de la cinquième république, dont la fonction est d’executer les basses œuvres du gouvernement. Le Bœuf est à la poursuite de Malo, suivre Marin est une chance inespérée de réussir sa mission.

J’ai beaucoup de tendresse pour ce roman, pour une raison toute personnelle : il se déroule dans le quartier où j’ai grandi, à une époque où j’y habitais. Ce petit quartier si calme du 9ème arrondissement, situé entre Pigalle et Barbès est un des personnages principaux de ce roman pour moi. Cela m’a replongé dans un moment de nostalgie et je remercie l’auteur pour cela.

Et Marc Zuber a dessinés quelques beaux personnages. Par son sens du détail, autant sur leur passé que sur leur psychologie, on a droit à un duel à distance entre le bon (Marin) et le méchant (Le Bœuf). La structure est classique, passant d’un personnage à l’autre, agrémenté de personnages secondaires qui sont plutôt au second plan. Et la force de ce roman, c’est de nous tenir en haleine pendant cette chasse au fantôme, nous rappelant par moments le spectre de Malo.

Marin et Le Bœuf sont deux obsédés, lancés à cœur perdu dans une quête de l’impossible ou du moins de l’improbable. Marin trouve un objectif lié aux liens du sang, qui devient un challenge pour lui qui réussit tout. Le Bœuf y voit une dernière affaire pour un homme qui n’a jamais rien raté. C’est l’histoire du gibier, suivi par le chasseur suivi par le chasseur. Et s’il y a relativement peu d’actions, on suit avec plaisir la dérive de ces personnages à travers leurs joies, leurs doutes, leurs espérances, leurs amours, leurs haines.

Le gros atout de ce livre, c’est son style. Car dès le début, on voit que Marc Zuber est à classer dans les littéraires. Les phrases sont bien construites, les situations décrites dans le détail, les personnages ont un vécu détaillé et une psychologie fouillée. Si vous cherchez un roman rapide à lire, avec des phrases courtes, ce n’est pas le bon livre pour vous. De même, il y a peu de dialogues, la priorité étant donnée aux états d’âme et aux sensations.

C’est aussi le petit reproche que je ferai à ce livre. Son style fait de belles comparaisons, de digressions, de grandes descriptions m’a parfois fait sortir de l’intrigue. Je suis resté ébahi par certaines phrases, certains paragraphes, tellement bien écrits que j’en oubliais l’histoire. De même, parfois, cela a tendance à étouffer les émotions (sauf quelques moments forts), j’ai clairement ressenti la retenue d’un auteur qui écrit son premier roman.

Mais ce ne sont que de petits reproches face à un roman qui se lit tout seul, face à un premier roman qui en appellera sûrement d’autres. Ni roman policier, ni roman d’action, ni course poursuite, ni roman d’espionnage, ce roman nous propose une belle histoire de famille ancré dans l’histoire contemporaine et restera pour moi un agréable voyage dans le quartier de mon passé. Merci M. Marc Zuber !

Rupture de Simon Lelic (Editions du Masque)

Voici donc ma première lecture dans le cadre de la sélection automnale de Polar SNCF. Cette année, je peux dire que les sélections auront été d’un très bon niveau. J’ai commencé par Rupture de Simon Lelic sur l’insistance de Cynic dont vous pouvez lire l’avis ici. Un livre à ne rater sous aucun prétexte.

Dans un collège britannique très coté, une réunion où sont conviés les élèves et les professeurs a lieu dans le gymnase. Un des professeurs, Samuel Szajkowski, sort un pistolet et ouvre le feu. Trois enfants et un professeur, Veronica, sont touchés et meurent sur le coup. Puis, Samuel retourne l’arme contre lui et se suicide.

Lucia May est l’enquêtrice chargée de cette affaire. Au-delà des faits, dont elle connaît le coupable, elle va cherche à trouver les responsables. Car Samuel était certes un individu terne, hésitant à donner franchement son avis, ayant des difficultés à lier des relations. Il était passionné de peinture et accordait tant d’importance au fait d’inculquer l’histoire. C’était sa fierté de faire ce beau métier.

