Archives du mot-clé Roman Noir

Rétiaire (s) de DOA

Editeur : Gallimard – Série Noire

Sorti en tout début d’année, ce roman que j’attendais avec grande impatience a enfin vu le jour. Initialement prévu pour être une série télévisée (pour France Télévisions pour ne pas les nommer), il en reprend les personnages et la trame mais il s’agit bien d’un roman, en forme de déflagration, tant ça décoiffe !

Alors que sa femme et sa fille ont été tuées par des trafiquants de drogue, Théo Lasbleiz de la brigade des stupéfiants se rend armé au sous-sol du 36 du rue du Bastion. Il se précipite sur Nourredine Hadjaj, l’interpelle, dégaine son arme et lui tire une balle dans la tête. Amélie Vasseur, bras droit de Théo n’a pas récupéré sa place, mais elle va leur montrer ce qu’une femme peut faire.

Lors de son élection à la tête de la Bolivie, Juan Evo Morales Ayma a supprimé le titre de république avant de faciliter la production et le commerce de la coca dont il est un cultivateur. Augmentant les surfaces cultivables, il autorise aussi le Pérou à transiter sa marchandise par son pays. La communauté croate a vite profité de cette plateforme et Ibro Kuzmic, petit fils des premiers immigrants veut élargir son panel de clients en Europe via l’Argentine, en envoyant fin 2020 plusieurs tonnes de cocaïne.

Léonard Serdachuk a commencé à franciser son nom quand il a immigré d’Ukraine, avant de monter une affaire de ferrailleur. Momo son petit fils a hérité du courage et de l’intelligence de son grand-père et développé son empire dans des domaines moins légaux, en particulier de shit. Pour avoir été surpris en revenant de la Costa Del Sol alors qu’il avait interdiction de quitter le territoire, il s’est fait arrêter. Il se retrouve voisin de Théo.

Ce maigre résumé peut paraitre bien pauvre par rapport à tout ce que nous raconte DOA dans les cinquante premières pages de son roman. Dès le départ, on se retrouve dans une histoire complexe avec de nombreux personnages, divers itinéraires et tout l’historique des différentes parties qui vont prendre part à ces intrigues.

Contrairement à beaucoup de ses confrères, DOA commence son roman comme un feu d’artifice, nous détaillant le contexte comme on le ferait d’un reportage. Il n’est pas étonnant d’ailleurs de lire en fin de roman la genèse de ce livre, d’abord conçu comme une série pour finir par 420 pages jubilatoires. Jamais je n’aurais lu un roman aussi proche de la réalité, avec une volonté de dire les choses comme elles sont, aussi proche qu’un The Wire.

Jamais DOA ne se montre pédant, il applique son style, parfaitement clair et descriptif, passant à des phrases hachées pour mieux rendre l’ambiance, le stress ; jamais démonstratif quand il aborde la psychologie des personnages. La lecture en devient passionnante mais surtout jouissive avec des scènes extraordinaires, impressionnantes, inoubliables.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas de course-poursuite, ni d’un jeu d’échecs, mais plutôt d’un jeu de cache-cache où chacun avance ses pions sans se montrer vis-à-vis des autres. La construction basée sur des spirales entrelacées et la force des personnages féminins apportent un intérêt supplémentaire, surtout quand il détaille sans vraiment les dévoiler les stratégies pour la conquête du pouvoir et de l’argent.

C’est grand, c’est fort, c’est violent, et c’est inlâchable. De la trajectoire (inattendue pour certains, il faut bien le dire) des protagonistes, DOA nous montre aussi le gigantisme de la pieuvre, de ces organisations du trafic de drogue qui sont tellement implantées partout et à tous niveaux qu’elles sont impossibles à combattre. Avec Rétiaire (s) (et quel titre !), DOA nous offre ici un des meilleurs livres de 2023 ; et l’année ne fait que commencer !

Publicité

Le club des mamans mortes de Paul Hurlink

Editeur : Alibi

Sa couverture, son titre et son sujet ont immédiatement attiré mon attention. C’est aussi l’occasion de découvrir l’univers d’un nouvel auteur, plutôt habitué à la littérature de jeunesse.

Quand Louison sort du commissariat où elle vient de pointer dans le cadre de son contrôle judiciaire, elle aperçoit de l’autre côté de la rue Kodeveï, adossé à une Twingo. Plutôt que de le rejoindre elle décide de le semer, de fuir par le bus, puis par une course effrénée. Elle ne veut plus entendre parler de lui, de Samir, de Courtney, du club qu’ils ont formé, le Club des Mamans Mortes.

Lors de sa rentrée en seconde, elle observe les autres lycéens et se sent étrange, à part. Une élève arrive en retard, habillée de vêtements déchirés, arborant des lunettes de soleil. La nouvelle arrive en retard, s’assoit à coté de Louison et quand elles remplissent les fiches d’identification, Louison jette un coup d’œil sur celle de sa voisine, s’aperçoit que sa mère est morte … comme elle.

