Archives du mot-clé Roman historique

Le parfum de Patrick Süskind

Editeur : Fayard (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

Traducteur : Bernard Lortholary

Attention, coup de cœur !

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

L’ayant acheté il y a une éternité, il me fallait une occasion d’aborder ce roman annoncé comme un monument littéraire, voire un chef d’œuvre.

L’auteur :

Patrick Süskind est un écrivain et scénariste allemand. Il est né le 26 mars 1949 à Ambach à côté du lac de Starnberg (am Starnberger See), en Bavière près de Munich. Il a grandi dans le village bavarois de Holzhausen. Il étudie l’histoire (histoire médiévale et contemporaine) et la littérature à Munich et à Aix-en-Provence. Il travaille ensuite comme scénariste pour la télévision.

Il écrit une pièce de théâtre à un personnage : La Contrebasse, qui sera jouée pour la première fois à Munich en 1981. Elle sera publiée en 1984. Depuis sa création, cette pièce est régulièrement jouée en Allemagne et a également été interprétée à Paris par Jacques Villeret dans le rôle-titre.

Le Parfum est son premier roman édité en 1985 à Zurich, sous le titre Das Parfum, Die Geschichteeines Mörders, puis publié en France en 1986 aux éditions Fayard dans une traduction de Bernard Lortholary. Il vaut à son auteur un succès mondial. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 2006 : Le Parfum, histoire d’un meurtrier.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Au XVIIIème siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus horribles de son époque.

Il s’appelait Jean-Baptiste Grenouille.

Sa naissance, son enfance furent épouvantables et tout autre que lui n’aurait pas survécu.

Mais Grenouille n’avait besoin que d’un minimum de nourriture et de vêtements, et son âme n’avait besoin de rien. Or ce monstre de Grenouille avait un don, ou plutôt un nez unique au monde, et il entendait bien devenir, même par les moyens les plus atroces, le Dieu tout-puissant de l’univers, car « qui maîtrisait les odeurs, maîtrisait le cœur des hommes ».

C’est son histoire abominable… et drolatique, qui nous est racontée dans Le Parfum, un best-seller mondial.

Mon avis :

On entre dans ce roman comme un voyage dans le temps. On est projeté dans un marché parisien, sur un étal de poissonnerie. On est harcelé par les odeurs de puanteur, des égouts aux entrailles de poisson qui encombrent les rues. La vendeuse de poisson, enceinte, accouche et coupe le cordon ombilical avec son couteau avant de perdre connaissance. De toutes façons, elle l’aurait laissé mourir, ne pouvant le nourrir. Mais le bébé va survivre.

Récupéré par une nourrice, puis par un moine, il est finalement élevé par une femme qui touche de l’argent pour les nourrir. Outre son nez « parfait », qui lui permet de détailler n’importe quelle odeur, Jean-Baptiste Grenouille n’en dégage aucune dans ce monde de relents immondes. Il va être rejeté de tous, être comparé au Diable et trouver un travail chez un tanneur.

J’ai été impressionné, époustouflé par la faculté de l’auteur à nous faire vivre, voir, entendre et sentir la façon dont le peuple vivait au dix-huitième siècle. Dès les premières pages et pendant tout le roman, la multitude de détails mais aussi la justesse des descriptions vont nous emmener ailleurs, et suivre l’itinéraire de ce jeune homme doté d’un talent unique et la façon dont il va se transformer en monstre.

Nous allons ainsi le suivre de Paris au massif central, Montpellier, Grasse pour revenir enfin à Paris. On en apprend à chaque page sur les conditions de vie, les écarts entre les pauvres et les nobles, sur la fabrication des parfums, sur l’essor de cette manufacture mais aussi sur les ambiances. Toute la magie de ce roman repose sur sa capacité à nous immerger dans cette période lointaine.

L’aspect psychologique des différents personnages croisant Jean-Baptiste Grenouille est aussi remarquablement décrit sans jamais être pédant. Il est d’ailleurs original de constater que l’itinéraire de Grenouille est principalement décrit via les personnes qui le rencontrent ou avec qui il travaille. Cela laisse une aura de mystère quant à ce que Grenouille pense réellement et insiste sur la façon dont il est vu et interprété. Car il ne faut pas oublier que dans sa folie, il nous montre une logique implacable le menant à sa fin.

En parlant de fin, l’auteur n’entre jamais dans des descriptions horribles, alors que ses actes le sont. Il se situe plutôt à un niveau technique de parfumerie ce qui évite des scènes à vomir. Et je ne peux qu’insister sur l’issue de ce roman, d’une folie à la hauteur de ce meurtrier, avec un aspect humour noir terrible (c’est mon ressenti). Et alors que l’on peut éprouver de la compassion envers cet enfant que l’on a vu grandir, on termine cette lecture en étant effrayé de ce qu’il fait, avec une rage noire collé au ventre.

J’ai été tellement pris par ce roman que je suis allé chercher sur Internet si ce Grenouille avait existé ! Impressionné de bout en bout, moi qui ne suis pas un fan de romans historiques, je dois bien vous avouer que ce roman vient d’intégrer mon TOP20. Il n’est pas étonnant de constater qu’il se situe en 16ème place des lectures préférées des Français pour sa qualité d’écriture et son immersion dans la France du 18ème siècle. Un roman hors normes.

