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Shit ! de Jacky Schwartzmann

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Chaque roman de Jacky Schwartzmann est un pur plaisir de jouissance, par sa faculté à regarder un pan de notre société par le petit bout de la lorgnette, et toujours avec un humour légèrement cynique. J’adore !

Thibault Morel occupe un poste de CPE dans le collège du quartier de Planoise, dans la banlieue de Besançon. Il loge dans une cité et sa cage d’escalier sert de four au trafic de drogue au clan albanais Mehmeti. Cela ne le gêne pas plus que ça, si ce n’est qu’il doit montrer à Reda une quittance de loyer de moins de trois mois pour rentrer chez luitous les soirs. Et dès qu’il dit un mot, il a droit à une baffe sur l’oreille.

Une nuit, il entend un échange de coups de feu digne des meilleurs westerns. Le lendemain, il apprend que les frères Mehmeti se sont fait rectifier. Poussé par sa curiosité naturelle, il coupe les scellés sur l’appartement d’en face et découvre la réserve de pains de shit cachés derrière la baignoire montée sur vérins, ainsi que des jolis paquets de fric.

Sa voisine Madame Ramla le surprend en pleine visite et ils empruntent quelques liasses de billets. Thibault pourra aider quelques familles à payer un voyage scolaire en Espagne. Mais les deux compères savent bien qu’ils ne peuvent laisser cette fortune dormir sinon un autre clan va venir s’installer. A l’aide d’une connaissance de Madame Ramla, ils vont réembaucher Reda et remettre en route le four, ce qui leur permettra d’aider des familles dans le besoin ; une sorte de deuxième activité à hauts risques.

Comme à son habitude, Jacky Schwartzmann nous décrit des gens dont on n’entend jamais parler, et il déploie tout son talent pour rendre son intrigue bigrement réaliste et transformer un simple CPE en Robin des bois moderne. Il fait montre de son habituel humour cynique qui nous tire au minimum un sourire, et souvent des éclats de rire, dans une situation qui, il faut bien le dire, s’avère dramatique, quand on prend un peu de recul.

Basé sur un début d’intrigue proche de La Daronne de Hannelore Cayre, Jacky Schwartzmann va nous concocter une intrigue bigrement réaliste et farfelue dont le but est bien de montrer comment les gens vivent. Et avec son regard lucide, il ne se gêne pas pour envoyer des piques à tous les corps de métier et tout le monde en prend pour son grade, de l’éducation nationale aux révoltés, en passant par la police ou les racistes de tous poils… et j’en passe.

Et cela aboutit à une lecture jouissive, car il nous montre des facettes et des gens qu’on n’a pas l’habitude de côtoyer ou qu’on n’a pas envie de voir. Evidemment, le roman est amoral et cela reste un roman noir, mais pas uniquement. Il y a derrière cette intrigue tout un aspect social et politique que tout le monde devrait lire car, avec son humour, il pose des questions, et se poser des questions, c’est devenir plus intelligent. Remarquable ! Le pied intégral !

D’ailleurs, ce roman me fait penser à une réflexion de haut vol signée par les Shadocks : « A tout problème, il y a une solution. S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. ». Encore faut-il vouloir trouver une solution …

Shit ! c’est le pied !

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L’affaire Myosotis de Luc Chartrand

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Sorti initialement chez Québec Amérique, L’affaire Myosotis se lance dans une deuxième vie avec une sortie en métropole. Ce roman comporte tous les ingrédients d’un bon thriller politique.

Bande de Gaza, janvier 2009. Les chars se sont massés le long du mur, les bombes pleuvent et malgré cela, Ibrahim Shalabi et ses copains jouent dans la rue. Quand un cortège de véhicules est annoncé, ils s’enfuient en sens inverse. Ibrahim a un don pour croquer des visages et quand sa famille est consignée à domicile par la police, son aptitude l’a servi. Un matin, il observe à travers la fenêtre les policiers s’en aller. Quelques minutes plus tard, un bruit envahit l’espace et la maison est réduite en cendres par un missile.

Israël, 2011. Pierre Boileau, travaillant pour le gouvernement canadien se présente à la porte d’une maison. Il cherche Paul Carpentier, son ancien élève qui est devenu son ami, et qui a abandonné sa carrière de journaliste. Rachel, l’ex-femme de Paul, ne peut le renseigner. Pierre donne ses numéros de téléphone pour que Paul le joigne rapidement. Quelques jours plus tard, le corps de Pierre Boileau est retrouvé criblé de balles.

