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Un accident est si vite arrivé de Sophie Loubière

Editeur : Pocket

Ce recueil de nouvelles possède tous les ingrédients pour en faire un plat de choix. Alors qu’elles ne dépassent que rarement quatre pages, ces scènes quotidiennes ont l’avantage de présenter des personnes de tous les jours face à leur destin, se dirigeant vers une chute, la plupart du temps, funeste et dramatique. J’ai beaucoup apprécié la simplicité du style mais aussi la méticulosité à résumer une vie en quelques lignes et à décrire un décor en quelques adjectifs. Et puis, on y trouve quelques joyaux bien jouissifs, bien noirs. Mais, trève de plaisanterie, voici mon avis sur ces histoires noires :

Cuisine italienne : Roberto Danza tient une pizzeria. Monique est sous la douche. Il a une dizaine de minutes pour s’absenter, mettre le feu à la pizzeria pour toucher les 50 000 euros de l’assurance. Mais tout ne se passe pas comme prévu … Une histoire bien construite avec une chute rigolote.

Ondes de choc : A partir d’une bagarre entre deux demi-frères, Benoît et Doudou, l’auteure écrit une nouvelle glaçante qui fouille les relations familiales.

Le million : Juliette et Pascal Courtier se sont mariés jeunes, pleins d’illusions; mais le vie en a décidé autrement, et seule la roue d’un jeu télévisé peut leur apporter l’espoir du Million. Avec un style distant, Sophie Loubière créé en seulement trois pages, toute une vie de déceptions et de rancoeur dans un petit bijou de noirceur. Cela confine au génie.

Régulation : Au bistrot de Saint-Médard, les chasseurs du coin s’y rejoignent pour regretter les lapins qu’ils ont ratés. Jean-François en profite pour leur annoncer qu’il va arrêter de fumer pour son bébé à venir … Sophie Loubière n’a pas son pareil pour narrer un fait-divers dramatique.

Vernissage : Lucienne Parisot fête ses 79 ans et sa fille Lucienne est inquiète du retard de versement de sa pension. Voici un voyage chez les gens désespérés qui vont jusqu’à l’impensable pour survivre.

Sleeping with Brad Pitt : Jean-Paul Gardoni, sosie de Brad Pitt, va suivre son itinéraire en utilisant sa qualité auprès de la gent féminine.

0,1% : Martine, conseillère à la Société Générale, s’est toujours mise au service de ses clients. Un soir, un coup de téléphone lui annonce qu’elle va mourir dans quelques jours, selon des statistiques officielles de son assurance vie. Digne d’une nouvelle de Stephen King, l’auteure y ajoute l’humour noir nécessaire pour en faire un petit joyau.

De façon accidentelle : Depuis l’accident de la route de son mari, l’épouse se retrouve avec deux personnes en fauteuil roulant, en comptant sa belle-mère. Comme elle juge que cela ne peut plus durer, elle songe à se débarrasser des deux handicapés.

Les beignets de miss Jewell : Après une journée bien chargée, l’agent de la police de la Nouvelle Angleterre Stefan Murray doit encore arrêter Harold Walt avec de pourvoir profiter des beignets de Miss Jewell. Une histoire classique mais hilarante.

Ma photo dans le journal : Elle avance dans son trotteur quand la famille arbore fièrement le portrait du père à la une du journal pour sa prise à la pêche. Elle aussi aura sa photo dans le journal. Alors que l’on s’attend à une histoire enfantine, c’est bien un fait divers noir auquel on adroit, terrible dans sa conclusion.

Sri Sûria Narayana : Rajni, de la tribu des Bohpas, ne veut pas être mariée à un garçon de treize ans qu’elle ne connaît pas. Alors, elle prie le Dieu du Soleil Sri Sûria Narayana et se dirige vers la voie de chemin de fer. Et Sophie Loubière nous offre une nouvelle d’une beauté éclatante aux teints orangés comme un soleil qui se couche.

