Archives du mot-clé Rouergue

Darwyne de Colin Niel

Editeur : Editions du Rouergue

Si je n’ai pas lu tous les romans de Colin Niel, ceux que j’ai manqués m’attendent dans une de mes bibliothèques. Par son titre et par son sujet, je ne pouvais pas rater celui-ci, que l’on aura d’ailleurs du mal à classer du coté du polar, ou même du roman noir. Colin Niel nous propose un voyage en Amazonie, une sorte de retour en Guyane française, pour une histoire dure et passionnante.

A Bois-Sec, au fin fond du bidonville, adossé à la forêt, un petit enfant de dix ans écoute sa mère chanter. Pour lui, ce chant d’amour vaut tous les regards, toutes les attentions, parce qu’elle le dédaigne. Darwyne joue avec des morceaux de bois, bercé par les notes de musique de Yolanda. Le soir, dans leur petit carbet qui fuit de partout, ils dorment chacun dans leur pièce, elle dans la chambre, lui par terre dans la salle.

Quand on frappe à la porte, Darwyne va ouvrir et se retrouve face à un homme grand et costaud. Il a perdu ses illusions depuis longtemps, il sait qu’il s’agit de son nouveau beau-père, le numéro 8, Jhonson. Ce petit garçon déformé, boitillant, subit les moqueries de ses camarades de classe. Mais sa mère, qui n’arrête pas de travailler pour qu’ils puissent vivre, insiste pour qu’il fasse bien ses devoirs, pour qu’il travaille bien et ait une chance de sortir de Bois-Sec.

Mathurine sent peser les années, pas tellement dans son corps, mais dans son esprit de mère qu’elle n’est pas. Jusqu’à maintenant, elle assumait sa volonté de ne pas avoir d’enfant. La quarantaine arrivant, elle s’est résignée à essayer, sans succès jusqu’à présent, la conception in vitro. Assistante sociale, elle prend son travail très au sérieux, suggérant à la justice la meilleure solution pour les cas difficiles qui lui sont soumis.

Elle doit prendre en charge un appel d’urgence, qui malheureusement date de trois semaines. Il s’agirait d’un cas de maltraitance sur le petit Darwyne Massily. Mathurine est habituée à voir des cas difficiles et sait les conditions de vie dans le bidonville. Plutôt que de se précipiter, elle préfère convoquer la mère, Yolanda, qui va se présenter avec Jhonson mais sans Darwyne.

Dès les premières lignes, Colin Niel nous plonge dans un autre monde, avec beaucoup de distance, de respect, instillant de ci, de là, les détails qui nous font toucher du doigt la réalité de la vie dans les bidonvilles. Et nous allons accompagner les deux personnages principaux dans leur visite tout au long de cette histoire dure et noire.

Nous découvrons Darwine, petit garçon handicapé par des malformations, victime des moqueries et insultes des autres, qui ne se sent bien que dans la jungle environnante, et fou d’amour pour sa mère. Yolanda, de son coté, fait vivre sa famille en revendant des articles achetés au marché en ville et des plats cuisinés par elle-même. Autant elle est fière de sa fille qui s’est trouvé un travail et un mari, autant Darwyne lui fait honte, le traitant de « petit pian », considérant qu’il ne vaut pas mieux qu’un singe.

Mathurine de son coté, donne tout à son travail, poussée par un désir de justice et de volonté de trouver la meilleure solution pour ces enfants maltraités. Elle doit aussi gérer son désir de devenir mère avec déjà trois échecs et veut faire une dernière tentative. Elle va tenter l’impossible pour établir un contact avec Darwyne, ne se doutant pas de ce qu’il subit chez lui.

Les autres personnages de ce livre sont loin de faire figure de tapisserie. Jhonson apparait comme un homme sérieux et travailleur, fou amoureux de Yolanda comme les précédents beaux-pères d’ailleurs. Nous souffrons avec lui quand il est obligé de tailler les arbres et les herbes qui chaque jour, progressent sur le terrain sans arrêt, ou quand il doit tenter de réparer le toit de tôle troué.

Petit à petit, cette histoire dramatique va s’agencer et progresser dans un contexte difficile, inhumain, et faire place à un drame terrible d’amour impossible. Il devient de plus en plus difficile de voir Darwyne éprouver cet amour unilatéral et exclusif alors que sa mère le déteste. L’attitude de Mathurine est elle exemplaire et nous laisse croire à un espoir impossible dans cet enfer vert, dans cette histoire noire. Et la volonté de l’auteur de rester en retrait, de rester factuel, permet de laisser fuser derrière ces lignes tout un flot d’émotions sur l’amour maternel et l’amour filial. Quel roman !

Publicité

Qui voit son sang d’Elisa Vix

Editeur : Editions du Rouergue

Elisa Vix nous donne à lire des romans noirs depuis quelques années déjà, et son style direct qui peut sembler froid ajouté à des scenarii toujours formidables sont les raisons pour lesquelles j’adore ses romans. Celui-ci est à nouveau une grande réussite, juste magnifique.

2019. Lancelot habite l’Anse à l’Âne en Martinique avec Rose. Vivant l’amour fou, Lancelot a toujours essayé de prévoir le pire. En se levant ce matin-là, il sait qu’il ira à l’hôpital, rendre visite à Rose qui en termine avec sa chimiothérapie. Lancelot aurait pu tout prévoir sauf cette leucémie. Maintenant, pour se remettre totalement, Rose a besoin d’une greffe de moelle osseuse, donc d’un parent donateur.

