Archives du mot-clé Prisonnier

La vengeance des perroquets de Pia Petersen

Editeur : Les Arènes – Equinox

Derrière ce titre étrange se cache le roman le plus intelligent que j’aurais lu en 2022, un roman que je n’hésite pas à placer dans mon TOP10 tant il pose des questions dérangeantes pour un scientifique de formation, humaniste comme moi.

Il est enfermé dans cette geôle, sans fenêtre, sans repère temporel, sans nom, dans le noir. Il a perdu le sens de la réalité, mais il a conservé la conscience de ce qu’il est. Malgré les moqueries du gardien, il garde une once d’espoir, celle de sortir au grand air, au grand jour ; à défaut celle de voir son avocat comme il devrait en avoir le droit. Se battre, faire des efforts, des mouvements pour sentir son corps, voire d’enfoncer ses ongles dans sa paume pour ressentir une douleur, une preuve d’être encore vivant. Seul, mais vivant.

Emma se définit elle-même comme nordique et européenne et n’a jamais choisi de nationalité, se déclarant citoyenne du monde, « éternelle touriste ». Artiste reconnue pour ses portraits des plus éminents hommes d’affaire, elle vient d’accepter de peindre celui de Henry Palantir, le célébrissime propriétaire de Vision Technologies, l’entreprise chargée de la sécurité par et grâce à la maitrise du numérique, client incontournable des multinationales et des grands pays industrialisés.

Emma souffre de claustrophobie et ne peut se contenter de rester dans le bureau jouxtant celui de Palantir. La force de son art réside dans sa faculté à exprimer la psychologie d’un homme derrière les traits peints sur sa toile. Mais face à un mur sans émotion, elle demande du temps pour comprendre le magnat, le sonder en profondeur via ses actes et ses quelques paroles. Lors d’une de ses sorties, elle rencontre Achille, un homme noir plus âgé qu’elle pour qui elle va éprouver un coup de foudre.

Loin de n’être qu’un roman d’amour, Pia Petersen choisit de placer Emma en tant que narratrice, personnage libre d’agir et de penser. Le génie de cette idée va soutenir tout le roman et opposer l’art à la logique. Relativement peu concernée par les technologies numériques, elle va petit à petit lever le voile sur leurs possibilités, leurs capacités et nous proposer, à nous lecteurs, le choix qui se présente devant nous : devenir esclave des machines ou garder notre liberté de penser, de rêver, de créer.

Surtout n’ayez pas peur, le roman ne possède aucune notion scientifique absconse ou de théorie incompréhensible. Il reste sur le terrain des réflexions d’Emma et de ses questionnements vis-à-vis de la liberté qui lui est chère. Et elle nous explique que, l’homme étant faillible, il est nécessaire de le remplacer par des machines pour certaines tâches, ce qui est le cas pour les usines par exemple. Si on pousse le raisonnement un peu plus loin, on arrive à justifier l’épanouissement du numérique par une volonté de minimiser les risques, gommer les imprévus.

Si cela peut sembler bien théorique, Pia Petersen situe l’opinion sur le terrain des usagers communs, c’est-à-dire nous et en déduit quelques vérités. Rien de tel qu’occuper l’esprit des gens par du divertissement, pour leur éviter de réfléchir, de se rendre compte de leur nouvelle servilité, sous couvert de nouveaux services. Par voie de conséquence, on vend la rapidité, la faculté d’éviter de perdre du temps. La notion d’immédiateté, d’urgence implique de gommer le passé, de ne pas penser au futur … seul compte le présent.

On commence à discerner l’étendue de l’influence d’une telle politique, quand elle touche tous les domaines. Il suffit de regarder les programmes scolaires d’histoire où l’on survole les événements importants, leurs causes et leurs conséquences, ou même la philosophie réduite à sa portion incongrue, sans parler des mathématiques qui deviennent une option en terminale. Notre société ne veut pas que les gens réfléchissent.

Derrière son intrigue, Pia Petersen nous invite donc à une réflexion sur notre société, un peu comme l’ont fait auparavant les grands visionnaires. Sauf que la situation est bien contemporaine et que l’auteure appuie son argumentaire en faisant apparaitre la COVID au milieu du roman, comme pour mieux illustrer son propos tout en faisant monter la tension dans le duel entre Emma et Palantir.