Coup de cœur, oh que oui, énorme coup de cœur !

Publicité

Sadorski et l’ange du péché de Romain Slocombe

Editeur : Robert Laffont (Grand format) ; Points (Format poche)

Je m’étais fixé un objectif de lire, en cette année 2020, la première trilogie consacrée à Léon Sadorski (L’affaire Léon Sadorski, L’étoile jaune de l’inspecteur Sadorski, Sadorski et l’ange du péché) et donc voici mon avis sur le troisième tome. Pourquoi je parle de première trilogie ? Parce qu’il y aura une deuxième trilogie. La première se nomme La trilogie des collabos. La deuxième s’appelle La trilogie de la guerre civile et comprendra La Gestapo Sadorski (qui vient de sortir aux éditions Robert Laffont), L’inspecteur Sadorski libère Paris (à venir en 2021) et J’étais le collabo Léon Sadorski (prévu en 2023).

L’inspecteur principal adjoint Léon Sadorski, chef du Rayon juif à la 3ème section des Renseignements généraux et des jeux, n’en est pas à sa première bassesse. Dans son métier, traquer les juifs pour les arrêter est son quotidien. Et quand il tombe sur une vendeuse de lingerie fine à la Samaritaine, il en profite pour lui faire un chantage et lui demander de voler des dessous pour sa femme adorée Yvette.

Sauf que tout semble dérailler pour lui. Alors qu’au travail, il est chargé de trouver une jeune femme juive qui a passé la ligne de démarcation avec de l’or, il intercepte une lettre anonyme pleine de menaces envoyée à sa femme qui lui montre que Paris est en train de changer en cette année 1943. Une bonne raison pour lui de serrer la vis et de se donner à fond, tout en faisant très attention aux policiers véreux de son service.

Alors que les lettres de dénonciation se multiplient, la Gestapo montre à Léon une lettre demandant de saisir les biens des parents de Julie Odwak, la petite juive qu’il loge chez lui dans l’espoir de la séduire. Il s’arrange pour être présent lors de la perquisition et arrive à mettre la main sur le journal intime de Julie avant que les Allemands ne le prennent. Heureusement, ils ne s’intéressent qu’aux toiles peintes. Ce qu’il va y lire va le sidérer.

Troisième tome et le plus volumineux de la trilogie, ce Sadorski et l’ange du péché comporte toutes les qualités qui m’ont fait adorer les deux précédents tomes :

Le personnage tout d’abord, immonde salaud raciste qui, tel une bête traquant sa proie, n’hésite à user de toutes les bassesses et les violences pour arrêter les juifs. Plus aveuglé que jamais dans son travail, il apparait comme un combattant du Mal lancé dans une croisade personnelle aveugle, mis à mal voire dépassé par un extrémisme antisémite qui va plus loin que ses convictions. Et malgré ses contradictions, on le retrouve concerné par l’extermination des juifs, mais il faut bien dire qu’il place son bien-être et sa survie au dessus de toute autre considération. Car Sadorski est avant tout un égoïste. La complexité de ce personnage ignoble en devient fascinante.

Le contexte du Paris occupé qui est toujours reconstitué avec minutie, force détails et des descriptions d’une réalité confondante. L’immersion dans un autre temps (pourtant pas si lointain) est insérée à l’intrigue et donne un rendu véridique, d’autant plus que peu de romans ont décrit avec autant d’acuité frontale la vie des Parisiens à cette époque et leurs pensées, leurs penchants en faveur d’un écrémage contre les juifs.

Le contexte historique de cette année 1943 y joue un rôle primordial. Alors que la famine et les restrictions font rage, la vie quotidienne devient une course à la survie. Comme devant tout événement majeur, on y trouve des victimes et des profiteurs. Une des trames du roman tourne donc autour du marché noir et de toute une mafia qui se monte et qui profite de la situation. Et 1943 constitue aussi le tournant de la guerre, l’année où les Allemands subissent leurs premières défaites. Dans la tête des Parisiens, commence à s’allumer une lueur d’espoir. Enfin, ils sont persuadés que les Allemands ne sont pas là pour toujours.

L’inspecteur adjoint Sadorski, aveuglé par sa chasse aux juifs, va être confronté à plus fort que lui. Tout d’abord les tenants du marché noir, mais aussi la vérité sur la déportation des juifs. Il va recevoir des témoignages lors d’interrogatoires ou de discussions qui vont lui ouvrir les yeux et le placer face à un choix impossible à faire pour lui. Les conséquences vont engendrer une tension dans le roman et des passages violents, très violents, d’autant plus violents qu’ils sonnent justes.

Dans cette thématique, il va découvrir le Journal Intime de Julie Odwak, sa petite protégée juive. Il a réussi à le conserver en prétendant l’utiliser pour trouver des pistes sur des juifs. En réalité, alors qu’il espère des sentiments de sa protégée, il lit le calvaire, la torture que les Nazis font subir aux juifs tous les jours. Sorte de continuité du journal d’Anne Franck (en version romancée), ces longs passages sont passionnants mais ont tendance à être plus des parenthèses dans l’intrigue que des éléments la faisant avancer.

