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Terres fauves de Patrice Gain

Editeur : Le Mot et le Reste (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

J’avais adoré De silence et de loup l’année dernière. La sortie de son nouveau romans, Les brouillards noirs, m’a donné l’idée de consacrer une semaine à cet excellent conteur qu’est Patrice Gain. Voici donc Terres fauves …

Alors qu’il peaufine la biographie d’Andrew Kearny, le gouverneur de New York City, David McCae reçoit l’ordre de son éditeur d’agrémenter son manuscrit d’un chapitre supplémentaire où il ferait intervenir un proche du gouverneur. Quoi de mieux que d’aller interviewer Dick Carlson, un ami proche du gouverneur et une idole reconnue de l’alpinisme pour avoir gravi un pic de plus de 8000m dans l’Himalaya ?

Malheureusement pour David, Dick Carlson habite à Valdez en Alaska. Pour y accéder, il faut prendre un hydravion, un bateau, bref toute une aventure voire un cauchemar pour ce citadin pure souche qui ne se sent bien qu’en ville. Arrivé sur place, il est confronté au climat rigoureux et à l’animosité des autochtones mais arrive tout de même à décrocher un rendez-vous avec la Gloire américaine.

Le premier contact avec Dick Carlson s’avère froid, voire agressif. David enregistre leur conversation qui dure toute la nuit autour de quelques bouteilles de whisky. A tel point que les deux hommes finissent par s’endormir. Le lendemain, on vient le ramener dans une contrée plus civilisée mais l’hydravion tarde à se montrer. Il doit bien se rendre à l’évidence, Carlson et ses hommes l’ont abandonné en pleine nature.

Si ma précédente lecture d’un roman de Patrice Gain m’avait impressionné, celle-ci me confirme tout le bien que je pense de lui. D’ailleurs j’avais écrit à propos de De silence et de loup : Avec une simplicité remarquable dans le style, mais avec une vraie profondeur dans les thèmes traités, ce roman comporte des scènes d’une force dramatique impressionnante et des thèmes tristement contemporains dans l’actualité),

Si ce roman touche moins à l’actualité, il nous démontre à quel point Patrice Gain est un conteur hors pair. Dans un premier tiers, David nous raconte sa vie, son objectif d’être fier devant son père et ses erreurs, en particulier le fait qu’il délaisse sa compagne et sa sœur. Tout est fait pour nous le rendre sympathique malgré son inconstance et son immaturité. On ressent aussi particulièrement bien la torture pour lui de sortir de sa zone de confort et de se confronter à un environnement hostile.

Pour lui, ce voyage en Alaska ressemble à une torture qui va devenir un cauchemar dans une scène effrayante située au milieu du roman, LA scène du roman. A partir de ce moment, Patrice Gain nous dessine un personnage en quête de vengeance, de justice mais aussi de rédemption envers ses proches. Une nouvelle fois, on ne peut que louer les qualités de conteur de l’auteur.

Ce roman confirme donc tout le bien que l’on peut penser de Patrice Gain. Il a cette faculté de créer des personnages aux prises à des situations inextricables et a le talent de nous parler de sujets différents. Ici il s’agit de l’impunité des gens de pouvoir et on retiendra de cette lecture une scène en particulier. Il me conforte à continuer de lire les romans de cet auteur au talent rare.

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A qui la faute de Ragnar Jonasson

Editeur : La Martinière

Traducteur :

Depuis la parution de son premier roman en France, je me suis dit qu’il faudrait que je découvre cet auteur islandais. Depuis, j’ai acheté tous ses livres en format poche sans trouver le temps d’en ouvrir. La sortie de cet huis-clos hivernal était trop tentante !

Ils étaient quatre amis inséparables pendant leurs études puis ont suivi chacun leur chemin. Cette idée de se retrouver ensemble le temps d’un week-end pour découvrir les paysages enneigés semblait bonne.

A la fin de ses études en Arts Dramatiques, Daniel s’est exilé en Angleterre où il galère à boucler ses fins de mois avec les petits rôles qu’il décroche. Vis-à-vis des autres, il est devenu un acteur reconnu.

Son meilleur ami, Gunnlaudur, a toujours été la dernière roue du carrosse, suiveur plutôt que leader. Il s’est tout de même débrouillé pour devenir avocat dans un petit cabinet.

Après avoir connu une adolescence agitée, parsemée d’excès en tous genres, Armann Est revenu au pays pour devenir guide des contrées enneigées.

Helena, la seule fille du groupe, a accepté de faire ce week-end avec ses amis, alors qu’elle vient de perdre l’amour de sa vie.

Les quatre amis vont se lancer dans un week-end découverte dans des paysages immaculés loin de toute habitation. Mais au milieu de leur périple, une tempête de neige s’abat sur eux …

Ragnar Jonasson nous convie ici à un huis-clos en plein air, dans un environnement rigoureux, à faire glacer les os. Et quoi de mieux pour innover que de créer un roman choral. Nous allons donc suivre tout à tour nos quatre compagnons mais la narration se déroulera à la troisième personne de façon à laisser planer le suspense car tout le monde ne va pas s’en sortir.

Les chapitres étant courts, et surtout le style étant fluide et simple, ce roman se lit rapidement. On sent le savoir-faire d’un auteur confirmé pour nous passionner dans le déroulement de cette histoire où il ne se passe rien … dans la première moitié du roman, le seul rebondissement se situe dans la présence d’un homme dans le refuge qu’ils avaient ciblé pour leur week-end.