Louison est affublée de seins énormes, comparés à ceux de ses camarades. Pour cela, elle subit des moqueries, des harcèlements sur les réseaux sociaux de la part de ses imbéciles de collègues masculins. Courtney est la seule à prendre fait et cause pour elle. Elles deviennent très vite amies, entrent dans une relation fusionnelle et décident de créer un club. Elles vont trouver deux autres garçons qui n’ont plus de mère. Ensemble, ils vont s’autoriser à faire des bêtises, des petites puis des grosses …

Ce roman nous raconte la rencontre qui ont comme point commun d’avoir perdu leur mère tôt. Courtney, appelée par sa mère en hommage à la chanteuse du groupe Hole, s’est identifiée au style musical Grunge et surnomme d’ailleurs cette perte familiale comme le hole, un vide, une absence, un trou que rien ne viendra combler. Louison tombe tout de suite sous le charme, les autres vont suivre.

Avec son décor planté dans les années 90, avec ses extraits de chanson en tête de chapitre issus de quelques chansons grunge, nous allons plutôt suivre ces quatre jeunes en opposition, en révolte contre une société (française, je le précise) normée, calibrée, et vont petit à petit vouloir montrer leur différence et leur refus par des larcins, jusqu’à des actes tout ce qu’il y a de plus terrible. Bien sûr, on y parle de passage à l’âge adulte, mais surtout du ressenti de règles trop strictes, de leur interprétation qui vient en opposition avec leur jeune expérience ; Et enfin, de cette tentation de les enfreindre.

J’ai trouvé fort surprenant cette plume remarquable de fluidité et cette construction qui alterne entre troisième personne du singulier et narration personnelle de Louison, entre l’avant et l’irrémédiable après. La description du club, cette sensation d’appartenir à un clan est remarquablement reproduite et le suspense réside bien dans les relations et le rôle de chacun des quatre du club des mamans mortes. A la limite, j’ai juste regretté que le style soit si propre pour une histoire si noire, un bien petit reproche devant la qualité de ce roman.

De rage et de vent d’Alessandro Robecchi

Editeur : Editions de l’Aube

Traducteurs : Paolo Bellomo et Agathe Lauriot dit Prévost

Deuxième tome des enquêtes de Carlo Monterossi, après Ceci n’est pas une chanson d’amour, ce roman change totalement le ton, car on passe d’un humour cynique agressif à de la rage pure et froide. Tout aussi excellent !

Andrea Serini, en tant que propriétaire de l’agence de vente de véhicules de luxe, tient absolument à fermer sa boutique et éteindre les lumières. Ce soir-là, un bruit de mouvement l’attire, quelqu’un est entré. Il se retrouve face à un vieux camarade qui veut retrouver son argent. Sous la menace, Andrea lui donne un nom, Anna Galinda, avant de prendre un balle en pleine tête. En sortant, un moine l’aperçoit et lui intime de s’arrêter. Il s’agit du sous-brigadier Tarcisio Ghezzi, qui n’a pas le temps de sortir son arme devant la rapidité de l’homme. En deux coups, il se retrouve assommé et son arme dérobée.

Carlo Monterossi, créateur de l’émission Crazy Love pour la grande usine à merde (la télévision) où il s’agit d’étaler au grand jour les histoires d’amour du grand public, veut depuis un certain temps stopper sa collaboration. Pour lui, ce concept est devenu indécent. Mais son agente Katia Sironi insiste : il ne peut pas partir comme ça, Ils sont prêts à lui offrir un pont d’or (sur lequel un touchera un copieux pourcentage). Elle veut qu’il rencontre le Boss en personne, Luca Calleri. Et contre toute attente, Carlo accepte.

Dans le restaurant de luxe, Carlo arrive en avance et assiste à l’arrivée du « Ponte », devant qui tout le monde plie. Son temps est compté, il n’accorde pas dix minutes à quiconque, et d’ailleurs, il ne mange pas et confirme qu’il compte sur Carlo. Dépité par cette attitude, Carlo finit au bar et est accosté par une femme. Tous deux boivent et Carlo raccompagne la jeune femme chez elle, la couche sur canapé et la couvre. En sortant, il claque la porte, avec un bruit sec, un CLAC qui résonnera longtemps dans la tête de Carlo. Le lendemain, il apprend qu’elle a été torturée et tuée avec le même revolver qu’Andréa Serini.

Par rapport au premier roman, qui étalait un humour cynique que j’avais adoré, cette deuxième enquête se révèle bien plus sérieuse. On y trouve bien quelques traits d’humour dans les dialogues ou quand il s’agit de se moquer des policiers. Mais le ton est irrémédiablement noir, à l’image de cette ville de Milan, balayée par un vent glacial, qui correspond bien au titre et à l’humeur de Carlo Monterossi.