Et c’est un peu ce que j’ai ressenti lors de cette lecture. Elle est passionnante, prenante, intéressante, instructive, inédite, impressionnante mais il m’a manqué un fil directeur. A chaque tome de la trilogie, on a droit à toujours plus de pages, et je dois dire que j’y ai trouvé des longueurs, des pages qui n’apportaient rien de plus. Pas décevant, loin de là, mais trop bavard par moment.

Aux vagabonds l’immensité de Pierre Hanot

Editeur : Manufacture de livres

J’avais adoré Gueule de fer, le précédent roman de Pierre Hanot, qui abordait avec une économie de mots remarquable la vie d’Eugène Criqui, champion du monde de boxe oublié aujourd’hui. Avec ce nouveau roman, Pierre Hanot, qui a choisi de rappeler des moments oubliés de notre histoire contemporaine, évoque la nuit du 23 juillet 1961, autrement appelée « La nuit des paras ».

André, adjudant dans la 1ère RCP, premier Régiment de Chasseurs Parachutistes, était en Indochine où il a pris le bouillon face aux Viets, mais appris les nouvelles règles de la guerre moderne : torture, interrogatoires et pas de pitié. Il a appliqué ses connaissances en Algérie, puis a subi le putsch des généraux et sa sanction : rapatriement en métropole, à Metz. Frustration et rage l’animent, comme ses hommes.

Hocine a échappé au carnage en Algérie et rejoint la France, où il recrute parmi ses coreligionnaires des futurs membres du FLN.

La priorité de la vie de Christiane est de s’occuper de sa mère, à qui on a détecté une sénilité précoce. Elle aimerait pourtant bien trouver l’amour.

L’oncle de Nourredine s’est abîmé la santé dans les mines, avant de se recycler en tant que boucher. Nourredine a eu l’idée d’acheter une camionnette et de faire de la vente mobile.

Marcel n’a qu’une chose en tête : préparer ses vacances à l‘ile d’Oléron. Lui qui a connu la seconde guerre mondiale n’aspire qu’à la paix. L’arrivée des paras à Metz ne peut que l’inquiéter.

Richard est apprenti journaliste au Républicain Lorrain. Il tient un journal dans lequel il va consigner tout ce qui s’est passé pendant ce mois de juillet 1961.

En évoquant divers personnages, sans prendre parti ni pour les uns ni pour les autres, Pierre Hanot montre la tension qui monte entre deux clans qui s’opposent pour de mauvaises raisons. A tour de rôle, chacun va avancer vers une issue dramatique pour la plupart.

Une nouvelle fois, l’écriture est dépouillée, minimaliste, préférant laisser le devant de la scène aux personnages, criant de vérité. Même les scènes de baston, les batailles et les meurtres ne seront qu’évoqués.

Ce roman se place donc comme une somme de témoignage, en même temps qu’il est un bel objet littéraire. C’est une sorte de pierre gravée dans notre histoire pour ne pas oublier que l’obsession des Hommes peut conduire à des faits inacceptables.

Un roman indispensable pour un événement marquant, raconté par le petit bout de la lorgnette, celui des gens simples qui tentent de vivre et subissent.

Tu entreras dans le silence de Maurice Gouiran

Editeur : Jigal

A la suite de trois lectures décevantes (voire plus), je suis revenu à mes basiques : prendre un roman édité chez Jigal. Et quoi de mieux que de lire le dernier roman de Maurice Gouiran en date, son trentième, qui nous plonge en plein milieu de la première guerre mondiale. Voilà un roman qui me réconcilie avec l’Histoire.

Décembre 1915. Alors que le conflit ne devait durer que quelques semaines, les armées s’embourbent et les défaillances se font sentir. Lors de la visite du sénateur Paul Doumer à Petrograd en Russie, les deux pays se lient par un pacte : La Russie a des hommes mais pas de fusil ; la France a des fusils mais plus d’hommes (680 000 morts en moins de deux ans). Alors, la Russie enverra 44000 hommes en France. Pour chaque homme fourni, il y aura un fusil Lebel.

Nota : Sachez que j’utilise ces termes volontairement tant ce marché est incroyable, ignoble  et inhumain.

Jeudi 20 avril 1916. La première brigade commandée par le général Lokhvitski débarque à Marseille, après trois semaines de voyage dantesque. Parmi eux, Kolya est un jeune homme intelligent, qui parle français et est envieux de la réputation de révolutionnaire qu’a la France. Son ami, Slava, est un cambrioleur qui a tué un riche bourgeois lors d’un casse. Rotislav vient juste de se fiancer et a été enrôlé par l’armée avant son mariage. Et puis, il y a Iouri qui cherche l’assassin de sa sœur et poursuit sa vengeance.

Les troupes arrivent et c’est la liesse dans la cité phocéenne. Pour tous, l’arrivée des soldats russes, tout inexpérimentés qu’ils soient est synonyme de victoire proche. Pour Kolya, c’est une découverte de cette ville quelconque au premier abord mais attachante et chatoyante grâce à ses habitants. Pour Slava, hors de question de monter au front avant d’avoir fait l’amour à une femme. Il embarque Kolya dans cette aventure et les deux comparses débarquent au Bar des Colonies. A la suite de cette nuit, Slava va disparaitre.