Alors que sa mère Firmine a une peau café au lait, Lancelot arbore une belle peau noire, qu’il a eue en héritage d’une aventure d’un soir de sa mère. Il a vite appris à lire, a choisi comme livre de chevet Les Trois Mousquetaires et a fait des études en métropole à la Sorbonne. Une fois son diplôme de journaliste en poche, il était revenu en Martinique et rencontré Rose à la Maison de la Canne où elle faisait la guide.

Rose n’a vécu que sur la mer, David et Christine, ses parents, vivant sur le bateau Le Nautilus sans jamais mettre pied à terre. Dans une anse de la Martinique, à treize ans, Rose avait dit stop. Elle avait alors intégré un pensionnat et y avait fini ses études, sans plus jamais prendre la mer. Et puis, David et Christine étaient partis, reprenant leur vie au gré des flots.

Lancelot sait que David vit sur un bateau, que Christine est morte lors d’une bourrasque et que le seul et unique but de sa vie est de retrouver ce beau-père absent, qui peut avoir encore une utilité. Il le trouve à La Havane et arrive à le décider à aider sa fille. Mais quand les résultats de test sanguins arrivent, il s’avère que David n’est pas le père de Rose. Entretemps, David est parti, refusant d’affronter sa fille. Il a juste laissé au couple une carte où une croix indique l’île d’Ouessant avec cette notre : « C’est ici que tout a commencé ».

Si on trouve de nombreux romans dont l’intrigue raconte la recherche de ses racines, celui-ci a ceci de remarquable qu’il a un scénario terrible, et qu’il évite des scènes faciles tout en abordant de nombreux thèmes actuels et brulants. Quatre parties vont composer ce roman, appelé des livres, car chacun va raconter un personnage féminin qui va venir s’imbriquer dans l’histoire générale.

Le roman va aussi revenir dans le passé, à l’année de naissance de Rose mais aussi bien avant pour nous dévoiler des secrets terribles dans lesquelles baigne plusieurs familles. Ainsi nous allons avoir Le livre de Rose, Le livre de Christine, Le livre d’Hannah (une professeure d’histoire géographie) et le Livre de Gwenola.

Outre le style d’Elisa Vix que j’adore, et cette construction de l’intrigue quelque peu complexe, l’auteure va aborder des thèmes tels que le racisme et l’extrême droite, le dévouement des professeurs et l’abandon des parents, l’irresponsabilité de certains adolescents et la vengeance, sans oublier l’impunité des riches ou les violences faites aux femmes. Mais elle met aussi en opposition les paysages grandioses, immenses, infinis aux personnages renfermés, reclus sur eux-mêmes.

Chacun des personnages montre ses forces et ses faiblesses, ses cicatrices et le poids de son éducation et de ses parents. Chacun se retrouve enfermé dans un carcan qu’il n’a pas demandé, en opposition à la force de l’océan qui se montre grandiose, parfois sans pitié. On se laisse porter par la narration, en admirant chaque phrase qui veut nous en dire tant, qui veut nous montrer l’air du large.

Et puis, il y a cette fin, cette dernière phrase, qui tue, qui nous laisse imaginer la suite, qui peut être heureuse ou dramatique, selon chaque lecteur. Il y a cette dernière phrase, cruelle, qui, alors que l’on était heureux d’avoir fait ce voyage de 200 pages, nous laisse dans l’incertitude, nous abandonne à la sortie d’un aéroport. Comme tant d’enfants ont été abandonnés dans cette formidable histoire.

Le titre de ce roman est tiré de l’expression : Qui voit Ouessant, voit son sang, pour illustrer les difficultés de la navigation dans la mer d’Iroise.

Le blues des phalènes de Valentine Imhof

Editeur : Rouergue

Attention, Coup de Cœur !

Après Par les rafales et Zippo, voici le troisième roman de cette auteure au style si personnel. A l’instar des deux premiers, Le blues des phalènes va vous surprendre, empoigner vos tripes et les tordre dans et pour un élan d’humanité.

1935 – Milton. Il s’est exilé au milieu des montagnes, caché aux yeux du monde dans une mine désaffectée. Parce qu’on lui a refusé de faire des études d’art, il est parti, a tourné le dos à la civilisation, a tout laissé derrière lui, jusqu’à son identité, loin du bruit et du rythme du monde. Seul un morceau de métal planté dans sa jambe, souvenir d’une guerre passée, parvient à le maintenir sur la terre. C’est un son qui va le mettre aux aguets, le signe que quelqu’un approche …

1933 – Arthur. Quand il était jeune, Arthur collectionnait les bêtes mortes. Contre l’avis de son père, il s’est engagé dans l’armée. Sa mère Mary a fait une croix sur lui, jusqu’à ce qu’elle reçoive un télégramme lui annonçant qu’elle devait recueillir une jeune femme, au moment où l’explosion d’Halifax faisait des milliers de morts. Puis, il a disparu, veilleur de nuit et avide de pilules contre la douleur le jour. Pendant l’exposition universelle de Chicago, les affiches vantant le Troisième Reich trouvent un écho favorable parmi la population.

1931 – Pekka et Nathan. Bobbie est devenu violent envers Pekka et les gosses. Quand elle rentre un soir, elle le voit à terre, assommé par une bûche, vraisemblablement par Nathan qui est parti. Alors, elle tape encore et encore, jusqu’à ce que la tête ne soit plus qu’une bouillie rouge. Alors que Nathan va arpenter les routes pour trouver du travail et rencontrer Steve, une image paternelle qui remplace celle qui lui manque, Pekka part et change de nom comme de lieu.