Trois voitures déboulent à coté d’un terrain de hockey. Les policiers sont à la recherche de Paul Carpentier. Celui-ci est surpris de voir apparaitre sa chef, Sarah Steinberg, qui fait partie des Israéliens qui pensent qu’ils doivent cesser leur occupation de la Palestine. Elle lui annonce la mort de Pierre Boileau et lui demande d’enquêter, à cause de ses liens avec le gouvernement canadien. Quand Paul écoute les messages de son répondeur, il se rend compte que son ami lui a laissé plusieurs messages.  

Situé dans une zone de guerre, en pleine période difficile, l’auteur choisit la forme d’un thriller pour nous concocter une intrigue qui en respecte tous les codes. Ainsi, on y voit passer plusieurs personnages, on va voyager dans plusieurs pays, et on va assister à l’implication de plusieurs niveaux du gouvernement canadien dans le conflit israélo-palestinien.

Pourquoi canadien ? L’auteur étant canadien, il tient à nous montrer comment un gouvernement, le sien, qui a toujours soutenu la cause des palestiniens, se trouve à un tournant l’obligeant à changer sa politique étrangère. Il nous montre l’inextricable situation de cette zone, opposant les va-t-en guerre et les pacifistes à travers de nombreux points de vue et s’en tire plutôt bien.

Car écrire un roman situé dans la zone d’occupation sans être ni dans un camp ni historien factuel est une sacrée gageure. Luc Chartrand nous offre donc un thriller de bon niveau, avec des chapitres courts, une plume agréable, une enquête linéaire en y insérant quelques événements ou situations intéressantes, auquel il m’aura manqué ce petit soupçon d’émotion qui en aurait fait un thriller de haut niveau.  

Les cow-boys sont fatigués de Julien Gravelle

Editeur : Seuil

En ce début d’année, je vous propose une curiosité, qui nous arrive en droite ligne du Québec, dans des contrées glacées où l’auteur a décidé d’y implanter des trafiquants de drogue. On s’aperçoit vite que les bonshommes sont aussi sauvages que la nature qui les entoure.

Rozie a dépassé la cinquantaine et s’est exilé au Québec suite à un événement qui s’est mal déroulé en France. Isolé au milieu des bois, sur les bords du Lac Saint-Jean, il habite une cahute en bois et a aménagé un laboratoire clandestin en sous-sol, pour fabriquer de la méthamphétamine, grâce à sa formation de chimiste.

Une fois les commandes reçues, il s’enfonce dans la terre, équipé de protections pour éviter les substances néfastes et se lance dans la production. Auparavant, il prend soin de ses chiens, qui représentent sa seule compagnie dans ce paysage enneigé. Il voudrait bien passer la main, prendre une retraite méritée mais un événement va bouleverser tous ses plans : son client et chef de gang vient d’être assassiné.

La télévision vient de l’annoncer : un ponte du trafic de drogue vient d’être abattu par une femme, une amérindienne. Là où l’affaire se complique, c’est que la femme qui est recherchée par toutes les polices est sa mère. Enfin, pas vraiment … presque. Rozie s’attend à changer de boss et va se mettre à la recherche de matière première pour une prochaine livraison d’Amphétamine.

Jusqu’à présent, les auteurs écrivant en canadien m’avaient peu attiré à cause de la multiplicité de termes locaux qui, bien souvent, m’obligeaient à me rapporter à une note en bas de page, ou à aller consulter un lexique en fin de roman. Heureusement, ce n’est pas le cas ici, où les termes « locaux » sont peu nombreux et utilisés dans des phrases qui nous permettent de poursuivre sereinement la lecture. 

Les cow-boys sont fatigués est le genre de roman dont la force et la crédibilité tient dans le personnage principal et narrateur. Dès les premières pages, on croit à Rozie, on le suit dans les bars, on apprécie la justesse des dialogues et on adore les événements et imbroglios qui parsèment ce roman. Le fait de ne connaitre que le point de vue de Rozie entre beaucoup dans l’aspect brumeux de son environnement et on se demande avec lui ce qu’il peut bien se passer. D’autant plus que dès le premier chapitre, on garde en tête quelques interrogations qui vont constituer les mystères de l’intrigue et qui vont être levées vers la fin du roman.