Le décor hivernal anormal, ce vent infernal, fait ressurgir une rage froide, que Carlo va ressentir, ajouté à un sentiment de culpabilité envers la mort d’Anna Galinda. Il ne cessera de se rappeler cette porte se fermant dans un CLAC fatal, croyant qu’il est à l’origine de sa mort. Il va donc se lancer dans cette croisade pour dénicher les coupables et comprendre cet engrenage mortel.

Car derrière Carlo et son humeur noire, l’auteur nous montre combien les richards se servent des pauvres et rien de plus efficace que de mettre sur le devant de la scène les prostituées. Il nous montre une caste sans aucune pitié ni humanité, une frange d’ultra-riches fiers de leur impunité, usant et abusant de gens qui, finalement, ne peuvent qu’être définitivement les perdants de cette société.

A nouveau, on trouve dans ce roman colérique un scénario remarquable, complexe à souhait où les intrigues sont menées en parallèle entre Carlo, Ghezzi et Carella, où l’auteur nous imprègne de cette ville glacée par ce vent inhabituel. Cette deuxième enquête, très différente de la première, confirme que cette série est à suivre avec impatience, avec une mention spéciale pour Katrina, la cuisinière moldave de Carlo, une vraie mama qui prend soin de son protégé. 

Un coup dans les urnes de Julien Hervieux

Editeur : Alibi

Le précédent roman, Sur les quais, nous présentait Sam et Malik et leur façon de monter leur trafic de drogue de façon moderne, comme une vraie entreprise. Un coup dans les urnes poursuit donc l’histoire …

Sam Ramiro, ancien directeur marketing, a vite compris qu’il pouvait appliquer les règles du marketing au trafic de drogue. Avec son comparse Malik Rojas, il a monté un commerce de cocaïne Haut-de-Gamme à destination de la jet set parisienne, qu’ils ont nommée Cut It Yourself. A Sam le montage financier, à Malik la logistique. Pour couvrir cette activité, Malik dirige en parallèle la revente de shit dans la cité des Deux-Chênes.

Pour faire bonne mesure et s’acheter une tranquillité, ils ont passé un accord avec le capitaine Blanchard en lui servant un plateau des saisies et parfois de petits dealers … enfin, ceux qui commencent à être dangereux pour Malik. Officiellement, Sam gère sa société de marketing et Malik une galerie d’art où il vend des graffitis, ce qui fait vivre la cité et permet de blanchir les quantités colossales d’argent sale générées par la cocaïne.

Les élections municipales approchant, Madelon, sombre directeur de cabinet au ministère de l’intérieur, prend contact avec Sam. Il a mis des équipes pour mettre à jour le trafic des deux comparses et leur demande de l’aider à se faire élire maire à la place de Mme Grégeois grâce aux voix des habitants de la cité des Deux-Chênes. Les deux amis se retrouvent face à un chantage qui n’en porte pas le nom.

Moi qui n’ait pas lu Sur les quais, je n’ai ressenti aucune gêne dans ma lecture. Je dirais même que c’est intelligemment écrit pour présenter la situation sans en avoir l’air. En un chapitre, on a tout compris grâce à une scène intelligemment construite et des dialogues bigrement intelligents. Tout ceci nous permet de plonger directement, dès le deuxième chapitre, dans le cœur de l’intrigue.

Le sujet du roman se situe au niveau de la politique locale, des luttes intestines pour obtenir les clés d’une municipalité. Mais, rassurez-vous, tout cela est construit et mené comme un polar, avec juste ce qu’il faut de rebondissements et de solutions imaginatives, aidés en cela par un parfait équilibre entre la narration et les dialogues. Cela en devient juste savoureux, on se délecte des aventures de nos deux comparses et des solutions qu’ils trouvent pour s’en sortir.

Le livre est à la a fois rythmé par les étapes menant aux élections, premier et second tour, et par des chapitres venant en alternance et nous présentant les pensées de Sam ou Malik, ce qui permet de voir leur amusement devant ce qu’il faut bien appeler un gigantesque bordel orchestré pour en faire bénéficier quelques uns. La morale de l’histoire devient dès lors très simple : dès que vous obtenez le pouvoir, vous avez tous les droits … mais quelle lutte acharnée il faut mener au préalable !

Accompagné de quelques anecdotes, ou de précisions sur le règlement des lois régissant les municipalités, l’auteur en profite en grossissant le trait (parfois) pour laisser Sam et Malik s’en amuser et se moquer de ce qu’on appelle « la démocratie ». Alors, si je ne peux que conseiller ce roman qui m’a beaucoup amusé (parce que je suis un cynique de base), je ne suis pas sûr (du tout) qu’il donne envie à ses lecteurs d’aller voter. Et finalement, cela me donne furieusement envie d’aller lire les autres écrits de Julien Hervieux ! Excellent !