Je ne m’attendais pas du tout à un roman de cette envergure, qui prend pour cadre les Etats-Unis mais surtout parle d’hommes et de femmes. Je ne m’attendais pas à vivre si loin, si fort la vie de ces quatre personnages, présentés longuement dans une première partie, représentant les témoins de l’évolution humaine dans le monde « moderne » et leur capacité d’adaptation à survivre. Je ne m’attendais pas à en apprendre autant, sur des événements historiques et sur la nature de l’Homme.

Après avoir présenté les quatre personnages centraux de ce roman, tous centraux, Valentine Imhof revient en arrière, en 1917, lors de l’explosion d’Halifax, la plus puissante explosion causée par l’Homme avant les bombes atomiques, qui a occasionné plusieurs milliers de morts. Cet événement va agir comme un cyclone pour nos quatre personnages et les expulser à travers le monde, chacun réagissant avec sa propre méthode, sa propre façon de s’adapter à un futur incertain. Tous présents à Hallifax, ils vont être expulsés à travers le monde.

Que ce soient Milton, Nathan, Pekka ou Arthur, ils font tous partie de la classe populaire, amenés à arpenter les routes à la recherche de travail pour se nourrir. Ils vont tous vivre dans des lieux glauques, chacun trouvant une lumière pour continuer à vivre. Et aussi dure que soit leur vie, ils vont nous montrer, nous apprendre à vivre, dans des situations aussi inhumaines que formidablement décrites. Valentine Imhof atteint dans ces moments des sommets d’évocation, semblant véritablement envoutée par son sujet.

On ressent une véritable passion dans ces scènes, une véritable tendresse pour ces personnages, un véritable talent de peintre, pour nous faire vivre cette époque. Car ce que Valentine Imhof nous dit, à travers cette fresque, ce qu’elle nous montre, c’est la capacité d’adaptation de l’Homme face aux pires situations que l’on puisse imaginer, mais qu’au final, rien ne change. Prenant comme exemple quatre laissés pour compte, quatre abandonnés du Rêve Américain, elle nous montre que, nés pauvres, ils mourront pauvres.

A travers ces pauvres gens, obligés de se tuer à la tâche, de vendre leur corps pour survivre, elle nous montre comment la société cherche à les masquer, à créer des artifices tels que l’exposition universelle de Chicago ou les Têtes du Mont Rushmore pour qu’on ne les voie pas. Et quand ils se rebellent, l’armée tire dans le tas. Et quand une catastrophe arrive, mettant en garde l’Humanité, les délaissés restent délaissés, les pauvres pauvres, les exploités exploités. Et l’espoir d’une vie meilleure apparait comme une chimère illusoire. Rien ne change.

Tout à tour expressive, empreinte de poésie, introspective ou descriptive, la plume de Valentine Imhof se glisse dans la peau de ses personnages, et nous immerge dans une autre époque qui rappelle certaines situations actuelles. Et quand elle les laisse parler, ces Arthur, ces Pekka, ces Nathan, on ressent toute sa rage, devant cette incapacité de cette société à tirer les leçons de ses erreurs passées, à chercher à améliorer la situation, juste à se battre pour un peu plus d’Humanité. Autant par ses personnages que par ses scènes hallucinantes, ce roman ambitieux et universel fait partie des lectures immanquables de ce début d’année.

Coup de cœur !

Solak de Caroline Hinault

Editeur : Editions du Rouergue

S’il n’y avait eu l’avis de Jean-Marc Lahérrère, je n’aurais pas eu l’idée de me pencher sur ce roman. D’ailleurs, je n’ai pas attendu bien longtemps avec de le lire, et je ne peux que confirmer la force de ce roman.

Sur cette presqu’île du cercle polaire arctique, une misérable station est perdue au milieu de la neige et du blizzard. Servant de base scientifique, elle abrite aussi des hommes chargés de veiller sur le drapeau national. Outre le temps redoutable, ils doivent aussi éviter les ours qui, à l’approche de l’hiver, s’approchent des habitations pour trouver à manger. Six mois de jour, six mois de nuit, une année de calvaire.

Igor vient de se suicider, une balle dans la tête, incapable de supporter la nuit qui s’approche. Piotr, le narrateur, habite ici depuis vingt ans et fait office de vétéran. Il se retrouve donc en compagnie de Roq, brute épaisse alcoolique qui s’amuse à tuer les animaux pour son traffic de fourrures et Grizzly un scientifique bavard qui amène un semblant d’humour dans ce monde froid et sans pitié.

En échange du cercueil d’Igor, débarque un jeune gamin frêle qui semble flotter dans sa combinaison. Ne dégoisant pas un mot, il passe aussi peu de temps avec les autres, préférant écrire dans ses cahiers. Peu après, les trois résidents apprennent que le gamin est muet, mais pas sourd. Et l’approche de l’hiver infernal va petit à petit faire monter la tension entre les quatre hommes.

J’adore les premiers romans, et encore une fois, je me suis trouvé embarqué dans ce huis-clos où la tension va monter doucement jusqu’à devenir intenable, invivable, irrespirable. Ces quatre hommes qui ne sont pas là pour s’entendre mais par obligation vont emmagasiner des ressentiments et la pression va finir par exploser dans un final non seulement inattendu mais aussi incroyable.

Et dans ces 124 pages, on retrouve tout des romans marquants : la psychologie des personnages vue par un narrateur, les actions de survie quotidienne qui deviennent des obligations, des rancœurs qui vont se transformer en colère délirante et le choix d’un bouc émissaire pour déverser le trop-plein de haine, de manques, de socialisation, de normalité dans un déferlement de férocité violente.

