Archives du mot-clé Soldat

Skaer de Philippe Setbon

Editeur : Editions du Caïman

Philippe Setbon fait partie de ces auteurs capables de vous emmener dans des scénarii prenants, toujours portés par des personnages forts auxquels on croit d’emblée. Il ne faut pas rater Skaer !

Skaer a acheté et retapé une petite cahute juchée sur une colline en plein pays basque, du côté d’Ilbaritz. En contrebas, se tient une belle demeure, dans laquelle vient d’arriver une famille. Toujours à l’affut, il observe le mari qui semble énervé. En descendant prudemment et sans faire de bruit, il entend le mari frapper sa femme et lui intimer de ranger la maison, avant de s’en aller en ville.

Stéphanie est en train d’éponger le sang qui coule de son nez quand Skaer entre dans la propriété. Il n’a jamais apprécié que l’on s’en prenne à une femme. Il conseille à Stéphanie et Celestia, sa fille adolescente, de ne pas s’inquiéter. Son mari ne la violentera plus, il en fait une affaire personnelle. Derrière sa barbe qui cache des cicatrices, Skaer devrait faire peur mais il dégage une aura de confiance.

Skaer s’introduit dans la chambre d’hôtel du mari. Quand ce dernier rentre, il lui met le marché en main : ne plus avoir aucun contact avec sa femme et sa fille. Comme il refuse, Skaer le tue et maquille le meurtre en accident. Pour le lieutenant Paul Burgonges, l’accident ne fait aucun doute. Lorsqu’il annonce le drame à Stéphanie, il rencontre Skaer. Les deux hommes se trouvent un objectif commun, trouver le tueur d’enfants qui a déjà fait cinq victimes.

Je ne vais pas tourner autour du pot, ce roman est un petit bijou de polar. La fluidité du style de l’auteur n’est plus à démontrer, son talent à bâtir des intrigues costaudes non plus. Mais il me semble qu’il a mis beaucoup d’application dans la construction de l’intrigue qui est tout simplement remarquable et qu’il n’a laissé aucune zone d’ombre en ce qui concerne le passé des personnages et leur psychologie.

Stéphanie peut apparaitre comme la victime, et Skaer comme le sauveur, le chevalier. Mais c’est surtout le personnage de Celestia qui crève l’écran, tant elle prend de l’ampleur au fur et à mesure de l’intrigue au point de voler la vedette à Skaer. Cette gamine apparait comme une battante, elle soutient sa mère, se montre d’un courage proche de l’inconscience et elle est bigrement attachante. Skaer est construit comme un personnage plus classique. Il est présenté comme un barbouze, un soldat déserteur, capable de revêtir différentes identités, de se fondre dans l’ombre et d’être sans pitié quand il le faut. Enfin, Burgonges aurait pu être le niais dépassé par les événements mais l’auteur l’a voulu comme le complice de Skaer … et je ne vous en dis pas plus.

A construire son roman comme il l’a fait, on imagine sans mal cette histoire adaptée au cinéma, tant l’écriture est visuelle, le scénario remarquable, le découpage des scènes implacable et les dialogues savoureux et évidents. Toutes ces qualités font de ce roman un divertissement très haut de gamme, le genre de polar dont vous souviendrez longtemps tant vous y aurez trouvé du plaisir à sa lecture.

Au passage, la photographie en couverture est superbe.

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La forêt des silences de Serge Brussolo

Editeur : H&O

L’année dernière, je découvrais avec beaucoup de plaisir Le cavalier du septième jour. Je me suis donc plongé avec envie sur ce nouveau roman, qui nous propose une plongée dans une forêt mystérieuse entourant un village qui ne l’est pas moins.

Le lieutenant J.T.Eldrick s’enfonce dans la plaine, pour rejoindre la citadelle. C’est son tour de garde, il doit surveiller la forêt alentour, silencieuse au point de ne percevoir ni bruits d’animaux ni chants d’oiseaux. Ancien vétéran du Vietnam, il s’est retiré dans le village de Hag’s (dont le vrai nom est Hairless Hag’s taffies, littéralement Les caramels de la vieille sorcière chauve).