L’auteur a mélangé la littérature noire européenne et la littérature polardienne américaine, pour nous offrir un roman à mi-chemin entre réflexions personnelles et rebondissements ; il adopte un style simple et adopte un rythme soutenu non dénué de second degré et évite que l’on ressente de la sympathie pour son personnage. Toutes ces qualités font que cette lecture s’avère passionnante sans que l’on ait une quelconque envie de poser le livre, une très bonne surprise en somme.

Kasso de Jacky Schwartzmann

Editeur : Seuil

Jacky Schwartzmann fait partie des auteurs que j’aime beaucoup pour ses intrigues bien trouvées mais aussi et surtout pour son style cynique qui fait preuve d’une belle lucidité. Il y ajoute ici une remarquable fluidité d’écriture.

Débarquant de Marseille, Jacky Toudic revient dans sa ville natale, Besançon, qu’il déteste presqu’autant que les gens. Car Jacky possède un don, arnaquer les gens, et un outil, sa ressemblance avec Matthieu Kassovitz. Depuis Regarde les hommes tomber, tout le monde rêve de côtoyer cet immense acteur et lui en profite pour leur emprunter (de façon définitive) des enveloppes pleines de liquide pour, soi-disant, alimenter les consommations de café lors de la réalisation d’un film imaginaire.

Son retour à Besançon est lié à sa famille : sa mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer et s’est retrouvée à insulter des jeunes en robe de chambre à deux heures du matin en pleine rue. Le docteur Paul Jeune lui annonce l’ampleur de la maladie et qu’une place en Ehpad va se libérer bientôt. Malgré le ressentiment qu’il ressent envers son prochain, il se retrouve bien obligé de régler cette affaire, ne serait-ce que pour signer les papiers.

Ses parents furent professeurs de philosophie ce qui forge un caractère pour un garçon doué en rien. Quand il se rend à l’Ehpad, il s’aperçoit que sa mère prend Nagui, en train d’animer un jeu de chanteurs, pour son fils et Jacky pour son docteur. Il retrouve son ami d’enfance, Yann, qui fait l’homme automate devant l’église Saint-Pierre. Lors d’une soirée au bar Le Gibus, il retrouve sa bande, Yann, Parrain, et Elder. Comme il doit continuer à faire tourner sa baraque, il va sur Tinder et prend rendez-vous avec une dénommée Zoé …

Jacky Schwartzmann va prendre le temps de quelques chapitres pour nous placer les décors, les personnages et son intrigue. Une fois cela fait, il peut dérouler son histoire d’arnaqueur à la petite semaine … mais attention, il y aura moult rebondissements et, pour certains bien surprenants voire renversants.

De la situation du départ, dramatique, l’auteur annonce le ton : Jacky Toudic préférerait que sa mère soit morte plutôt qu’elle subisse et fasse subir sa maladie. On entre directement dans son ton cynique noir. Comme je l’ai dit au dessus, l’avantage des auteurs comiques, c’est de voir le monde différemment et de faire preuve d’une belle lucidité ; bref, de nous faire prendre du recul par rapport à ce que nous vivons tous les jours, et arrêter de se prendre au sérieux.

Avec ce roman, Jacky Schwartzmann abandonne sa méchanceté, y insère même une dose de sentiments en créant ce personnage de sosie de Kassovitz. Malgré ce qu’il raconte, on ressent de la peine pour lui et sa situation. Mais ne vous y trompez pas, l’auteur va régler son compte à beaucoup de gens, et passer en revue nombre de professions et comportements. Des fans de stars de cinéma prêts à faire n’importe quoi pour les côtoyer, aux médecins, les notaires, le monde du cinéma, les artisans, les gilets jaunes, … tout le monde en prend pour son grade et ça flingue pas mal !

Il n’en reste pas moins que Jacky Schwartzmann fait montre d’une belle fluidité dans le style, se montre moins méchant que d’habitude ce qui donne de la force à son propos, et qu’il démontre une réelle assurance dans le déroulement de son intrigue, ce qui fait de son roman, probablement le meilleur qu’il ait écrit à ce jour … du moins c’est mon avis. Je vous garantis de passer un excellent moment avec cet auteur et avec son roman fort drôle, au second degré

Cinquante-trois présages de Cloé Mehdi

Editeur : Seuil / Cadre Noir

J’avais tellement adoré Rien ne se perd, et quand j’avais rencontré Cloé au salon de Saint-Maur en Poche, elle m’avait dit travailler sur un roman totalement différent, plutôt futuriste. Je ne m’attendais pas à un roman comme ça !