Allez directement à la case Départ : Huguette Acard est déjà tombée plusieurs fois chez elle et son docteur l’a prévenue : la prochaine fois, ce sera l’EHPAD. Pourtant, ce matin-là, elle bute sur une plaque d’égout … Cette nouvelle semble nous caresser par sa gentillesse avant de nous asséner un coup derrière la tête.

Le poisson : Quand Sophie Loubière s’essaie au genre fantastique, c’est pour nous parler de l’adoption d’un thon. Et la magie s’opère, on y croit, on est ému jusqu’à cette fin irrésistiblement drôle qui nous fait revenir sur Terre.

Accident de parcours : Suite à un accident de moto, Daniel s’est retrouvé à l’hôpital, dans le coma. La fin de sa vie doit s’envisager dans un fauteuil roulant. Une nouvelle courte et cruelle.

Compartiment 12 : Quand une sexagénaire s’installe dans le compartiment de train, le voyage promet d’être un enfer. C’est une nouvelle très courte mais bigrement jouissive, qui donne son titre à ce recueil.

L’arbre qui cachait la forêt : Tommy Joplin a été réveillé par des coups de feu. Il a ensuite découvert ses deux parents, abattus par des balles de calibre 264. Le shérif Lupton est surpris par la sauvagerie de la scène. Qui avait perpétré ce double crime ? Ce qui pourrait s’apparenter à un Whodunit classique s’avère être une histoire terrible racontée avec beaucoup de détachement dans un style quasi-clinique.

Oscar m’a tuée : Un acteur mondialement célèbre assiste à l’enterrement d’une camarade de classe à Plaisir. Pour exaucer le dernier voeu de la défunte, il doit lire une lettre, une lettre terrible, qui donne une nouvelle effroyablement bien faite.

Elagage d’automne : Une vieille dame sort son chihuahua et découvre dans le jardin de son voisin d’habitude si méticuleux une branche d’olivier.

Bandit Panda : Les flics débarquent chez les Dos Santos : ils viennent pour Michael, qui vient de ramener 5 kilos de beuh, soit disant. Une nouvelle hilarante.

Bruce Willis n’est pas n’importe qui : Il n’a pas hésité pour défoncer la porte et sauver les enfants des flammes qui dévoraient l’appartement. Une nouvelle bien cynique.

Le meilleur ennemi de l’homme : A Metz, Rolande a perdu sa chatte Chouquette. Puis c’est toute la France qui est touchée par la disparition de félins. Une nouvelle à ne pas faire lire aux protecteurs des animaux.

Mauvaise blague : Catherine Denis explique à son fils de 11 ans Tristan, la différence entre connaitre et reconnaitre quelqu’un. Il doit se méfier de l’inconnu qui est assis au parc. Cette nouvelle très drôle se moque de l’excès de paranoïa en même temps qu’elle rappelle l’utilité du rire et de l’innocence.

Ne ratez pas l’avis de l’ami Yvan !

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Déstockage : Cinq Polars du XXIème siècle

Editeur : Capricci

Au hasard de mes fouilles dans mes bibliothèques, je tombe sur des livres dont je ne savais même pas qu’ils étaient là. Voici un recueil de nouvelles très intéressantes, qui démontrent l’amoralité moderne de la société. Je dois ajouter que ces nouvelles sont agrémentées de très beaux dessins signés Adrien Demaint et Jean Harambat.

Mirage Hôtel d’Anne Bourrel :

Robert Henry Charles Lebœuf se fait appeler Roberto quand il arpente les bals privés. Il aperçoit Rita, une superbe femme qu’il invite à danser le tango. Cette danse, qu’ils maîtrisent tous les deux, les emporte sur les rives de la passion. Roberto est fauché, Rita riche d’un héritage qui lui permet de vivre dans des palaces. De la somptuosité du tango va naître une relation faite d’amour et de sang.