Passées les présentations, on sent réellement le jour partir et nous plonger dans une nuit sans fin ; l’intérieur de l’habitation se transforme en prison qui se prolonge à l’extérieur tant il y fait très froid, trop froid. Surtout, l’écriture n’est pas recherchée, surfaite mais uniquement naturelle et brutale et cela participe beaucoup à notre immersion dans ce monde de l’impossible. Et petit à petit, nos mains se crispent sur les pages, on ne veut pas s’arrêter parce l’on veut savoir et on s’arrête de respirer … Nom de Dieu, quel roman !

Zippo de Valentine Imhof

Editeur : Rouergue Noir

Attention, coup de cœur !

Après Par les rafales, son précédent et premier roman, qui démontrait une plume rare de poésie, Valentine Imhof se lance dans le thriller. Pour autant, il est bien plus que cela tant ce roman est brillant.

Clic ! Clic ! Clic ! Le bruit de son briquet Zippo est entêtant mais le calme, dans ce bar au nom étrange : Le Y-Not II. Il l’attend, Elle, Eva, celle qui l’a fait chavirer et qu’il cherche sans relâche. Il l’aperçoit, ou croit l’apercevoir et il chancelle. Il s’approche, lui offre un verre, puis sortent marcher dans le parc. Elle s’assoit (Clic !) et est surprise par le bruit. Elle tourne sa tête vers lui et son regard lui montre qu’il s’est encore trompé. Il sort sa flasque d’essence, l’asperge, surtout sur le visage et Clic ! Prometheus.

Eva l’a connu alors qu’elle était adolescente. Elle lui trouvait une laideur fascinante, une tristesse irrésistible ; son visage marqué l’a tout de suite attirée. Ils ont dansé, comme s’ils étaient seuls au monde sur un rock des années 50. Elle l’a suivi jusqu’à un perron puis un premier baiser les a réunis. C’était leur première rencontre. Leur dernière a commencé de la même façon, et s’est terminée par la mort de sa sœur, calcinée dans une voiture.

La lieutenant Mia Larström vient de débarquer au poste de police de Milwaukee avec un dossier en béton. Elle est convoquée sur le lieu d’un crime : une jeune femme à moitié brûlée sur un banc. Ce n’est pas une première pour elle. Son binôme, le lieutenant Peter « Casanova » McNamara est en retard, comme d’habitude. Il va encore la seriner avec ses aventures sexuelles, lui raconter comment il a fait hurler toute la nuit sa conquête d’un soir. Leur équipe ressemble à un mélange de feu et de glace.

Le début de ce roman ressemble à s’y méprendre à un thriller, et l’enquête, bien complexe, se révèle ardue pour nos deux enquêteurs. Les chapitres, très courts, vont s’enchaîner en passant d’un personnage à l’autre. Il n’y a aucun repère en tête de chapitre pour indiquer lequel est au centre du chapitre et pourtant, on n’est jamais perdu. La magie du talent de Valentine Imhof commence …

Parce que, petit à petit, l’auteure va lever le voile, non pas sur l’intrigue, puisque l’on va rapidement comprendre de quoi il retourne, mais sur les personnages. Petit à petit, Valentine Imhof va gratter le vernis qui cache la psychologie de chacun d’eux, et révéler leur passé et les cicatrices qui en découlent, leurs blessures comme des tatouages indélébiles, ineffaçables, ces moments qui marquent une vie à jamais.

De ces personnages que l’on aura bien du mal à oublier, on se rendra compte que rien n’est aussi simple, qu’aucun d’entre eux n’est ni blanc, ni noir, ni gris. Ils sont un mélange de toutes les couleurs, pour donner un résultat indéfini, poussés par leur motivation propre. Et plus on s’enfonce dans le roman, plus le nombre de personnages augmente, et ils sont tous décrits avec la même acuité, la même justesse.

Valentine Imhof va donc nous plonger dans les abîmes de l’âme, et nous plonger dans un décor de douleur. Rapidement, on se retrouve dans un monde BDSM, et le décor est à l’image des personnages, une descente aux enfers comme une recherche du plaisir, la douleur comme un cri d’extase, non pas pour oublier le passé, mais pour se rechercher soi, sa vraie personnalité.

Valentine Imhof met aussi son style au service de son histoire, poétique et noir, agrémenté par une bande-son sans fautes (merci d’avoir cité Joy Division et d’avoir déterré My Bloody Valentine !). Il y a une vraie rage dans son écriture, de sa plume coule une lave incandescente qu’elle déverse sur chaque ligne. Ses phrases sont éclairées, lumineuses, éblouissantes et emplie de tant de noirceur, jusqu’au dénouement final extraordinaire, sans rédemption, sans espoir, noir opaque. Énorme ! Un brûlant roman à classer juste à côté de Versus d’Antoine Chainas.

Je vous le dis, coup de cœur !

Le chouchou du mois de juin 2019

Avant de préparer vos valises pour les vacances estivales, je vous propose quelques avis qui vont peut-être vous faire ajouter quelques romans parmi les shorts et autres T-shirts. Et dans tout les avis que j’ai publiés, il y a forcément un livre qui correspond à vos goûts :

Commençons par un coup de cœur, d’un auteur que j’adore, Robin Cook, le Britannique. Comment vivent les morts de Robin Cook (Gallimard Série Noire) se situe juste avant j’étais Dora Soarès et s’avère un roman policier, à la fois cynique et méchant, que romantique et  horrible par son sujet. Dans un milieu corrompu jusqu’à la moelle, l’histoire de ce couple va nous décontenancer, nous émouvoir par tant d’injustice. Énorme, formidable, c’est un roman à ne pas rater.