Arrivé à son poste de garde, il monte dans la tourelle et surveille tout mouvement. Il sait très bien qu’il ne se passera rien avant la nuit. Ayant somnolé quelques minutes, il se réveille en pleine nuit ; un bruit l’a surpris. Effrayé par ce qu’il pourrait voir, il se terre et n’ose jeter un coup d’œil. Au petit matin, il trouve au pied de la citadelle un gâteau recouvert d’une crème qui ressemble à du sang coagulé. Dedans sont plantées trois bougies. Les bûcherons, êtres mystérieux qui habitent la forêt, réclament trois morts en offrande.

Naomi, jeune journaliste paranoïaque, enfile les kilomètres dans sa vieille voiture. Son patron, le richissime Bertram Aloysius Sweeton, propriétaire des éditions Sweeton& Sweet lui a demandé de retrouver son auteur phare Barney Lambster. Lambster a reçu une confortable avance pour écrire la biographie du juge Hooter et il ne donne plus de nouvelles. Il se serait rendu à Hag’s, ville que le juge Hooter a créée en 1867, en devenant le maire, le shérif, le juge et le bourreau.

Une nouvelle fois, je me suis laissé prendre par ce roman qui vous prend à la gorge dès les trois premiers chapitres. Le premier s’avère angoissant et mystérieux à souhait ; le deuxième est consacré à Naomi, dont on apprendra le passé par la suite ; et le troisième se consacre à l’accueil de Naomi par Ruth, la mairesse adjoint, qui va lui édicté les règles prévalant à Hag’s. On apprend donc que ce village ne bénéficie d’aucunes technologies, vivant en totale autarcie avec des règles de bonne conduite obligatoires. Très vite, Naomi a peur qu’on ne puisse jamais repartir de ce village.

Puis l’imagination de l’auteur nous prend par la main, dans des directions que l’on ne s’attend pas à lire. Inexorablement, la tension monte face aux événements et l’intrigue se transforme en sorte d’Escape Game, avec en parallèle le choix des trois victimes qui seront offertes en offrande. Mais ne croyez pas que cette histoire est aussi simple qu’il n’y parait. Car vous serez surpris par la tournure que prend ce roman.

D’un abord facile, écrit simplement, ce roman se veut un divertissement et il remplit largement son rôle. Relativement court, avec des chapitres d’une dizaine de pages, on passe d’un personnage à l’autre en passant par tous les sentiments, car Serge Brussolo sait parfaitement manipuler son lectorat.  Voilà un roman très divertissant qui vous fera passer quelques bonnes heures de lecture.

La marche au canon de Jean Meckert

Editeur : Joëlle Losfeld éditions

Suite au formidable Nous avons les mains rouges, à qui j’ai décerné un Coup de cœur, j’ai décidé de lire les rééditions de Jean Meckert dans l’ordre. J’ai eu des difficultés à trouver La marche au canon, puisqu’il semble qu’il soit épuisé. Etant donné la qualité de ce texte, je lance un appel pour qu’il soir réédité. Car ce texte parle d’une période peu abordée dans la littérature, la débâcle de 1940 vue par un soldat.

Le 3 septembre 1939, la France déclare la guerre à l’Allemagne. N’écoutant que sa loyauté et son devoir envers son pays, Augustin Marcadet laisse derrière lui sa femme Emilienne et sa fille Monique et s’engage dans cette guerre qui ne devrait pas durer très longtemps. La réunion des appelés ressemble à ce qu’il attendait, un regroupement de jeunes gens volontaires, prêts à en découdre même s’ils ne sont pas au fait du maniement des armes.