Malgré cela, psychologiquement, ce roman s’avère passionnant … surtout qu’il va semer quelques zones d’ombre qui vont nous étonner avant de nous tenir en haleine dans la deuxième moitié où les événements vont se précipiter. Pour une découverte, je dois dire qu’elle fut bonne et que je vais poursuivre dans la lecture des romans de cet auteurs, qui malgré son rythme lent, arrive à nous passionner avec peu d’éléments.

Histoire universelle des Hommes-Chats de Josu Arteaga

Editeur : Nouveau Monde éditions

Traducteur : Pierre-Jean Bourgeat

Pourvu que l’on accepte la forme, que l’on connaisse l’histoire de l’Espagne, ce premier roman est une vraie surprise, probablement l’une des meilleures en cette année 2022. L’auteur nous présente une autopsie d’un village, une petite histoire dans les interlignes de la grande Histoire.

« A Olariz, nous comprenons la mort et la vie à notre façon. Tout nait, tout meurt. Ni plus ni moins. Et ce, depuis la première aube. Pour les humains ou les animaux. Sans distinction. La vie est la neige première. La mort est la neige piétinée. Les deux sont semblables. »

Le narrateur va donc nous raconter la vie de ce village renfermé sur lui-même, en y mêlant ses souvenirs personnels. Ainsi, il se rappelle son père, accoucheur qui mettait bas des juments. Il avait sept ans quand son père l’avait emmené Olaiceta, Ce matin-là, le narrateur avait trouvé un œuf avec deux jaunes lors de son petit déjeuner. Cela aurait dû être un bon présage. Mais le jeune poulain est né avec deux têtes. Alors, il a emmené la jeune bête dans les bois pour l’achever et l’enterrer. Plusieurs années après, une truie donna le jour à douze petits, comme le nombre des apôtres de Jésus. De rage et de douleur, la truie s’est jetée sur eux et les a tous dévorés. Il en va ainsi de la vie et de la mort. Et il faut toujours écouter les présages, et surtout bien les interpréter.

Le narrateur se rappelle aussi Teodora, une jeune femme honnête et pauvre. Son mari avait choisi le camp de la révolution et le couple haïssait le curé et sa religion. Ils travaillaient dans un ferme de riches sans enfant et espéraient hériter à la mort des propriétaires quand un petit Gabriel vit le jour. On dit que le mari de Teodora y mit le feu et Gabriel en réchappa. Par contre, il mourut encore bébé et on dit que Teodora enduisait ses tétons de poison avant de les donner à Gabriel. Les propriétaires les chassèrent et tout le monde au villages les appelaient Les Damnés …

Dans un village rural, éloigné de toute modernité, ce village va nous raconter ses petites histoires, embringuées dans la Grande Histoire. Par son éloignement, il ne subit pas les conséquences de ce qui se passe à l’extérieur. Et les lois sont revenues celles de la nature, celles du plus fort, celles du village. Les hommes y sont rugueux, taiseux, et préfèrent régler leurs affaires entre eux plutôt que de faire appel à quelqu’un d’extérieur. D’ailleurs, on n’y trouve pas de police, chacun fait sa justice.

Construit comme une suite de nouvelles, ce roman tient son fil directeur avec ce narrateur, que l’on imagine vieux, repensant au passé de ceux qui nous manquent. Chaque petit événement est l’occasion pour lui de se rappeler une scène, une personne, un fait marquant. La narration se fait donc sans aucun dialogue et de façon très directe. Cela en devient remarquable quand il arrive à nous passer en revue toute une vie et de faire revivre des fantômes devant nos yeux. J’ai adoré cette narration.

J’ai eu l’impression que l’auteur faisait appel dans certains chapitres à des faits de l’histoire espagnole, et n’en connaissant que des bribes, je me suis senti délaissé, j’ai eu l’impression de passer au travers. Par contre, le dernier chapitre, contre toute attente, est terrible et donne à l’ensemble la cohérence que j’attendais. Josu Arteaga se permet même de nous pointer du doigt, nous montrant que les horreurs qu’il a décrites n’ont rien à envier à celles du monde actuellement. On prend une bien belle claque pour la fin, voire même quelques réflexions philosophiques très justes. Voilà un premier roman surprenant et surtout très réussi. Auteur à suivre.

Les silences d’Ogliano d’Elena Piacentini

Editeur : Actes Sud

Moi qui adore les romans policiers et l’écriture d’Elena Piacentini, que j’avais découverte grâce aux deux Claude regrettés (Mesplède et Le Nocher), je ne pouvais laisser passer son entrée en littérature blanche. Et même si le clivage, l’étiquetage des livres m’horripile, je dois avouer qu’Elena nous offre ici une tragédie de haute volée, un roman époustouflant.

Ogliano, petit village engoncé au pied du massif de l’Argentu, abrite des familles de chevriers. Argentina Solimane a élevé seule son fils Libero Solimane. Pour lui, l’Argentu représente sa vie, son univers, son futur aussi. Quand il avait 18 ans, il avait été invité à une fête au Palazzo Delezio, la demeure du Baron, que tout le monde nommait la Villa Rose. Ces fêtes étaient annonciatrices de l’été.

Libero se rappelle l’enterrement de Bartolomeo Lenzani, un homme violent autant envers les animaux que sa famille. Libero se rappelle avoir sauvé un de ses chiens, tabassé à mort, et l’avoir appelé Lazare. Libero se rappelle que Bartolomeo avait enlevé à sa sœur Fiorella son fils Gianni, alors âgé de 14 ans pour l’envoyer travailler ; Gianni son presque frère puisque lui aussi n’avait pas de père ; Gianni si frêle et devenu un costaud aux mains de géant.