J’aime bien cette expression, ce roman est une sorte de duel, un combat entre l’homme et la machine, entre le matériel et le spirituel. On pourrait le taxer de paranoïaque mais les exemples foisonnent avec toutes les applications sur smartphones. Je vois plutôt ce roman comme un perturbateur, un poseur de questions qui appuie là où ça fait mal. J’ai adoré aussi les titres farfelus des chapitres qui ressemblent à des phrases que la machine ne peut comprendre, ne peut créer, ne peut envisager même. J’espère que je vous aurais donné envie de lire ce roman, car le combat se déroule maintenant. Et l’Humanité a du souci à se faire !

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Le fruit de mes entrailles de Cédric Cham

Editeur : Jigal

Je sors d’une période où mes choix de lecture ont été peu judicieux (et je suis gentil). Ne comptez pas sur moi pour donner des titres ou des auteurs, ces romans n’étaient pas en adéquation avec mes goûts. Entre parenthèses, mes amis m’ont dit que j’étais trop exigent. Alors, je me suis tourné vers Jigal. Il y avait un roman que je n’avais pas lu de sa production 2018, le voici.

Simon Vrinks purge sa lourde peine de prison en toute solitude. Spécialiste des attaques à main (s) armée (s) de fourgons, il a été dénoncé par un collègue. Ce matin-là, on lui annonce une visite : sa femme Héléna vient lui annoncer que sa fille a été retrouvée morte. Les mutilations que comporte le corps indique qu’elle a été torturée avec d’être jetée à l’eau. Pour lui, c’est une évidence, il doit s’évader pour retrouver le coupable.

Amia a quitté sa famille et s’est retrouvée dans les griffes de la prostitution. Dimitri, son proxénète, est un homme sans pitié. Elle n’ose même pas lui dire qu’elle est malade, se retrouve à vomir sans explication. En en parlant avec la jeune femme avec qui elle partage une minuscule chambre, elle se rend compte qu’elle est fort probablement enceinte. Elle gardera le bébé. Il ne lui reste plus qu’à fuir.

Alice Krieg est capitaine de police. Elle sait se faire respecter dans ce monde d’hommes. Elle aussi porte ses cicatrices qu’elle sait fort bien cacher. En particulier, le fait de ne pas avoir connu son père lui a permis de se forger une carapace, à l’abri des émotions. C’est elle qui prendra en charge la traque de Vrinks. Quand elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer, son travail va constituer sa fuite de la réalité.

Si vous avez lu mon résumé, vous vous rendez compte que l’on est dans un domaine très largement traité dans le monde du polar. La fuite, la traque, le remords, les liens familiaux, la loyauté, ce sont autant de thèmes que l’on a déjà lu et relu. Je ne vais donc pas vous faire croire que le sujet est nouveau, mais plutôt en quoi ce roman s’avère un roman intéressant et en quoi il vaut le détour.

Le parti pris de l’auteur est de partir d’une situation simple, limpide et sans équivoque. Un truand décide de venger la mort de sa fille. Une prostituée se retrouve enceinte. Une policière doit traquer le truand. Mais ce roman ne fonctionnerait pas sans la force insufflée aux personnages, sans la psychologie simple mais tellement efficace qui est juste esquissée lors de scènes remarquablement bien faites. Et c’est bien parce qu’ils ne sont jamais totalement bons ou totalement méchants qu’on y croit. Ces personnages-là, on y croit parce qu’ils sont vrais, parce qu’ils sont beaux, parce qu’ils sont humains.

Le deuxième argument tient au respect des codes du polar. On y trouve un héros, une femme, une course poursuite, le copain de toujours ami jusqu’à la mort. Tous ces codes sont réactualisés, remis dans un contexte actuel, et tout se tient très bien. Ce roman se lit très bien, les situations se suivent fort logiquement, et la fluidité du style en fait une lecture très agréable. Il est à noter tout de même que la fin est remarquablement bien réussie, et noire bien entendu, avec une toute petite lueur d’espoir.

Et ce que j’ai apprécié par-dessus tout, c’est ce style direct, rapide, construit autour de chapitres courts, qui donnent une belle célérité au roman. La prose de Cédric Cham répond à un besoin d’urgence qui me faisait défaut lors de mes lectures précédentes. Les émotions passent à travers les actions et attitudes des personnages. Ce n’est pas bien nouveau mais c’est remarquablement bien fait. En fait, ce roman remplit ses objectifs : offrir un très bon divertissement noir, dans la pure tradition du polar.