Mais aux yeux des autres, Samuel était différent donc bizarre. Le directeur se dit persuadé que c’était un cinglé, et qu’il en avait eu la sensation dès son embauche. TJ le professeur de sport l’avait tout de suite pris en grippe, croyant que Samuel n’était qu’un intellectuel de plus qui dénigrait le sport. Maggie, la professeur de musique est probablement celle qui l’a le mieux connu, le fréquentant en dehors des cours. Mais, même elle, qui est devenue son amante, le trouvait taciturne, distant et mystérieux.

Lucia May va donc démêler les fils, pour comprendre que coupable ne veut pas dire responsable. Elle va se heurter à son supérieur qui veut rapidement classer l’affaire. Pour lui, ce n’est rien qu’un fait divers tragique, dont le coupable est connu et puni. Il lui donne trois jours, avant de lui demander de passer à autre chose. Petit à petit, Lucia va mettre à jour les humiliations et les petites mesquineries qui ont conduit Samuel à commettre un tel acte, quitte à mettre en danger sa carrière.

Ce roman est une franche réussite. Le personnage de Lucia May est extrêmement bien décrit. Cette jeune personne d’une trentaine d’année, qui sort d’une rupture amoureuse, laisse parler son cœur plutôt que son instinct professionnel. Devant les faits froids, marquants et dramatiques, elle y voit l’occasion de se remettre en cause, et par là même de remettre en cause le système, autant judiciaire que scolaire. Car toute la question du livre qui nous tient en haleine est simple : nous connaissons le coupable, mais qui est responsable ?

La structure et le style aident beaucoup à dévorer ce roman, tant tout est fait pour jouer sur les sentiments. Outre ceux de Lucia, Simon Lelic incorpore dans son récit les témoignages des gens interrogés, du directeur aux collègues de Samuel, des enfants à la sœur de Samuel. Ces chapitres sont très bien faits, sans qu’il y ait les questions de l’inspectrice, ce qui ne gène en rien la compréhension, mais rajoute une note dans la véracité du passage.

Il y a les personnages secondaires, très bien faits, bien vivants, qui ont tous une part importante dans le déroulement de l’intrigue, en particulier Walter le collègue de Lucia qui la harcèle sexuellement au bureau et qui la place dans la même situation que Samuel ou son ami avocat Philip qui lui rappelle de ne pas mettre d’émotion dans son travail, de se contenter d’analyser et reporter les faits.

Et puis, c’est une charge en règle contre l’éducation britannique (seulement ?) qui considère qu’un professeur a forcément l’autorité nécessaire face à ses élèves, et donc qu’il n’a pas besoin d’être conforté dans cette position;  il y a les discours affligeants (c’est mon avis) du directeur qui avoue qu’il ne sert à rien de chercher à comprendre un élève perturbateur, qu’il faut lui laisser terminer sa scolarité et qu’ensuite il ira toucher ses indemnités de chômage; Il y a tous ces professeurs censés donner l’exemple, être ouverts, accueillants envers les autres, qui rejettent et martyrisent l’un des leurs parce qu’il est étranger, différent, froid, renfermé, solitaire, introverti, ces professeurs qui sont plus puérils et gamins que leurs propres élèves, jusqu’à en être des monstres responsables; il y a ce système que tout le monde est prêt à laisser mourir, au nom de l’opportunisme personnel.

Et derrière tout cela, il y a un homme et un drame. Cet homme dont on ne connaît ses émotions que par la façon dont les autres le voient, que par l’image dont Lucia s’en fait. Jamais il n’intervient autrement que par le discours d’un autre, mais on arrive à se brosser un portrait de cet homme tellement fier d’inculquer l’histoire à des élèves, qui avait le défaut de ne pas rentrer dans le format standard d’un professeur britannique.

Rupture est le premier roman de Simon Lelic. Cela en devient d’autant plus impressionnant. Vous l’aurez compris, Rupture de Simon Lelic est un livretout en finesse et en subtilitéà lire. Urgemment.

Road dogs de Elmore Leonard (Rivages Thriller)

Quand on hésite sur le prochain livre à lire, il ne faut jamais oublier les maîtres. Elmore Leonard fait partie de ces incontournables auteurs prolifiques qui savent raconter des histoires. Road dogs est un très bon roman d’un auteur que j’avais un peu laissé de coté et c’est un tort.

