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Ombres et poussières d’Antonio Manzini

Editeur : Denoël

Traducteur : Samuel Sfez

Quand on tient un personnage de la trempe de Rocco Schiavone, sous-préfet d’Aoste, on ne le lâche plus et on se jette sur ses dernières enquêtes dès qu’elles sortent en librairie. Dans ce nouveau tome, Rocco poursuit sa descente aux enfers.

Marco attend devant le 12 via Brean, et hésite à monter la prostituée qu’on lui a conseillée. Avec cinquante-deux ans au compteur, il a du mal à accepter l’abstinence imposée par Barbara sa femme. Enfin, il se décide et profite de la sortie d’un livreur pour entrer dans l’immeuble sans être obligé de sonner à l’interphone. C’est malin ! Le livreur pourrait reconnaitre son visage, la honte !

Quand Rocco se réveille ce matin-là, il n’est pas harcelé par la musique abrutissante de son jeune voisin Gabriele. Il le rencontre dans l’escalier, ce qui est étonnant à cette heure matinale, partir pour son examen de latin. Comme sa mère est absente, comme souvent, Gabriel demande à Rocco de le faire réviser. Il accepte mais cela se fera au commissariat, où l’attend une surprise de taille.

Quand il ouvre la porte de son bureau, tout le mobilier a disparu. Tout a été déménagé dans un placard pour laisser la place au cabinet provincial de la police scientifique. Avant d’aller pousser sa gueulante chez son chef, Rocco se rend compte que Gabriele ne connait pas son cours de latin. Le cas est désespéré. Soudain, on les appelle pour signaler la présence d’un corps découvert par un jogger. La victime serait un transsexuel. Les emmerdements Niveau 10 s’accumulent.

Depuis quelques tomes, Rocco Schiavone est confronté à des enquêtes complexes et embringué dans son passé qui ressurgit et l’oblige à en assumer ses conséquences. Les romans d’Antonio Manzini fonctionnent donc à deux niveaux sur deux lieux différents (Aoste et Rome) et permettent d’insuffler un rythme élevé aux romans. Il est inutile de vous préciser donc de lire cette série urgemment en commençant bien entendu par le premier.

Sans surprise, on retrouve Rocco obsédé par sa femme, qu’il entend encore dans ses songes (voire éveillé) mais qui se fait ici de plus en plus absente. Il va retrouver ses amis romains dans le cadre de la recherche de l’un des leurs et de la chasse de Baiocchi, le meurtrier d’une jeune fille … et je ne vous en dis pas plus pour l’intrigue récurrente qui devient de plus en plus dramatique et triste. Quant à l’enquête principale, elle est d’une complexité grandissante et confronte notre enquêteur aux services secrets qui s’octroient tous les droits.

Enfin, on est bigrement surpris par la réaction de Rocco face à son voisin, laissé à l’abandon en plein dans ses études. Gabriele se montre fainéant et ne veut pas changer pour autant. Rocco va le prendre sous son aile, lui octroyer du temps dans son agenda surchargé, comme son fils qu’il n’a jamais eu. Enfin, la fin est d’une tristesse infinie et cela m’inspire une réflexion à ce propos : quand on écrit une série avec un personnage récurrent, faut-il forcément le malmener, le maltraiter, le torturer et lui faire connaitre une descente aux enfers ? Celle de Rocco est loin d’être terminée, mais elle ressemble beaucoup à celle de Jack Taylor (en moins autodestructeur pour le moment).

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07 07 07 d’Antonio Manzini

Editeur : Denoël

Traducteur : Samuel Sfez

Si vous ne connaissez pas le sous préfet Rocco Schiavone, il va falloir rapidement rattraper votre retard, puisque quatre enquêtes sont déjà parues avant celle-ci : Piste noire, Froid comme la mort, Maudit printemps et Un homme seul. Et comme toute série qui se respecte, je ne peux que vous conseiller de les lire dans l’ordre, d’autant plus que 07 07 07 est la suite de Un homme seul, un polar dont la chute est une des meilleures (et les plus noires) que j’aie lues avec Le Dramaturge de Ken Bruen (rien de moins). Bref, si vous choisissez de vous lancer dans la lecture de ces romans, ne lisez pas le paragraphe suivant.

