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Le chouchou du mois de mai 2022

Après avoir fêté comme il se doit le treizième anniversaire du blog, on se remet en piste pour une quatorzième année avec une nouvelle élection de chouchou mensuel. Et celui-ci s’est avéré bien difficile à choisir !

Ce mois-ci, j’ai décidé de mettre à l’honneur ma fille qui m’a offert un billet sur une des premiers romans du Maître de l’Horreur. Dans Marche ou crève de Stephen King (Livre de Poche), on se retrouve plutôt dans une dystopie, qui avec le recul, s’avère étonnamment visionnaire. Clara nous partage sa passion pour ce livre avec son avis dithyrambique.

Restons dans les Oldies, avec Trafic de reliques d’Ellis Peters (10/18), la première enquête de Frère Cadfaël. Cette série nous projette au Moyen Âge et j’ai été surpris par le plaisir que j’ai eu, surtout pour quelqu’un comme moi qui n’est pas fan des romans historiques.

Parmi les romans actuels, je suis parti à la découverte de nouveaux auteurs et toutes se sont avérées d’excellentes surprises. Kids’show de Gaëtan Brixtel (Horsain) est le premier roman de cet auteur que je connaissais au travers de ses nouvelles éditées chez Ska. Il passe donc d’un style sensible à une expression toute en cynisme et en rage pour nous parler de harcèlement scolaire à l’école primaire. Emballant, parfois méchant, il nous place aussi devant nos responsabilités.

J’ai lu Lieutenant Versiga de Raphaël Malkin (Marchialy) grâce au billet Coup de Cœur de BMR-MAM. Effectivement, entre roman policier et document, l’auteur nous présente un personnage de flic, avec ses qualités et ses défauts, ses erreurs et son obstination à résoudre ses affaires. Tout tient à la faculté de l’auteur à nous faire vivre ce personnage a priori commun qui en devient passionnant.

Autre excellente surprise, celle d’Angela, femme obèse et renfermée, confrontée malgré elle à une situation de kidnapping qui ne la concerne pas, dans L’autre femme de Mercedes Rosende (Quidam éditeur). La perfection de la description psychologique et le scénario bigrement malin, le ton humoristique sont les atouts de ce roman uruguayen de la part d’une auteure à suivre. Cela tombe bien, il s’agit du premier tome d’une trilogie.

Parmi les auteurs que j’adore, La capture de Nicolas Lebel (Editions du Masque) fait suite à son précédent roman et l’on retrouve Yvonne Chen à la poursuite des Furies dans un scénario construit comme une partie d’échecs et au déroulement remarquable. A lire la fin, il semblerait qu’il y ait une suite à venir et c’est tant mieux.

Le Botaniste de Jean-Luc Bizien (fayard) penche plutôt du coté des thrillers. Tous les codes sont parfaitement respectés, les chapitres courts, les personnages bien campés, la tension croissante et la fluidité du style. L’atout supplémentaire de ce roman réside dans son sujet, qui nous alerte sur l’importance des forêts primaires et l’absolue nécessite de les protéger. En plus de nous passionner, ce roman nous instruit.

Enfin, si vous êtes un fidèle de ce blog, vous connaissez ma passion pour deux personnages de flics italiens. Dans la dernière enquête du sous-préfet Rocco Schiavone, Ombres et poussières d’Antonio Manzini (Denoël), il est embringué dans une affaire complexe et tortueuse et toujours, en parallèle, à la chasse du meurtrier de la fille d’un de ses amis. L’auteur nous fait vivre une spirale vers l’enfer depuis quelques romans et la fin est immensément triste, ce qui prouve notre attachement à Rocco.

Le dernier roman mettant en scène le commissaire Soneri, La main de Dieu de Valerio Varesi (Agullo) est à nouveau une grande réussite. L’auteur continue à analyser notre société et nous parle d’aspects plus profonds, presque philosophiques, toujours dans un style si riche et imprégnant. Je le dis, je le répète, lire Valerio Varesi rend plus intelligent. Je pourrais décerner tous les titres de chouchou à ses romans mais j’ai choisi de mettre à l’honneur une de mes découvertes.