J’ai continué mon défi Bob Morane avec la quatrième confrontation avec l’Ombre Jaune : Le châtiment de l’ombre jaune d’Henri Vernes (Marabout). Cette aventure va mettre en vedette Bill Balantine dans une sorte de jeu de piste où les rebondissements sont nombreux et les scènes d’action innombrables. C’est un excellent numéro.

Comme tous les ans, j’aurais jeté un coup d’œil di coté des nouveautés de chez Ska. Ce sont des nouvelles noires (ils proposent aussi des nouvelles érotiques) électroniques de bon voire de très bon niveau. La cuvée 2019 vaut largement le détour avec des auteurs tels que Mouloud Akkouche, Luis Alfredo, Gaëtan Brixtel, Mathilde Bensa, Louisa Kern, ou Stéphane Kirchaker. Ne ratez pas Le fils de Gaëtan Brixtel, entre autres.

Vous le savez, mes choix de lecture reposent beaucoup sur les autres blogs. Mon ami du Sud, Petite Souris, m’avait vanté les qualités de deux romans mettant en scène des femmes. Ce fut donc pour moi l’occasion de faire un billet ayant cette thématique. Avec Oyana d’Eric Plamondon (Quidam éditeur), j’ai découvert un auteur au style aussi minimaliste qu’il est expressif. Son histoire de femme qui revient vers ses racines sur fond d’ETA est juste éblouissant. Changement de thématique mais aussi de style avec Les mafieuses de Pascale Dietrich (Liana Levi) où on est plongé dans un intrigue plus polar, où j’ai été surpris par la maîtrise et l’assurance de cette auteure dont ce n’est que le deuxième roman. C’est une vraie belle découverte.

Restons du coté des polars, justement. Si vous cherchez du divertissement venu d’ailleurs, Ma sœur, serial killer de Oyikan Braithwaite (Delcourt) est fait pour vous. Débarquant du Nigeria, ce roman est juste et humoristique, décalé et passionnant ; bref, en un mot, il est impossible d’arrêter sa lecture. Outre son sujet original, l’auteure publie ici un premier roman passionnant sur la loyauté familiale, où elle pousse ce thème aux extrêmes, pour notre plus grand plaisir.

J’ai pris l’habitude de mettre en avant certains auteurs … quand l’occasion se présente. C’est le cas ce mois-ci avec Jean-Pierre Ferrière, puisque ses romans sont réédités de temps en temps. En fin d’année dernière, c’était La Seine est pleine de revolvers (French Pulp), l’histoire de deux couples dont les femmes veulent se débarrasser de leurs maris par des meurtres parfaits. Cette année, c’est Le dernier sursaut (Campanile éditions) avec un portrait parfait de femme qui se révèle et s’ouvre après un drame personnel ? Dans les deux cas, le scénario est impeccable et les psychologies féminines formidablement faites.

Au niveau divertissement toujours, dans le genre fantastique, Le maître des limbes d’Olivier Bal (De Saxus) nous propose de visiter un autre monde, celui des rêves. Bâtissant son roman avec tous les codes du thriller, Olivier Bal dont ce n’est que le deuxième roman s’avère un auteur plein de talent et prometteur pour l’avenir. C’est prenant, oppressant, inquiétant, et rythmé.

Le polar, c’est aussi le message, l’ouverture au monde, voire la dénonciation. Faisant suite à son excellent Tu n’auras pas peur, Et tout sera silence de Michel Moatti (HC éditions) reprend les mêmes personnages pour parler ouvertement du trafic des femmes à destination de la prostitution. D’un contenu parfois cru, excellemment documenté et profondément humain dans sa volonté de montrer l’horreur, l’auteur crie haut et fort ce scandale dont personne ne parle.

Les médias en parlent de temps en temps, puis c’est le grand silence et on pense que le drame du harcèlement au travail n’existe plus … jusqu’au prochain procès ou scandale. Elle le gibier d’Elisa Vix (Rouergue) nous place dans ce cadre dans un roman choral dont seule Elisa Vix a le secret. Un roman génial, tout petit qui pourtant en dit tant. Et c’est psychologiquement très fort.

Je l’attends tous les ans, le dernier roman d’Ahmed Tiab. Le dernier en date s’appelle Adieu Oran d’Ahmed Tiab (Editions de l’Aube) et il nous montre un pays en perdition, qui oublie ses valeurs, pour plonger dans le chaos. Au menu, là aussi, l’exploitation des migrants mais surtout un roman témoin qui nous rend impatient de lire la suite. A mon avis c’est le meilleur roman de cet auteur à ce jour.

Le chouchou du mois a dont été bien difficile à choisir. Car j’aurais pu en choisir trois ou quatre. Allez, je me lance ! Le titre du chouchou du mois revient donc à Elle le gibier d’Elisa Vix (Rouergue). J’espère que ces avis vous auront été utiles dans le choix de vos lectures.

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de bonnes vacances estivales, et rassurez vous : le blog reste ouvert tout l’été ! Profitez en bien et surtout n’oubliez pas le principal : lisez !

Elle le gibier d’Elisa Vix

Editeur : Rouergue

Elisa Vix et moi, cela a commencé chez Krakoen avant de lire ses romans au Rouergue, chez qui elle est éditée depuis. Ses romans se divisent en deux catégories : les enquêtes de Thierry Sauvage et des romans sociaux. Elle le gibier est à ranger dans la deuxième et c’est une bombe, criante de vérité.

Il est arrivé quelque chose à Chrystal …

Mattéo F. est un homme marié qui travaille au Crédit R. Lors de la mort d’un de ses collègues, Christian, il aperçoit sa fille, Chrystal. Marié à Camille, n’arrivant pas à avoir un bébé, il se laisse aller à une aventure avec la jeune fille après une rencontre dans une librairie, lors d’une discussion sur La bête qui meurt de Philip Roth, œuvre prémonitoire.