Pour son trentième roman aux éditions Jigal, Maurice Gouiran abandonne son personnage fétiche et récurrent Clovis Narigou pour nous plonger dans l’horreur de la première guerre mondiale. A travers le destin de ces jeunes Russes dont certains ne savaient même pas tirer, il nous montre tout d’abord les lignes arrière, puis le front avant de revenir à Marseille pour une conclusion formidable.

Car cette histoire est maîtrisée de bout en bout, en utilisant le principe d’une narration à plusieurs personnages en mettant en avant la psychologie de chacun. Car on ne peut pas dire qu’ils aient une motivation à rencontrer leur mort aussi tôt. Maurice Gouiran évite donc de nous asséner des scènes horribles de guerre, et il l’utilise comme décor, derrière ces jeunes gens.

Pendant qu’ils sont sur le front, la révolution russe va se déclencher et la vie de ces jeunes gens va être remise en cause puisqu’ils se retrouvent avec un nouvel espoir et un nouveau pays à reconstruire. Et c’est avec cette histoire que Maurice Gouiran nous délivre son message, que pendant que des jeunes meurent pour une guerre qu’ils n’ont pas voulu, de grands dirigeants avancent leurs pions et manipulent des marionnettes.

Maurice Gouiran nous montre de grande manière tout son art, et confirme qu’il est le grand conteur de l’histoire moderne. Et si j’avais eu un professeur d’histoire comme Maurice Gouiran, c’est une matière qui m’aurait passionné, alors qu’elle me manque tellement. Alors je voulais par ce billet remercier de nous écrire de tels romans, de nous conter de telles petites histoires humaines inscrites dans la grande Histoire.

Telstar de Stéphane Keller

Editeur : Toucan

J’avais été très impressionné par le premier roman de Stéphane Keller, l’année dernière, Rouge Parallèle, par son intrigue qui s’appuie sur trois personnages forts et par sa faculté à nous immerger dans une autre époque, les années 60. Telstar sort moins d’un an après et reprend les mêmes personnages.

Une suite ? Non, plutôt une explication du parcours des policiers et militaires rencontrés dans Rouge Parallèle. Les anglo-saxons appellent cela un pre-quel ; moi j’appelle ça un « Revenons en arrière » ! Original, non ? Et donc, pour bien appréhender les Lentz et Holliman, quoi de mieux que de les envoyer dans les années 50, plus précisément 1956, en Algérie.

Alger, 24 décembre 1956. Le corps d’une jeune fille est retrouvé. Elle a été violée puis étranglée ; il lui manque une socquette. Pour l’inspecteur principal Brochard, ce n’est qu’une horreur de plus dans un pays de plus en plus ensanglanté. Depuis le début du mois, ce sont plus de 120 attentats mortels qui ont déferlé, dont la responsabilité incombe au FLN, le Front de Libération Nationale. Son adjoint, Joanin ne s’est pas encore remis d’un massacre dans une petite ferme du coin. Sa mère leur donne son nom : la petite s’appelait Henriette Pellegrini. Quelques témoins font état d’une voiture américaine de couleur, avec à son bord un homme blond. Cela n’arrange pas Brochard qui viserait plutôt les fellaghas.

Chypre, 24 décembre 1956. L’armée franco-britannique a remporté la victoire du Canal de Suez face à Nasser mais a dû faire marche arrière sous la pression des Américains et des Russes. Alors l’état major leur ordonne de rallier Alger, pour sécuriser la situation. La 10ème DP, accompagnée du capitaine Jourdan allait s’atteler à cette mission. Ils avaient carte blanche. La chasse au FLN débutera dès le 26 décembre, date de leur arrivée sur place. Par contre, Jourdan devra se coltiner la colonel Stuart Hollyman, observateur américain sur place.

Sainte Marthe, 25 décembre 1956. Norbert Lentz est un simple soldat, dont l’objectif et la motivation tiennent en quelques mots : faire la chasse aux communistes. Et il est sur d’en trouver à la pelle en Algérie. Direction donc Marseille, pour embarquer vers cette colonie qui a la prétention de revendiquer son indépendance. Il va leur faire passer cette envie, aux communistes …

Que c’est dur de faire un résumé du contexte de ce roman, environ les 50 premières pages, alors que la situation est inextricable. Après Rouge parallèle, l’auteur m’avait indiqué qu’il envisageait de traiter cette période sanglante pour y placer quelques uns de ses personnages, et expliquer leur histoire. Alors, si je dois vous conseiller quelque chose, c’est de lire celui-ci avant Rouge parallèle … ou pas. En fait, je pense que l’on peut suivre un déroulement chronologique mais on peut aussi lire Telstar en premier. En aucun cas, vous ne serez gêné dans votre lecture.

Passé cette introduction, je retrouve la puissance d’évocation de cette période, la sensation de danger permanent alors que le style de l’auteur est plutôt descriptif. Stéphane Keller nous montre la difficulté de cette situation qui ne peut que dégénérer, où les différents camps en présence se livrent à une guerre mortelle sans aucun état d’âme. Aux attentats aveugles, la police française y répond par des meurtres sans enquête pour boucler ses dossiers et l’armée se livre à des tortures qu’on a du mal à imaginer.