Quand un cri déchire l’assistance, un cri que Libero reconnait entre mille. La magnifique rousse, Tessa Delezio vient de se faire piquer par une guêpe. Libero est amoureux de cette jeune femme de 25 ans, délaissée par son vieux mari. Il décide même d’aller voir Nina, une prostituée brune pour qu’elle lui apprenne les mystères de l’amour. Libero se rappelle aussi ses baignades avec Raffaello, le fils lettré des Delezio. Mais un drame se cache parmi ces montagnes aux cimes intouchables.

Le décor ressemble à s’y méprendre au Sud, à la Corse ou bien à l’Italie, et pourtant il est inventé. Le village ressemble à s’y méprendre à un village de pierre perdu dans les montagnes, et pourtant il est inventé. Les histoires de famille ressemblent à s’y méprendre à celles que l’on connait, et pourtant elles sont inventées.

Elena Piacentini créé une peinture avec un personnage central sensible et innocent pour mieux nous plonger dans une histoire aux accents de tragédie digne des plus grands, qu’ils soient grecs ou français. Elle fait même intervenir en plein milieu des événements les personnages de cette histoire, comme on le faisait en laissant parler le chœur. Pour autant, elle y apporte une touche de modernité par les sujets évoqués et surtout elle y apporte une construction proche du polar.

Elena Piacentini commence en effet son roman par poser le cadre, et les personnages, et propose des anecdotes, sortes de souvenirs que Libero nous partage pour mieux nous imprégner et nous présenter ce village. Dans ces passages, la nature est décrite de façon majestueuse, le paysage est pesant, menaçant comme certains membres de ces familles dont on sent bien l’influence d’une mafia.

Puis elle nous plonge dans l’événement qui va bouleverser la vie de Libero, aussi bien dans sa sphère personnelle que dans son environnement. Le rythme va se faire plus élevé et l’auteure va faire monter la tension, à mesure que Libero découvre des secrets et les mensonges des adultes. Cela débouche sur une fin aussi dramatique que magnifique et démontre que ce roman, porté par une écriture majestueuse, se révèle bien différent de ce que l’on peut lire habituellement.

Histoires de villages, histoire d’éducation, d’émancipation, de secrets et de mensonges, Elena Piacentini nous démontre une autre facette de son talent, cette faculté de nous plonger ailleurs et de nous délivrer un message de liberté. On ressort de ce roman ébloui, épanoui et ébouriffé, et surtout heureux d’avoir arpenté les sentiers de l’Argentu en compagnie de jeune homme devenu grand, comme le roman.

Dog Island de Michel Moatti

Editeur : HC éditions

Si vous êtes un fidèle de ce blog, vous savez que j’affectionne particulièrement les écrits de Michel Moatti pour la profondeur psychologique de ses personnages et pour son talent à peindre une ambiance (souvent stressante). Ce ne fut donc pas une surprise de le voir aborder un huis-clos dans ce roman, ni de rendre un hommage appuyé et non dissimulé à la grande Agatha Christie.

Au large de Manhattan, à 18 km, une mystérieuse île se dresse dans le brouillard. Son nom vient de la forme des récifs au Nord, qui fait penser au museau d’un chien. Habitée à l’origine par des Indiens, elle bénéficie de légendes dont Odosh’a, une étrange divinité qui chante la nuit venue. Depuis le 17ème siècle, il est advenu de nombreux événements sur cette île, que personne ne connait. D’ailleurs, des membres de l’armée américaine gardent toujours ses rives, en interdisant l’accès et assurent la sécurité de la douzaine de résidents.

Lydia Schluback fait partie des anciens puisqu’elle est arrivée sur l’île très tôt. Passionnée de cuisine, elle est reconnue en tant que cordon bleu. Pendant qu’elle fait frire sa pâte, elle pense à la jeune Tania Greene qui a débarqué pour faire des photographies et qui doit bien s’ennuyer. Puis elle repense à sa nuit, au vent qui faisait penser à des chants ; peut-être s’est-elle laissée bercer par Odosh’a.

Du haut de sa chambre mansardée, Tania Greene contemple le rivage, les vagues et le temps menaçant. L’île lui parait vivante, présente comme un bonhomme de neige. Elle jette encore un coup d’œil à sa carte, aux installations militaires désaffectées, aux endroits potentiels où des milliers de gens ont été enterrés, car l’île a servi autrefois de fosse commune. Puis une idée folle traverse son esprit : et si elle se déguisait en bonhomme de neige ?

Jack Charnotta tient l’épicerie de l’île. En fait, il s’agit d’une sorte de réserve de produit en conserve pour les quelques habitants. Il est ravitaillé une fois par semaine par la navette fluviale, puisque les voyages quotidiens sont réservés aux étudiants Léo Warren et Nick Merryl, qui vont au lycée à New-York. Jack est seul autochtone à être né sur l’île ; il en connait donc tous les recoins, son histoire et ses secrets.

Le sergent Marcus Warren s’inquiète de la santé de sa femme Lily. Lily sait que Susan Merryl, la sœur de Nick, veut devenir écrivain. Susan ne cesse de répéter que Brett Easton Ellis est le plus grand écrivain américain vivant. Lily propose à son mari d’aller passer le week-end à New-York. Quand ils en reviennent, Marcus est attendu par son adjoint Don Merryl : on vient de retrouver Tania Greene pendue chez elle, habillée dans une sorte d’habit de clown.

Une île, douze habitants, un décor mystérieux à l’aube d’un hiver rigoureux, tous les ingrédients d’un huis-clos sont réunis pour intriguer le lecteur. Michel Moatti possède un talent : celui de créer une ambiance. C’est ce que j’avais adoré avec son premier roman Retour à Whitechappel. Le choix d’implanter cette intrigue sur cette île entre totalement dans ce qu’il affectionne de faire mais aussi dans ce qu’il excelle à faire.