Eté 2013. Rocco Schiavone est réveillé par du Heavy Metal, que son voisin écoute à fond. A peine habillé, il se jette sur la porte du malotru pour lui expliquer la vie. De mauvaise humeur, il achète le journal et trouve un article relatant la mort d’Adèle Costa, la compagne de son ami Sebastiano, tuée à sa place (voir le tome précédent). Arrivé au commissariat, le préfet Baldi et le juge Costa le convoquent. Ils savent que ce meurtre est lié au passé de Rocco et lui demandent de s’expliquer.

Eté 2007. Quand Rocco se réveilla par cette chaleur étouffante de fin juin, ce fut pour trouver son lit vide. Il trouva sa femme Marina assise à la table du salon, en train d’éplucher les comptes en banque. Elle venait de découvrir les sales activités rémunératrices de son mari. Déçue, dégouttée, elle se leva et s’en alla, arguant qu’elle avait besoin de temps pour réfléchir. Heureusement, il allait être convié à une affaire qui occuperait son esprit.

Un jeune homme a été retrouvé mort dans une carrière, poignardé derrière la tête. La carrière était gardé par un vieil homme alcoolique qui dormait pendant ses gardes et n’a rien vu ni  entendu. Le grillage n’enfermait pas totalement la carrière, il suffisait de le suivre pour se retrouver près d’une route, en face d’une station service. Et si le jeune avait été en mauvaise compagnie, avait réussi à s’enfuir avant d’être rattrapé puis tué ?

En revenant en arrière, en plongeant dans le cauchemar de cette journée du 07 juillet 2007, Antonio Manzini nous permet à la fois de mieux comprendre son personnage et son attitude quand il a été muté à Aoste. On s’attendait à un livre fort, et l’auteur est au rendez-vous, dans une histoire remarquablement menée, porteuse d’une charge émotionnelle immense, digne des plus grands drames noirs que le polar est capable de nous offrir.

On comprend mieux les origines de Rocco, d’une famille pauvreuse, on rencontre sa femme Marina, belle comme le jour, dont il est fou amoureux (et c’est réciproque), on rencontre ses amis unis comme les doigts de main, Sébastiano l’ours lent, Furio le généreux rapide, et Brizio le beau gosse un peu bête. On participe à leurs repas, leurs discussions pleines de dérision de d’humour. Antonio Manzini réussit le coup de force de nous inviter dans ce cercle fermé grâce à des dialogues formidablement savoureux même si certains auraient mérité d’être mieux traduits.

Et puis, il y a cette intrigue qui part d’un meurtre d’un jeune, et qui se déploie comme une toile d’araignée pour monter vers des sommets de maîtrise. Ce roman se suit comme une évidence, l’enquête se révèle totalement logique et les scènes se suivent avec plaisir tant on démonte les rouages en même temps que Rocco.

Et puis, Antonio nous convie dans une visite de Rome, pas celle des touristes, celle des résidents, entre les boutiques de receleurs et les entrepôts, des ports environnants aux restaurants amicaux avec ces repas savoureux. C’est à la fois un cri d’amour envers la culture italienne, un cri de rage devant les assassinats, un cri de désespoir devant une fin tant attendue alors qu’on sait très bien qu’elle ne peut être que dramatique. C’est aussi dans cette façon de nous faire attendre que l’auteur est fort : on connait la fin et malgré cela, on est surpris comme une balle de revolver qui nous frappe en plein cœur. Ce roman nous frappe en plein cœur. Terrible !

