Editeur : Editions du Rouergue
Si je n’ai pas lu tous les romans de Colin Niel, ceux que j’ai manqués m’attendent dans une de mes bibliothèques. Par son titre et par son sujet, je ne pouvais pas rater celui-ci, que l’on aura d’ailleurs du mal à classer du coté du polar, ou même du roman noir. Colin Niel nous propose un voyage en Amazonie, une sorte de retour en Guyane française, pour une histoire dure et passionnante.
A Bois-Sec, au fin fond du bidonville, adossé à la forêt, un petit enfant de dix ans écoute sa mère chanter. Pour lui, ce chant d’amour vaut tous les regards, toutes les attentions, parce qu’elle le dédaigne. Darwyne joue avec des morceaux de bois, bercé par les notes de musique de Yolanda. Le soir, dans leur petit carbet qui fuit de partout, ils dorment chacun dans leur pièce, elle dans la chambre, lui par terre dans la salle.
Quand on frappe à la porte, Darwyne va ouvrir et se retrouve face à un homme grand et costaud. Il a perdu ses illusions depuis longtemps, il sait qu’il s’agit de son nouveau beau-père, le numéro 8, Jhonson. Ce petit garçon déformé, boitillant, subit les moqueries de ses camarades de classe. Mais sa mère, qui n’arrête pas de travailler pour qu’ils puissent vivre, insiste pour qu’il fasse bien ses devoirs, pour qu’il travaille bien et ait une chance de sortir de Bois-Sec.
Mathurine sent peser les années, pas tellement dans son corps, mais dans son esprit de mère qu’elle n’est pas. Jusqu’à maintenant, elle assumait sa volonté de ne pas avoir d’enfant. La quarantaine arrivant, elle s’est résignée à essayer, sans succès jusqu’à présent, la conception in vitro. Assistante sociale, elle prend son travail très au sérieux, suggérant à la justice la meilleure solution pour les cas difficiles qui lui sont soumis.
Elle doit prendre en charge un appel d’urgence, qui malheureusement date de trois semaines. Il s’agirait d’un cas de maltraitance sur le petit Darwyne Massily. Mathurine est habituée à voir des cas difficiles et sait les conditions de vie dans le bidonville. Plutôt que de se précipiter, elle préfère convoquer la mère, Yolanda, qui va se présenter avec Jhonson mais sans Darwyne.
Dès les premières lignes, Colin Niel nous plonge dans un autre monde, avec beaucoup de distance, de respect, instillant de ci, de là, les détails qui nous font toucher du doigt la réalité de la vie dans les bidonvilles. Et nous allons accompagner les deux personnages principaux dans leur visite tout au long de cette histoire dure et noire.
Nous découvrons Darwine, petit garçon handicapé par des malformations, victime des moqueries et insultes des autres, qui ne se sent bien que dans la jungle environnante, et fou d’amour pour sa mère. Yolanda, de son coté, fait vivre sa famille en revendant des articles achetés au marché en ville et des plats cuisinés par elle-même. Autant elle est fière de sa fille qui s’est trouvé un travail et un mari, autant Darwyne lui fait honte, le traitant de « petit pian », considérant qu’il ne vaut pas mieux qu’un singe.
Mathurine de son coté, donne tout à son travail, poussée par un désir de justice et de volonté de trouver la meilleure solution pour ces enfants maltraités. Elle doit aussi gérer son désir de devenir mère avec déjà trois échecs et veut faire une dernière tentative. Elle va tenter l’impossible pour établir un contact avec Darwyne, ne se doutant pas de ce qu’il subit chez lui.
Les autres personnages de ce livre sont loin de faire figure de tapisserie. Jhonson apparait comme un homme sérieux et travailleur, fou amoureux de Yolanda comme les précédents beaux-pères d’ailleurs. Nous souffrons avec lui quand il est obligé de tailler les arbres et les herbes qui chaque jour, progressent sur le terrain sans arrêt, ou quand il doit tenter de réparer le toit de tôle troué.
Petit à petit, cette histoire dramatique va s’agencer et progresser dans un contexte difficile, inhumain, et faire place à un drame terrible d’amour impossible. Il devient de plus en plus difficile de voir Darwyne éprouver cet amour unilatéral et exclusif alors que sa mère le déteste. L’attitude de Mathurine est elle exemplaire et nous laisse croire à un espoir impossible dans cet enfer vert, dans cette histoire noire. Et la volonté de l’auteur de rester en retrait, de rester factuel, permet de laisser fuser derrière ces lignes tout un flot d’émotions sur l’amour maternel et l’amour filial. Quel roman !