C’est bien la première fois que je lis une nouvelle chorale, laissant la parole alternativement à Roberto puis à Rita. C’est avec beaucoup de subtilité et de douceur que l’on s’enfonce doucement dans cette histoire, avant de plonger dans une noirceur à la couleur rouge et au gout de sang. Le jeu des couleurs et la souplesse des mouvements font de cette nouvelle une belle expérience de lecture. Belle comme une lame effilée.

Un chagrin d’amour de Sébastien Gendron :

« On n’aurait jamais dû retourner chez la veuve Kersan ce soir-là ». Deux jeunes gens de 18 ans vivent de fantasmes et de bières. Ils rêvent de se faire la vieille Kersan et le commandant Lorseau leur propose un marché : étant amant de Mme Kersan, ils doivent se débarrasser du mari avant de pouvoir profiter de la veuve.

Voilà une histoire racontée à la première personne du singulier et écrite avec beaucoup de fluidité. Le style est à l’opposé de cette histoire, qui va pencher vers le glauque voire l’horreur de la part de jeunes gens qui ne s’appliquent aucune limite, même les plus atroces. Rythmée par des musiques modernes, cette nouvelle ignoble dans ce qu’elle implique se conclut sur une chute amorale, à l’instar de toute l’histoire.

Taire de Frédéric Jaccaud :

Hervé a perdu l’audition à l’âge de 6 ans. Il a grandi chez Maman. Devenu adolescent, il s’est créé son monde, autour de jeux de stratégie, de sa copine Leila. Et puis, il y a la voisine, Mathilde …

Il est bien difficile de faire ressentir l’enfermement et l’isolement que peut ressentir un sourd. Frédéric Jaccaud s’en sort admirablement dans cette nouvelle, en nous narrant une histoire qui peut sembler cruelle, mais qui montre surtout un Hervé qui va atteindre le plaisir, tout simple et bien noir.

Tomatic de Hervé Commère :

Il sort de prison après 6 mois pour trafic de drogue. Il retrouve ses deux potes Gary et Pouic qui ont une idée géniale : retaper un vieux distributeur automatique qui ne fonctionne qu’avec des pièces de 2 francs. Sur l’étage du haut, ils mettront des barrettes de shit dans des emballages de Mars, et vendront les pièces à leurs clients. Mais tout ne va pas de passer comme cela était prévu.

Hervé Commère nous offre une petite nouvelle bien sympathique où le petit groupe des trois amis se rêvent inventeurs de génie, en renouvelant le trafic de drogue. Sur un ton léger et fort bien écrit, il nous refait la fable de la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf dans un contexte moderne, une sorte de démonstration grinçante du marketing moderne. Et cela est bien distrayant, cyniquement noir.

Mauvaise journée, hier de Sophie Loubière :

Emilie se réveille, la tête en vrac. Impossible de se rappeler ce qu’elle a fait hier ! Le réveil affiche 7H45. Il n’a pas sonné. Elle va pour réveiller Philippe, mais sa place dans le lit, à coté d’elle est vide. Elle se lève et fonce dans la chambre des deux petits pour les houspiller, sinon ils vont être en retard à l’école. Les deux petits lits ne sont même pas défaits. Mais que s’est-il donc passé entre hier et aujourd’hui ?

D’un mystère prenant comme base une situation quotidienne banale, Sophie nous plonge dans un questionnement qui montre Emilie à la fois coupable puis innocente puis victime puis … La simplicité de l’écriture mais aussi sa précision chirurgicale font de cette nouvelle un petit bijou noir. J’adore !

Cinq cartes brûlées de Sophie Loubière

Editeur : Fleuve Noir

Si je vous dis que ce sont amis Yvan et Geneviève qui m’ont donné envie de lire ce livre, vous allez vous dire que cela n’a rien d’original. Donc, j’insiste. Cela fait un bon moment que je veux découvrir l’écriture de Sophie Loubière, et d’ailleurs j’ai acheté ses 4 précédents romans. Et puis, le manque de temps fait que … Bref ce ne sont que de mauvaises excuses !