Le titre du chouchou du mois revient donc à L’autre femme de Mercedes Rosende (Quidam éditeur), parce que j’ai tant hâte de retrouver Angela dans sa future aventure. J’espère que ces avis vous auront été utiles. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

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L’autre femme de Mercedes Rosende

Editeur : Quidam éditeur

Traductrice : Marianne Million

Ce roman est vraiment la bonne surprise de ce mois de mai. En plus d’être mon premier roman uruguayen, il nous présente un personnage féminin auquel on croit d’emblée et que l’on adore suivre. Si l’on ajoute un scénario malin et original, ne cherchez plus, c’est le roman qu’il vous faut.

Ursula Lopez souffre d’un surpoids qui lui occasionne quelques désagréments, comme ce jour-là quand elle veut essayer une robe résolument trop petite. Quand on dépasse quarante ans, on ne se regarde plus dans une glace ; de toutes façons, on n’y verrait que pouic avec la myopie qui vous agresse. Et puis, comment peut-on résister à de bons chocolats, à de bonnes confiseries ? En sortant de la boutique, Ursula regarde le défilé de « belles » qui font la queue à la caisse. C’est décidé, elle va faire un régime.

Entre deux journées de travail à traduire des documents étrangers, Ursula s’inscrit à la Réunion des Obèses Anonymes. Elle imagine déjà des gros assis en cercle, se présentant succinctement avant de détailler leur attirance irrésistible pour des sucreries colorées, avant de subir les commentaires du groupe. Aurelio, Ada, Susanna, tous racontent leurs privations et le moment où ils ont craqué. Ursula les déteste. Quand elle rentre dans son immeuble, la lumière du hall ne s’allume pas. C’est la coupure de courant, ce qui signifie pour Ursula cinq étages à monter à pied. Un calvaire !

Pendant ce temps-là, Santiago Losada, un homme d’affaires, se rend à l’aéroport, quand il se fait arrêter par la police. Losada se fait chloroformer et atterrit dans le coffre de la fausse voiture de police. Les ravisseurs vont demander une rançon à sa femme, enfin, son ex-femme, puisqu’il est divorcé. Cette dernière a repris son nom de jeune fille, Ursula Lopez, homonyme de notre obèse favorite. Ursula pourrait bien profiter de cette situation.

Tout le roman repose sur Ursula, cette jeune femme obèse, qui va être la narratrice de cette histoire. A l’aide de beaucoup de petits détails, et de plusieurs remarques, nous allons entrer dans la psychologie de cette personne qui, à force de s’enfermer chez elle pour traduire ses documents va se renfermer en elle-même. Elle va se maudire de céder aux tentations de nourritures mauvaises pour sa santé et nous montrer une facette de ressentiment envers les autres.

Que ce soit sa famille ou son patron, elle voue une colère, voire une haine envers ce monde qui juge les autres sur leur physique. Les pérégrinations d’Ursula vont permettre à l’auteure de critiquer cette société dans certains passages hilarants de cynisme noir, tels ceux chez l’esthéticienne ou bien l’émission de télévision à laquelle elle participe en tant que spectatrice.

Mais au-delà de ce personnage, le scénario est bigrement intéressant, puisqu’il va nous prendre à rebours, nous surprenant par les rebondissements et les réactions d’Ursula face à une situation inédite. D’ailleurs, il est bien dommage que la quatrième de couverture nous en dise autant, tant j’aurais aimé plus de surprises. Mais c’est un petit défaut par rapport au plaisir que j’ai eu à arpenter ces pages avec Ursula.

Et la dernière bonne nouvelle réside dans le fait que c’est un premier roman et le premier tome d’une trilogie mettant en scène le personnage d’Ursula. Tout repose sur le personnage d’Ursula auquel on croit d’emblée et je peux vous dire que je signe de suite pour le deuxième tome. Ce roman s’avère être une excellente surprise.

Ordure d’Eugene Marten

Editeur : Quidam éditeur

Traducteur : Stéphane Vanderhaeghe

La quatrième de couverture m’a frappé : un premier roman au style minimaliste qui parle des gens qu’on ne voit pas. Effectivement, pour moi, ce roman révèle un auteur qui doit devenir un incontournable, comme le sont devenus David Joy ou Michael Farris Smith, mais avec son style à lui. Et je peux vous en donner plein d’autres, de belles références.