Ne ratez pas les avis d’Yves, Delph; Sonia; Annick; Laulo; et Psycho-Pat

Evasion de Benjamin Whitmer

Editeur : Gallmesiter

Traducteur : Jacques Mailhos

Troisième roman de Benjamin Whitmer, troisième lecture pour moi. J’avais adoré Pike, un peu moins Cry father, que j’avais trouvé moins fort, moins recroquevillé. Pour autant, je ne peux m’empêcher de me plonger dans son dernier roman en date.

A la veille de la nouvelle année, 12 prisonniers s’échappent de la prison de Old Lonesome, perdue au fin fond du Colorado. Alors qu’un blizzard va bientôt s’abattre sur la région, ils se séparent, prenant chacun une direction différente. Parmi eux, Mopar décide de prendre tout le monde par surprise, et évite de se diriger vers Denver ou le Mexique. Il décide de se faire oublier quelques jours, avant de rejoindre Molly, qui n’est jamais venue le voir en prison..

Cyprus Jugg le directeur de la prison prend les choses en main et envoie ses hommes à la recherche des évadés. Homme de peu de pitié, il n’espère qu’une chose : que chaque prisonnier reviendra les pieds devant. Car il a deux buts dans la vie : rassurer les habitants de la ville et garder une Jim est gardien de prison ; s’il retrouve les prisonniers, il aura peut-être une chance de devenir chef d’équipe.

Dayton, surnommée la Hors-la-loi est revendeuse de drogue. Elle va tout faire pour retrouver son cousin, Mopar Horn. En tant que témoins de toute cette affaire, Stanley et Garret sont les deux journalistes qui vont suivre cette traque. Ils s’aperçoivent qu’ils vont surtout être là pour éviter qu’il y ait un massacre. Tout ce petit monde va converger en un seul endroit pour un final explosif.

Comme les deux précédents romans de Benjamin Whitmer, nous sommes au fin fond des Etats-Unis, parmi ceux qui ont regardé passer la réussite de la grosse machine économique, sans aucun espoir de la rattraper un jour. Tous les personnages ont tous une raison de vivre mais pas d’objectif ni d’espoir. On est donc en plein dans la pure tradition du roman noir, qui nous présente une course poursuite en vase clos : en effet, comme chez David Joy, les personnages semblent enfermés dans leur région, tournant en rond, sans jamais pouvoir s’échapper de leur enfer.

Sous la forme d’un roman choral, offrant un chapitre par personnage principal, Benjamin Whitmer va nous faire suivre cette course de l’intérieur dans un paysage d’apocalypse. Cela nous donne droit à des scènes spectaculaires, même si la plupart du roman tourne autour de scènes intimistes basées sur des dialogues, souvent brillants. On y trouve peu d’humour mais un réel talent dans la construction de psychologies fortes, avec toujours cette philosophie simple : tant qu’on a une raison de se battre, il faut rester vivant.

Si l’intrigue est simple, si certaines scènes sont époustouflantes, si la fin est phénoménale, il n’en reste pas moins que, à certains moments, je n’ai pas été intéressé par ce qui se passait. Jim le traqueur et Mopar tiennent pour moi le devant de la scène et font de l’ombre à Jugg et Dayton. C’est donc un roman que j’ai apprécié en dents de scie, que j’aurais aimé plus resserré, plus rapide, plus direct.

 

Oldies : Quand se lève le brouillard rouge de Robin Cook

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Jean-Paul Gratias

Quand j’ai décidé de consacrer cette année 2018 à la collection Rivages Noir, je savais que j’allais lire un roman de Robin Cook, puisque c’est l’un de mes auteurs favoris. L’auteur de J’étais Dora Suarez a toujours décrit remarquablement bien le Mal, et ses origines. Pour l’occasion, j’ai lu le dernier roman qu’il ait écrit.

L’auteur :

Robert William Arthur Cook dit Robin Cook, né le 12 juin 1931 à Londres et mort dans la même ville le 30 juillet 1994 est un écrivain britannique, auteur de roman noir.

Fils de bonne famille (un magnat du textile), Robin Cook passe sa petite enfance à Londres, puis dans le Kent où la famille s’est retirée en 1937 dans la crainte de la guerre. Après un bref passage au Collège d’Eton, il fait son service militaire, puis travaille quelque temps dans l’entreprise familiale, comme vendeur de lingerie.

Il passe les années 1950 successivement :

à Paris au Beat Hotel (où il côtoie William Burroughs et Allen Ginsberg) et danse dans les boîtes de la Rive gauche,

à New York, où il se marie et monte un trafic de tableaux vers Amsterdam,

en Espagne, où il séjourne en prison pour ses propos sur le général Francisco Franco dans un bar.