Jack Foley est un braqueur de banque qui a à son actif plus d’une centaine de larcins. Sa qualité est indéniablement le charme qu’il opère auprès des caissières. Nous le retrouvons en prison, avec une peine de 30 ans à purger puisqu’il a été repris après une tentative d’évasion ratée. Il a pris sous sa protection un Cubain, ancien gogo dancer qui s’appelle Cundo Rey.

Cundo est un homme riche. Il achète des maisons dans des coins qui sont amenés à prendre de la valeur, puis les revend avec un substantiel bénéfice. Il a un homme de main qui réalise toutes ses transactions et ses activités illégales, en la personne de Little Jimmy, cubain comme lui qui lui est dévoué corps et âme. Une des activités de Cundo est l’arnaque de personnes âgées, aidé en cela par sa femme Dawn Navarro, qui fait semblant d’avoir des dons de voyance extralucide.

Cundo doit bientôt sortir de prison grâce à une avocate géniale (mais chère), Megan Norris. Celle-ci, charmée par Jack, réussit à retourner le témoignage de Karen Sisco, un officier fédéral, qui était tombée amoureuse de Jack lors de son évasion. Sa peine est réduite à sept ans, ce qui fait qu’il va bientôt sortir, Cundo devant sortir quinze jours plus tard. Cundo propose d’héberger Jack dans une maison située en face de celle de Dawn, à Venice Beach, et de tout lui payer.

Jack et Dawn vont tomber amoureux, ou du moins faire l’amour. Jack sait bien que Cundo veut l’utiliser alors qu’il ne rêve que de s’exiler. Dawn voit en lui le partenaire idéal pour voler tout l’argent de Cundo. Little Jimmy sent bien qu’il a un coup à jouer et qu’il peut récupérer plus que les petites sommes qu’il détourne à son profit. Mais un agent fédéral, Lou Adams, va poursuivre jack Foley, obsédé qu’il est de mettre sous les verrous l’un des plus ingénieux braqueurs de banque.

Ce livre est l’exemple même du talent d’un grand auteur. Prenez une situation classique, ajoutez des truands, une femme fatale, un flic acharné, saupoudrez de relations troubles entre tous les protagonistes, et vous obtenez un suspense prenant dont l’issue est extrêmement incertaine. Car la grande question qui suit tout ce livre, c’est : Qui manipule qui ?

Avec un style fluide, une psychologie complète des personnages et un enchaînement génial des actions, Elmore Leonard démontre tout son art sans forcer. A croire que, pour lui, c’est naturel, inné. Quand je parle de plaisir de lecture, ce livre en est l’illustration même. A priori, rien d’extraordinaire dans le sujet, rien de génial dans les situations, juste une histoire qui part de zéro et qui se termine comme elle doit se terminer (bon, je ne vais pas tout vous dire non plus !). Et une fois qu’on a tourné la dernière page, on ne peut que se dire : « c’était vachement bien ! ».

Quand on ne sait pas quoi lire, quelle bonne idée de reprendre les grands auteurs de romans noirs. Elmore Leonard fait partie de ceux là, et Road dogs est un très bon bouquin qui vous fera passer un très bon moment. N’attendez plus, allez l’acheter de ce pas, lisez Elmore Leonard !

Le retour de Robert Goddard (Sonatine)

Le retour

Attention, coup de cœur ! Cela faisait un certain temps que je voulais lire un roman de Robert Goddard, depuis Heather Mallender a disparu, qui avait obtenu le prix des lecteurs du Livre de Poche. Finalement, c’est sa dernière parution française qui est passé entre mes mains. Ce roman, publié en Grande Bretagne en 1997, ne sort dans l’hexagone que maintenant. Et le seul adjectif qui me vient à l’esprit pour parler de ce roman est MAGNIFIQUE.