Dans un futur proche, la population occidentale a délaissé l’aspect spirituel de leur vie, et abandonné toute religion. Les rumeurs ou la légende disent que Dieu a alors explosé et donné naissance à une trentaine de divinités. Ces divinités sont réunies et connues sous le nom de La Multitude, et elles choisissent un être humain pour être leur interprète, une Désignée. Outre l’accueil des nouveaux croyants, les Désignés doivent aussi porter la bonne parole et répondre aux sollicitations des médias.

Raylee Mirre est la Désignée du Dieu Dix-Neuf. Quand Raylee Mirre se lève, ce matin-là, elle manque de se prendre les pieds dans le corps de Kyle, allongé mort au milieu de la cuisine. Ses deux colocataires jumeaux, Hector et Adrian, auraient dû faire le ménage avant qu’elle descende. Si Raylee est une Désignée, les jumeaux sont à la fois ses gardes du corps et des Bourreaux au service des Dieux Rouges, les plus violents envers l’Humanité.

A côté de cette permanence de Hondatte, le gouvernement, inquiet de cette mouvance, a mis en place une organisation spéciale pour surveiller la Multitude, l’Observatoire des Divinités. Le lieutenant Hassan Bechry doit en particulier comprendre les disparitions inexpliquées de jeunes gens liés à la Multitude. Pour ce faire, il charge Jérémie Perreira de se faire embaucher pour infiltrer cette mystérieuse organisation de plus en plus influente.

Je pourrais comparer Cloé Mehdi à une équilibriste, avançant sur son câble tendu, quel que soit le décor qui s’étend sous elle, quelle que soit la force du vent qui balaie l’atmosphère. Que ce soit dans le genre de Roman Noir (Rien ne se perd) ou dans le Roman d’Anticipation ici, elle présente notre société avec une franchise et une acuité remarquables, que l’on soit d’accord ou pas avec le propos.

Encore une fois, l’intrigue telle qu’elle est présentée en quatrième de couverture peut faire penser à une charge contre les religions monothéistes. Ce qui n’est pas le cas, loin de là. Avec cette histoire, Cloé Mehdi nous parle de notre société, de ceux qui galèrent avec quelques centaines d’euros par mois et qui n’ont même plus de Dieu pour apercevoir un peu d’espoir. Elle nous parle aussi de racisme, de rejet envers ceux qui ont décidé de vivre autrement, les homosexuels, les transgenres, de la violence sous-jacente, du manque d’humanité grandissante.

Tout le roman repose sur le personnage de Raylee Mirre, jeune femme frêle qui subit son statut de désignée plutôt que d’en tirer une fierté ou un pouvoir. Quand elle reçoit des messages, des visions, elle devient malade, atteinte d’une forte fièvre. Elle ne maitrise pas les éléments ni les événements, ce qui, pour quelqu’un de si sensible devient un véritable arrache-cœur pour elle. Etant noire et homosexuelle, elle subit aussi le rejet, la haine des autres ce qui donne un personnage sans attaches, émotif mais sans rien pour libérer son trop plein de sentiments. Son apparence n’attire pas non plus la sympathie, avec son crâne rasé. Et elle va se retrouver au cœur d’une guerre entre les divinités.

Le scénario peut sembler partir dans tous les sens, mais au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture, on se rend compte qu’il est savamment dosé, et qu’il montre une société en pleine déliquescence et qui perd ses repères. Cloé Mehdi reste fidèle à sa conduite, elle veut parler d’aujourd’hui, des gens qui veulent y vivre et choisir de traiter le sujet de la religion en partant d’une dystopie est une preuve d’intelligence et de lucidité. Ces cinquante-trois présages est un roman inclassable, vrai, lucide, intelligent, philosophique et écrit avec un recul nécessaire et bienvenu.

Indio de Cesare Battisti

Editeur : Seuil

Prévu fin 2019 et reporté deux fois, le dernier roman en date de Cesare Battisti est sorti juste avant l’été. Alors qu’il est plutôt catalogué parmi les auteurs de romans noirs, Cesare Battisti flirte du côté du roman d’aventures historiques.