Un homme seul d’Antonio Manzini

Editeur : Denoël – Sueurs Froides

Traducteur : Samuel Sfez

Un homme seul est la quatrième enquête du sous-préfet Schiavone. Quand on a lu Piste noire, on tombe obligatoirement amoureux de ce personnage citadin, ancien policier romain exilé à Aoste en plein milieu des montagnes. On ne sait pas grand-chose de son passé, si ce n’est qu’une de ses enquêtes a gêné des personnages haut placé. C’est surtout Schiavone qui tient à bout de bras toute l’intrigue, avec son cynisme et sa méchanceté, et probablement son amertume aussi d’avoir été muté en province.

Froid comme la mort venait confirmer mon impression, et Maudit printemps se présentait comme un roman policier plus classique, avec une course poursuite sur la fin pour retrouver une jeune femme enlevée. Un homme seul est la suite immédiate de Maudit printemps, puisque les toutes dernières pages nous plongeait devant un événement dramatique et émotionnellement très fort. Si vous n’avez pas lu Maudit printemps, arrêtez votre lecture … maintenant.

Depuis l’assassinat de la fiancée de son meilleur ami chez lui, le sous-préfet Rocco Schiavone a quitté son domicile et se cache. Il n’a pas démissionné mais se terre dans un hôtel et ne se rend plus à son travail. Il faut dire qu’il était la cible du ou des tueurs et qu’Adèle Talamonti a été abattue de 8 balles de revolver à sa place. Mais ce n’est pas le genre à se laisser abattre (!). Le sous préfet Rocco Schiavone va donc rameuter tous ses contacts à Rome pour faire la liste de ceux qu’il aurait enfermé dans son poste précédent. Il va donc avoir une liste de coupables potentiels pour cet assassinat.

A la prison de Varallo, une rixe se déclenche entre prisonniers, pour une question de commerce à l’intérieur de la prison. Quand les gardiens écartent les protagonistes, ils découvrent un homme mort, assassiné : Mimmo Cuntrera. C’est justement l’homme que Rocco Schiavone vient de faire arrêter dans une gigantesque affaire de corruption par la mafia calabraise pour l’obtention du marché de construction du nouvel hôpital. Le juge Baldi va donc faire rechercher Schiavone car il a besoin de lui.

A jouer avec le feu, on se brûle; à flirter avec le diable, on franchit la ligne jaune. Schiavone est l’homme à abattre et s’il se terre, ce n’est pas tant pour sauver sa peau que pour trouver le ou les coupables. Il va donc être obligé de revenir pour trouver les coupables du meurtre de Mimmo Cuntrera et cela va lui permettre de poursuivre son enquête sur la mort d’Adèle.

Mais c’est un homme seul que l’on retrouve, comme l’indique le titre, qui va se refermer sur lui-même. N’ayant plus confiance en personne, ne voulant pas impliquer ses proches par risque de représailles, il va éviter tout contact. Et pour ceux qui ont lu les précédentes enquêtes, c’est amusant que la seule personne avec qui il travaille soit le juge Baldi, alors que Schiavone lui-même n’est pas bien propre !

Si on retrouve les qualités d’enquêteur de Schiavone, en particulier pour résoudre le meurtre de la prison, le ton est plutôt morose voire désespéré. L’auteur va s’intéresser à la psychologie de son personnage et en profiter pour nous faire visiter les rues d’Aoste. Mais il va aussi continuer à creuser la moelle de la société italienne, atteinte d’un cancer, celui de la ‘ndranguetta, la mafia calabraise.

Il y a donc moins de raisons de rire des réparties cinglantes de Schiavone envers ses subordonnés, même si on a droit à un beau couple de cons au commissariat. Le ton devient tout de même plus sérieux avec un final qui appelle une suite. Pour ma part, c’est un épisode moins passionnant, un ton en dessous des précédents,  mais, pour autant je continuerai à suivre les enquêtes de Schiavone.