1981, dans les Cornouailles. Christian Napier revient parmi sa famille après une absence d’une douzaine d’années. Il débarque dans le domaine de Tredower House, situé dans la petite ville de Truro, à l’occasion du mariage de sa nièce Tabitha. Propriétaire d’une entreprise de vente de véhicules de collection qui fonctionne à merveille, il vit avec une certaine assurance financière, malgré son divorce d’avec Melody Farren, une chanteuse à succès. Surtout, ces douze années d’absence lui ont permis de prendre du recul et d’arrêter sa consommation excessive d’alcool.

A la fin du mariage, un homme mal habillé, aux allures de clochard, apostrophe Christian. Il s’agit de son meilleur ami d’enfance, Nicky Lannion. La famille Lannion a toujours été hébergée par le grand oncle de Christian, Joshua, puisque la grand-mère de Nicky était la gouvernante de Tredower House. Nicky, lors de leur brève entrevue, annonce à Christian qu’il a des preuves pour innocenter son père, Mickael, qui a été pendu pour avoir assassiné l’oncle Joshua. Le lendemain matin, on retrouve Nicky pendu à un arbre, devant les fenêtres du domaine de Tredower House.

En effet, en 1947, Mickael Lannion fut accusé avec son complice Edmond Tully d’avoir poignardé Joshua. Si les témoins s’accordent à dire que le tueur est Tully, l’un d’entre eux assure avoir vu Mickael donner une enveloppe brune pleine d’argent pour commanditer le meurtre. Le mobile supposé fut que l’oncle Joshua envisageait de modifier son testament en faveur de la famille Napier. Tully fut condamné à perpétuité, et Mickael Lannion condamné à mort. Si Christian Napier, qui s’est éloigné de sa famille, ne veut pas plonger dans les affres du passé familial, sa rencontre avec la sœur disparue de Nicky va le décider à remuer les sables mouvants du passé.

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu un roman avec un tel souffle romanesque. Dès les premières lignes, on est emporté par le style de l’auteur, tant toutes les phrases sont d’une justesse et d’une beauté impressionnantes. Au passage, je tiens à saluer l’excellent travail d’Elodie Leplat, qui a su rendre justice à ce magnifique texte. J’ajoute une précision quant au sujet de ce roman. Ceux qui ne sont attirés que par des thrillers ou des romans rapides ou courts ne seront pas attirés (voire intéressés) par ce roman, car c’est un sacré pavé (certes il fait 430 pages mais l’impression est dense) et l’auteur prend le temps de décrire les paysages, d’installer la psychologie de ses personnages, et petit à petit nous prend dans ses filets grâce à des rebondissements surprenants.

C’est un roman que j’aurais donc mis longtemps à lire (une semaine, c’est exceptionnel pour moi !) mais j’ai adoré me laissé porter par ces phrases si belles, si subtiles, où chaque mot est important. J’ai adoré côtoyer Chris, sa vie, ses failles, ses doutes, ses envies, sa volonté de savoir, ses drames, ses souvenirs. Car l’auteur va sans cesse faire des allers retours entre les recherches de Chris et les passages du passé dont il est capable de se rappeler. Et plus il va en savoir, plus il va se retrouver emprisonné dans une vase qui va le toucher personnellement lui et sa famille.

C’est bien une saga familiale que nous allons suivre, ou plutôt plusieurs sagas où, à aucun moment on a l’impression que l’auteur en fait trop. Tout est parfaitement dosé, logique, jusqu’à son dénouement à la fois dramatique et énigmatique. On n’a jamais envie de poser le livre, on a juste envie d’en savoir plus, comme si on avait en face de soi Christian qui nous raconte tout, comme si nous faisions partie de cette famille. L’immersion dans l’histoire de cette famille tout au long du vingtième siècle est totale.

Enfin, on y trouve des rebondissements qui remettent sans cesse à plat ce que l’on a pu échafauder comme hypothèses. Et à chaque fois, on reconstruit soi-même son scenario, avant que Robert Goddard nous remette tout à plat. Ce roman, c’est du grand art, c’est de la grande littérature, c’est du grand roman à suspense, c’est du grand polar, et ce ne peut être qu’un coup de cœur Black Novel.

Ne ratez pas l’avis de l’ami Claude ici

2030 odyssée de la poisse de Antoine Chainas (La Baleine)

Cela faisait un bout de temps que je ne m’étais pas penché sur le cas de Gabriel Lecouvreur, dit Le Poulpe, même si j’ai continué à en acheté quelques uns. J’avais lu les trente premières aventures, mais je ne pouvais pas rater celle-ci qui est signée Antoine Chainas.

