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La vengeance des perroquets de Pia Petersen

Editeur : Les Arènes – Equinox

Derrière ce titre étrange se cache le roman le plus intelligent que j’aurais lu en 2022, un roman que je n’hésite pas à placer dans mon TOP10 tant il pose des questions dérangeantes pour un scientifique de formation, humaniste comme moi.

Il est enfermé dans cette geôle, sans fenêtre, sans repère temporel, sans nom, dans le noir. Il a perdu le sens de la réalité, mais il a conservé la conscience de ce qu’il est. Malgré les moqueries du gardien, il garde une once d’espoir, celle de sortir au grand air, au grand jour ; à défaut celle de voir son avocat comme il devrait en avoir le droit. Se battre, faire des efforts, des mouvements pour sentir son corps, voire d’enfoncer ses ongles dans sa paume pour ressentir une douleur, une preuve d’être encore vivant. Seul, mais vivant.

Emma se définit elle-même comme nordique et européenne et n’a jamais choisi de nationalité, se déclarant citoyenne du monde, « éternelle touriste ». Artiste reconnue pour ses portraits des plus éminents hommes d’affaire, elle vient d’accepter de peindre celui de Henry Palantir, le célébrissime propriétaire de Vision Technologies, l’entreprise chargée de la sécurité par et grâce à la maitrise du numérique, client incontournable des multinationales et des grands pays industrialisés.

Emma souffre de claustrophobie et ne peut se contenter de rester dans le bureau jouxtant celui de Palantir. La force de son art réside dans sa faculté à exprimer la psychologie d’un homme derrière les traits peints sur sa toile. Mais face à un mur sans émotion, elle demande du temps pour comprendre le magnat, le sonder en profondeur via ses actes et ses quelques paroles. Lors d’une de ses sorties, elle rencontre Achille, un homme noir plus âgé qu’elle pour qui elle va éprouver un coup de foudre.

Loin de n’être qu’un roman d’amour, Pia Petersen choisit de placer Emma en tant que narratrice, personnage libre d’agir et de penser. Le génie de cette idée va soutenir tout le roman et opposer l’art à la logique. Relativement peu concernée par les technologies numériques, elle va petit à petit lever le voile sur leurs possibilités, leurs capacités et nous proposer, à nous lecteurs, le choix qui se présente devant nous : devenir esclave des machines ou garder notre liberté de penser, de rêver, de créer.

Surtout n’ayez pas peur, le roman ne possède aucune notion scientifique absconse ou de théorie incompréhensible. Il reste sur le terrain des réflexions d’Emma et de ses questionnements vis-à-vis de la liberté qui lui est chère. Et elle nous explique que, l’homme étant faillible, il est nécessaire de le remplacer par des machines pour certaines tâches, ce qui est le cas pour les usines par exemple. Si on pousse le raisonnement un peu plus loin, on arrive à justifier l’épanouissement du numérique par une volonté de minimiser les risques, gommer les imprévus.

Si cela peut sembler bien théorique, Pia Petersen situe l’opinion sur le terrain des usagers communs, c’est-à-dire nous et en déduit quelques vérités. Rien de tel qu’occuper l’esprit des gens par du divertissement, pour leur éviter de réfléchir, de se rendre compte de leur nouvelle servilité, sous couvert de nouveaux services. Par voie de conséquence, on vend la rapidité, la faculté d’éviter de perdre du temps. La notion d’immédiateté, d’urgence implique de gommer le passé, de ne pas penser au futur … seul compte le présent.

On commence à discerner l’étendue de l’influence d’une telle politique, quand elle touche tous les domaines. Il suffit de regarder les programmes scolaires d’histoire où l’on survole les événements importants, leurs causes et leurs conséquences, ou même la philosophie réduite à sa portion incongrue, sans parler des mathématiques qui deviennent une option en terminale. Notre société ne veut pas que les gens réfléchissent.

Derrière son intrigue, Pia Petersen nous invite donc à une réflexion sur notre société, un peu comme l’ont fait auparavant les grands visionnaires. Sauf que la situation est bien contemporaine et que l’auteure appuie son argumentaire en faisant apparaitre la COVID au milieu du roman, comme pour mieux illustrer son propos tout en faisant monter la tension dans le duel entre Emma et Palantir.

J’aime bien cette expression, ce roman est une sorte de duel, un combat entre l’homme et la machine, entre le matériel et le spirituel. On pourrait le taxer de paranoïaque mais les exemples foisonnent avec toutes les applications sur smartphones. Je vois plutôt ce roman comme un perturbateur, un poseur de questions qui appuie là où ça fait mal. J’ai adoré aussi les titres farfelus des chapitres qui ressemblent à des phrases que la machine ne peut comprendre, ne peut créer, ne peut envisager même. J’espère que je vous aurais donné envie de lire ce roman, car le combat se déroule maintenant. Et l’Humanité a du souci à se faire !