Direction l’Atlantique, donc, et plus précisément le Brésil, pour ce roman étrange, calme, apaisé. Le narrateur apprend la mort d’un de ses amis par noyade. Indio, puisque c’est son prénom a été retrouvé sans vie alors qu’il pratiquait la plongée sous-marine. Le narrateur va se déplacer à Cananeïa, petit village de pêcheurs, pour assister à l’enterrement et devenir l’héritier légataire d’Indio.

Dans ce petit village, tout le monde regarde les étrangers d’un drôle d’œil. Il ne fait pas bon poser des questions, ou s’intéresser à ce qui s’y passe. La découverte du corps d’un pêcheur n’émeut personne, même s’il porte des traces de liens sur les poignets. Le narrateur va alors se pencher sur des documents que son ami a regroupés et sur une sorte de journal portant sur une période lointaine.

Quelques années avant Christophe Colomb, un savant juif et un pirate musulman auraient débarqué au Brésil et donc découvert le Nouveau Monde avant tout le monde. Cosme Fernandes et Barberousse sont devenus des légendes et auraient peut-être laissé derrière eux un trésor, coulé dans une frégate au large. Les différentes morts seraient-elles liées à une chasse au trésor ?

Dès les premières lignes, on est happé par la belle musique de l’écriture, et par la sensation de calme et de douceur qu’il en ressort. Alors qu’on y parle tout de même de mort (s), cette distanciation fait disparaître l’aspect émotif de l’intrigue. C’est en partie pour cela qu’il est étrange d’avoir sorti ce roman dans la collection Cadre Noir, puisqu’il a peu à voir avec un polar.

On est plutôt dans le genre Roman d’aventures, avec des alternances entre les découvertes du narrateur et les découvertes de nos deux aventuriers et leurs relations avec les autochtones. Il y a un côté agréable dans cette lecture avec des passages hypnotiques, que viennent relever quelques piques mais l’ensemble est plutôt un roman lisse et calme que l’on a plaisir à parcourir.

Et l’écriture est suffisamment convaincante pour semer le doute, à tel point qu’on ne sait plus distinguer la réalité de la fiction. Il est tout de même amusant de se dire que les Amériques auraient été découvertes par un juif et un musulman et non par des catholiques. Cette remarque, par exemple, est glissée l’air de rien au détour d’un chapitre … sans vouloir faire plus de vagues. C’est une lecture qui change de mon quotidien.

Noir comme le jour de Benjamin Myers

Editeur : Seuil

Traductrice : Isabelle Maillet

Je garde un très bon souvenir de Dégradation, le précédent roman de Benjamin Myers, mettant en scène déjà Roddy Mace le journaliste et James Brindle le flic. Je me rappelle d’une ambiance très noire et poisseuse. Pour son deuxième roman, on garde l’ambiance, on garde les personnages et on revient dans cette petite ville du Nord de l’Angleterre sous la pluie continuelle. Pas de quoi vous remonter le moral.

Alors qu’il avait onze ans, Tony Garner a fait une chute dans une carrière et est resté inconscient plusieurs heures. Cette mésaventure l’a rendu benêt et tout le monde en ville lui a affublé des surnoms dus à ses moments d’absence : Tony la Tremblotte, ou Tony le Chauve, ou Tony le Galure ou Tony le Junkie. Car Tony fume des joints pour calmer ses maux de tête.

Depuis qu’il dispose de son propre appartement, il survit en braconnant des lapins qu’il vend au boucher. Ce matin-là, il aperçoit une forme allongée, une femme qui semble endormie. Quand il s’approche, il voit une trace de sang : elle a été égorgée mais bouge encore. Il trouve le couteau, réalisé qu’il l’a en main et décide de le jeter dans une bouche d’égout pour éviter d’avoir des problèmes avec la police.

Roddy Mace est toujours journaliste dans le journal local, le Valley Echo. Il se rend bien compte que son avenir s’assombrit et que s’il ne se bouge pas, il va devoir parler des chiens écrasés pour une bouchée de pain. D’autant que son projet de livre n’avance pas. James Brindle, qui faisait partie du service La Chambre Froide, dédiée aux crimes atroces, a subi les conséquences de l’affaire précédente. De congés maladies à une mise à l’écart, plus personne ne veut le voir. Il déprime dans son appartement d’autant plus que ce métier là, c’est toute sa vie.