Nous sommes en 2030. Notre société est devenue de plus en plus dirigée par les media, et l’état est devenu, sans l’avouer ouvertement, un gouvernement fasciste. La situation économique ne s’est pas améliorée, et les recherches scientifiques se sont développées, jusqu’à autoriser la production de clones humains. La société Omnicron Inc a récupéré le droit exclusif de les produire et de les louer à des usages ludiques. Ces clones s’appellent des Omnimorphes. Tout humain a la possibilité de les incarner pour réaliser des taches, essentiellement liées aux loisirs, et en particulier le sexe. Ces clones sont obéissants et ne ressentent aucun sentiment, n’ont aucun souvenir.

Gabriel Lecouvreur a 70 ans en 2030. Avec Cheryl, il a décidé de s’offrir une partie de pur plaisir sexuel par l’intermédiaire des omnimorphes. Quelle joie ce fut de retrouver sa jeunesse évaporée. Car, notre Poulpe est maintenant un vieillard, avec des courbatures, des douleurs, et des rides. Gabriel s’incarne alors dans Georgie. Lors de cette expérience, Gabriel ressent des sentiments qui ne sont pas à lui. Alors qu’il se rend au bar de Gérard, les informations télévisées l’informent qu’un nouvel omnimorphe vient de se faire assassiner.

Gabriel est sûr de reconnaître la victime : c’est l’omnimorphe en qui Cheryl s’est incarnée. Il décide d’aller voir un vieux libraire, Selmer. Lui seul peut lui en dire plus sur les omnimorphes. En effet, il a participé aux recherches sur le clonage et connaît bien Georgie. Qui est cet étrange assassin des clones ? Pour quelle raison fait-il ces actes ? La société Omnicron Inc est-elle impliquée ? L’enquête peut commencer et elle va s’avérer éprouvante pour un vieillard de 70 ans.

Je vais faire court, comme le nombre de pages de ce roman, format Poulpe oblige. Et ne croyez pas que l’intrigue est survolée, que la description de ce monde futuriste est esquissée. Antoine Chainas réalise un coup de force en nous transportant loin dans le temps, grâce à sa structure mais aussi son style précis, épuré et efficace. Il laisse ses descriptions minutieuses pour une vision cauchemardesque répondant à ce vieil adage : Panem et circenses. L’idée (géniale) est d’insérer en tête de chaque chapitre des encarts qui décrivent mieux que de longs paragraphes comment les gens vivent, à coups de publicités, programmes télévisuels ou comptines.

Ce futur est une société fasciste, qui dirige, guide ses citoyens par l’omniprésence des média et des loisirs. Il y a autant de pauvres qu’aujourd’hui, autant de racisme qu’aujourd’hui, autant de grosses sociétés opaques qu’aujourd’hui. La culture en est absente, plus personne ne lit de livres, et le top du loisir, c’est de pouvoir faire des choses extravagantes ou extraordinaires par clone interposé. La vision du futur made in Chainas est noire, très noire, pas réjouissante du tout. Ne croyez pas qu’il n’y a pas d’humour, les clins d’œil sont nombreux et j’ai souri souvent.

A coups de chapitres ultracourts, le livre se lit très vite, s’avale presque goulûment, car le suspense est très bien mené et prenant. On est dans un remake de I robot, Blade Runner et Minority Report à la fois, avec des citations de 2001, le fantastique livre de Arthur C. Clarke. On retrouve les obsessions de Antoine Chainas, ses réflexions sur la vie, la mort, les sentiments, les sensations, mais avec moins de passages choquants que dans ses romans de la série noire. En fait, ce Poulpe est de très bonne facture et c’est aussi une bonne introduction au monde littéraire de Chainas. C’est un roman fantastique pour passer deux heures de détente et de réflexion. Et puis, ça coûte 8 euros, ça ne coûte pas cher pour un voyage dans le futur.