En fait, Stéphane Keller arrive à atteindre le juste équilibre entre personnages et contexte, entre action décrite et dialogues réduits au strict minimum. Et surtout, il réussit la gageure, en s’appuyant sur une documentation sans faille mais pas lourdingue, à nous montrer toute l’inhumanité des hommes quand ils sont persuadés de leurs actes. Il n’est pas étonnant que l’on ait vu aussi peu de romans traitant ce sujet et il semble bien que les vannes de l’imagination littéraire s’ouvrent depuis peu. Et c’est finalement une bonne chose pour l’Histoire.

Quant à Stéphane Keller, il passe haut la main le risque du deuxième roman en gardant le même thème. Et ça, c’était un sacré pari, un pari qu’il a formidablement transformé. Enfin, le titre, il s’agit d’un titre des Tornadoes, sorte de musique désenchantée, qui tourne en rond comme si les hommes refaisaient tout le temps les mêmes erreurs.

Ne ratez pas les avis de Wollanup

Oldies : La reine de la nuit de Marc Behm

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Nathalie Godard

Je continue ma rubrique Oldies qui est consacrée en cette année 2018 à la collection Rivages Noir. Voici un roman choisi presque par hasard dans ma bibliothèque, puisque j’ai suivi le bandeau signé Romain Slocombe : « L’apocalypse érotique du IIIème Reich ».

L’auteur :

Marc Behm, né le 12 janvier 1925 à Trenton, New Jersey, mort le 12 juillet 2007 à Fort-Mahon-Plage (Somme), est un écrivain de roman policier et un scénariste américain ayant vécu à Paris en France. Behm a écrit le scenario du film Help ! des Beatles (1965) et de Charade (1963). Son roman le plus connu est le roman noir surréaliste Eye of the Beholder (1980), traduit sous le titre Mortelle randonnée.

Behm a développé une fascination pour la culture française tout en servant dans l’armée américaine pendant la seconde guerre mondiale; plus tard, il est apparu en tant qu’acteur sur plusieurs programmes de télévision français, avant de s’y installer de façon permanente.

Ses romans font preuve d’un humour ravageur et d’un style surréaliste.

Quatrième de couverture :

La mère d’Edmonde Kerrl adorait Wagner, mais son père traduisait Shakespeare. Elle fut donc prénommée Edmonde en l’honneur du traître Edmund dans le roi Lear. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit devenue la « reine de la nuit », ait rejoint le parti nazi sur un malentendu et, d’aventures en tribulations, se soit retrouvée membre des S.S. puis dans le lit d’Eva Braun…

Premier roman de Marc Behm au scénario pour le moins déroutant, la reine de la nuit est un livre à l’humour noir ravageur, dont l’exceptionnelle force subversive n’a pas fini de marquer les esprits. On peut y trouver une parenté avec le Inglourious Bastards de Tarantino, mais le ton de Marc Behm est unique comme l’est sa façon d’aborder le basculement dans la folie totalitaire à travers un thriller palpitant.

« Quoi qu’il en soit, un fabuleux roman. » Jean-Pierre Deloux, Polar

Mon avis :

Edmonde Kerrl, voilà un nom que je ne risque pas d’oublier, même si j’ai plus ou moins apprécié ce roman. Cette jeune femme va nous raconter sa vie, guidée par ses pulsions sexuelles et l’absence de son père, à travers la montée et la chute des nazis en Allemagne. De son adolescence et la découverte de ses premiers émois avec sa cousine jusqu’à sa condamnation à mort, elle ne nous cache rien et Marc Behm nous rend ce roman à la fois érotique et horrible, violent jusqu’à l’inacceptable et sarcastique.

Grossissant le trait jusqu’au grotesque, Marc Behm a certainement voulu montrer l’absurde du nazisme. Mais là où cela cloche, ce sont toutes ses libertés prises vis-à-vis de la vérité historique et le déroulement de l’intrigue qui place Edmonde toujours là où il se passe quelque chose.

Elle va fréquenter les plus hauts dignitaires de l’Allemagne, grâce aux innombrables orgies auxquelles elle participe, va frayer son chemin sans le vouloir, car elle n’est pas plus nazie qu’une autre. Elle est juste guidée par son égoïsme et son seul plaisir. Si au début j’ai bien accroché, surtout par l’acuité de la psychologie, j’ai petit à petit relâché mon intérêt par la violence de la fin. Vous êtes prévenus, c’est une sacrée charge contre le nazisme, sur un ton sarcastique et cynique mais c’était un peu trop pour moi.

Power de Mickaël Mention

Editeur : Stéphane Marsan

Attention, coup de cœur !

Le nouveau roman de Mickaël Mention est une bombe, une véritable bombe. En choisissant d’évoquer le Black Panther Party, il a choisi de parler de ses thèmes favoris, et tout dans ce roman ne peut interpeller le lecteur. Mickaël Mention veut passer un message ; avec ce roman, il le clame haut et fort. Très fort.

Le roman s’ouvre sur l’assassinat de Malcolm X le 21 février 1965.