Maudit printemps d’Antonio Manzini

Editeur : Denoel

Traducteur : Samuel Sfez

Après Piste noire et Froid comme la mort, voici la troisième enquête de ce commissaire (Appelez le Sous-préfet) si particulier qu’est Rocco Schiavone. Je vous rassure, il est toujours aussi désagréable avec tout le monde !

Neuf mois. Cela fait neuf mois que Rocco Schiavone a été muté de Rome à Aoste. Cela fait neuf mois et onze paires de Clarks qu’il use. Il faut dire que ces paires de chaussures en peau de daim ne supportent pas le climat humide. Il semble que depuis qu’il a débarqué à Aoste, le temps s’acharne sur lui. A moins qu’il ne pleuve 12 mois sur 12 ! Toujours est-il qu’en ce mois de juin, le temps est encore et toujours pluvieux.

Normalement, on n’aurait pas du contacter Rocco Schiavone pour un accident de la route. Il ne s’agit que d’une camionnette qui est sortie de la route, suite à l’explosion de deux de ses pneus. Le seul souci, c’est que les plaques ne correspondent pas au véhicule. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Mais comme le temps n’est pas au beau fixe, il y a vraiment de quoi ajouter à la mauvaise humeur du sous-préfet.

Giovanna demande à parler au sous-préfet. Ce week-end, elle est sortie en boite avec son amie Chiarra Breguet. Depuis, on n’a plus de nouvelles d’elle. Or ils ont une interrogation aujourd’hui. Quand Rocco se rend chez les Breguet, il sent que quelque chose ne va pas. Il est persuadé que la jeune fille a été enlevée. Il lui reste donc à enquêter en sous-main et retrouver la jeune fille vivante.

Ceux qui connaissent Rocco Schiavone ne seront pas surpris. Au premier abord, c’est un personnage désagréable, de mauvaise humeur, hautain, et qui prend les autres pour des cons. Il faut dire qu’il vient de la ville, et que par voie de conséquence, il est plus intelligent que les gens de la province, surtout quand il s’agit d’une ville comme Aoste. Bref, Rocco Schiavone a été muté dans cette ville de malheur pour raisons disciplinaires, et pour le coup, il passe ses nerfs sur ses subordonnés.

Derrière ce personnage de façade, on découvre, dès le premier épisode, un homme profondément meurtri, qui arrive même à nous émouvoir. C’est aussi un flic professionnel, très intelligent, doté d’un esprit de déduction hors du commun. Alors il joue sur ses qualités pour parler à demi-mots et justifier son attitude détestable vis-à-vis de ses collègues, voire même des juges.

Si les deux premiers épisodes étaient des enquêtes policières classiques, on a affaire ici à un roman sous stress, où pour la première fois, Schiavone doit résoudre en temps limité un problème qui met en jeu la vie d’une jeune fille. Alors que dans les deux premiers épisodes, on passait notre temps avec Schiavone, ici, on va courir avec lui tout en ayant des passages avec Giovanna qui vont faire monter le stress du lecteur. Si le procédé est classique, il est remarquablement fait.

Il n’en est pas moins préférable d’avoir lu les premiers épisodes pour bien apprécier la personnalité de ce sous-préfet. Et en ayant lu ces deux premières enquêtes, on est d’autant plus touchés par la conclusion du roman et le rebondissement final qui plutôt que de nous donner des pistes pour comprendre son passé, jette un voile d’ombre bien noir et nous laisse espérer le meilleur dans le prochain roman. Vous l’avez compris, ce roman est une pierre angulaire supplémentaire dans une œuvre qui compte dans le polar italien.

Froid comme la mort d’Antonio Manzini

Editeur : Denoel – Sueurs froides

Traduction : Anaïs Bouteille-Bokobza

Voici la deuxième enquête de Rocco Schiavone, vice-préfet à Aoste après l’excellent Piste Noire. Pour résumer mon avis, dans ce deuxième roman, on prend les mêmes recettes que le premier et on enfonce le clou. Je vous offre le tout début du roman qui donne le ton et montre l’humour cynique que j’adore :

« C’était le mois de mars, où les journées offrent des instants de soleil et la promesse du printemps à venir. Des rayons encore tièdes, souvent fugaces, qui colorent le monde et ouvrent à l’espoir.