Le roman commence ainsi :

« L’immeuble possédait ses propres parapluies. Les gens en profitent. Ils oublient. Avaient pris l’habitude de ramener les parapluies à leur bureau ou dans leur box de travail au lieu de les rendre au poste de sécurité dans le hall principal. Ça devenait problématique. Au point que l’immeuble annonça qu’il paierait cinquante cents pour chaque parapluie rendu. Le lendemain, Sloper prit son poste plus tôt. Commença par le rez-de-chaussée et gravit autant d’étages que possible avant l’arrivée des autres agents d’entretien. Lorsqu’ils le rejoignirent, il s’était fait quasiment dix dollars rien qu’en remettant la main sur des parapluies chapardés. »

Dans les bureaux désertés de ce gigantesque immeuble de bureaux, il arpente les allées le soir et passe de façon méthodique de salle en salle, de poubelle en poubelle. Sa zone de travail est parfaitement délimitée, et son trajet parfaitement tracé. Les ordures vont dans le sac gris, les papiers dans le jaune. Et à la fin, il faut tout descendre au sous-sol, mettre tout dans la grande benne.

Sloper, c’est une ombre que personne ne voit, une fourmi qui débarrasse les miettes, à l’image de sa vie. Comme une ombre, il habite dans une cave que lui loue sa mère, qui habite à l’étage. Ils communiquent en frappant sur le sol ou le plafond. Il lui glisse son loyer sous la porte, elle lui envoie le linge à laver par le vide-ordure, qu’il redépose propre devant sa porte. Sloper, c’est une ombre que personne ne veut voir.

C’est un jour comme un autre, pourtant. Il a nettoyé les couloirs, vidé les poubelles, descendu les ordures au sous-sol. Quand il a voulu balancer ses sacs, il fait une découverte qui va indéniablement le marquer.

La préface est signée par Brian Everson et lisez la avant de lire le livre, vous saurez exactement ce à quoi vous aurez à faire et mon avis aussi. La force réside dans le parti-pris de ce personnage solitaire, qui n’existe pas aux yeux du monde, une ombre qui loge parmi les ombres. Enfermé dans sa cave, il porte l’image de l’absence de communication, avec les autres et même avec sa mère, personnage absent du livre, mais d’une présence audible par les coups qu’elle frappe sur son plancher.

Sloper, le nom du personnage, est une pure trouvaille. De l’Anglais slope, qui veut dire pente mais aussi courbe, on l’imagine courbé, s’inclinant devant les autres, l’autorité, un grand dégingandé qui plie l’échine. Pourtant il va prendre des décisions devant cet événement central du livre, va trouver un ersatz à sa solitude. On y trouvera même une scène d’un humour noir féroce quand il sera récompensé par le titre du meilleur employé. Pour les lecteurs qui le suivront, cela apparait comme un trait féroce sur le ridicule de ces distinctions.

Enfin, ce livre atteint des sommets de style, un summum de minimalisme pour donner les clés à l’imagination du lecteur. Eugene Marten ne décrit pas tout, ne dit pas tout, il laisse son lectorat boucher les trous. Par moments, il laisse un espace entre deux phrases, il nous tend la main comme pour nous dire : « vas-y, c’est ton tour, mon pote, remplis les cases manquantes ». et cela marche tout au long du roman, c’en est impressionnant pour un premier roman.

Il laisse aussi volontairement de la distance entre son personnage et la narration. Il se contente de décrire le strict nécessaire et laisse les émotions aux vestiaires. Le but n’est pas de juger qui que ce soit, juste de reporter une vie à la façon d’un journaliste ou d’un reportage qui bénéficierait d’images bien belles, bien propres même quand celles-ci comportent des scènes difficiles à imaginer et à accepter.

J’ai cité quelques auteurs au début de ce roman, qui parlent des délaissés, des petites gens qui survivent vers leur destin misérable. Ce roman m’a fortement fait penser aussi à Eric Miles Williamson, pour l’attention qu’il porte aux hommes de l’ombre, et surtout à Larry Fondation, autant dans la façon d’aborder les personnages que dans ce style qui va directement au cœur. Avis aux amateurs ! Auteur à suivre ! Livre culte en puissance !