En 1960, il rentre à Londres, où il accepte d’être un prête-nom pour Charlie Da Silva, un proche collaborateur des jumeaux Kray. Interrogé par la police néerlandaise à propos d’une escroquerie d’assurances liée au vol supposé d’une toile de Rembrandt, il prétend avoir définitivement renoncé à son passé de criminel en faveur d’une nouvelle vie d’écrivain.

Signé Robin Cook, son premier roman, intitulé Crème anglaise (The Crust on its Uppers, 1962), le récit sans concessions d’une descente aux enfers délibérée d’un homme dans le milieu des truands londoniens, obtient à sa publication un succès de scandale immédiat.

Suivront des romans de plus en plus noirs et d’un réalisme sordide quasi documentaire, notamment Comment vivent les morts (How The Dead Live, 1986) ; Cauchemar dans la rue (Nightmare In The Street, 1988) ; J’étais Dora Suarez (I Was Dora Suarez, 1990) et Quand se lève le brouillard rouge (Not Till the Red Fog Rises, 1994)

Après avoir bourlingué de par le monde et avoir exercé toutes sortes de petits boulots, il est décédé à son domicile à Kensal Green, dans le nord-ouest de Londres, le 30 juillet 1994.

Son autobiographie, The Hidden Files, publiée en 1992, est parue en français sous le titre Mémoire vive (1993).

(Source : Wikipedia adapté par mes soins)

Quatrième de couverture :

A sa sortie de prison, Gust, gangster professionnel, dérobe avec quelques complices deux mille passeports britanniques dont le prix au marché noir avoisine les mille livres l’unité. Un joli pactole que des truands londoniens veulent négocier avec des électrons libres de l’ex-KGB qui, eux, veulent écouler des têtes nucléaires en provenance des arsenaux de l’Armée rouge. Mais les services du contre-espionnage britannique sont sur l’affaire…

Mi-roman criminel, mi-roman d’espionnage, l’ultime œuvre de l’immense Robin Cook, est un mélange d’humour, de distance, de noirceur et d’humanité bouleversante. A découvrir absolument.

Quand se lève le brouillard rouge est le dernier roman écrit par Robin Cook (1931-1994) et peut-être son chef-d’œuvre. La sécheresse du ton accentue encore le pouvoir d’émotion de cette magnifique épure, à la fois distante et intimiste, comme traversée d’un prémonitoire sentiment d’urgence absolue et s’achevant dans un silence de mort… (Jean-Pierre Deloux, Polar)

Mon avis :

Le roman débute par Sladden, qui rend visite à un homme dans une chambre d’hôtel. Quand il sort un revolver, on sent bien que cela va mal se passer. Homosexuel et obsédé sexuel, il sait qu’il doit rapidement faire son boulot avant d’être l’esclave de ses pulsions contre lesquelles il aurait du mal à résister. Il demande au gars, russe d’origine mais titulaire d’un faux passeport anglais de s’allonger sur le lit. Il s’allonge derrière lui et lui tire une balle dans la tête. Puis il arrange la scène de crime en faux suicide.

Si on débarque en plein milieu de cette intrigue, Robin Cook va petit à petit nous donner les pièces du puzzle pour comprendre de quoi il en retourne. Un lot de passeports vierges a été volé par des truands, dont faisait partie Gust, qui vient de sortir de prison. Ce lot est convoité par la mafia mais aussi par des Russes menés par Gatov. Gust, qui est en probation, va se retrouver au centre d’un imbroglio et va se défendre comme il sait le faire : par la violence.

Ce roman est une vraie collection de tiroirs. Si Gust et son itinéraire sanglant sert de trame principale, nous allons voir apparaître la police, la mafia, la police et les services secrets. Robin Cook nous dépeint un monde dur, violent, sans pitié où tous les décors sont des ruelles sombres ou des bars douteux. Et chacun ne connait qu’un seul langage, celui de la mort. Si on a l’impression qu’on laisse peu de chances aux repris de justice, il en ressort aussi que les méchants ne sont pas ceux que l’on croit et qu’il y a toujours quelqu’un de plus horrible situé plus haut dans la pyramide du crime.

Si le roman est prenant à lire, c’est grâce à ses nombreux dialogues emplis de réparties humoristiques et cinglantes. Il en ressort une tension poisseuse et palpable. Et c’est bien le personnage de Gust, que l’on devrait haïr tant il est violent qui parvient à nous émouvoir. Sa descente aux enfers et la poisse qu’il porte à ses proches arrivent à nous faire éprouver de la sympathie pour lui alors qu’il flingue ceux qui lui parlent mal.