Roddy Mace apprend que la femme égorgée s’appelle Joséphine Jenks, une star locale du cinéma pornographique amateur. Maintenant âgée de 50 ans, elle garde des activités chaudes pour ceux qui sont restés ses fans. Cette affaire là peut peut-être lui permettre de rebondir.

J’ai retrouvé toutes les qualités que j’avais appréciées dans le précédent roman : le décor est des plus déprimants, il pleut tout le temps et le vent coupe les jambes continûment. L’auteur va donc passer beaucoup de temps à nous décrire cette petite ville triste, grise, en prise avec un chômage galopant et obligée de faire face à une immigration de plus en plus importante.

On trouve donc une grande part de la population dans les bars, occupés à noyer leur ennui et à se chercher des noises. Quoi de mieux dans ce cas, que de se trouver un bon bouc émissaire ; et Tony Garner en fait un excellent, connu de tous. Même la police le traite de cette façon.

Apparait sur cet environnement cafardeux cette affaire dont les médias vont faire les choux gras, jusqu’au niveau national puisque le Sun va débarquer. Et on trouve dans ce roman une belle charge contre la presse à sensations, mais aussi contre les gens prêts à faire n’importe quoi pour avoir leur petite minute de célébrité.

Donc nos deux personnages principaux vont errer chacun de leur coté, pour se retrouver dans la dernière partie du roman. L’enquête va indéniablement passer au second plan, l’auteur préférant parler de la vie des démunis et délaissés par les mesures gouvernementales de tous bords. Et la conclusion de l’intrigue peut laisser bien dubitatif, même si elle est conforme au sujet que veut aborder l’auteur. Alors, si vous cherchez un roman noir, glauque parlant des gens en situation de survie, pour peu que vous ne soyez pas attaché à une intrigue rigoureuse, ce roman est pour vous.

Ne ratez pas les avis de Velda , Psycho-Pat et Jean-Marc Lahérrère qui ont aimé et Laulo qui est plus dubitative.

L’arbre aux fées de B.Michael Radburn

Editeur : Seuil

Traducteur : Isabelle Troin

On n’a pas tous les jours l’occasion de lire des polars australiens. Quand en plus, on apprend que ce roman est le premier d’une série et qu’il se passe en Tasmanie, cela fait autant de raisons qui justifient que je m’y intéresse.

Taylor Bridges et sa femme Maggie ne se sont jamais remis de la disparition de leur fille Claire, un an plus tôt. D’autant plus que Taylor considère qu’il en porte une part de responsabilité. Leur couple déclinant, il décide d’accepter une mutation en Tasmanie, en tant que Rangers. Peut-être l’éloignement du lieu du drame va-t-il lui être bénéfique. Sa femme décide, elle, de ne pas le suivre.

Taylor Bridges débarque à Glorys Bridge, une petite bourgade en bordure d’une rivière. Le débit de celle-ci a décidé le gouvernement à se lancer dans l’hydroélectricité. En conséquence, la rivière déborde, le niveau de l’eau monte et le petit village en passe de se retrouver sous les eaux. La plupart des habitants ont déjà quitté le village et le rôle de Taylor Bridges est d’assurer la sécurité des gens aux abords du parc côtoyant le lac.

Lors d’une de ses patrouilles, il rencontre une jeune fille de 10 ans, Drew qui traîne aux alentours d’un arbre à la forme bizarre. Elle l’appelle l’arbre aux fées et attend son ami qui va lui montrer les fées. Taylor Bridges décide de la ramener chez elle et rencontre sa mère qui élève sa fille seule. Le lendemain matin, il apprend par le shérif que la petite Drew a disparu dans la nuit. Cette disparition fait douloureusement écho avec son propre passé récent et Taylor va se mêler de l’enquête.

Voilà donc un nouvel auteur à épingler dans la liste des séries littéraires policières à suivre. Même si le sujet semble classique, si le personnage principal porte en lui des cicatrices, que l’on a déjà lu, si l’intrigue est menée avec beaucoup de logique et peu de rebondissements surprenants, il n’en reste pas moins que la fin est bien trouvée, et que l’on y décerne des qualités et des originalités intéressantes.

Après un début que j’ai trouvé poussif, surtout les 2 premiers chapitres, Taylor Bridges devient attachant par sa maladresse. Le fait que l’auteur n’en ai pas fait un policier mais qu’il l’ait placé en périphérie de l’enquête permet de le montrer dans toute sa maladresse. Et surtout, il veut résoudre cette affaire, retrouver Drew mais il agit sans méthode. Du coup, il en devient plus attachant et tout ce qui lui arrive va nous toucher profondément.