1966, Oakland. Les actions meurtrières de la police envers la population noire n’ont jamais été aussi nombreuses. Bobby Seale et Huey P. Newton décident d’appliquer le deuxième amendement de la constitution des Etats Unis qui autorisent tout citoyen à posséder une arme. Sans être agressif, il s’agit de montrer aux policiers que les Noirs peuvent se défendre, en affichant leurs armes. Puis ils décident de créer un mouvement pour la défense des Noirs, pour faire respecter leurs droits. Petit à petit, leur mouvement distribue de la nourriture et en viendra à construire un hôpital.

1967, Philadelphie. Charlene est une adolescente de 16 ans, qui prend conscience de la société dans laquelle elle vit. Tous les jours, elle lit dans les journaux, elle voit dans la rue, des Noirs qui se font tuer par la police. Elle voit dans une boutique une affiche de Bobby Stills et Huey Norton, fusils à la main. Elle veut s’engager dans les rangs du Black Panthers Party et Roy, le propriétaire lui donne 3 livres à lire avant qu’elle ne s’engage : l’autobiographie de Malcolm X, Les damnés de la Terre de Frantz Fanon, et Le petit livre rouge de Mao.

1967, Los Angeles. Neil est flic et se retrouve face à son quotidien de haine. Tous les jours, il doit partir sur le terrain, en intervention, essayant de faire régner l’ordre, parmi des gens qui détestent la police. Lors d’une opération, son collègue est tué et Neil s’enfonce dans une croisade sans but.

1967, Chicago. Cela fait un an que Tyrone purge sa peine de prison pour avoir tué Big Joe qui a essayé de « l’entuber » à Cook County. Un avocat demande à le voir, son nouvel avocat. Il s’agit en fait de l’agent spécial Clark du FBI. Clark lui propose de le libérer en échange d’un boulot : Intégrer le BPP en tant que taupe pour le FBI. Le nom de code de cette opération de grande envergure est COINTELPRO.

Naissance, grandeur et décadence du groupe activiste et politique Black Panther Party : voilà le nouveau défi relevé haut la main par Mickaël Mention, cet auteur décidément prêt à tout et capable de tout. Après une première partie où on retrouve les origines du BPP, on entre dans le vif du sujet au travers de trois personnages tous aussi différents les uns que les autres. Ce qui permet d’apporter une vision différente de tous les événements sans pour autant avoir la prétention de détenir la vérité.

Et chacun de ces personnages, que ce soit Charlene, Tyrone ou Neil sont remarquablement bien faits, mais aussi attachants dans leurs choix. Entendons nous : je ne défends pas Charlene quand elle plonge dans la drogue, mais je la comprends quand du haut de ses 16 ans, elle veut que les exactions contre les noirs cessent. Je ne défends pas Tyrone qui trahit les siens, mais sa situation (réaliste) est bigrement prenante. Je ne défends pas Neil et son racisme, mais j’y vois un peuple américain perdu, assommé par a manipulation, prenant de mauvaises décisions parce qu’il a les mauvaises cartes en main. C’est probablement le personnage que je trouve le plus fascinant dans sa recherche de solutions et dans ses choix dramatiques et meurtriers.

Ce roman parle de révolution, de révoltes, d’injustices, de pauvres et de riches, de luttes pour le pouvoir, de luttes pour la survie, de racisme, de journalisme, de manipulation, de couleur de peau, d’éducation, de possession d’armes, de l’impossibilité à communiquer, de la difficulté de vivre ensemble. Il parle d’humanisme assassiné, de valeurs bafouées, de droit de vivre et de droit de survivre. Il parle surtout d’une société américaine incapable de faire face à sa plus lourde défaite, d’une société qui se veut représenter le bien dans le monde, perdre la face dans une guerre du Vietnam meurtrière face à un courant politique qui représente le mal, Il parle de pourris (au FBI entre autres) qui perdent tout contrôle et se lancent dans une guerre voire une guérilla contre son propre peuple … au nom de l’ordre … mais n’est-ce pas pour se venger du Vietnam ? Pour ne pas perdre l’image qu’il se fait de lui-même ? Par pur ressentiment ?

Mickaël Mention utilise une forme chère à James Ellroy, pour se l’approprier et conter cette histoire de haine et de sang qui a déferlé sur les Etats Unis. Il fait comme James Ellroy, mais écrit son livre, plein de rage, en mettant son propre sang sur ces pages, en n’ayant pas honte d’étaler ses tripes sur ces mots. Et j’ai bien l’impression que c’est paradoxalement le livre le plus personnel de cet auteur sur un sujet très éloigné (en distance) de la France. Du moins, c’est ce qu’il m’a semblé.

Car c’est bien de haine entre êtres humains dont on parle, c’est bien de sang humain dont on parle ; ce sont des hommes, des femmes, des enfants sacrifiés dont on parle. C’est le message que je retire de ce roman : Derrière tout acte, bon ou mauvais, il y a des hommes et des femmes. Des hommes et des femmes qui tuent. Des hommes et des femmes qui essaient de survivre. Et il ne reste finalement que bien peu de choses à sauver de l’Homme. Ces Noirs se sont battus pour leurs droits ; ils ont perdu ; même aujourd’hui encore. Mais ce n’est pas une raison d’arrêter.

Coup de cœur !

Glaise de Franck Bouysse

Editeur : Manufacture de livres

Franck Bouysse est unique dans le paysage littéraire français. Il inscrit ses histoires dans la campagne française, et possède une plume faite de violence, de poésie et de couleur noire, comme la terre qu’il dessine si bien. Glaise est une nouvelle fois un excellent roman.