L’insurrection impériale de Christophe Léon

Editeur : Le Muscadier

Les éditions Le Muscadier inaugure en ce début d’année une nouvelle collection « Noir », qui se présente ainsi :

« La collection Le Muscadier Noir propose des romans de littérature noire engagés qui s’articulent autour d’une mise en question de la société, des romans noirs de critique sociale qui s’opposent à la littérature du « moi » et proposent une littérature de société, qui s’enracinent dans les circonstances sociales dans lesquelles leur action se déroule, qui, enfin, déchiffrent et décodent le fonctionnement de la société à travers la fiction. »

Deux titres sont d’ores et déjà disponibles dès le mois de janvier, et je vous propose le premier d’entre eux, L’insurrection impériale qui va faire grincer des dents.

Jeffrey Poux de Maizieux (qu’on appelle JPM) fait partie des gens qui comptent dans notre pays, surfant sur l’argent et les entreprises qu’il dirige. Il se repose pour cela sur son chauffeur – garde du corps – homme à tout faire Gaëtan Morizet de la Barre. Ce dernier lui rappelle d’ailleurs qu’il doit assister à la réunion de préparation des championnats de monde de Waterpolo, non pas pour la beauté du sport mais pour y rencontrer le dirigeant d’une société avec laquelle JPM aimerait signer un contrat juteux. En sortant du siège de la FFWP, un homme se jette sur JPM et lui fend le crâne avec une feuille de boucher.

Il a prévu, du haut de ses vingt ans, de poursuivre ses études à la Sorbonne. Mais sa mère est tombée malade suite à un cancer foudroyant, et l’entreprise qui l’employait a profité de la COVID pour délocaliser ses activités et la licencier. Obligé d’abandonner ses perspectives d’avenir, il sent la rage monter devant l’impunité des Grands de cette société. L’idée de se venger, de montrer l’exemple, fait jour en lui et sa première victime sera JPM, le success-man le plus en vue du moment, celui qui goûtera à la feuille de boucher qu’il vient d’acquérir. Une autre personne l’insupporte, Georges-Henri Charançon, qui se permet d’organiser des repas en plein confinement …

Le commandant Olivier Lacelle, qui attend sa retraite proche de neuf mois, est chargé de cette enquête qui ne doit pas durer longtemps, dixit ses chefs ainsi que d’éminents membres du gouvernement. Son contact auprès du ministère se nomme Fleur Viam, commissaire de 31 ans atteinte du syndrome d’Asperger.

L’insurrection impériale est donc le premier roman que je lis de Christophe Léon, auteur prolifique dans beaucoup de genres, de la littérature générale à la littérature jeunesse en passant par des essais. Ce roman est un vrai polar, et montre pourquoi et comment les gens arrivent à être excédés par les attitudes de leurs dirigeants, les richesses étalées au grand jour, les impunités dont ils bénéficient.

En grossissant le trait, par moments, et en se basant sur certains faits récents montés en épingle par les médias, l’auteur construit une intrigue qui amène à faire réagir le lecteur. Alors que l’on peut s’attendre à une enquête en bonne et due forme, on se retrouve plutôt à une analyse détaillée des personnages à travers des scènes qui aboutissent à une conclusion attendue : on ne peut pas lutter contre le pouvoir.

Au début du roman, le style très littéraire et cultivé m’a semblé pompeux, ajouté à des paragraphes très longs ce que je n’apprécie pas. Au fur et à mesure de la lecture, je me suis habitué et j’ai vraiment apprécié cette lecture. Bien que l’on n’ait pas réellement affaire à un roman d’enquête, l’auteur arrive à nous accrocher et à suivre son intrigue sur deux fils directeurs en parallèle.

D’un côté, les deux policiers vont plutôt subir la situation et compter les morts, en l’absence de pistes sérieuses. De l’autre, nous avons ce jeune homme qui subit une situation familiale dramatique et qui est excédé par ce que se permettent les grands de ce monde. On en ressort avec un plaidoyer qui va opposer les deux camps si on prend un peu de recul : les révoltés (faisons tomber des têtes, comme en 1789) face aux légalistes (rien ne peut justifier un meurtre, quel qu’il soit). Comme vous le voyez, je suis aussi capable de grossir le trait.

Tout cela pour arriver à ma conclusion : lisez ce roman par son aspect original et sa démonstration de la raison pour laquelle les gens en arrivent à être excédés par ce qu’on nous montre à la télévision (aspect d’ailleurs qui aurait pu être plus détaillé). Car il remplit pleinement son rôle de réfléchir à la situation actuelle et nous poser des questions, avec ses accents de révolte.

La contrée finale de James Crumley

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Jacques Mailhos

Illustrateur : Baudoin

Mon petit plaisir de fin d’année ; mon grand, mon énorme nirvana ; mon incommensurable tristesse de se dire qu’il s’agit de la dernière aventure De Milo Milodragovitch, mais quelle aventure !

Alors qu’il a récupéré son héritage accompagné de plusieurs kilogrammes de drogues dérobés à des trafiquants, Milo s’est rangé des problèmes et a investi dans un bar, le Low Water Crossing Bar and grill qui marche bien. Après quatre mariages et quatre divorces, il vit maintenant avec Betty Porterfield dans un ranch au Texas et a délaissé son Montana. Mais il lui manque le rythme, l’adrénaline du danger et vient de recevoir sa licence de détective privé.