Avec le recul, ce dernier roman de Robin Cook nous montre ce qu’il pensait de la société Anglo-Saxonne. Tout le monde y est pourri, qu’il soit du bon ou du mauvais coté de la loi. Et on y trouve aussi que réflexions philosophiques sur la vie et la mort qui ont forcément des résonances particulières dans l’esprit du lecteur et du fan de Robin Cook que je suis : Après la mort, il n’y a rien, il n’y a plus rien.

Ne ratez pas l’avis de l’ami Vincent chez Foumette ainsi que cette interview sur Youtube03

Les chiens des Cairngorms de Guillaume Audru

Editeur : Editions du Caïman

Après un petit détour par la Creuse pour Les ombres innocentes, Guillaume Audru revient sur les terres d’Ecosse qui avaient servi de cadre pour son premier roman L’île des hommes déchus. Ce n’est que son troisième polar et pourtant, on a l’impression de lire un auteur confirmé et sûr de soi. Impressionnant !

Liam Holm savoure ce jour, puisque c’est son dernier jour à la prison de Duffy Drive. Il a beau avoir soixante dix ans, il a hâte de retrouver l’air pur et de laisser derrière lui la grisaille des barreaux. Liam ne va pas sortir seul, puisqu’il sera accompagné de Roy Grist. La condition de leur liberté conditionnelle est d’aller pointer tous les jours à 18 heures au commissariat de Wick. De l’autre coté de la route, un Range Rover attend ; Shane, le fils de Liam, attend.

Roy Grist se place à l’arrière et profite des paysages, pendant le trajet les menant dans les Cairngorms. Il pense à ses fils, Johnny et Eddie et à ce qu’il a entendu à leur sujet en prison. Johnny aurait dénoncé ses complices de braquage et se serait trouvé une femme, une belle femme. Les trois compères vont faire un repérage vers la ferme des jeunes Grist. Roy pense, en voyant la femme, qu’il ne vaut mieux pas qu’elle tombe entre les mains de Shane, obsédé comme il est. Apparemment, ils tiennent un chenil dans lequel ils organisent des combats de chiens.

Moira Holm est policière au commissariat de Wick. On lui apprend qu’elle doit recevoir la visite de deux prisonniers en liberté conditionnelle. Apparemment, ils sont en retard … Quand elle apprend les noms des prisonniers, son cœur manque un battement. Des souvenirs la rattrapent, pas forcément des bons. Elle emmène son adjoint, le constable Ranald Hsilop vers le port de Gills Bay, pour savoir si les hommes ont pris le ferry. Apparemment, ils ne sont pas arrivés par là.

Histoire de famille, histoires de familles. Dans les Cairngorms, tout le monde se connait, tout le monde aimerait ne pas se connaitre. Dans les Cairngorms, les paysages sont sauvages, les hommes et les femmes sont des animaux. Dans les Cairngorms, tout se règle de la plus simple des façons : la loi de la nature, la loi du plus fort. Dans les Cairngorms, on entend les aboiements des chiens, on n’entend pas les gens crier.

Guillaume Audru revient avec une intrigue plus simple et avec un style remarquablement aiguisé pour nous offrir un roman noir dans le plus pur style des Hard Boiled anglo-saxons. Il nous refait le coup de son premier roman, L’île des hommes déchus, à savoir un roman choral, faisant avancer son intrigue en passant de l’un à l’autre avec une facilité déconcertante. Il fait donc monter la tension, ne prenant soin d’aucun personnage, soucieux avant tout de gérer le suspense et la violence sous-jacente.

Imaginez, ce n’est que son troisième roman et il porte déjà toutes les marques d’un grand auteur. Car les décors sont venteux et à couper le souffle, les personnages sans aucune pitié, tous plus patibulaires les uns que les autres sans qu’il n’y en ait un à sauver, et la montée en pression exemplaire jusqu’à un final en forme de duel. C’est donc la confirmation de tout le bien que l’on peut attendre de Guillaume Audru, un auteur que l’on ne connait pas assez mais qui a tout le talent des plus grands.

Vous vous demandez alors pourquoi je ne lui ai pas mis un coup de cœur ? Je vais vous répondre en toute honnêteté : Tous les personnages se retrouvent narrateurs à tour de rôle, et le style employé est le même pour tous. S’il y avait eu quelques différences dans leur façon de s’exprimer, ce roman aurait obtenu la palme. Vous conviendrez que c’est bien peu et je vous engage à aller découvrir ce formidable auteur qu’est Guillaume Audru. Ne me demandez pas un titre en particulier, ils sont tous superbes.