Car outre cette ambiance de bout du monde, Michel Moatti nous parle d’une île qui existe vraiment, qui possède son histoire, vraie ou inventée, ses légendes, vraies ou fantasmées. Même s’il détaille dans sa note en fin de livre tous les aspects véridiques et inventés, il s’amuse à mêler le vrai et le faux, pour nous informer (les massacres de Indiens), nous révolter (l’implantation de missiles ou l’enterrement de malades du SIDA) et arrive à faire naitre un doute sur lequel l’Administration Américaine pose un étouffoir.

Au-delà de ce fait historique et géographique, on admire toujours cette faculté à dérouler une intrigue en semant des doutes. Le fait de détailler les décors en faisant planer un doute fait monter inconsciemment un stress. Et le fait de ne jamais détailler les émotions des personnages en rajoute encore à la tension sous-jacente qui ressort de ces pages … jusqu’à une conclusion très inattendue.

A la fois hommage à Agatha Christie, mais aussi aux grands auteurs, à la fois exercice de style, à la fois roman stressant plus qu’effrayant, ce roman au rythme lent comme la vie sur cette île est aussi original dans le fond que dans la forme. Je reste persuadé qu’aucun autre auteur aurait été capable d’écrire cette histoire-là de cette façon-là. Et je me pose des questions : Les Américains ont-ils vraiment utilisé cette île comme un mouroir au 20ème siècle ? Fichtre !

Le chant de l’assassin de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteurs : Claude et Jean Demanuelli

Depuis sa première parution avec Seul le silence, je dois dire que je prends un plaisir à lire les histoires que cet auteur nous invente, avec toujours comme décor les Etats Unis, pas celui clinquant tout beau tout propre mais celui des campagnes.

Henry Quinn a été élevé seul par sa mère, secrétaire dans une bibliothèque, et n’a donc jamais connu son père. Juste avant sa majorité, ayant bu trop d’alcool, il s’amuse à tirer avec une arme à feu sur un tonneau. Pour son malheur, une balle rebondit et va parcourir plusieurs centaines de mètres avant de tuer une jeune femme, en train de préparer son petit déjeuner dans sa cuisine.

Accusé puis condamné juste après ses 18 ans, il en prend pour 5 ans au pénitencier de Reeves, sort au bout de 3 ans pour bonne conduite. S’il s’en sort en un morceau, c’est grâce à Evan Riggs, son compagnon de cellule. Condamné à la prison à vie, Evan lui demande de retrouver sa fille qu’il n’a jamais connue, pour lui donner une lettre. Henri ne peut qu’accepter ce service envers celui qui l’a sauvé et qu’il considère comme un père naturel.

Après une visite éclair auprès de sa mère, toujours aussi alcoolique, Henri prend la route de Calvary, où il devrait pouvoir retrouver la trace du frère d’Evan, Carson, qui en est le shérif. Le moins que l’on puisse dire est que l’accueil est froid, aussi bien de la part du shérif que des habitants de Calvary. Il semblerait même que tout le monde veuille oublier Evan et sa fille. Mais quel est le secret qui est enfermé dans cette petite ville ?

Je ne vais pas vous redire tout le bien que je pense du style hypnotique de Roger Jon Ellory, ce talent à créer des personnages forts, cette faculté à nous plonger dans un autre lieu et un autre espace-temps. Pour ce roman-là, il va mener en parallèle deux histoires : l’une contemporaine sur la recherche de la fille d’Evan, l’autre concernant la vie d’Evan, son crime et comment il en est arrivé là.

Pour la première fois, Roger Jon Ellory lier ses deux passions dans un seul roman : écrire une histoire simple et la musique. Evan est en effet un musicien maudit, créateur des Whiskey Poets (comme par hasard le nom du groupe réel de Ellory) et Henry un musicien doué. En entourant le tout de plusieurs questionnements et mystères bien épais, vous avez les ingrédients de ce roman une nouvelle fois réussi.

Les deux histoires vont alternativement se dérouler, tranquillement, pour nous amener à lever le voile sur la vérité, les vérités. D’un côté, l’enquête d’Henry qui montre une ville renfermée sur elle-même et qui veut éviter les étrangers. De l’autre, la vie d’Evan faite d’erreurs, de mauvais choix, d’hésitations, de moments de joie mais aussi de moments dramatiques. Ellory nous raconte une vie plongée dans l’Histoire américaine.

Comme à chaque fois, n se retrouve emporté dans un roman plein, complet, dans lequel on a beaucoup de plaisir à plonger parce qu’on a l’impression de côtoyer des personnages ordinaires au destin ordinaire qu’Ellory nous transforme en extraordinaire. Si on ressent beaucoup de maitrise et de retenue, dans les scènes émouvantes par exemple, c’est probablement parce qu’il a écrit là son roman le plus personnel, qui le touche le plus dans ses passions. Et avec ce roman-là, il n’a jamais été aussi proche de la littérature blanche. C’est encore un grand roman très réussi de la part de cet auteur dont je ne me lasse pas.

Des poches pleines de poches

Voici le retour de cette rubrique consacrée aux livres au format poche. Et je vous propose deux romans à découvrir, et dont on va entendre parler puisqu’ils sont tous deux sélectionnés pour le Grand Prix des Balais d’Or 2019, organisé par mon ami Richard le Concierge Masqué.