Mais pas à Aoste. »

Irina, originaire de Biélorussie, vit de ménages qu’elle fait chez les gens soit âgés, soit fortunés. Elle est amoureuse d’Ahmed, originaire d’Egypte, et espère bien qu’il l’épousera. Ahmed a un fils, Helmi, de 18 ans, qu’elle accepte volontiers. Arrivée chez les Baudo, la porte de l’appartement est ouverte. Inquiète, elle entre et voit le désordre qui y règne. Elle comprend qu’il vient d’y avoir un vol. Puis, elle imagine que les voleurs sont peut-être encore là ! Alors, elle ferme la porte d’entrée à clé et se jette dans la rue en hurlant comme une damnée … Jusqu’à ce qu’elle rencontre un adjudant de l’armée en retraite qui promène son chien aveugle.

Rocco Schiavone a un gros problème : la femme avec qui il passe quelques nuits, Nora, va bientôt fêter son anniversaire. Il doit donc trouver un cadeau qui ne l’engage pas trop, mais qui lui fera plaisir. Quand ils reçoivent l’appel téléphonique, Rocco et son adjoint Italo foncent Via Brocherel. L’appartement est en effet en grand désordre. Un téléphone portable est en miettes dans la cuisine. La porte de la chambre est fermée mais pas à clé, et plongée dans la pénombre. Rocco actionne l’interrupteur quand les plombs sautent : il y a eu un court-circuit. Quand Italo propose d’ouvrir les volets, ils découvrent Ester Baudo pendue. Si on peut penser à un suicide, Rocco se demande comment une personne peut, après son suicide, fermer les volets et éteindre la lumière. Assurément, Rocco a devant lui un emmerdement puissance 10.

Il suffti de lire le premier paragraphe pour être conquis par le personnage de Rocco Schiavone, ce vice-préfet (équivalent de commissaire chez nous), doué d’une déduction et d’une intuition hors norme et qui traite ses contemporains comme des moins que rien. Cela donne des remarques méchantes, des situations drôles et des dialogues parfois décalés parfois cyniques. Le roman comporte une intrigue construite avec toutes les qualités que j’avais aimé dans le premier : un meurtre, une énigme difficile à résoudre, des indices semés au long des 250 pages du livre et une résolution toute en logique.

A cela, on ajoute ce formidable personnage à la fois méchant et attachant. On en apprend un peu plus sur son passé, ou du moins sur la raison pour laquelle il a été muté à Aoste, au milieu des montagnes, les pieds enfoncés dans la neige qu’il déteste. On a aussi droit à un personnage dont on creuse un peu plus la psychologie, sa soif de justice et la tentation de la vengeance à tout prix, ainsi que la loyauté envers ses amis. Bref, cela peut sembler classique, mais quand c’est aussi bien fait et bien écrit, cela donne du pur plaisir. Je tiens aussi à signaler l’excellent travail de la traductrice qui arrive à rendre aussi bien tout l’humour des situations et du personnage. Bravo !

Piste noire de Antonio Manzini

Traduction de l’Italien par Samuel Sfez

Editions Denoêl – Collection Sueurs Froides – Mars 2015

Réédition : Folio – Mars 2016

Un nouveau personnage de flic fait son apparition sur la scène du polar : il s’agit du sous-préfet Rocco Schiavone. Si on peut au premier abord penser à un roman policier classique, c’est bien le personnage de Schiavone qui fait la différence.

Pur Romain d’origine, homme des villes, Rocco Schiavone se retrouve muté à Aoste, au pied des montagnes enneigées. Alors qu’il se balade avec ses Clarks, il se retrouve systématiquement avec les pieds mouillés à force de patauger dans la neige.