Puis le transport vers le front de l’est commence. Le trajet se déroule dans un wagon à bestiaux, comme si on les menait à l’abattoir. On leur donne à peine de quoi manger ou boire, et les jeunes gens ne voient que rarement la lumière du jour. Il semblerait que les Allemands aient peur de nous puisque les combats n’ont pas commencé. Même si les conditions de transport sont horribles, la motivation l’emporte.

Arrivés, stockés dans une caserne de l’est de la France puis dans un tunnel, à Egelzing, le combat espéré se transforme en une attente interminable. Bien qu’Augustin pense à sa famille qu’il a laissée derrière lui, il arrive à oublier cette situation en jouant avec les copains au poker. Les blagues potaches, la bonne humeur ambiante permet de passer l’hiver rigoureux, froid, humide au fond de ce tunnel.

L’ennui fait place aux reproches, puis à la peur quand les premiers coups de canon se font entendre. Les informations disent que les Allemands sont passés par le Nord, qu’ils sont encerclés. Les ordres sont contradictoires, venant des officiers qui ont déserté la place rapidement. Devant l’absence de stratégie et de direction, il faut sauver sa peau. Peu à peu, le devoir fait place à l’incompréhension, à l’urgence, à la rancœur puis à la haine des hauts gradés.

A ma connaissance, personne n’a jamais écrit sur cette période en se plaçant à l’intérieur des troupes, en plein sur le front. L’auteur ayant vécu tous ces événements, il décrit simplement ce qu’il a vu, entendu, ressenti, pensé de l’innocence jusqu’à la haine de la guerre. Car finalement, les soldats ne sont-ils pas juste de la viande que l’on envoie à la boucherie ? Sans être frontalement antimilitariste, ce superbe texte montre l’absurdité de la guerre et le cheminement psychologique d’un homme arrivé a bout de ses illusions.

Ce texte inédit de Jean Meckert, formidablement préfacé par Stéphanie Delestré et Hervé Delouche devrait être lu, étudié par toutes les générations de tous les pays. Car il fait preuve d’une justesse, d’une simplicité, d’une rage contenue et d’une émotion touchante. Ce texte démontre combien l’humanisme doit l’emporter face à la barbarie et à l’idiotie.

Des poches pleines de poches – Spécial 813

Voici le retour de cette rubrique consacrée aux livres au format poche. Cette fois, nous allons passer en revue des titres finalistes pour le trophée 813, l’association des amis des littératures policières. Je vous rappelle les finalistes de cette année, dont la liste est disponible sur le blog de l’association ici : http://www.blog813.com/2020/05/les-813-ont-vote.html.

Rejoignez-nous vite à 813 qui regroupe autant de passionnés que d’auteurs.

Nuits Appalaches de Chris Offutt

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons

Tucker revient de la guerre de Corée et rentre chez lui, dans le Kentucky. Sur la route, il tombe sur une bagarre entre un homme d’une cinquantaine d’années et une jeune femme. Apparemment, il veut la violer. Tucker intervient et sauve Rhonda. Elle vient de perdre son père et c’est son oncle que Tucker a neutralisé. Cette rencontre fortuite va les rapprocher. Ils vont se marier et dix ans après, se retrouveront avec 5 enfants, dont quatre avec des malformations. Alors que Tucker fait du transport d’alcool de contrebande, les services sociaux de l’état envisagent de leur enlever leurs enfants.

Chris Offutt revient à la littérature après une longue absence, pour nous conter la vie de ce jeune couple sur une période d’une quinzaine d’années. On suit avec plaisir cette plume magnifique, à la fois sèche et tendre, directe et lyrique, en fonction de ce qu’elle raconte. L’auteur choisit une écriture factuelle, béhavioriste quand il parle des actions humaines et se permet des envolées magiques quand il évoque la nature. Il place d’emblée une antinomie entre le calme de la végétation et l’excitation humaine.