En route vers le comté de Travis, que les habitants eux-mêmes appellent Le Mauvais Coin, sa mission consiste à retrouver Carol Jean, la femme d’un timide professeur Joe Warren. Il la trouve sans difficultés dans un bar malfamé, nommé Over the Line, en train de jouer au billard. Après une échauffourée, il lui conseille de retrouver son mari plutôt que de déclencher des bagarres avec ses obus artificiels en silicone.

Il y fait la connaissance de Enos Walker, un type à chercher constamment la bagarre, qu’il ait bu ou non. Apparemment, il vient de tuer à bout portant un homme dans la salle du fond. Après avoir noté le nom de Sissy Duval, il voit Walker partir et appelle les flics. Le capitaine Gannon l’interroge et lui demande de retrouver Walker qui vient de sortir de prison mais Milo va le rechercher pour lui éviter d’autres ennuis, avec des truands ou la police. « Tout le monde, ici, est soit un étranger, soit une personne étrange ».

Et c’est parti … Comme il sait si bien le faire, James Crumley part d’une simple recherche pour créer une intrigue qui part dans tous les sens, pour aboutir dans les dernières pages à la résolution des énigmes en une seule phrase. On a droit à du grand art, à de la baston, des fusillades, du sexe et des visites de bas-fonds. Car où que l’on regarde, où que l’on aille, le Texas regorge d’endroits malfamés.

Et Milo ressemble à un aimant à emmerdes. Dès qu’il va quelque part, cela va mal tourner, et ces scènes incroyablement visuelles s’insèrent parfaitement dans l’intrigue. Et puis, dans un moment de calme, entre deux phrases de dialogue aux réparties saignantes et irrésistiblement hilarantes, la plume de James Crumley se fait légère, imagée, poétique et le lecteur fond.

James Crumley n’a pas son pareil pour nous faire croire à des rades miteux et poussiéreux, à nous faire vivre des bagarres mémorables, à nous asséner des fusillades bruyantes, à nous faire participer à des nuits enfiévrées dans une histoire tortueuse à souhait. On le suit dans ses pérégrinations avec un plaisir incommensurable et son histoire est bien plus compréhensible que celle des Serpents de la frontière.

Et puis, il faut se le dire, ce roman ressemble à un geste d’adieu. Milo subit sa soixantaine et ressent bien les affres de l’âge. Il ne peut plus prendre de l’alcool ou de la drogue sans en ressentir les conséquences le lendemain, il est plus lent, se prend plus de coups. On entend ses os craquer, sa fatigue prend le dessus et les dernières pages m’ont fait ressentir une immense tristesse, celle de quitter un personnage hors-norme. Le crépuscule d’un géant.

Mauvais daron de Philippe Hauret

Editeur Jigal

Philippe Hauret m’enchante de plus en plus au fur et à mesure de ses romans. Avec celui-ci, il construit une intrigue remarquable avec un don rare, celui de mettre en valeur les petites gens. Lecture jouissive garantie.

Malgré leur retraite de misère, Daniel et René ont décidé de ne pas se laisser abattre. Vivant ensemble dans la même petite maison, ils réalisent de petits larcins, dont l’objectif avoué est de se payer un camping car, à la place de leur 404 pourrie, pour partir à l’aventure et oublier leur quotidien morne et gris. Ils investissent une maison que les propriétaires ont abandonnée pour une virée dans les Pyrénées et font main basse sur des bijoux. Daniel a tout prévu pour écouler les joyaux, un jeune nommé Eusèbe.

Eusèbe finit d’écluser les bouteilles d’alcool dans la chambre de Leni, ce qui est préférable à aller se casser les reins au boulot. Philomène, la mère de Leni préfère fermer les yeux sur son fainéant de fils, elle qui ne connaitra pas la retraite à force d’heures de ménage payées au noir. Philomène doit y aller justement, mais elle est surprise quand son bourge de patron lui annonce son licenciement, elle qui n’a jamais vu un contrat.

Daniel va à contrecœur déjeuner chez son fils Vincent, juge sans pitié. Sa belle-fille Dalida lui ouvre la porte, le sourire toujours aussi charmeur, son visage toujours aussi enchanteur. Vincent refuse de donner à son père l’argent qu’il réclame pour son camping-car et les informe que leur voisin vient de se faire cambrioler. Des amateurs sûrement, puisqu’ils n’ont pris que les bijoux et pas les toiles de maître exposées au mur. Comme une remarque sans intérêt, Vincent annonce avoir viré sa femme de ménage.

Et je pourrais continuer longtemps comme ça et arriver à la fin du livre sans m’en rendre compte. Car tous les événements s’enchainent, les uns après les autres, comme des pièces de puzzle parfaitement agencées. Tous les personnages vont se croiser sans se connaitre dans ce petit microcosme parfaitement représentatif de la société, entre riches et pauvres, en toujours gagnants et toujours perdants.