Ne ratez pas l’avis de Nyctalopes

Prendre les loups pour des chiens de Hervé Le Corre

Editeur : Rivages

Précédé d’une réputation d’excellent roman noir, je me devais de le lire rapidement. Enfin, rapidement, à mon rythme … et je regretterais presque de ne pas l’avoir lu plus tôt. Noir, c’est noir ; il n’y a plus d’espoir …

« C’était un temps déraisonnable

On avait mis les morts à table

On faisait des châteaux de sable

On prenait les loups pour des chiens

Tout changeait de pôle et d’épaule

La pièce était-elle ou non drôle

Moi si j’y tenais mal mon rôle

C’était de n’y comprendre rien».

« Est-ce ainsi que les hommes vivent » Aragon

Il fait chaud, étouffant en cet été. Franck vient d’être libéré après cinq années de prison. Ils l’ont libéré avec une heure d’avance sur l’horaire prévu. Du coup, il est obligé d’attendre en face de la prison, s’efforçant à ne pas regarder les portes maudites. La voiture qui vient le chercher est conduite par une femme qu’il ne connait pas. Son frère Fabien aurait pu venir, mais il est en Espagne pour quelques semaines.

Le trajet s’avère étouffant, à cause de la chaleur mais aussi de la présence de cette jeune femme qui dégage une animalité brutale. Elle s’appelle Jessica et vit avec son frère. Le trajet se passe dans un silence lourd de sous-entendus. Surtout, Franck imagine les désirs dont il a été privé derrière les barreaux. Pendant quelque temps, Franck sera logé chez les parents de Jessica, qui les appelle les Vieux. Arrivé dans une masure éloignée de tout, Franck fait connaissance avec la mauvaise humeur des vieux. Il est surtout accueilli par le chien, une sorte de bête proche du loup qui ferait peur à quiconque rencontre son regard agressif. Seule la petite Rachel, la fille de Jessica détonne dans ce paysage aux allures d’enfer.

Franck va loger dans une caravane montée sur des parpaings. Il a plongé pour un casse minable, pour 60 000 euros volés, mais il n’a jamais cafté. Depuis qu’il a sorti, il faut qu’il retrouve ses repères dans une vie qu’il a oubliée. Le lendemain, le Vieux lui demande de l’accompagner pour apporter une voiture de luxe qu’il a maquillée. Mais le Vieux n’est pas le seul à avoir une attitude bizarre …

Si après un début aussi cauchemardesque, on peut penser à un huis-clos, la suite se passant dans divers endroits du sud-ouest va certes nous faire changer de décor, mais on va retrouver la même ambiance étouffante que dans la masure des Vieux. Car Hervé Le Corre nous plonge dans un monde de petits arnaqueurs, que l’on pourrait croire méchants, mais ce n’est rien par rapport à ceux avec lesquels ils sont en affaire. Si l’atmosphère y est lourde, le ton est définitivement violent, que ce soit explicite ou suggéré dans les dialogues.

De dialogues, il y en aura peu, puisque le roman se déroule en présence de Franck, personnage principal, et formidable icône de quelqu’un complètement perdu dans un monde qu’il n’a pas quitté depuis longtemps mais qui lui est inconnu. On commence par voir quelqu’un de perdu, ne voulant pas trop s’imposer, puis on passe à une personnage qui se retrouve confronter à des événements qu’il voudrait éviter mais qu’il est obligé de subir, pour enfin voir un Franck qui prend des décisions qu’il a du mal à supporter.

Le deuxième personnage d’importance de ce roman, c’est Jessica, cette mère instable, qui ne sait qu’attirer le malheur, avide de drogues, de sexe et d’alcool pour oublier son existence misérable. Consciente de son irrésistible pouvoir de séduction, elle s’acharne sur les mâles pour son propre plaisir et son propre bien. A la limite, Rachel sa fille est une erreur de parcours qu’elle aimerait bien effacer mais qu’elle aime aussi comme une mère.

Incontestablement, hervé Le Corre rend hommage aux grands du roman noir, en transplantant cette intrigue en France, une intrigue digne du Grand Jim Thompson. On y retrouve le « héros », la femme fatale, des cinglés, des violents, des dangereux, et un univers si oppressants, si violent, si glauque que l’on a plaisir à se plonger la tête dans cette noirceur.