Vous les femmes …

J’ai de plus en plus envie de regrouper (quand cela est possible) mes avis par thèmes. J’hésitais pour le titre de ce billet, entre faire honneur aux femmes, héroïnes de ces deux romans, et Les conseils de la Petite Souris, puisque ces deux romans là m’ont été chaudement recommandés par mon frère de pages du Sud. Si ces deux romans sont dans des genres différents, écrits différemment, ils mettent en avant des personnages formidables, vrais, vivants. Honneur aux femmes, donc …

Oyana d’Eric Plamondon

Editeur : Quidam éditeur

8 mai 2018, Canada. Elle s’appelle Oyona et écrit une lettre à son compagnon Xavier. Leur vie s’est construite sur tant de mensonges. Pour la première fois, elle va dire la vérité, tout dévoiler. Elle a pris cette décision, quand elle a appris la dissolution de l’E.T.A. le 2 mai 2018. Elle est née le 20 décembre 1973 au pays basque, le même jour que l’attentat à l’explosif qui a fait un mort, Lluis Carrero Blanco, premier ministre et n°2 du pays espagnol derrière Franco. Puis elle s’est exilée pour le Mexique avant d’arriver au Canada.

Voilà un formidable roman, un formidable portrait de femme, tout en nuances, tout en subtilité d’une femme en fuite. Petit à petit, comme si elle improvisait, jetait ses idées sur le papier au fur et à mesure qu’elles lui venaient, elle va fouiller, analyser et détailler son parcours, mais aussi celui d’un pays déchiré par une lutte intestine ayant fait plusieurs milliers de morts.

Il n’est pas question pour Eric Plamondon de faire le procès d’une organisation terroriste ou des exactions d’un gouvernement dictatorial, mais bien de montrer une jeune femme déracinée, perdue dans des pays qui ne sont pas les siens, éloignée de sa famille et de ses liens du sang avec ceux qu’elle aime. Et à travers le drame de chaque instant de cette femme, derrière chaque souffrance, il y a celle d’un pays qui agonise sous les coups d’un gouvernement qui impose la violence comme seule loi.

Alors, oui, ce roman est court. Mais chaque phrase est un coup de fouet, un ouragan qui vous balaie par sa simplicité et sa justesse. De chaque mot, il y a des larmes qui coulent, de la souffrance à fleur de peau, et petit à petit, l’histoire d’Oyana se dessine, dramatiquement réaliste avec ses liens passés jusqu’à son dénouement présent. Eric Plamondon sonne juste, tout le temps, et écrit là un formidable roman, qui me donne furieusement envie de lire son précédent roman Taqawan que j’ai malencontreusement raté. Ne ratez pas ce roman, vous pourriez passer à coté d’un des grands romans de 2019 !

Les mafieuses de Pascale Dietrich

Editeur : Liana Levi

Grenoble de nos jours. Leone Acampora est un vieux parrain de la mafia qui vient de plonger dans le coma. Atteint de la maladie d’Alzheimer, il y a peu d’espoir pour lui. Michèle, sa femme, n’a pas toujours été fidèle mais elle a été une épouse et une mère irréprochable. Ses deux filles Dina et Alessia ont réussi leur vie. La première travaille pour des ONG tandis que la deuxième tient une pharmacie, ce qui lui permet d’couler en douce de la drogue. Tout est chamboulé quand Michèle apprend que Leone a lancé un contrat contre elle pour qu’elle l’accompagne dans l’au-delà, afin d’être réunis pour l’éternité.

Ce sont donc trois femmes qui vont tenir le devant de la scène, dans un scénario de dingue où on ne s’ennuie pas une seconde, trois femmes de tête, qui malgré leur position théoriquement effacée dans la mafia, s’avèrent tenir les rênes. Michèle fait montre d’un sang froid, grâce à son expérience. Alessia est déjà prête à reprendre le flambeau de son père et à faire face aux mafias africaines qui débarquent sur Grenoble. Quant à Dina, elle préfère mener sa vie honnêtement et donner sa vie aux démunis.

Alors que les chapitres alternent entre chacune d’entre elles, le rythme est soutenu par les nombreux rebondissements jusqu’à un dénouement que l’on ne voit pas venir et qui est comme le reste du livre : humoristiquement sarcastique. Car au travers de l’itinéraires de nos trois égéries, l’auteure se permet de faire des remarques acerbes sur la vie de tous les jours, venant de personnes qui voient le monde d’en haut, ou juste à coté, en marge de la légalité.

Pascale Dietrich joue donc avec les codes de romans de mafieux, en mettant les femmes au premier plan. Elle ajoute donc des scènes liées à leur position de mères de famille, mais ne croyez pas qu’elles sont moins cruelles que leurs homologues masculins. Et puis, il y a une assurance, une maîtrise dans la narration qui fait que l’on ne s’ennuie pas une seconde, et que l’on n’a pas envie de lâcher le livre avant la fin. Cela n’aurait pu être qu’un simple divertissement, c’est un excellent roman noir.