Aout 1914. A Chantegril, petite bourgade proche de Salers, la guerre vient s’imposer dans le quotidien des fermiers brutalement. Chez les Landry, la ferme est tenue par la grand-mère Marie puisque son mari a été foudroyé huit ans auparavant. Mathilde et son mari y habitent avec leur fils Joseph, âgé de 15 ans. Le père s’apprête à partir à la guerre, confiant la famille au dernier homme de la famille. Heureusement, Joseph pourra compter sur le vieux Leonard, qui habite à coté et qui vit avec sa femme Lucie.

Un peu plus loin, on trouve la ferme de Valette dont tout le monde a peur, tant c’est un violent de nature. Son physique aide aussi à ce qu’on le déteste avec une main réduite en bouillie. Sa femme Irène le supporte, subit ses colères, encaisse ses coups, surtout depuis que leur fils Eugène est parti à la guerre. L’équilibre de la petite bourgade va basculer quand la belle-sœur de Valette débarque avec sa fille Anna. Et l’histoire devenir un drame dont personne ne sortira indemne.

La plume de Franck Bouysse est magique. Les premiers chapitres décrivent le départ du père de Joseph pour la guerre et dès les premières pages, je peux vous dire qu’on en a la gorge serrée. Il ressort de ces mots une puissance émotionnelle qui s’avère universelle et plonge immédiatement le lecteur dans le contexte et dans ces décors campagnards. Ces pages sont tout simplement impressionnantes.

Dans cette histoire aux allures intemporelles, Franck Bouysse se place loin de front de la guerre et la vie continue son chemin en ayant bien peu d’informations sur ce qui se passe réellement. L’auteur va donc décrire un village, comme un huis-clos, et placer en pleine nature des familles avec leur histoire, leur rancune, leurs activités quotidiennes et leurs préoccupations minées par la menace d’un conflit qui leur parait empreint de mystère.

Franck Bouysse va dérouler une intrigue qui se situe entre drame familial, ressentiments passés, amours impossibles et émancipation d’un adolescent. Le personnage central va petit à petit découvrir les liens entre les différents fermiers et découvrir l’amour charnel avec Anna, entraînant des événements dramatiques en chaîne.

Même si le rythme est lent et suit celui des éleveurs de bêtes, c’est bien la force d’évocation de l’auteur qui en fait un roman fascinant et passionnant à suivre. Franck Bouysse arrive à insuffler dans sa prose des phrases d’une poésie envoûtante, des images incroyablement fortes, et il possède une capacité d’évocation des paysages qui font de ce roman exceptionnel en ce qu’il a su créer son propre univers avec son propre style. Franck Bouysse est énorme aussi bien dans le fond que dans la forme et il est unique. Glaise en est une nouvelle fois une excellente démonstration.

Ne ratez pas les avis de mon ami Bruno, de la Belette et de Bob tous unanimes.

Gueule de fer de Pierre Hanot

Editeur : Manufacture de livres

Si j’aime bien les romans qui ont un fond historique, je ne lis que très rarement des romans biographiques. Alors pourquoi avoir choisi ce roman là ? En premier lieu, je dirai que c’est le billet de Claude qui m’a décidé. Ensuite, je suis fan de boxe. Enfin, la période évoquée (la première guerre mondiale) est une période qui restera pour moi un point d’interrogation, ne comprenant pas comment on a pu faire durer ce conflit avec toutes les horreurs qui ont été perpétrées. Et puis je suis tombé sur ce roman, court mais si intense … L’émotion qui se dégage de ce roman est tout simplement incroyable.

Le roman démarre en 1914. Champion de France Poids Mouche, Eugène Criqui vient de passer Poids Coq et commence par une défaite face à Ledoux. Cette défaite est dure à avaler, c’est comme s’il était passé sous un train. Le moral est en berne, il songe à arrêter. Mais son entraineur lui répète que c’est dans la défaite qu’on forge les champions. Alors, il va remettre les gants et repartir au combat.

Mais le conflit de la Grande Guerre approche et Eugène va être mobilisé. D’abord placé à l’arrière des lignes, parce qu’un gradé est un de ses fans, il demande de passer sur le front, car il veut se battre. Il connaitra tout, l’automne et son vent glacial, l’hiver et son froid paralysant, les assauts, les petites victoires, les grandes morts. Il découvrira l’amitié, la loyauté. Et il retiendra cette envie de se battre, de ne rien lâcher … jusqu’à cette balle qui lui traversera la mâchoire. On lui posera une plaque en fer pour soutenir tout le bas du visage.

Il reprendra la boxe dès 1917, ne cédant rien devant ce besoin d’avancer, fera des tournées en Australie, aux Etats Unis, jusqu’à obtenir sa chance au championnat du monde. Et il deviendra champion du monde, le deuxième champion français après Georges Carpentier. Et Eugène Criqui est tombé dans l’oubli, ce qui est une flagrante injustice.

Construit sur la base de chapitres courts, eux même découpés en scènes, Pierre Hanot choisit minutieusement ses passages pour nous montrer la vie de cet homme, qui si elle n’a pas été spectaculaire, a fait montre de succès à force de travail, de courage et d’amour, à la fois de son sport et de sa future femme.