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Facteurs d’ombres de Roland Sadaune (Val d’Oise éditions)

En ces temps de Noël, les idées de beaux cadeaux ne courent pas les rues. Pour les amateurs de polars, il ne faut pas hésiter, ce livre est exceptionnel, de par sa beauté, de par ses textes.

  sadaune

Né à Montmorency de mère polonaise, Roland Sadaune se passionne très tôt de cinéma et littérature policière. Sa carrière d’artiste peintre ne l’empêche pas d’avoir à son actif une trentaine de romans policiers et une cinquantaine de nouvelles noires. Pour lui, le Polar, c’est l’évasion par les chemins de traverse défoncés par le destin, avec des phénomènes de société dissimulés derrière les haies.

Il en est à sa 90ème exposition particulière, en 2006, intitulée Peintre de Polars.

Son joker préféré est le cinéma : en salle, car l’été on y est au frais et l’hiver on s’y sent bien.

Roland Sadaune est un auteur de polars mais aussi un peintre. Ne voulant pas choisir entre ces deux activités, il les réunit dans un livre regroupant 37 portraits d’auteurs d’hier et d’aujourdhui. Chacun est illustré par des textes émanant de passionnés mais aussi d’experts tels Claude Mesplede, Claude Le Nocher ou Paul Maugendre.

Avec une couverture cartonnée (comme on n’en fait plus), ses belles pages glacées rendent hommage à une œuvre que je ne connaissais pas et qui m’a tout simplement époustouflé. On y trouve aussi bien des auteurs étrangers (Mickael Connely, James Ellroy …) que des auteurs français (Christian Roux, Maurice Dantec, Jean Bernard Pouy …). Vous y trouverez d’autres esquisses ainsi que 7 nouvelles.

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J’ai eu la chance de participer modestement à cette œuvre et donc je vous offre en exclusivité le texte que j’ai rédigé pour illustrer le portrait de Caryl Ferey :

Ma première rencontre (littéraire) avec Caryl Ferey, ce fut La jambe gauche de Joe Strummer. Je venais de découvrir Ken Bruen, et cette façon inimitable de créer une intimité avec un personnage. Ce roman fut une vraie découverte, en même temps qu’une envie de continuer à pénétrer dans l’univers d’un auteur. Alors je suis tombé sur Zulu, ou plutôt Zulu m’est tombé dessus. Car Zulu est un livre implacable, une démonstration en force de la cruauté des hommes, de leur imagination à faire souffrir son prochain, de l’inhumanité de l’homme.

Forcément, après une lecture pareille, on a envie de s’intéresser à l’auteur qui est derrière. Caryl Ferey est un globe-trotter qui va vivre dans un pays étranger pour s’imprégner d’une culture nouvelle, d’une histoire autre. Puis il va créer une intrigue intégrée à ce pays, pour nous dévoiler un pays et ses racines de l’intérieur. Mais il y a aussi cette maitrise de l’intrigue, cet art de surprendre le lecteur, de créer des scènes très visuelles et surprenantes sans que l’on s’y attende.

Mapuche est une poursuite dans cette veine que recherche Caryl Ferey. D’un pays qui a connu (et connait encore) une histoire forte et violente, il écrit un roman magnifique, une intrigue fantastiquement forte portée par deux personnages profondément humains. Il déploie dans ce roman tout son art pour montrer la lutte de l’amour contre la société, car l’amour est un sentiment profondément humain.

Lors de l’émission La grande librairie, on découvre une autre facette de cet auteur fascinant, sa volonté d’écrire le meilleur roman, son chef d’œuvre. Je me rappelle cette phrase, qui n’est peut-être pas de lui d’ailleurs : « Mon meilleur roman, c’est le prochain ». Et puis, il a parlé de ses personnages, de cette volonté de les placer au centre de son intrigue car ils sont et doivent rester au centre du monde. Caryl Ferey est un messager moderne dans une société numérique et inhumaine, une société qui se veut parfaite et qui oublie qu’elle doit être faite par les humains pour les humains. Il démontre que l’homme a une imagination sans limites pour créer la cruauté, pour inventer la violence. Il se pose ainsi comme un porte-parole de l’homme humain, un héraut humaniste.

Indéniablement, LE livre qu’il vous faut ou faut offrir en cette fin d’année 2013. Les images de ce billet ont été empruntées sur le Net à divers sites.