Si la plume peut paraitre simple, elle s’avère ici remarquable de précision, acérée et visuelle. On sent que Philippe Hauret a acquis de l’assurance dans son écriture et qu’il a pris beaucoup de plaisir à peindre cette histoires, je devrais dire ces histoires, qui vont petit à petit faire monter la mayonnaise jusqu’à un final à propos duquel on peut dire qu’il fera grincer des dents mais surtout qui remplira d’aise le lecteur.

Car finalement, quelque soit la classe sociale, on se trouve face à des « darons », de mauvais darons qui se révèlent tous plus détestables, ou plutôt méprisables les uns que les autres. Et en guise de victimes, on trouve les pauvres trimards et les jeunes, mais personne ne se remet jamais en cause, chacun est capable de justifier sa vie et ses actes. Je l’ai déjà dit, et je le répète, Philippe Hauret se pose en digne héritier de Thierry Jonquet … et c’est bien pour ça que je l’adore, surtout quand la lecture est jouissive comme ici.

Ska cru 2022 

Comme tous les ans, je vous propose une petite revue des derniers titres parus chez Ska, ou du moins certains d’entre eux. Voici donc quelques lectures électroniques noires, pour notre plus grand bien. L’ordre des billets ne respecte pas mon avis mais l’ordre de mes lectures. Tous ces titres et plus encore sont à retrouver sur le site de Ska : https://skaediteur.net/

Je voudrais juste vous signaler deux choses : La saison 2 d’Itinéraire d’un flic de Luis Alfredo sera traitée dans un billet à part, ainsi que la nouvelle série écrite par plusieurs auteurs à la manière d’un Poulpe et qui s’appelle : Il était N.

Le jour des morts de Régine Paquet 

Deux nouvelles nous sont proposées : Dans l’odeur des lavandes (Accompagnée par l’odeur de la lavande, la narratrice, âgée de 66 ans) annonce à sa fille qu’elle va se marier et veut choisir sa robe blanche immaculée) et Un 15 janvier 1950 (Les femmes se réunissent pour la mort de Chrétien, le géant simplet du village)

Derrière une simplicité et un naturel si difficile à atteindre, Régine Paquet a réussi à me faire pleurer dans Dans l’odeur des lavandes, avec sa chute terrible et si sereine. La deuxième, écrite comme un conte, narre une histoire de village qui deviendra sans nul doute une légende.

Naissance des ogres de Alain Emery

Le corps de Rubens Carat est découvert dans la rivière, la gorge tranchée. Il fabriquait de l’alcool dans ses alambics clandestins et était connu pour être colérique et violent. Le lieutenant Dessouches mène l’enquête et focalise son attention sur Rudy Mayence.

L’auteur nous convie à un voyage temporel au début du vingtième siècle, pour une intrigue située dans un village et où la justice consiste surtout à se débarrasser des gens qui déplaisent. Accompagné d’une plume fort agréable, très classique dans la forme, cette nouvelle se termine dans un rire jaune sarcastique et mystérieux.

L’empathe saute le pas de Claude Picq

Quand on parle du Tréport, on pense à ses falaises. Les petites vieilles qui en sont tombées aussi, probablement, mais pas longtemps. Quand on en dénombre trois en un mois, cela s’appelle une hécatombe. Georges Marchais travaillait à la Poste, jusqu’à ce qu’il se découvre Empathe, capable de ressentir des émotions sur les scènes de crime. Depuis, il est devenu policier et travaille sur des missions particulières, telle celle-ci.

J’avais découvert Claude Picq sous le pseudonyme de Cicéron Angledroit tout récemment. Ce fut une surprise de le retrouver chez Ska pour une nouvelle série maniant l’humour noir et la verve, comme à son habitude. On suit donc l’homonyme de l’ex-premier secrétaire du parti communiste dans sa première affaire qui se délecte pour ses bons mots, malgré des paragraphes trop longs à mon gout.

Carrousel d’Aline Tosca

La brune, grande, masculine, androgyne regarde dans les rayons à la recherche d’une paire de chaussures. La blonde, féminine, aux formes généreuses l’observe avant de se préparer à prendre son poste à la poissonnerie. Le chef du magasin quant à lui se sent bien seul au milieu de ces femmes.

Aline Tosca m’a surpris avec cette esquisse, ce tableau représentant un supermarché et sa galerie. De portraits en mouvements éthérés, elle donne l’impression de tracer des traits sur sa toile, donnant à l’ensemble une impression de douceur et d’impressions, que viennent rehausser les impressions de solitude et de mal-être des personnages. Cette nouvelle est une superbe illustration des gens qui se suivent, se rencontrent, s’entendent, parfois s’écoutent mais jamais ne vivent ensemble.