C’est aussi le style très direct qui m’a époustouflé. J’ai rarement lu un livre qui disait autant de choses avec si peu de mots ; qui faisait passer autant d’émotions avec autant d’économie de phrases. Par moments, j’ai ouvert la bouche d’étonnement, j’ai détourné la tête devant certaines horreurs, j’ai eu la gorge serrée dans les moments tristes et j’ai crié de joie pour sa victoire au championnat du monde alors que cela tient dans un minuscule chapitre.

Tout cela est fait avec beaucoup de simplicité, et avec un choix minutieux des mots, une construction talentueuse des phrases si bien qu’il est difficile de ne pas être touché par la vie de cet homme. L’auteur montre aussi simplement la trajectoire de cet homme exceptionnel de courage et de ténacité, en nous évitant une morale qui aurait terni le propos. Ce roman est en fait un formidable hommage envers un homme injustement oublié et c’est une formidable réussite, un roman qui m’a réellement ému et impressionné.

Danser dans la poussière de Thomas H.Cook

Editeur : Seuil

Traducteur : Philippe Loubat-Defranc

Franchement, vous pensiez peut-être que j’allais laisser passer le dernier roman de Thomas H.Cook, cet auteur qui arrive à me surprendre à chacun de ses livres, et que je vénère depuis Les feuilles mortes ? Eh bien vous vous trompez. Voici donc mon avis sur son dernier roman en date, qui change de ses précédents, tout en gardant le même style de narration. Ça ne vous aide pas ? Lisez donc la suite …

De nos jours, Ray Campbell atterrit à Rupala, capitale du Lubanda, alors qu’il n’y a plus mis les pieds depuis une dizaine d’années. Au poste des douanes, on le fait passer par une porte où est affiché Passage Diplomatique. Puis, une Mercedes de luxe le conduit dans les rues envahies d’orphelins. Ray se rappelle qu’il est venu ici il y a plus de 30 ans, et qu’il y a rencontré et connu une jeune femme blonde, Martine Aubert. Elle était de naissance belge mais avait tenu à acquérir la nationalité lubandaise et travailler dans la ferme que son père tenait là-bas, à Tamusi, perdue en plein milieu de la savane.

Trois mois plus tôt, Ray n’aurait jamais imaginé qu’il reprendrait contact avec ce pays qu’il a tant aimé et tant défendu. Trahi aussi ? Il reçoit un coup de fil de Bill Hammond, un ancien ami qu’il a connu là-bas, à Rupala. Bill lui apprend que son ancien guide, Seso Alaya, s’est fait tuer à New York. Ray le considérait comme son ami. Seso s’est fait torturer comme on l’a fait dans la période sombre du Lubanda. Le numéro de téléphone de Bill a été retrouvé dans la chambre d’hôtel de Seso.

Bill demande à Ray de trouver pourquoi Seso a été assassiné. Bill étant à la tête de la banque Mansfield Trust, il voudrait s’assurer qu’il peut encourager des investissements en faveur de ce petit pays sans risques. Comme le travail de Ray est justement d’évaluer les risques financiers, il n’hésite pas longtemps à aider son ami. Mais il le fait aussi en mémoire de Martine Aubert …

La marque de fabrique de Thomas H.Cook est de démarrer une intrigue de nos jours, et de construire son histoire à l’aide de flash-backs dans le passé, ce qui permet de positionner des retournements de situation au moment où il le juge opportun. Et comme Thomas H.Cook est un grand, un immense auteur, ses romans sont tout simplement irrésistibles, géniaux. Celui-ci ne déroge pas à la règle.

Et on retrouve aussi ce formidable talent pour créer des personnages, qui par leur action ou leur vie, sont hors du commun. Ici, il s’agit évidemment de Martine Aubert, qui a décidé de vivre au Lusamba, qui a adopté leur nationalité et qui malgré tout, sera rejetée par ses habitants. Thomas H.Cook nous présente cela comme une histoire d’amour déçue, à sens unique, avec beaucoup de romantisme, mais cela lui permet aussi de creuser le thème central de son roman.

Car au travers de ce roman, Thomas H.Cook évoque un thème original : le rôle des ONG et l’influence des pays industrialisés sur les pays en voie de développement. Comme il le dit, souvent, on fait le mal en voulant faire le bien. Thomas H.Cook ne se positionne pas en juge, mais présente grace à son intrigue une situation qui permet de montrer comment les « grands » pays influent sur la destinée des petits. D’une grande lucidité, il montre comment on donne de la nourriture à ces pays uniquement s’ils acceptent certaines conditions, qui évidemment vont à l’avantage de leurs donateurs. Si personne n’est pointé du doigt, le lecteur est bien amené à réfléchir plus loin que le chèque qu’il rédige chaque fin d’année.

Et puis, Si ces arguments ne vous suffisent pas, sachez que, en seulement 350 pages, Thomas H.Cook invente tout un pays, son histoire, sa vie et ses coutumes, sa politique et son rôle dans la géopolitique, ses soubresauts, ses révolutions, son peuple. Tout cela au travers de l’itinéraire de quelques personnages rencontrés au fil de ces pages. Je vous le dis, Thomas H.Cook est décidément trop fort.