Et puis il y a la plume magique de Hervé Le Corre, et j’aurais pu commencer mon billet par cela. Rarement sa plume aura été aussi belle, lumineuse dans cette noirceur. Si la tension est omniprésente du début à la fin, les phrases en deviennent hypnotiques, et on prend plaisir à se laisser mener dans cette moiteur néfaste. On ne va pas s’attendrir devant le destin de chacun mais bien se laisser mener par une intrigue vénéneuse. Et c’est probablement, à mon avis, le meilleur roman de la part d’un des meilleurs auteurs de romans noirs français.

Ne ratez pas les avis de Yan, Arutha, Jean-Marc, Sebastien chez Geneviève

 

Sur l’île, une prison de Maurizio Torchio

Editeur : Denoel

Traducteur : Anais Bouteille-bokobza

Si j’ai lu ce roman, que j’ai eu bien du mal à dénicher alors qu’il est sorti en Août de cette année, c’est bien parce que mon ami Richard le Concierge Masqué me l’a conseillé. D’ailleurs, je vous conseille de lire l’interview de l’auteur ici.

Des romans sur la vie en prison, on trouve dans le polar surtout des histoires ultra-violentes qui se terminent (en général) par une évasion. Ceux qui, pour moi, sort du lot est indéniablement La bête contre les murs d’Edward Bunker et dans sa première partie On the brinks de Sam Millar. Dans le roman de Maurizio Torchio, le parti-pris est différent. C’est un détenu qui parle, qui raconte sa vie en cellule.

C’est une prison située sur une île, à quelques kilomètres de la terre ferme. Cela rassure les honnêtes gens de savoir que les criminels sont loin et que la mer les empêche de s’évader. La prison est organisée comme une micro-société. Il y a les puissants et les faibles. Les puissants, ce sont les Enne, que l’on reconnait aisément grâce à leur tatouage de la lettre N. Ils occupent tout un étage et personne ne les embêtent. Les faibles doivent rentrer dans le rang, sinon c’est la mort. Et puis autour, il y a les gardiens.

Quand on arrive à la prison, les condamnés sont mis au pli. Les gardiens ne leur donnent rien à manger et rien à boire. Affamés, assoiffés, même le plus méchant d’entre eux finit par se plier à la discipline. Et puis, on confisque les dentiers, on casse les dents. Quelqu’un sans dent est plus facile à nourrir et il ne risque pas de se blesser ou se suicider.

Très vite le panorama devient monotone. Mais cela va être leur paysage pendant plusieurs années. Il y a les murs de la cellule. On ne parle pas, si ce n’est dans sa tête. Parfois, il y a des sorties dans la cour. Là aussi, on ne voit que des murs. Au-delà, il n’y a rien, si ce n’est de l’eau, et après il n’y a plus rien. Pas d’avenir, pas d’espoir, juste la petite voix qui parle dans la tête.

Alors le narrateur parle, raconte, se raconte. Il raconte comment il est arrivé là, comment il a participé à un enlèvement d’une jeune fille. Très difficile à organiser, un enlèvement. Il faut un chef, un financeur, des conducteurs et des gardiens. Lui était chargé de la garder. Il raconte comment il a fait son boulot, sans violence, sans lui faire peur, juste côtoyer quelqu’un avec une cagoule sur la tête. Quand il s’est fait prendre, il n’a rien dit, car ce n’est pas une balance. Donc il a pris 20 ans.

Les kidnappeurs ne sont pas bien vus en prison. Ils sont considérés comme des faibles. Le narrateur a du subir et survivre. Jusqu’à ce qu’il tue un gardien. Passé au rang d’assassin, son statut a changé et depuis, on le respecte. Pour autant, il ne fait pas partie des Enne, il ne cherche pas non plus à monter dans la société. Il parle, se parle, se rappelle les petits gestes de la vie de tous les jours, qu’il ne peut faire en prison.

C’est une sorte de discours intérieur auquel nous convie l’auteur, celui d’un homme enfermé dans une cage comme un animal, qui lutte pour rester un humain. Ce qui frappe, c’est ce manque de sentiment, cette façon de rester dans la description, en ajoutant tellement de petits détails que cela parait totalement réaliste. Sans jamais se répéter, écrit avec de courts chapitres, c’est un roman pas comme les autres, un roman bigrement original qui vous fait entrer dans la peau d’un homme enfermé entre des murs, et enfermé dans sa tête. C’est une curiosité à laquelle je vous convie, à un voyage vers le néant.