C’est aussi l’évocation d’une famille pauvre, cherchant à créer une famille et à élever leurs enfants, et dont les événements malheureux qui leur arrivent viennent systématiquement de l’extérieur. Tucker apparaît alors comme un père de famille responsable, prêt à flirter avec la délinquance pour défendre sa famille et Rhonda une mère aimante de son mari et de ses enfants. Si la psychologie est simplissime, le ton n’est pas au jugement, l’histoire se révèle belle, formidablement bien racontée et rappelle de grands auteurs tels Steinbeck ou Hemingway (parmi ceux que je connais).

De bonnes raisons de mourir de Morgan Audric

Editeur : Albin Michel (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

A Pripiat, en Ukraine, non loin de Tchernobyl, le cadavre d’un homme est découvert par un groupe de touristes, suspendu à la façade d’un immeuble. L’identité du mort, Leonid Sokolov, fait apparaître qu’il est le fils d’un ancien ministre soviétique. Le capitaine de police Joseph Melnyk va être chargé de l’enquête, aidé par sa subordonnée Galina Nowak, tout juste sortie de l’école de police. En parallèle, Alexandre Rybalko est contacté par le père et, moyennant finances, il accepte de trouver le coupable et de le tuer. Les deux policiers, Melnyk et Rybalko vont arriver à la même déduction séparément : ce meurtre est lié à celui de sa mère, Olga Sokolov, survenu en 1986, le jour de l’explosion de la centrale nucléaire.

Étiqueté (à mon avis à tort) thriller, ce polar / roman policier vaut plus que le détour tant la façon de plonger le lecteur dans un monde inconnu est fascinante. Pour le côté thriller, il y a peu de scènes sanguinolentes, à part la découverte du corps et son autopsie. Par contre, du côté de la vie des Ukrainiens, ce roman est une mine d’informations et à ce titre, on apprend plein de choses et cela en devient passionnant.

On pardonnera bien volontiers la présentation des deux personnages principaux, pleine de clichés, Melnyk étant un flic droit, cinquantenaire, débonnaire, lourdaud mais efficace, doté d’un sens de l’observation aigu et d’une loyauté sans faille envers son travail, Rybalko étant condamné par un cancer, alcoolique, divorcé, déprimé, mais redoutablement efficace.

Par contre, lors des méandres des deux enquêtes, l’auteur va aborder la vie quotidienne des Russes et des Ukrainiens, la corruption, la peur ancestrale et datant du communisme de l’échec, le règne de l’argent, l’impunité des politiques véreux, les rapports de force entre les habitants, et aussi la vie disparue des environs de la centrale, la folie et la curiosité malsaine des touristes, la nature qui revit dans un environnement létal, les luttes des écologistes pour faire entendre leur voix, la désorganisation sur le terrain d’une société qui veut se montrer irréprochable, les violences conjugales qui sont « normales » chez eux, …

Ce roman est une véritable réussite, que l’on n’a pas envie de lâcher tant chaque page nous apporte une nouveauté, aussi bien sur la vie dans cette zone aujourd’hui, que ce qu’il se passait à l’époque du KGB, où on pouvait torturer quelqu’un tant qu’il n’avait pas avoué, car l’aveu est la seule chose qui comptait. Je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur ce roman tant l’immersion est totale et le dépaysement garanti. Un excellent polar.

Surface d’Olivier Norek

Editeur : Michel Lafon (Grand Format) ; Pocket (Format poche)

La capitaine Noémie Chastain reçoit de la chevrotine en pleine tête lors d’une intervention visant à arrêter un trafiquant de drogue. Défigurée, elle va subir de nombreuses opérations chirurgicales ainsi qu’un suivi psychologique du docteur Melchior. Quand elle sort de l’hôpital, personne ne veut d’elle, ni sa hiérarchie, ni son compagnon Adriel. Le compromis se trouve dans une mission au fin fond de l’Aveyron, à Avalone, où elle doit observer l’activité du commissariat en vue de diminution de budget. Bientôt, un fût dans lequel dort le corps d’un jeune garçon remonte à la surface d’un lac. Noémie apprend alors que l’ancien village a été noyé pour créer un barrage. C’était en 1994, 25 ans auparavant.