Les lendemains qui déchantent de Sébastien Géhan

Dimanche matin, enfin, 13h06. Malgré une douche froide, le narrateur est harcelé par un mal de tête lancinant, conséquence de la cuite de la veille. En prenant la direction du Palace, supérette tenue par des asiatiques, Il finit au Vincennes, le bar-PMU, le temps d’avaler une mousse et de faire un pari aux courses de chevaux, puis continue son périple.

Dans une ville peuplée d’âmes en peine, l’auteur raconte une errance de lendemain de cuite, le genre de trajet parsemé de rencontres inédites, pour peu que l’on s’intéresse aux gens. Parsemé d’anecdotes plus vraies que nature, l’auteur arrive à nous faire vivre une ville morte en apparence, et termine avec un optimisme bienvenu.

L’imposition du cireur Touchet de Jean-Hugues Oppel

Le Trésor Public réclamait à Jean-Louis Touchet, artisan cireur de chaussures établi à son compte, une somme astronomique. Ce qui obligea le brave homme à se reconvertir … et pourquoi ne pas envisager d’écrire un polar ?

A la fois hommage à Jean-Patrick Manchette et clin d’œil à des anciens du polar, cette histoire courte est savoureuse et cynique à souhait. On ne peut résister au rire qui nous prend malgré le malheur qui frappe ce pauvre Touchet.

Les fumiers de Pierrisnard

Ah, ça discute dans les bars de ce village de campagne ! Ah, ça rigole de mauvaises blagues, de foutage de gueule devant le Ricard ! Ah, ça énerve de les voir, les piliers de bar, toujours prêts à se plaindre alors qu’ils planquent des lingots dans leur jardin ! Les fumiers !

Je ne peux m’empêcher de faire ma propre accroche sur cette nouvelle qui fleure bon les vieux imbibés qui refont le monde tous les jours. Avec son style parlé, son agressivité qui tourne à la haine, l’auteur se laisse aller à une histoire noire mais jouissive avec un ton original. Un auteur à suivre, pour sûr.

Quand je serai grand, je serai tueur en série de Gaëtan Brixtel

Monsieur G. tel qu’il veut qu’on le nomme reçoit dans sa cellule sa psychologue Claire Frémont, qui doit évaluer son état. Il raconte alors comment il s’est présenté chez les parents de Mélanie Dariel pour leur annoncer comment il l’avait tuée.

On trouve dans cette nouvelle une bonne dose d’humour noir, où le tueur en série explique posément et poliment comment et pourquoi il a tué ces gens, qui sont pour lui extrêmement malpolis et agressifs. Une lecture jouissive.

L’âme du fusil d’Elsa Marpeau

Editeur : Gallimard La Noire / Folio

Auréolé d’avis élogieux chez la plupart de mes collègues blogueurs, je me devais de lire le dernier opus en date d’une auteure dont j’apprécie particulièrement la plume.

Philippe a passé vingt ans dans une entreprise agro-alimentaire à mettre des pains au lait dans des cartons, avant de se faire remercier brutalement. Il commence à chercher un emploi avant de se rendre compte que, la quarantaine passée, on est déjà trop vieux pour le marché du travail. Alors, il vit du salaire de sa femme infirmière Maud et regarde son adolescent de fils Lucas s’abrutir sur son téléphone.

Sa passion, c’est la chasse avec les copains du village. La préparation, les réunions au bar devant un verre de vin, les discussions pour refaire le monde, l’ouverture tant attendue et les battues pour ramener du gibier à cuisiner. Philippe ne désespère pas de former son fils, de le sortir des limbes d’Internet où on ne rencontre personne en vrai, de ce monde virtuel où rien n’existe.

Alors qu’il arpente les bois, il débouche sur le lac, où il vient y chasser les canards. Quelle surprise éprouve-t-il en apercevant un jeune homme nu en train de se baigner. Philippe ne peut s’empêcher de l’épier, et, prenant son courage à bras le corps, il accoste Julien le citadin, et lui apprend qu’il doit mettre de la paille pour que les petits canetons puissent manger. Puis, il va inviter Julien à un repas avec les copains de la chasse. Il ne sait qu’il vient d’enclencher une mécanique dramatique.

Elsa Marpeau va prendre son temps pour installer le décor et les personnages, de façon totalement naturelle, et presque poétique quand elle va aborder la nature. L’auteure a décidé de présenter ce roman sous la forme d’une confession de Philippe à son neveu Pierre, ce qui m’a posé quelques problèmes d’incohérence, car j’en attendais plus de termes argotiques par exemple, alors que le style est plutôt littéraire.

Pour autant, elle ne juge pas les chasseurs, nous les montrant même amoureux de la beauté de la nature et respectueux des règles. Elle y emploie d’ailleurs des termes judicieux qui montrent sa grande connaissance de la faune et de la chasse (et je ne suis pas chasseur !). Toutes ces qualités en font un livre très agréable à lire. D’autant que l’on sent un drame arriver.