Etoile morte d’Ivan Zinberg

Editeur : Critic (Grand format) ; Points (Poche)

Lundi 10 aout 2015, Los Angeles. Sean Madden et Carlos Gomez, deux inspecteurs du LAPD sont appelés au centre ville, au Luxe City Center Hotel. Un homme y a été assassiné et son corps est retrouvé menotté au lit et horriblement mutilé (surtout en dessous de la ceinture). La Scientific Investigation Division termine l’examen de la chambre sans rien trouver d’intéressant, à part des traces dans la moquette qui laissent à penser que la scène du meurtre a été filmée. La victime s’appelle Paul Gamble, propriétaire d’une société de partage de musique sur Internet. Les caméras révèlent qu’il est entré à l’hôtel avec une jeune femme blonde arborant de grandes lunettes de soleil.

Mardi 11 aout 2015, Santa Monica Boulevard, Los Angeles. Michael Singer est photographe de presse, ce que d’aucuns appellent paparazzi. Il a toujours rêvé d’être enquêteur et a découvert par hasard qu’il pouvait faire beaucoup de fric en surprenant les stars. Ce jour-là, il a rendez vous avec Freddy Fox, un flic qui lui sert d’indic. Moyennant finances, il lui apporte quelques affaires en cours en avant-première. L’une d’entre elles attire son attention : Naomi Jenkins, la star présentatrice des informations a été retrouvée nue, violée dans un entrepôt, victime de la drogue GHB. Plutôt que d’utiliser ces informations comme un reportage photo traditionnel, Michael va se lancer dans l’enquête.

Avec un polar, on recherche avant tout du divertissement. Ce roman m’a plus que surpris, il m’a étonné par les qualités dont il regorge, venant du deuxième roman d’un jeune auteur. Et en premier lieu, je voudrais mettre en avant le scénario redoutable, remarquable dans sa construction. On va suivre deux enquêtes en parallèle, qui vont se rejoindre à 100 pages de la fin et jamais, on n’est perdu ou on se demande où on en est. Les personnages sont très bien fait, sans en rajouter outre mesure.

Cela fait que c’est un livre passionnant à lire qu’on n’a pas envie de lâcher. Certes l’action se situe aux Etats Unis, et on aura tendance à le comparer aux maîtres du genre. Mais je trouve qu’il tient la comparaison haut la main tant tout est très bien fait. Et puis, le sujet de fond est la pornographie et le gonzo extrême. Il nous montre le derrière des scènes de cul qui s’apparente plus à un viol qu’à un travail. Il y a une scène éloquente et très dure à vivre qui démonte le mythe que veulent nous faire croire les titres variés et insultants.

En conclusion, passée ma surprise, ma découverte d’un nouvel auteur, je m’aperçois que ce roman, outre qu’il m’a fait passer un excellent moment, a laissé en moi des traces grâce à ces personnages de Madden et Singer. Ne croyez pas que tout va y être rose bonbon, loin de là. Et nul doute que je lirai ses autres romans dont jeu d’ombres et Miroir obscur. Voilà du divertissement haut de gamme.

L’essence du mal de Luca D’Andrea

Editeur : Denoel (Grand Format) ; Folio (Poche)

Traductrice : Anaïs Bouteille-Bokobza

Jeremiah Salinger est scénariste de documentaires et rencontre le succès grâce à une série consacrée aux roadies de groupes de rock. Avec son ami et cameraman Mike McMellan, il va réaliser trois saisons de Road Crew mettant en lumière ces hommes de l’ombre qui assurent le bon déroulement des concerts. C’est aussi aux Etats Unis qu’il rencontre Annelise, originaire des Dolomites, qu’il va épouser et avec qui il va avoir une fille adorable Clara.

En crise de création, il va suivre sa femme dans son village natal du sud de Tyrol, à Siebenhoch et profiter de la vie de famille, d’autant plus que Clara est très éveillée. C’est là-bas qu’il va avoir l’idée d’un documentaire racontant la vie des sauveteurs. Mais lors d’un tournage, l’équipage va mourir et Salinger sera le seul rescapé. Marqué par cet accident, il va trouver sa planche de salut dans un événement dramatique qui a eu lieu 30 ans auparavant et qui a vu le massacre de trois jeunes gens dans la faille du Bletterbach.

« La rencontre sanglante de Stephen King avec Jo Nesbo » annoncée par le bandeau de Folio est largement exagérée, il faut le savoir. Certes, les trois jeunes gens ont été tués de façon atroce, mais cela est expliqué sans description gore. Si les relations entre Salinger et sa fille peuvent faire penser au King, l’évocation de Jo Nesbo m’interpelle. Franchement, je ne vois pas.

Par contre, on a droit à un roman qui oscille entre enquête de journaliste, chronique familiale, thriller et fantastique. C’est un mélange de genres qui fonctionne à merveille, surtout grâce au talent de l’auteur de savoir décrire simplement la vie familiale de Salinger avec des scènes visuelles dont certaines sont empreintes de mystère et qui créent une angoisse prenante.

Ah oui, on craque pour Clara, on est passionné par Werner, on a plaisir à rencontrer les habitants du village et on a beaucoup de sympathie pour Salinger qui a une obsession : trouver l’origine des meurtres comme une sorte de rédemption pour lui-même, pour qu’il se prouve qu’il vaut encore quelque chose. Et l’auteur joue des cordes sensibles, n’utilisant les scènes de tension que quand il le juge utile, et non pour relancer le rythme comme le font les Américains.

Cela donne à ce roman une forme personnelle et originale, très agréable à suivre surtout si on considère que c’est un premier roman. Et même s’il fait 500 pages, on n’a pas envie de laisser tomber le roman, tant on s’attache à ce personnage de Salinger qui nous parait si vivant et si humain. Voilà un nouvel auteur épinglé sur Black Novel, une bien belle découverte d’un auteur dont je vais suivre les prochaines publications.