Les premières pages de ce roman, les 70 premières pour être précis, sont totalement prenante et fascinante, à la fois d’un point de vue psychologique, que d’émotion retenue. La descente pour enfermer Sohan, trafiquant de drogue sans scrupules, tient en un chapitre. Et le retour de Noémie Chastain à la vraie vie est d’une justesse qui m’a fait réaliser le drame qu’elle a subi. Justesse que l’on retrouve quand elle change de prénom, passant de Noémie à No. Justesse encore quand le fût rempli par un cadavre fait surface, créant un parallèle entre le visage à moitié défiguré et le village englouti, entre la part visible de Noémie et sa par d’ombre qui ne s’accepte pas.

Et puis, il y a cette enquête, cold case vieux de 20 ans, qui est bien menée, qui possède un scénario fort bien trouvé, mais qui perd à mon gout, sa justesse, son efficacité du début. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. C’est un très roman policier, les pistes ne sont pas nombreuses, l’intrigue avance avec difficulté, les suspects ne sont pas nombreux mais tous potentiellement coupables. Tout y est bien fait. J’ai juste eu l’impression qu’Olivier Norek en rajoutait alors que cela n’était pas utile. Du coup, ce roman sera pour moi un très bon roman policier au lieu d’être un coup de cœur.

Chien de guerre de Jérémy Bouquin

Editeur : Editions du Caïman

L’année 2020 commence bien avec le dernier roman en date de Jérémy Bouquin, auteur que je suis depuis un certain temps déjà. Si le style est toujours aussi direct, le sujet est inédit et rappelle certains autres ouvrages traitant de ce sujet, dont Premier Sang de David Morrell, à savoir, le retour des soldats à la vie « normale ».

« Grand » Franck, surnom donné à cause de sa taille, est de retour au pays, abandonné dans ce train Corail qui ne transporte que quelques âmes égarées comme lui. Cela fait bien longtemps qu’il n’a pas connu un calme pareil, transbahuté du Pakistan à la frontière de l’Afghanistan, à la France via l’Allemagne. Sanctionné, puni, viré, c’est le poids qu’il doit se trimbaler en plus de son barda, après une dizaine d’années sur les champs de guerre mondiaux.

Grand Franck revient donc à la case Départ, plus de dix ans après, chez sa mère Gisèle. Il y retrouve Cynthia sa femme, et son petit garçon Léon. Le décalage le frappe de plein fouet : d’exécutant, il se retrouve chargé de famille. Et la confrontation est d’autant plus violente qu’il se sent incapable d’occuper la place que ses proches attendent de lui. Sa première mission va être d’aller chercher du travail à Pôle-Emploi.

Pour ceux qui connaissent Jérémy Bouquin, ils ne seront pas surpris par son style direct, qui claque, à coups de mots, de phrases courtes. Pour les autres, il va falloir vous y habituer. Et si ce style sied peu au début du roman, que j’ai trouvé un peu poussif, il convient parfaitement à toute la suite de l’histoire. Et surtout au retour au pays de ce soldat et à la violence qu’il va subir et faire subir.

Le sujet est donc le retour des enfants de la patrie dans son giron, et le manque d’infrastructures ou d’accueil pour eux. Mais il s’agit aussi et surtout de plonger dans la psychologie d’un homme marqué à vie par ce qu’il a vécu sur le front, et de sa descente inéluctable aux enfers, un enfer pire encore que la guerre. Au passage, on s’apercevra vite que si on n’a pas de relations, on ne s’en sort pas, et la conclusion de ce roman nous laissera un goût amer comme je les aime.