Cendrine O. est une jeune étudiante qui termine sa thèse sur le ribosome du zebrafish. Les crédits des universités diminuant comme peau de chagrin, elle n’a pas été embauchée et a fini à Pôle-emploi, chômeuse pendant 15 longs mois. Quand elle est contactée par Medecines, cela ressemble pour elle à un sauvetage. Elle devra faire de l’assistance téléphonique pour les médecins ou les laboratoires pharmaceutiques.

Quand Cendrine O. arrive pour son premier jour de travail, ils sont trois à être embauchés en même temps : Erwan, Chrystal et elle. Tous les trois sont sur-diplômés pour faire de l’assistance téléphonique. Tous les trois vont signer un contrat de travail dont le salaire est inférieur à ce qu’on leur a promis lors de l’entretien d’embauche. Tous les trois vont subir les appels incessants et les tableaux de synthèse (appelez cela les tableaux de reporting) à faire après le travail. Tous les trois vont plier sous l’omniprésence de leur responsable et du CEO, qui leur reprochent sans arrêt des choses.

Mais qu’est-il arrivé à Chrystal ?

Elisa Vix nous a habitué à des romans choraux traitant de sujets sociaux (Tiens, ça rime !), et en général, ça fait mal. C’est le cas ici, avec ce roman qui frise la perfection dans le genre, alliant la forme à un message, qui frappe justement parce que cette histoire est racontée par des gens qui ont rencontré Chrystal. Il n’y a donc pas de sentiments éplorés mais juste une distanciation factuelle dans tout ce qui s’y passe.

Dès le début, on pense à des témoignages pour un journaliste. Plus loin, on apprendra qu’il s’agit d’un romancier (ou d’une romancière) qui raconte à travers les avis de certaines personnages ce qui s’est passé avec Chrystal. La seule chose dont on est sur, c’est que l’issue est dramatique. Cela commence doucement avec un adultère comme il en existe tant, et le bon mari qui ne veut pas être impliqué.

Puis le roman change, avec le témoignage de Cendrine : on plonge dans le véritable sujet du roman et le fait qu’elle soit bavarde et lucide par rapport à sa situation rend le sujet terriblement juste. C’est le portrait d’une étudiante qui va s’enfoncer dans les affres du chômage avec tout le désespoir qui y est lié. L’offre d’emploi de Medecines apparaît alors comme une bouée de sauvetage. C’est bien le portrait d’une génération sacrifiée que l’on nous montre, de jeunes gens passionnés par leur sujet de thèse (ou par leurs études) qui sont obligés de prendre n’importe quel travail pour vivre.

Et en termes de bouée de sauvetage, Medecines applique des méthodes de gestion du personnel (appelons cela management) qui ressemblent plutôt à des tortures, une « belle » façon de plonger la tête de ses employés sous l’eau, sans les laisser respirer. Tous les petits tableaux pour justifier d’une activité, toutes les petites actions (comme rester dans le dos de quelqu’un), toutes les remarques font peser une ambiance de menace et de douleur qui vont transformer le monde du travail en monde de l’horreur.

On a beaucoup parlé des suicides au travail, en se demandant comment cela pouvait arriver. Ce roman, par sa justesse et la vérité de ton, apporte des réponses sans pour autant que cela ne soit exagéré. Et quand une entreprise maîtrise ce qu’elle fait subir, pour rester à la limite de  la loi, il n’y a rien à d’autre à faire que plier, jusqu’à se rompre. Chrystal a décidé de résister mais la société est plus forte qu’elle.

Ce roman montre ce que l’on ne voit pas ou rarement et il le fait avec une justesse et une lucidité remarquable. Il n’y a bien que le roman noir pour regarder la société en face comme cela. Le dernier roman sur ce sujet que j’ai lu et qui m’avait frappé était Les visages écrasés de Marin Ledun ; Celui-ci est aussi fort. Tout le monde devrait le lire. Tout le monde doit le lire. C’est un livre important.

La fin, c’est Elisa Vix elle-même qui va l’écrire dans ses remerciements :

« A tous mes employeurs, sans qui ce livre n’aurait pas été possible …On l’aura compris, ce roman est inspiré de ma désastreuse carrière professionnelle. Mais que le lecteur se rassure, je n’ai jamais été tenté par les extrémités dont Chrystal se rend coupable. Face à l’adversité managériale, je me contentais de jubiler intérieurement en pensant : « Le p… de bouquin que je vais écrire ! ». Viva la literatura ! »

Le chouchou du mois de mai 2018

Une fois n’est pas coutume, nous avons démarré ce mois de mai par un hommage à Daniel Chavarria, qui nous a quitté le 6 avril. J’ai eu l’occasion de découvrir l’humour caustique et noir de cet auteur avec Adios Muchachos (Rivages). Et j’ai eu l’énorme chance que Claude Mesplède réponde à mon appel en me proposant anecdotes, interview et son avis sur Le Rouge sur la Plume du Perroquet (Rivages).

Une nouvelle fois, la littérature française aura été largement représentée en ce mois de mai, et dans les différents genres que l’on peut trouver dans le polar. La seule exception à cette règle aura été le super roman d’action qu’est Missing : Germany de Don Winslow (Seuil), qui constitue la deuxième enquête de Franck Decker, ce détective privé spécialisé dans les recherches de personnes disparues. En voulant rendre service à un ami de l’armée, il va découvrir de sacrés trafics et être obligé de se remettre en cause, quant à ses valeurs.