Autour de ce personnage principal, il y a le décor inédit de la Tasmanie, son climat rigoureux et ses paysages enchanteurs. Si l’on ajoute à cela l’eau qui monte et qui fait disparaître le village, si l’on ajoute les habitants habitués à passer leur vie dans leur maison à cause du climat, on se retrouve avec une ambiance remarquablement bien rendue et qui accompagne ce roman à la fin très bien trouvée.

Justement, parlons-en de la fin. Contrairement à beaucoup de romans inaugurant une série, la fin se positionne souvent avec des points de suspension, voire avec les A suivre … Ce n’est pas le cas ici, puisque l’auteur nous offre une vraie fin. Et comme on a pris un vrai plaisir à arpenter les collines de Tasmanie, on prendra plaisir à retrouver Taylor Bridges dans une prochaine aventure.

Les enchainés de Jean-Yves Martinez

Editeur : Seuil

On n’avait pas de nouvelles de Jean-Yves Martinez depuis 2008 et Le fruit de nos entrailles. Plus de dix ans après, voici un roman original autant que mystérieux, qui propose sans imposer plusieurs sujets de réflexion.

David Sedar Ndong débarque dans un petit village du Vercors, Hauterives. On n’a pas l’habitude de voir débarquer des noirs dans ce coin là, et Sedar est Sénégalais. Il entre dans le bar du village et demande après Denis Vignal. On le regarde de travers, on lui demande ce qu’il leur veut, aux Vignal. David Sedar Ndong leur répond qu’il doit rapporter à Denis Vignal un pendentif qu’il lui a confié quand il était là-bas.

La maison des Vignal est isolée du village, placée sur une colline, juste à coté d’un étang. C’est Diane qui accueille Sedar, la femme de Denis. Quand il demande après lui, elle lui annonce que Denis a disparu. Mais avec la température négative, la neige qui recouvre les sols et le peu de vêtements qu’il a sur le dos, elle lui propose d’entrer se réchauffer. Commence alors une quête : celle de comprendre où est Denis, ou peut-être s’agit-il de savoir qui est Denis ?

Si l’intrigue tient sur un post-it, la façon de le traiter est bien originale, toute en finesse et en suggestions. Entre l’ambiance bien particulière imposée par un décor de moyenne montagne enneigée, au milieu des forêts sombres et inquiétantes, il n’est pas sur que la maison de Diane soit le refuge idéal.

Et la question que se posent les personnages reste la même tout au long du roman : Où est Denis ? Qui est-il ? Puis, petit à petit, par les réactions de Sedar et Diane, on se demande qui ment ? Qui manipule qui ? C’est le genre de roman à propos duquel on pourrait imaginer un millier de fins mais certainement pas celle que nous propose Jean-Yves Martinez, après qu’il nous ait franchement mis mal à l’aise.

Et puis, il évoque, plus qu’il creuse, les thèmes du racisme des gens du village qui n’ont jamais vu un étranger, mais aussi les ONG, les volontaires qui, à force de côtoyer la misère, se posent la question de l’utilité du don de leur temps et de leur vie, voire même l’honnêteté intellectuelle de chacun, et donc de leur hypocrisie.

Je ne suis pas sur d’avoir bien compris là où voulait en venir l’auteur, mais il tire quelques traits sur sa toile, nous laissant y réfléchir sans donner de clés, tout en concoctant une fin inattendu, dans un roman original de bout en bout. On aime ou on n’aime pas.

Ne ratez pas les avis de Nyctalopes, Claude Le Nocher et Jean Marc qui n’a pas aimé.

La chronique de Suzie : Lola, Cheffe de gang de Melissa Scrivner Love

Editeur : Seuil

Traducteur : Karine Lalechère

Suzie est de retour pour vous parler polar. C’est plutôt une bonne idée avec les fêtes de fin d’année qui approchent … Je lui laisse la parole :

Bonjour amis lecteurs. Me voici de retour à la surface pour vous parler d’un premier roman intitulé « Lola », cheffe de gang.