Car il ne faut pas croire que ce polar est fait que l’on s’apitoie sur le sort du Grand Franck. Jérémy Bouquin n’est pas un homme à messages mais un homme à personnages. Et ce Franck-là, on va avoir bien du mal à l’oublier, tant il va verser dans une folie incroyablement violente et tristement réaliste. Il y a une tension qui s’installe, une pression qui augmente jusqu’à cette fin qui ne ressemble pas à un feu d’artifice mais plutôt à une exécution en règle, comme une peine capitale. Vous ne comprenez pas ce que je veux dire ? C’est normal, c’est pour vous inciter à lire ce roman !

Missing : Germany de Don Winslow

Editeur : Seuil

Traducteur : Philippe Loubat-Delranc

On avait rencontré Fanck Decker dans sa première enquête Missing : New York, un polar musclé introduisant un personnage humain qui recherche des personnes disparues. Le voici de retour dans une deuxième enquête tout aussi musclée.

Franck Decker a connu Charlie Spraghe en Irak, où ils ont combattu ensemble. En tant que Marines, ils se sont promis de s’entraider toute leur vie. Quand Decker reçoit un coup de fil de Spraghe, disant : « Kim a disparu », il accourt à Miami. Charlie Spraghe a fait fortune dans l’immobilier, sa fortune se compte en milliards de dollars. Kim était partie au centre commercial de Merrick Park Village, et elle n’est pas revenue.

Decker et Spraghe se donnent rendez-vous là-bas. Ils trouvent la voiture de Kim mais il n’y a rien dedans, ni papiers, ni téléphone portable. Pas de trace de lutte à l’extérieur. Le centre commercial étant fermé, ils font le tour des bars mais personne ne se rappelle d’une superbe jeune femme blonde. Même sa meilleure amie Sloane ne sait pas où elle est. Une seule solution : contacter les flics. Ils tombent sur le sergent Dolores Delgado.

Decker déroule donc ses recettes : Vérifier les débits sur ses cartes de crédit, le contenu de son ordinateur, mais il fait chou blanc. Spraghe demande alors à Decker de la chercher. Il fouille la chambre de Kim mais ne trouve rien. Dans la salle de bain, il voit quelques traces de sang sur le carrelage. Après s’être assuré que Spraghe n’a pas frappé sa femme, Decker appelle Delgado. Direction le poste de police pour un interrogatoire en règle. Quelques heures plus tard, un corps est signalé.

Je ne peux que vous donner deux conseils qui n’en fait qu’un : courez chez votre libraire préféré pour acheter ce roman et surtout, surtout, ne lisez pas la quatrième de couverture ! Car je trouve qu’elle en dévoile beaucoup trop, et qu’elle dessert la qualité de narration de cette enquête. Car le mot d’ordre est clairement : Vitesse et action. Le maigre résumé que je viens de faire couvre à peine les cinquante premières pages. C’est vous dire si vous allez trouver de nombreux événements tout au long de ces 310 pages.

Vitesse disais-je. Les chapitres dépassent rarement 5 à 6 pages, le style est rapide fait de phrases courtes. Et tout se tient : chaque phrase en appelle une autre, les dialogues claquent. Nous sommes en présence d’un auteur qui clairement maîtrise son genre, et qui ne se prive pas de raconter une histoire contemporaine avec tous les ingrédients qui ont fait le succès des enquêtes de détective privé.

Et puis, on ne peut rester insensible devant Decker et ses cicatrices, ses souvenirs de la guerre, ses regrets d’avoir raté sa vie privée, et sa loyauté envers ses amis mais aussi envers ses propres promesses. On va y trouver ses scènes d’action, extraordinaires cela va sans dire, mais aussi des scènes plus poignantes. On y trouve aussi certaines remarques par moments telles que « les riches n’ont pas de problèmes aux Etats Unis » ainsi que d’autres sur les maltraitances des femmes dans les campagnes.