Kisanga d’Emmanuel Grand (Liana Levi) est un roman qui m’a impressionné. Une entreprise chinoise et une entreprise française veulent créer une Joint Venture pour exploiter les minerais de la République Démocratique du Congo. Un groupe de jeunes embauchés a 3 mois pour démarrer l’exploitation. Entre thriller et roman d’aventures, entre géopolitique et magouilles politiciennes, Emmanuel Grand prend quelques personnages et déroule son intrigue de façon passionnante et impressionnante. Comme je le disais dans mon billet : « Et ce n’est que son troisième roman ! ». Époustouflant !

On connait Gilles Vidal et ses intrigues retorses. Une nouvelle fois, avec Ciel de Traine (Zinedi), il nous offre une histoire pas comme les autres. Chaque chapitre (ou presque) raconte un événement d’un personnage et chaque personnage n’a rien à voir avec les autres. C’est un peu comme si on additionnait des nouvelles, dont certaines sont fascinante dans leur mise en situation. Sauf que le lien entre toutes ces gens ne vous sera livré qu’au dernier chapitre.

Avec Les retournants de Michel Moatti (HC éditions), j’aurais eu un avis plus mitigé. J’avais adoré son précédent roman, et j’ai été surpris par le roman, à la fois son cadre (la guerre de 14-18) et son traitement. Il m’aura fallu attendre les remerciements de l’auteur en fin de chapitre pour comprendre où il voulait en venir.

Au rayon Roman Policier, je ne peux que vous conseiller Sœurs de Bernard Minier (XO éditions), où l’auteur remonte dans le passé et nous parle de la jeunesse de Martin Servaz. Mais il y a aussi une enquête (ou plutôt deux) qui aborde les rapports que peut entretenir un auteur de thrillers avec ses lecteurs. Une nouvelle fois, Bernard Minier nous concocte une intrigue qui repose à la fois sur des sujets forts et sur des ambiances étouffantes. Et, cerise sur le gâteau, le dénouement est génialement trouvé.

Au rayon Roman Policier, toujours, deux romans auront pris comme contexte la guerre d’Algérie mais avec deux façons distinctes de traiteur leur intrigue. Toutes ces nuits d’absence d’Alain Bron (Les chemins du hasard), nous retrouvons un écrivain qui, parce qu’il retrouve de vieilles photographies, décide de reprendre l’enquête sur l’assassinat de son amour de jeunesse. Alain Bron met sa plume magique au service d’un sujet fort.

Un travail à finir de Eric Todenne (Viviane Hamy) est le premier roman policier de ce couple d’auteurs et le premier d’une série (on l’espère !). Une mort suspecte d’un résident d’une maison de retraite va entraîner le capitaine Andréani vers des événements liés à la guerre d’Algérie et les exactions des troupes françaises. C’est un roman passionnant qui donne bigrement envie de lire une suite.

J’ai continué mon exploration de l’univers de la Compagnie des glaces avec mes billets sur les tomes 5 et 6 (French Pulp), appelés L’enfant des glaces et Les otages des glaces. Si le tome 5 ne m’a pas passionné, le tome 6 m’a semblé relancer l’intérêt. Je vous donne rendez vous donc pour la suite très prochainement.

Le titre de chouchou du mois revient donc à Par les rafales de Valentine Imhof (Rouergue), un premier roman impressionnant par sa construction et son style, qui emporte tout comme un ouragan, un tsunami littéraire à ne pas rater.

J’espère que ces suggestions vous seront utiles pour vos choix de lecture. Je vous donne rendez vo30us le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Par les rafales de Valentine Imhof

Editeur : Rouergue Noir

C’est indéniablement le billet de mon ami La Petite Souris qui m’a poussé vers ce roman. Quand il dit que ce roman fera partie de ses meilleures lectures de 2018, je ne peux qu’être attiré. Ce roman est incroyable à bien des égards.

4 novembre 2006, Nancy. Dans une chambre d’hôtel, ils sont nus. Elle s’appelle Alex, lui est soi-disant journaliste. Après une brève discussion dans un bar, ils finissent dans une chambre d’hôtel et jouent au jeu de la Vérité : celui qui ment enlève un vêtement. Quand elle ôte son T-shirt, il est ébahi par les innombrables runes tatouées sur son corps. Dans le lit, il veut qu’Alex serre sa cravate pour augmenter son plaisir. Alors elle serre, emplie de haine, comme pour oublier ce qu’elle a vécu dans cette petite cabane. Le cou du type craque, elle est soulagée, elle est sure qu’il était venu la buter.

4 novembre 2006, Metz. Anton entre dans le bar, demande après Alex au patron. Il lui annonce qu’elle est passée ce matin, s’est installée au fond, et a écrit son article sur le concert de Coco Robicheaux. Bien qu’il soit inquiet, il doit se faire une raison, Alex est libre de faire ce qu’elle veut, même si cela fait quelques semaines qu’ils vivent ensemble. Alex est comme sa chatte Pandora : elle disparait pendant un jour, une semaine, mais revient toujours en faisant les yeux doux. Et là, Anton ne peut résister.

4 novembre 2006, Nancy. Alex se réveille ou du moins émerge de son cauchemar couleur THC. Elle vient de tuer un homme, son troisième, lui a fracassé le visage. Elle s’habille à la hâte, descend les marches comme elle peut et attend le bus. Une bande de jeunes tentent de l’aborder, mais elle monte dans le bus en direction de la gare. Elle y débarque à 21H37, quatre minutes avant le dernier train pour Metz. Quand elle arrive, elle prend la direction du bar, se forge un regard de princesse et pousse la porte, qui souffle un air de libération pour Anton.