Et ce drame va subvenir dans les vingt dernières pages du livre, au demeurant relativement court (182 pages). Là encore, Elsa Marpeau va rester factuelle, ne dégageant de ses mots que peu d’émotions pour rester très factuelle. Par contre, le drame en lui-même est surprenant et on ne s’y attend pas. Cela donne une lecture très agréable, tout en respect envers le monde rural et ses habitants, faisant ressortir les émotions brutes des personnages et sans effets impressionnants, un bon roman dont j’attendais probablement plus de passion.

La douleur de Manfred de Robert McLiam Wilson

Editeur : Christian Bourgois (Grand format) ; 10/18 (Format Poche)

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Quand j’ai entamé cet hommage envers les éditions 10/18, j’avais mis de coté deux romans pour les mois de novembre et de décembre, deux auteurs que j’adore.

L’auteur :

Robert McLiam Wilson, né le 24 février 1964 à Belfast, est un écrivain nord-irlandais.

Robert Wilson est né dans un quartier ouvrier et catholique de l’ouest de Belfast. Il adopte le nom de plume McLiam Wilson pour ne pas être confondu avec les « dix mille Robert Wilson dans le monde entier » (McLiam est le mot gaélique pour Wilson).

Après avoir vécu à Londres et étudié durant quelques années la littérature anglaise à St Catharine’s College (université de Cambridge), il est revenu en Irlande du Nord pour donner des cours à l’université d’Ulster.

Dès son premier roman, Ripley Bogle (1988), il remporte plusieurs prix littéraires en Grande-Bretagne ou en Irlande, le prix Rooney de littérature irlandaise (1989), le prix Ted Hughes de poésie (1989), le prix Betty Trask (1990) et le Irish Book Awards (1990). C’est la biographie romancée, à portée autobiographique pour l’auteur, d’un SDF londonien, tout à la fois génial, mais aussi hautain et nonchalant, qui a érigé le mensonge en règle de vie.

Son œuvre la plus connue, celle qui l’a fait connaître, est Eureka Street. C’est un roman foisonnant avec comme personnage central la ville de Belfast et la période dite des «Troubles » entre catholiques et protestants d’Irlande du Nord.

Robert McLiam Wilson est contributeur à Charlie Hebdo depuis fin janvier 2016. Son premier article a été publié le 20 février 2016.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Dans son deuxième roman, l’auteur d’Eureka Street décrit avec une concision clinique les derniers jours d’un vieil homme, Manfred, qui souffre d’un certain nombre de douleurs : physiques – qu’il refuse de confier aux médecins et dont McLiam Wilson évoque les effets avec une minutie extraordinaire -, morales, liées au souvenir de la Seconde Guerre mondiale et a son mariage avec Emma, une rescapée des camps de la mort. C’est dans les rapports entre Emma et Manfred que se noue le roman: pourquoi un mari bat-il sa femme bien-aimée?

Le sait-il seulement? Pourquoi, vingt ans après leur séparation, les deux époux (ils n’ont pas divorcé) continuent-ils de se voir chaque mois sur un banc de Hyde Park, à Londres?

Pourquoi Manfred n’a-t-il pas le droit de regarder le visage de sa femme ?

McLiam Wilson nous fait partager les tourments, les joies et les indignations d’une fin de partie parfois beckettienne, où le tragique et le burlesque s’entremêlent en un savant dosage. Et personne, sinon Dickens, ne décrit avec autant d’amour un Londres fuligineux, détrempé ou mouillé de bruine, ses soleils brouillés, son pavé luisant de pluie, les fastes de certains crépuscules et l’ennui gris de l’aube.

Mon avis :

Eh bien, voilà ! ce roman qui m’avait été conseillé lors de la publication de mon billet sur Eureka Street a réussi à me choquer. Avec son style clinique, Robert McLiam Wilson ouvre son roman sur Manfred, un vieil homme qui se découvre une nouvelle douleur. Lassé par la vie, il est prêt à baisser les bras et laisser la maladie le ronger petit à petit, laisser le fil de vie quitter son corps fatigué.

On entre donc dans ce roman avec une grosse dose de sympathie et de pitié envers cet homme qui a décidé d’en finir. Petit à petit, de petits indices nous laissent entrevoir que la situation n’est pas aussi simple que l’on peut le croire. Jusqu’à la fin de la deuxième partie qui a complètement changé ma vision de Manfred, dans une bouffée soudaine de pure haine. Et pourtant, Robert McLiam Wilson n’est pas démonstratif à l’excès, et c’est probablement ce style froid qui s’avère frappant, choquant.

La construction et le déroulement de l’intrigue sont juste remarquables, la psychologie de Manfred éminemment complexe et la réaction de son entourage bien plus explicite que ce qu’il a dans sa tête. Robert McLiam Wilson ne justifie rien, aligne les actes, les situations et nous laisse conclure pour ce qui est un roman d’une extraordinaire justesse et d’un essor dramatique sans fond. Mon Dieu ! je n’imagine même pas comment l’auteur a pu finir un tel roman sans en ressentir un malaise abyssal.