Ne ratez pas l’avis de Cédric Ségapelli

Espace jeunesse : A la nuit je mens de Kara Thomas

Editeur : Castelmore

Traducteur : Cécile Chartres

Je vous avais parlé le mois dernier de Little Monsters, le premier roman de Kara Thomas à être publié en France. Je devais vous parler de son deuxième, sorti tout récemment. Mais comme j’ai du retard dans mes lectures, j’ai fait appel à mon amie Suzie qui m’a fait la gentillesse de m’offrir son avis que voici :

Bonjour amis lecteur. Me voici de retour pour vous parler d’un nouveau livre intitulé « A la nuit je mens » de Kara Thomas.

Récemment, mon ami et hôte Pierre vous a parlé de son livre précédent « Little monsters », livre que j’ai également lu et qui m’a suffisamment intriguée pour lire les autres romans de cette auteure. Cette dernière est connue sous les pseudonymes de « Kara Thomas » ou de « Kara Taylor » et elle écrit des romans « Young Adult » c’est-à-dire des histoires dont les héros se trouvent dans la tranche d’âge 15 – 20 ans à peu près. « A la nuit je mens » est son deuxième roman traduit en français après « Little monsters ».

Le titre anglais de  « A la nuit je mens »  est « The darkest corners » qu’on pourrait traduire par les coins les plus sombres. Si on compare les deux couvertures, vous constaterez qu’elles véhiculent deux messages différents. Pour l’original, cette dernière est composée de morceaux d’une photo qui aurait été déchirée et qu’on aurait reconstruite par la suite. Comme si la psyché d’un des personnages féminins aurait été morcelée et reconstruite selon une logique différente. Pour la version française, elle reflète l’aspect de se murmurer des secrets voire des mensonges à l’oreille. C’est la position typique de deux amies ayant une discussion hautement confidentielle.

Si on revient à la quatrième de couverture, le synopsis nous raconte une drôle d’histoire :  Celle d’une jeune femme de dix-sept ans qui revient dans la ville de son enfance, Fayette,  qu’elle a quittée il y a dix ans, après l’éclatement de sa famille. Son enfance a été marquée par son témoignage, avec sa meilleure amie, contre un homme qui serait un serial killer. Mais, les années passant, le doute s’instaure et lors de son retour dans cette petite ville, de nouveaux éléments émergent. Les apparences sont trompeuses et plus que trompeuses. L’auteur va en jouer pendant toute l’histoire.

Le personnage principal, Tessa, apparaît comme un personnage qui apporte un œil neuf sur le microcosme de Fayette. Après une absence de dix années, elle a évolué et elle revient avec ses doutes mais également des secrets qu’elle n’a jamais dévoilés à quiconque. Pour appuyer encore plus le point de vue de Tessa, l’histoire est racontée à la première personne du singulier. Cela renforce cette impression d’étrangeté.

Car c’est un personnage qui se retrouve entre le marteau et l’enclume. Elle connait le passé des protagonistes de cette histoire mais pas leur évolution, qu’elle a du mal à appréhender. De plus, cette transplantation forcée entre Fayette et la Floride a transformé Tessa. Elle est devenue beaucoup plus secrète, plus inquiète, ne supportant pas qu’on la touche, ainsi qu’indépendante. Elle a une conscience très forte des secrets qu’elle garde ainsi qu’une compréhension trop mature des relations avec sa famille.

Enfin, il y a une certaine culpabilité qui va l’accompagner pendant des années. Alors que Tessa est plutôt introvertie, Callie semble être son exact contraire. Elle semble être intégrée mais elle cache également d’autres secrets. En ce qui concerne les parents de Callie, ces derniers sont toujours sous le choc de l’homicide de leur nièce malgré le temps passé, en particulier la mère. Cette affaire d’homicide aura secoué cette petite ville et lorsqu’un autre homicide a lieu, les secrets et les mensonges ont tendance à remonter à la surface. Les autres personnages sont montrés par couches successives qui leur donnent du relief au fur et à mesure que Tessa va les côtoyer.

Si on regarde l’intrigue, cette dernière va comporter deux axes : le témoignage de Tessa et de Callie pour incriminer Wyatt Stokes ainsi que la famille de Tessa dont deux des membres ont brutalement disparu, sans laisser de traces. Dans la première intrigue, c’est celle qui va appâter les lecteurs et qui est décrite dans le synopsis. Elle démontre l’instrumentalisation des enfants c’est-à-dire, dans ce cas, la concordance du témoignage des deux fillettes jusqu’à obtenir une reconstitution unique pour pouvoir inculper un homme sur des preuves indirectes ainsi que leurs conséquences sur la vie des différents habitants.

La deuxième intrigue qui reste sous-jacente pendant une bonne partie de l’histoire est la recherche par Tessa de sa sœur. Cette dernière ayant disparu lors de l’homicide de sa meilleure amie, refait une brève apparition au début de cette histoire. Cela va pousser Tessa à chercher à comprendre comment la personne la plus importante de sa vie a pu disparaître sans laisser de traces. Cette intrigue secondaire met en exergue la recherche de son identité, la compréhension de ses racines à travers la recherche de cette sœur tant aimée. Mais, les secrets qui vont en émerger, vont modifier la vie de Tessa ainsi que celle de la ville. Mais, je ne peux vous en dire plus. A vous de le découvrir

Je ne connaissais pas cette auteure avant de lire son livre précédent « Little monsters » avec lequel elle a réussi à me surprendre. J’avais hâte de pouvoir lire celui-ci et cela m’a fait le même effet que le précédent, surtout la fin. J’ai eu droit à un retournement de crêpe. L’auteure passe son temps à vous balader entre les différents secrets des uns et des autres, leurs mensonges, leurs problèmes et leurs doutes. Elle nous appâte avec une intrigue assez controversée : le témoignage d’enfants dans un procès pour de multiples homicides avec des problèmes bien spécifiques comme la concordance des faits, la préparation des témoins, la divulgation des preuves, … Et de cette intrigue primaire, l’auteure nous fait rebondir sur une intrigue secondaire qui va, au fur et à mesure, passer au premier plan pour nous emmener vers une conclusion très particulière. J’attends avec une grande impatience son prochain roman et je me demande à quelle sauce Kara Thomas compte nous déguster. Sur cela, je retourne dans ma cave avec de nouvelles provisions et j’espère que vous apprécierez les différentes thématiques de ce livre. Bonne lecture à tous et à bientôt. 