Pour un premier roman, Par les rafales porte bien son nom, tant il emporte tout sur son passage à la façon d’un ouragan. En prenant comme personnage central une jeune femme maltraitée et devenue paranoïaque, Valentine Imhof joue gros, au risque de lasser ses lecteurs tout au long de ses 280 pages. Et il n’en est rien. On a l’impression de lire de la grande prose, entre description de décors en perdition jusqu’aux situations stressantes, tout cela servi par une bande son de chaque instant flairant le bon, le tout bon dans tous les styles.

Tout tient dans le pari de l’auteure. Elle tente sa chance, joue son va-tout, et dévide son histoire avec passion, d’une façon tout à fait personnelle. Avec ses références culturelles, qu’elles littéraires, musicales, picturales ou cinématographiques, elle nous plonge dans son univers sans regarder en arrière. Et cette course poursuite à travers le temps, après le temps, à travers l’espace, après l’espace, s’avère un pari remarquablement réussi, tant l’écriture est addictive.

Ce roman sent la passion de partager, la rage d’écrire, la volonté de créer et Valentine Imhof nous offre là un sacré moment de roman noir, inimitable car tellement particulier et personnel, que l’on a beaucoup de mal à abandonner tant tout y est bluffant. On en vient même à regretter une fin de roman un peu trop rapide, car on aurait voulu prolonger le plaisir, qu’il ne se termine jamais.

Je pourrais citer beaucoup d’auteurs ayant essayé cet exercice de style, certains réussis, d’autres moins. Je préfère juste vous conseiller de vous jeter sur cet OVLNI (Objet Volant à Lire Non Identifié). Enorme, juste énorme ! Vous n’avez jamais lu un livre pareil !16

En plus de l’avis de la Petite Souris que j’ai inséré en début de billet, ne ratez pas les avis de Nyctalopes et Lectrice en Campagne, ainsi que l’excellente interview de mon ami le Concierge Masqué.

Enfants de la Meute de Jérémy Bouquin

Editeur : Rouergue

Depuis que les éditions Ska m’ont permis de découvrir Jérémy Bouquin, j’essaie de suivre ses publications, ce qui n’est pas forcément évident puisque le bonhomme est prolifique. Ce que j’aime chez Jérémy Bouquin, c’est son style rentre-dedans et ses intrigues originales.

Il roule à bord de son AUDI intérieur cuir sans regarder en arrière. Il s’appelle Garry Lazare. Avec, lui, sur le siège arrière, il y a un enfant Yannis, âgé de 8 ans. Il s’arrête sur une aire d’autoroute, pour une pause pipi, et pour faire un petit ravitaillement. C’est alors que Yannis demande où est son papa. C’est vrai que c’est l’excuse qu’il lui a donnée : on va rejoindre ton papa.

Quand ils arrivent dans le Jura, la route commence à serpenter. Garry n’a pas trouvé mieux que d’emmener le petit chez son propre grand-père, que Garry a toujours détesté. Son frère et lui y passaient leurs vacances d’été et ils avaient du mal à supporter les humeurs de ce vieil alcoolique raciste. Mais il n’y a pas mieux comme planque que la baraque de ce vieux con, perdue dans les bois jurassiens.

Dans les virages boueux menant à la baraque du vieux, le petit vomit sur les sièges intérieur cuir. Garry arrive à garder son calme. Quand il arrive, le grand-père pose des questions auxquelles Garry ne répond pas. Il est officiellement venu passer quelques jours avec Yannis qui n’est pas son fils. Yannis est en effet le fils de Joe, son ami de cœur, son frère de sang. Joe est en prison, et doit bientôt s’en évader. Mais tout ne va pas se passer comme il était prévu.

Malgré sa forme relativement courte, il va se passer beaucoup de choses dans ce roman, qui montre une nouvelle tout l’art de Jérémy Bouquin de partir d’une situation simple et d’en faire un excellent polar uniquement grâce à sa créativité et son style. L’histoire tout d’abord se résume en un duel, même si cela commence comme un enlèvement d’enfant. Car le roman est construit en deux parties, une consacrée à Garry et une à son poursuivant. Vous comprendrez bien que je ne peux pas vous révéler son identité sous peine de vous révéler la chute du roman qui est génialement trouvée.

Le style est direct, il claque comme un coup de feu dans les bois jurassiens. Jérémy Bouquin démontre une nouvelle fois qu’il est inutile d’en faire des tonnes pour raconter une bonne histoire, histoire qui va se révéler plein de surprises : c’est indubitablement noir et sans remords. L’univers y est dur et on est en face de gens sans pitié. Mais l’auteur arrive par la magie de certaines scènes à nous insuffler de belles émotions de tendresse, en particulier les passages où le grand-père part avec Yannis dans la forêt.

Ne me demandez pas si cela va se terminer bien, ni si la morale est respectée. Le fond de cette histoire se passe dans le milieu de la drogue et donc la trame se révèle violente, même si elle n’est pas explicite et étalée sur les pages blanches. Il en ressort une sensation de stress insufflé uniquement par les actions des personnages.

Enfin, ne ratez pas la fin, qui a lieu après le duel (tant attendu et liquidé en deux phrases). Non, la surprise a lieu juste après, avec un retournement de situation qui fait montre d’un bel humour noir et qui surtout nous reconstruit toute l’histoire, comme quand on vient mettre les quelques dernières pièces d’un puzzle bien agencé. Avec ce roman, Jérémy a construit un polar efficace dans la plus pure tradition du noir.

Ne ratez pas l’avis de Claude entre autres …