La chronique de Suzie : Un prisonnier modèle de Paul Cleave (Sonatine)

Suzie est de retour !Et elle nous parle du dernier Paul Cleave.Parmi les sorties de ce début d’année, l’un des thrillers attendus est bien le dernier roman de Paul Cleave. Il reprend pour l’occasion son personnage du Boucher de Christchurch. Je laisse la parole à Suzie :

Bonjour chers lecteurs.

Nous nous rencontrons de nouveau pour pouvoir discuter du dernier roman de Paul Cleave, qui a été publié aux éditions Sonatine, le 11 février 2016 et dont le titre est « Un prisonnier modèle » ou « Joe Victim » en anglais.

Après avoir écrit cinq livres dans l’univers de Christchurch, petite ville de Nouvelle-Zélande où les tueurs en série trouvent qu’il y fait bon vivre, l’auteur va nous conter la suite de l’histoire de son premier héros, Joe Middleton, surnommé le Boucher de Christchurch. Joe est le personnage principal du premier roman de Paul Cleave  » Un employé modèle » ou « The Cleaner » en anglais. Ce dernier s’est lancé dans l’éclaircissement d’un meurtre qu’on veut lui attribuer.

Dans ce deuxième volet, on va retrouver Joe, dont l’identité de Boucher de Christchurch a été découverte et on assiste à son arrestation. En lisant la quatrième de couverture, on apprend qu’une année se passe et Joe va enfin être jugé. Mais, une course s’engage entre différents protagonistes pour envoyer Joe « ad patres » le plus rapidement possible de peur qu’il ne dévoile certaines choses.

Cette histoire, comme vous pouvez vous en douter, va concerner principalement Joe Middleton mais pas uniquement. Elle va se décomposer en plusieurs voix : celle de Joe, celle de Mélissa, personnage qu’on a déjà rencontré dans une précédente histoire, celle de Carl Schroder et, enfin, celle de Raphael. Chacun de ces protagonistes va donner son point de vue ainsi que ses motivations sur le procès et la possibilité de la mort de Joe. Joe le fera également mais sur un autre mode qui est plus centré sur la vie en prison et comment il ressent sa captivité.

L’autre particularité de cette histoire est le mode de narration. L’auteur alterne la narration à la première personne et celle à la troisième personne. En fait, un seul personnage a le droit de s’exprimer à la première personne et c’est Joe. Ce qui peut déconcerter le lecteur. De plus, les chapitres sont assez courts, environ une dizaine de pages, voire même moins dans certains cas. Cela permet de donner un rythme rapide à l’histoire et plus percutant avec le changement de personnages.

La voix de Joe est assez sarcastique que ce soit envers lui-même, les personnes avec qui il interagit ou dans sa description de la vie carcérale. Ce sarcasme va être mis en avant par l’utilisation des différentes facettes de la personnalité de Joe. Ce qui permet de mieux appréhender le caractère de ce personnage. Les personnages secondaires sont particulièrement stéréotypés. L’exemple en est donné avec les gardiens de prison ou les compagnons de Joe. Celui qui est réussi, est la mère de Joe pour laquelle on ne sait que penser. Est elle consciente de ce qu’a fait son fils ou vit-elle dans son propre monde?

Lorsque j’ai commencé à lire ce livre, j’ai été choquée par le prologue. Je ne m’attendais pas à une telle violence qui est symbolisée par cette paupière. L’auteur semble avoir voulu me montrer que cette histoire n’allait pas me laisser intacte et me le démontrer dès le début. Ensuite, l’alternance des points de vue de personnages permet de poser l’intrigue.

J’ai un peu subi cette histoire jusqu’à la moitié du roman … pour ensuite me faire retourner comme une crêpe par l’auteur et arriver sur une situation que je n’attendais pas et qui m’a surprise, bien que certains cailloux fussent là pour me donner des indices que j’ai mal interprétés.

J’ai énormément apprécié le dernier tiers de l’intrigue. Et je me suis rendue compte que tout pointait dans cette direction. Mais le comportement des protagonistes est là pour nous induire en erreur. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’on n’a pas fini d’entendre parler de notre Boucher atypique et que la vengeance est un plat qui se mange froid ou tiède.

Le prochain roman dans notre ville préférée se nomme « Five minutes alone » et on devrait en apprendre plus sur le devenir de deux protagonistes : Carl Schroder et Théodore Tate. Vivement qu’il soit traduit et publié en français. Je me demande bien ce que l’auteur va pouvoir nous inventer.