Amedeo Gunelli est conducteur de dameuse, cette machine qui remet à neuf les pistes de ski. Comme c’est un expert dans la conduite de ces machines infernales, son chef lui demande de faire la piste noire, la plus dangereuse. Il branche son iPod à fond et se lance dans son trajet dangereux. A un moment, la machine sursaute ; il a du rouler sur une pierre. Pour en être sur, il s’arrête, descend pour vérifier, et s’aperçoit qu’il vient de déchiqueter un corps humain. Il se retourne pour vomir.

Rocco Schiavone est chargé de cette enquête. Depuis peu, son poste ne s’appelle plus Commissaire mais sous-préfet. D’une nature agressive, il se rend compte que ses hommes ont piétiné la scène. Accident ou meurtre ? là est la question. Quand le médecin légiste trouve un mouchoir dans ce qui reste de la bouche du mort, Rocco Schiavone doit se rendre à l’évidence qu’il a affaire à un emmerdement puissance dix.

C’est un vrai roman policier qu’Antonio Manzini nous propose avec ce premier roman mettant en scène Rocco Schiavone. Au sens où l’action va se dérouler sur 5 jours, pendant lesquels le policier va amonceler les indices … jusqu’à trouver le ou les coupables. L’auteur se permet même de finir son livre par une scène digne de la grande Agatha Christie, en réunissant les habitants du village dans une église … ce qui est faire preuve de pas mal d’humour dans un pays très catholique.

Et d’ailleurs, de l’humour, on va en avoir pas mal dans ce roman, écrit à la première personne par Rocco lui-même. Car ce personnage de sous-préfet vaut son pesant de cacahuètes. Le fait qu’il soit un citadin et qu’il dénigre les bouseux de la campagne donne lieu à des scènes hilarantes, qui frisent le mauvais gout. Mais il faut dire qu’il a à faire avec une sacrée bande de d’ignares et d’idiots, qui n’ont aucune expérience avec les précautions à prendre sur une scène de crime.

Quand je dis que ça frise le mauvais gout, un enquêteur qui insulte les gens qu’il interroge, ou qui leur distribue des baffes comme on pourrait le faire avec un gosse, ce n’est pas commun. Et je dois dire que si parfois je trouve cela amusant, j’ai surtout trouvé ce personnage odieux, hautain et irrespectueux. D’où le rire jaune dont je parlais au dessus. Par moments, ça met mal à l’aise, mais par moments, c’est bigrement drôle. Ce qui est aussi un gage comme quoi ce roman fonctionne à merveille.

Ceci dit, un roman policier, genre Whodunit, avec un policier grossier et de mauvaise humeur, ce n’est peut-être pas suffisant comme argument pour le lire. Il faut juste que j’ajoute la petite cerise sur le gâteau. Car ce personnage de Rocco Schiavone est beaucoup plus complexe qu’on ne le croit. On sait bien peu de choses sur son passé, il n’est pas particulièrement propre au sens où il lui arrive de passer la ligne jaune, et il a connu un drame familial qui, tel qu’il est présenté, a fait que j’ai eu la gorge qui se serrait … alors que Rocco est tout de même odieux.

Comme quoi, un pur roman policier peut encore ravir nombre de lecteurs quand c’est bien fait. Et en ce qui la résolution de l’enquête, c’est impeccable de logique. Les indices ont été semés et donnés au lecteur. Rocco nous démontre dans les dernières pages qu’on aurait pu résoudre l’enquête à sa place ! Et quand en plus, on a un personnage aussi fort, je ne conclurai que par une seule remarque : C’est pour quand le prochain ? Ça tombe bien, il va bientôt sortir et s’appelle Froid comme la mort, aux éditions Denoël.

Ne ratez pas aussi l’excellente interview de l’auteur chez Le Concierge Masqué.