On peut voir Decker comme un justicier moderne, n’hésitant pas à utiliser tous les moyens pour arriver à ses fins. Avec cette enquête, c’est aussi un témoin lucide qui n’est pas étonnant de voir que tout se vend, même l’impensable. Alors, accrochez vous, le cru 2018 de Don Winslow est très bon, impossible à lâcher. Ce n’est pas au niveau de La griffe du chien ou Cartel, mais c’est un roman d’action que l’on peut placer sans rougir au dessus du panier.

Ne ratez pas les avis de Jean-Marc et Black Cat

 

Corrosion de Jon Bassoff (Gallmeister-Neonoir)

Décidément, cette nouvelle collection Néonoir a le don de dénicher des auteurs différents, pas comme les autres. Avec Jon Bassoff, dont Gallmeister nous présente le premier roman, vous allez plonger dans un cauchemar, celui de la vie, celui d’aujourd’hui.

Ce roman est construit en deux parties de 100 pages environ. La première se passe en 2010, la deuxième en 2003. Deux parties, deux personnages qui vont se rencontrer jusqu ‘à la conclusion apocalyptique.

Joseph Downs est un ancien Marines qui est revenu d’Irak défiguré. Il arrive aux abords de Stratton, petite ville entourée de derricks et de silos en perdition. Le moteur de son pick-up vient de lâcher. Il parcourt les quelques centaines de mètres qu’il lui reste à faire, et entre dans un bar pour boire un coup. Un couple entre, une jeune femme belle et un vieux bonhomme. Le vieux l’insulte, la malmène et lui tire violemment les cheveux. Joseph intervient et tabasse le vieux. Puis il décide de se trouver un hôtel. La jeune femme décide de le suivre. Elle s’appelle Lilith et le vieux est son mari. Elle a bien tort de jouer avec le Diable.

Benton Faulk a 16 ans. Ses parents sont quelque peu perturbés car la mère se meurt d’un cancer. Le père élève des rats dans la cave en espérant trouver le Rat-Christ qui sauvera sa femme. Alors Benton s’invente des histoires avec un personnage nommé le Soldat. Quand sa mère meurt, son père décide de garder le corps de sa femme dans leur chambre. Son beau-frère s’en aperçoit, et fait enfermer le père. Il récupère aussi la garde de Benton. Mais on ne joue pas avec le Diable.

La première partie est plutôt classique avec tout ce que j’aime dans les polars américains : cette efficacité, cette économie de mots qui font que l’action coule en fonction des événements et que l’univers de cette partie désolée des Etats Unis est si noire et si stressante. Mais ce roman ne s’arrête pas là. On passe à une deuxième partie où tout change : le personnage principal devient un jeune adolescent marqué par son éducation et son environnement familial. Il passe de passages délirants en passages violents, se fait sa propre vie en s’alimentant de ses propres histoires imaginaires.

Les deux parties sont écrites à la première personne mais malgré cela, nous avons à faire avec deux styles bien différents, deux univers différents. Dans les deux cas, on y rencontre des gens paumés, des gens simples qui se retrouvent face à quelqu’un qui va bouleverser leur vie. Dans les deux cas, la vie n’a pas de but, la religion est bien présente mais ce coin paumé des Etats Unis a perdu toute notion de morale.

Et c’est bien là que le roman fait mal, très mal. L’écriture de Jon Bassoff est prenante, incroyablement hypnotique, à tel point que l’on n’a plus l’impression de lire une histoire, mais bien de plonger dans des psychologies de grands malades ; c’est extrêmement violent dans le propos, sans être sanguinolent, et c’est surtout incroyablement addictif. Je me suis aperçu avoir ressenti du plaisir de plonger dans une psychologie de malade, de plonger dans le Mal, et j’ai aimé ça. Clairement, ce roman va en déranger plus d’un et est amené à devenir un livre culte. C’est en tous cas un premier roman d’une force rare, un premier roman impressionnant.

Un grand merci à Coco pour le prêt et sans qui ce blog n’existerait probablement pas.

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