Attention les fauves de Brice Pelman (Noir Retro – Plon)

De temps en temps, il fait bon lire des classiques. Bon, je ne parle pas de Zola ou Stendhal (que j’adore par ailleurs) mais des classiques du roman noir. Or Plon vient de créer une collection qui s’appelle Noir Rétro qui permet de lire ou relire ces romans qui ont été trop négligés à leur sortie, à tort.

Doria Deslandes est une jeune veuve qui vit dans une maison aux alentours de Nice. Elle a perdu son mari Remy dans un accident de voiture. Elle travaille comme traductrice chez elle et élève ses deux jumeaux Patrick et Marieke âgés de onze ans. Cela lui permet de gérer le quotidien sans trop de problèmes mais sans toutefois de contacts avec les gens. Un soir, Jourdain, un voisin débarque chez eux. Sous un prétexte fallacieux (l’élargissement de la route départementale), il rentre chez eux et trouve Doria désirable. Alors il n’écoute que son instinct et ses envies : il la viole et l’étouffe. Se rendant compte qu’il a fait une énorme erreur, il empoche le slip de Doria et s’enfuit bien vite.

Les enfants, qui dorment à l’étage, n’ont rien entendu. Le lendemain matin, ils découvrent le corps de leur mère et se rendent compte que leur mère est morte. Patrick est sous le choc alors que Marieke prend les choses en main. Le risque est trop grand qu’ils soient envoyés en pension et séparés. Elle lui propose de ne rien dire à personne. Ils savent où trouver de l’argent dans le tiroir de la commode et ont huit cent francs, de quoi tenir trois mois. Petit à petit, les proches vont poser des questions et chercher à voir cette mère absente.

Jourdain est marié depuis huit ans avec Marie-Louise. Alors que la période avant mariage laissait augurer une vie heureuse, il en fut autrement après que les deux eurent passé la bague au doigt. En effet, Marie Louise fut prise de migraines à répétition et Jourdain devint un homme sexuellement frustré. Le lendemain matin, il s’étonne de ne pas voir une voiture de police devant chez Doria mais s’inquiète de ne pas retrouver le slip, qu’il avait mis dans sa poche. Il n’a pas d’autre solution que d’approcher les enfants pour comprendre ce qui se passe. La situation devient de plus en plus difficile quand une voisine Mme Josepha vient voir Doria, puis quand leur tante Françoise débarque pour une visite de courtoisie.

Quand j’étais jeune (enfin plus jeune que maintenant, mais je vous rassure je ne suis pas vieux), j’arpentais les gares situées à côté de l’appartement de mes parents. Déjà, à cette époque, je lisais beaucoup, que ce soient des classiques (les vrais, ceux là) ou des romans d’aventure. Je regardais les devantures des marchands de journaux et je voyais les SAS, San Antonio et Fleuve Noir. Avec dédain et envie : dédain car la réputation de ces romans était d’être des romans sans envergure, de la sous littérature pour s’occuper pendant un voyage, envie car les couvertures montraient des femmes dénudées (Désolé mesdames, j’ai aussi été un adolescent !).

Après avoir dévoré ce livre, je me dois de rendre justice à Brice Pelman. Ce roman, qui part d’une idée simple, est tout simplement fantastique. Car au-delà de l’intrigue qui est fort bien racontée, au-delà du style fluide et limpide qui se lit bien et vite, la psychologie des personnages est vraiment impeccable. Entre Jourdain qui est d’abord pris de remords avant de chercher à comprendre puis à s’en sortir, et les voisins qui font circuler les bruits de couloir, l’intrigue avance essentiellement grâce à ses personnages vrais, à ses réactions réalistes, aux coups du sort qui compliquent la vie, aux bonnes mœurs qu’il ne faut pas transiger. Même les réactions des enfants sont impressionnantes de justesse. Cela en fait un récit incroyablement vrai et passionnant dont on ne sait jamais comment cela peut se terminer. Par moments, on atteint même des retournements à la Feydeau.

Quelle bonne idée d’avoir ressorti ces romans qui seraient aujourd’hui mis en lumière plus qu’ils ne le furent à l’époque (il faut dire aussi qu’il y a plus de media qu’avant), car il doit y avoir de vrais petits bijoux et qu’il est grand temps de leur rendre justice. A cet égard, je vous conseille de lire l’interview de Brice Pelman publiée chez Paul Maugendre ici pour avoir une idée du travail de titan que ces auteurs abattaient afin de garnir les rayonnages des gares d’antan.