L’homme craie de CJ. Tudor

Editeur : Pygmalion

Traducteur : Thibaud Eliroff

Attention, coup de cœur !

La couverture me tentait peu, la quatrième de couverture non plus. Il aura fallu les avis de mon amie Suzie, de ma femme et du boss d’Unwalkers pour me décider à le lire. A peine ouvert, je n’ai pas pu le lâcher. C’est un premier roman incroyable.

2016, Eddie Munster est devenu professeur d’Anglais. Il n’a jamais quitté sa petite ville natale, comme tous ceux de sa bande de potes, sauf un. Un événement dramatique a eu lieu dans cette ville : Une jeune fille a été retrouvée découpée dans les bois. On n’a jamais retrouvé sa tête. Eddie va faire un effort de mémoire. Pour lui, le drame n’a pas eu lieu avec le meurtre, mais avant, lors de la fête foraine, quand il avait 12 ans.

1986, Ils étaient cinq, avaient tous douze ans, ils étaient inséparables. Dans la bande d’Eddie, il y avait Gros Gav, surnommé comme ça pour son embonpoint, Mickey Métal et son appareil dentaire, Hoppo le solitaire et taciturne et Nicky la fille du pasteur. Il y a eu une fête foraine, en ce jour de printemps. La présence d’un albinos habillé en blanc étonne tout le monde. Un accident a lieu dans le manège de montagnes russes, un wagon se détache et une jeune fille a la jambe coupée. L’albinos demande de l’aide à Eddie pour faire un garrot et sauver la jeune fille. Il se présente alors à Eddie : il s’agit du professeur M.Halloran. Eddie quant à lui trouvera un surnom pour la jeune fille : la Fille du Manège.

2016, Pour payer les intérêts de l’emprunt de la maison familiale, Eddie loue une chambre de sa maison à Chloé, une jeune femme de 20 ans. Ce matin-là, il reçoit une lettre … En allant au travail, il passe par le pub et retrouve Gros Gav dans son fauteuil roulant et Hoppo. Gav l’accueille avec un coup de poing. Il accuse Eddie de ne rien avoir dit. Eddie plaide coupable : cela fait 2 semaines qu’il sait que Mickey Métal va revenir en ville.

Jamais, je dis bien, jamais je n’aurais laissé passer autant de temps entre la fin de ma lecture et la rédaction de mon avis. Pourquoi ? Je pense que c’est parce que je ne savais pas comment rendre hommage à ce livre, et surtout exprimer ce que j’ai ressenti en tournant chaque page. Ni roman noir, ni thriller, ce roman est une histoire contée d’une façon exceptionnelle.

Car CJ.Tudor nous convie à un voyage géographique et temporel, géographique car situé en Grande Bretagne, temporel car nous allons retourner dans les années 80 mais aussi retourner en adolescence. On y trouve les bandes de copains, les sujets de discussion que l’on a avant d’entrer dans l’adolescence, les questions que l’on se pose, les réponses que l’on n’a pas, et la démonstration que la vie, que l’on croyait formidable grâce à la protection des parents, peut s’avérer cruelle voire mortelle.

Tous ces thèmes sont bien connus dans la littérature et ont déjà été maintes et maintes fois traités. Mais il y a dans ce roman une honnêteté, une volonté de ne pas se cacher, de jouer cartes sur table, d’être factuel en disant tout tel qu’on l’a vécu et ressenti. Tout tient dans cette fluidité du style, dans cette évidence de dire des choses simples sans jamais tomber dans la facilité. Il y a du Stephen King dans cette évocation de l’adolescence, du Thomas H.Cook dans cette construction parfaite, du Megan Abbott dans la psychologie de ces jeunes gens, ou même du Jax Miller dans cette peinture d’une ville. Mais il y a surtout du CJ.Tudor qui a su puiser de l’inspiration dans le style de ses prédécesseurs pour se créer son propre espace à elle et nous le faire partager.

J’ai été ébloui, époustouflé, ébahi devant tant d’évidence, je me suis retrouvé impatient de retourner là-bas, de retrouver Eddie et sa bande, de partager leurs jeux, leurs voyages à vélo dans les bois, de décoder leurs messages à base de bonhommes dessinés avec de la craie. Et puis, après les chapitres liés à la nostalgie, je me suis incarné dans Eddie, la quarantaine, solitaire, cherchant à faire œuvre de mémoire envers les drames qui ont émaillé leur adolescence.

Habituellement, je ne mets jamais de coups de cœur pour un premier roman, (vous avez bien lu, c’est un premier roman !). Parce que j’y trouve toujours un petit quelque chose, un détail, qui dépasse, qui me manque. Là, ce roman s’apparente pour moi comme le premier roman parfait, un livre qui appelle les souvenirs de tout un chacun, sans pour autant verser dans le sentimentalisme, une belle histoire que l’on n’oubliera jamais. C’est de la grande littérature, tout simplement. Coup de cœur !