En lisant la quatrième de couverture, on apprend que l’auteur est aussi scénariste pour des séries policières tels que « CSI Miami » ou « Person of Interest ». J’ai trouvé cela prometteur et je me suis donc lancée dans cette lecture.
Le synopsis est assez simple. Une jeune femme faisant partie d’un gang de latinos de Los Angeles, ne semble pas être autre chose que la compagne du chef. Mais, les apparences sont trompeuses car c’est elle la tête pensante et la personne qui donne les ordres. Lors d’une descente qui aurait pu augmenter la notoriété de son gang, tout foire et Lola va devoir s’investir encore plus pour éviter de perdre sa tête.
L’histoire est racontée du point de vue de Lola, de ses problèmes, de son vécu. On est immergé dans la vie quotidienne d’un « petit » gang de quartier mais aussi des différents codes dans ces quartiers où chacun essaie de survivre à sa façon. Ce sont des zones de non droit où le communautarisme est roi, où tout n’est qu’apparence. Chacun a une place bien définie qu’on soit un homme ou une femme. Une bonne partie des problèmes de la Société est représentée dans ce microcosme que ce soient la drogue, la prostitution, la violence familiale, la pédophilie, … Le décor tel qu’il est planté est déprimant car les personnes ne devraient pas vouloir plus que ce à quoi elles peuvent accéder. Mais, pour certains, cela n’est pas suffisamment et ils feront tout pour se battre.
Au niveau des personnages, celui qui prédomine est celui de Lola. Elle est définie comme une personne que les hommes sous-estiment à cause de plusieurs critères mais surtout parce que c’est une femme et donc considérée comme négligeable. Au fur et à mesure de l’avancement de l’histoire, l’auteur va nous apprendre un certain nombre de choses sur son passé et son arrivée à la tête du gang.
C’est une personne réfléchie qui essaie d’avoir un certain code de l’honneur au sein de son activité. Elle assume toutes ses décisions bien que, parfois, elle aimerait pouvoir s’appuyer sur quelqu’un. Elle n’hésite pas à se salir les mains si besoin et elle a un énorme problème vis-à-vis de sa mère. Enfin, comme elle est obligée de cacher son rôle de chef, elle donne une apparence lisse qui la ronge de l’intérieur.
Tout au long de l’histoire, c’est la voix de Lola qu’on écoute et qui nous explique les problèmes dans lesquels elle se trouve, les relations qu’elle peut avoir avec son entourage, … Les autres personnages principaux sont composés des membres de son gang, que des hommes, de sa famille proche avec qui elle a une relation très particulière et conflictuelle ainsi qu’une petite fille qui va lui donner le courage de penser à un avenir différent. Parmi les membres du gang, deux protagonistes masculins vont être mis en avant car ils ont des interactions spécifiques avec Lola. Les autres seront plutôt des stéréotypes venus étoffés l’intrigue.
Enfin, l’intrigue ressemble à celle qu’on peut trouver dans un épisode de série. Ce qui est compréhensible lorsqu’on connait le métier de l’auteur. Les informations qui ont permis d’arriver à la situation initiale, vont être distillées au fur et à mesure de l’avancement de cette dernière pour donner plus de poids à la situation dramatique dans laquelle se trouvent les protagonistes. Comme pour montrer que les apparences jouent un rôle important dans cette histoire, l’auteur va jouer avec des voiles qui vont servir à obscurcir ou dévoiler certains pans de vérité. Comme dans un épisode de série, l’intrigue va se précipiter à la fin et éclaircir la situation pour qu’on puisse la comprendre.
Lorsque j’ai commencé à lire cette histoire, bien que je trouvais que le synopsis était prometteur, j’ai eu beaucoup de mal à m’identifier aux personnages. Je ne comprenais pas où l’auteur voulait en venir. Il a fallu que je m’accroche à l’intrigue pour commencer à trouver cela intéressant. Puis au fur et à mesure des chapitres, la personnalité de Lola se dévoile, les problèmes s’amplifient et se complexifient. On ne sait plus où donner de la tête tellement il y a d’informations contradictoires.
Finalement, c’est un roman qui m’a beaucoup intéressée. Qui n’est pas à mettre entre toutes les mains plus pour son contexte sociétal. J’attends d’avoir un deuxième livre de l’auteure pour avoir un avis définitif. Mais, si vous aimez lire les scénarios de série, ce livre devrait vous intéresser. Sur cela, je vous abandonne à vos lectures. Je pense que je vais rester à la surface un petit moment.Il y a des choses intéressantes qui se profilent. A bientôt