Heureux au jeu de Lawrence Block (Points)

Honte à moi ! Je suis allé sur internet, et je me suis aperçu que Lawrence Block faisait partie des plusauteurs de romans noirs, à l’instar du très regretté Donald Westlake. Et je n’en avais jamais entendu parler !Eh bien, c’est maintenant chose faite, avec Heureux au jeu.

William Maynard est un tricheur professionnel, plutôt spécialisé dans les jeux de cartes. Il a commencé sa carrière à Chicago. Il était magicien, mais pas un grand magicien, plutôt un amateur éclairé qui aurait fini sa carrière dans un cabaret miteux. Pour les beaux yeux de sa partenaire, il accepte une proposition qu’on lui fait d’apprendre à tricher.

En quelques semaines, ses tours de passe-passe sont au point, et il se lance dans le grand jeu, au service de celui qui l’a initié. Puis, petit à petit, l’oiseau prend son envol et il se met « à son compte ». Un soir, il est démasqué et il est tabassé, y perd deux dents, y gagne un pouce déboité,  et on lui demande de quitter la ville. Il décide donc de partir pour New York.

En route il s’arrête dans une petite ville où il en profite pour se faire refaire les deux dents qui lui manquent chez le docteur Seymour Daniels. Ils sympathisent et celui-ci lui propose une partie de poker avec des amis. Maynard n’a jamais su refuser quoi que ce soit, il accepte. Il a donc renddez vous chez un avocat Murray Rogers.

Vraisemblablement, ce sont des amateurs et ils ne s’aperçoivent pas de la triche. Il gagne beaucoup d’argent. Toute cette petite mécanique déraille quand il rencontre Joyce Rogers, la femme de Murray. Elle voit bien qu’il triche, le fait savoir à Maynard en langage codé mais ne dit rien aux autres. Maynard n’a jamais résister aux belles femmes. Malgré cela, il ne fait rien.

C’est Joyce qui fait le premier pas. Elle lui rend visite à son hôtel, et lui explique qu’elle n’aime pas son mari, qu’elle l’a épousé pour l’argent, et que le contrat de mariage ne lui octroie rien si Murray meurt car tout revient à ses filles. Elle lui demande de trouver une solution pour récupérer l’argent (et elle par la même occasion). Maynard n’a jamais su dire non.

Au début, je n’ai pas fait atention à la date de publication de ce livre. Petit à petit, j’y ai ressenti un décalage, par les habitudes des personnages. Après vérification, l’action se situe dans les années 60 et le livre a été édité en 1964. A l’époque, les hôtels minables avaient quand même des gardiens et on avait le droit de fumer où on voulait. Donc, si vous commencez ce livre, ça se situe dans les années 60.

C’est à un beau personnage auquel on a droit. Escroc de profession, il lui reste quelques réminiscences de vivre une vie normale. Et c’est ce dilemme que nous décrit Lawrence Block au travers de cette histoire classique avec tous les poncifs du genre : Un escroc, des pigeons à plumer, une belle blonde fatale et le tour (de magie est joué).

Oui, mais ce livre va un peu plus loin. D’abord ce personnage de Maynard, ni bon ni mauvais, auquel on ne s’identifie pas, est un homme qui hésite. Sauf quand il s’agit de tricher, et il le fait tout le temps, Maynard ne sait pas s’il doit choisir l’escroquerie ou une vie normale d’agent d’assurances, s’il doit choisir la blonde fatale incendiaire ou la blonde calme. Et comme souvent dans ces cas, il se trompe, prend la rue à contre-sens pour son malheur.

Un bon roman noir donc, qui ne se démarquerait pas des autres s’il n’y avait ce style si pur, si simple (en apparence), s’il n’y avait cette narration si logique, s’il n’y avait pas cette qualité qu’ont les grands auteurs de raconter une histoire simple en donnant autant de plaisir au lecteur. Je l’ai avalé en deux jours, c’est vous dire, pour un bon moment de divertissement.