Ne ratez pas les avis du Boss d’Unwalkers, de Sangpages, du Dealer de lignes, et de Garoupe

 

 

 

Candyland de Jax Miller

Editeur : Ombres Noires

Traducteur : Claire-Marie Clévy

Attention coup de cœur !

Après Les infâmes, le premier roman de Jax Miller que j’avais bien aimé, je ne m’attendais pas à un tel choc dès son roman suivant. Car, pour vous donner une petite idée sur l’effet qu’il m’a fait, j’ai mis deux jours à m’en remettre sans avoir ne serait-ce que l’envie d’en ouvrir un autre. Le personnage principal de ce roman n’est rien moins que la petite ville de Cane.

Cane est une petite ville minière (imaginaire) de Pennsylvanie qui a connu son heure de gloire dans les années 60 grâce à son parc d’attraction dédié aux sucreries nommé Candyland. Cane était même surnommée Le Cœur Sucré de l’Amérique. Avec la fermeture des mines, la ville a petit à petit dépéri et Le cœur sucré de l’Amérique est devenu le Cœur drogué de l’Amérique. La fermeture de Candyland dans les années 80 a sonné le glas de cette petite ville, le parc étant squatté par les fabricants d’alcool de contrebande et de méthamphétamine.

Cane est une ville entourée de forêts, juste en bordure du comté de Vinegar. Au milieu des bois, se dresse une colline, au sommet de laquelle s’est implantée une communauté Amish. Sadie Gingerich en est issue, et est partie pour tenir une boutique de confiseries. Grace à son don de créer des bonbons originaux, elle connait encore aujourd’hui un grand succès. Elle attend son fils Thomas pour le repas de Thanksgiving, qui est bizarrement en retard. En fait, ils ne se voient que pour cette occasion-là.

L’inspecteur Braxton en a encore pour quelques jours avant de prétendre à une retraite bien méritée. Cela ne le rassure pas, car il va être obligé de subir sa femme Deb. Quand on l’appelle, c’est pour lui signaler un corps dans une grotte à la sortie de Cane. Il se déplace donc avec son remplaçant, l’inspecteur Rose qui ne veut pas s’embêter et veut faire passer cette mort pour une attaque d’ours. Mais quand Braxton retourne le corps, il reconnait en lui Thomas, le fils de Sadie et des souvenirs viennent le hanter.

Braxton tient à aller lui annoncer lui-même la mort de son fils. Le poids du passé les empêche de ne dire que quelques mots, mais il lui promet de trouver le coupable. Le corps a en effet été poignardé à 17 reprises. Lors de l’autopsie, on retrouve un morceau de lame qui s’est cassé entre deux cotes. Dessus, on trouve les empreintes de sa nièce Allison Kendricks, que Braxton a élevée quand son père Danny est parti en prison. Le temps de lever tous les secrets est arrivé …

Dès son deuxième roman, Jax Miller frappe fort, et même plus que fort. J’avais bien aimé Les infâmes, mais j’étais loin d’imaginer que son deuxième roman allait être aussi fort. C’est bien simple, je n’y ai trouvé aucun défaut, sauf peut-être un chapitre en trop (le chapitre 81, qui n’amène rien à l’intrigue). Mais c’est vraiment pinailler car le plaisir de se balader à Cane est immense.

J’ai trouvé hallucinant la facilité avec laquelle Jax Miller arrive à créer une ville complète, sans en faire trop (contrairement à moi dans le résumé que je vous ai fait). En fait elle positionne ses descriptions au fur et à mesure, faisant avant tout la part belle à ses personnages. Surtout, elle montre comment dans cette petite ville comme dans toute petite ville, comment tout le monde se connait, comment tout le monde sait tout et ne dit rien, ou ne sait rien mais dit tout. Surtout, elle nous montre comment tout un chacun garde pour lui ses secrets qui peuvent sembler insignifiants mais qui petit à petit vont s’avérer énormes, dramatiques, catastrophiques.

Sans surprise, Jax Miller va passer d’un personnage à l’autre, évitant d’en faire parler à la première personne du singulier, leur laissant la place sans prendre parti. Et quels personnages, avec Sadie, mère éplorée à cause d’un fils qui la délaisse, ou Braxton, flic vieillissant obligé de s’impliquer dans cette affaire, ou Allison adolescente malheureuse, droguée, qui refuse le bonheur, ou Thomas, fils idéal en apparence, ou Danny ancien taulard qui veut réparer ses erreurs. Même les personnages secondaires sont aussi importants comme Rose qui ne veut pas être emmerdée.

C’est aussi et surtout ce style envoûtant, qui vous prend doucement par la main, qui vous emmène ailleurs, dans une petite ville que l’on pourrait croire tranquille. Puis, plus on avance dans le roman, plus on change d’avis. Mais le plaisir et l’envie d’y retourner est toujours là. Je parle souvent de plume hypnotique, mais je dirai qu’ici elle est magique, elle vous ensorcelle pour laisser dans votre cerveau une envie irrépressible d’y revenir. Comme une drogue …

Il y a aussi cette construction implacable, faite tout en douceur. On voyage d’un personnage à l’autre, d’un lieu à l’autre, d’une époque à l’autre et c’en est un réel plaisir. Tout cela se fait en douceur, pour mieux nous emmener dans un final dramatique époustouflant. Il y a aussi des retournements de situation qui vous renversent, vous prenant à revers dans toutes vos certitudes. Il y a aussi ce souffle romanesque, insufflé par le destin de personnages simples mais hors du commun. Il y a cette description de petites gens, qui m’ont fait penser, dans leur minutie au grand Stephen King.

Énorme, je vous dis que ce roman est énorme. Un vrai grand beau coup de cœur !

Ne ratez pas l’avis de l’ami Yvan