Pourtant, la couverture, le titre et la quatrième de couverture m’ont rebuté, ou du moins ont retardé la prise en main du roman, préférant tester d’autres nouveautés. Entendons-nous bien : ce n’est pas parce qu’ils sont ratés. La couverture est énigmatique, le titre fait appel aux jeux (et je ne suis pas joueur dans l’âme) et la quatrième de couverture en dit à la fois peu et beaucoup. Et pourtant, j’ai cédé aux tentations littéraires de mes amis … Et … Quel livre !

Quand Laurence débarque dans ce monde, son frère aîné de trois ans Thierry a du mal à l’accepter. Il va lui faire subir des actes de harcèlement psychologique qui vont la dévaloriser aux yeux des autres. Les parents de Laurence n’y verront rien, Laurence a pour seule réponse la boulimie, s’avalant des bonbons et des barres de céréales. Elle sera donc traitée de de tous les termes insultants liés à l’obésité pendant toute son enfance.

Seul son père lui montre de l’affection, lui faisant des caresses dans le dos qui lui amènent des frissons, avant de dormir. Et cela dure jusqu’à une suspicion d’inceste qui casse la famille.

Le père est obligé de partir, et Laurence se retrouve sans défense face à son frère. Pourtant, les années passant, elle trouve le moyen de rebondir et arrive à entrer à l’INSEP, où elle se donne à fond dans le lancer de marteau.

Sophie Loubière nous écrit la biographie d’une jeune fille puis jeune femme dont la vie est difficile, et ce depuis le plus jeune âge. Elle va nous montrer les difficultés de la vie, les choix que l’on a à faire, leurs conséquences, les périodes de hauts et de bas, et les réactions que l’on a face à des événements inattendus, qu’ils soient bien ou mal. Il faut dire que pour sa démonstration, choisir le cas de Laurence est un bon exemple.

Parce que j’écris mon avis plusieurs jours après avoir lu le livre, j’ai eu le temps de laisser reposer le flot d’émotions qui m’ont traversé pendant la lecture. Malgré cela, il me reste ce personnage, malmené tout au long de sa vie, qui a pris des directions qui n’ont pas toujours été les bonnes, mais qui a toujours eu une constante : se battre. Pour devenir championne de lancer du marteau, elle s’est battu. A la mort de ses parents, elle s’est battue. Pour nourrir son frère, elle s’est battue. C’est une femme courage que nous montre Sophie Loubière et ce n’est pas le final en forme de pirouette qui va me faire changer d’avis.

Alors, oui, c’est un roman psychologique, mais au-delà de cela, c’est un beau portrait de femme forte, battante que nous montre Sophie Loubière. Et plutôt que d’insister sur les réactions de Laurence de façon démonstrative, elle construit son personnage comme le faisait Alfred Hitchcock dans ses films : l’événement d’abord, puis la réaction. Ce que j’ai trouvé terrible dans ce livre, c’est la façon dont sont orchestrés les bons moments et comment arrivent les mauvais, qui remettent tout en cause, et flanquent un coup derrière la tête du lecteur.

Ce roman plaira à beaucoup de monde, sauf aux adeptes d’action. Pour les fanas de romans psychologiques, Sophie Loubière sait trouver les mots justes pour immerger le lecteur et faire ressentir tout un flot d’émotions. Aux fanas de thrillers, elle propose des scènes à la tension constante, à la menace terriblement sensible. Aux fanas de polar, elle propose une fin qui remet tout en cause et qui donne envie de relire le roman. Voilà donc un excellent roman populaire.

J’ai suivi les conseils de Sophie Loubière en fin de livre, et j’ai donc visité le site dédié au roman. Surtout, ne lisez pas le billet ci-dessous avant d’avoir fini le livre. Par contre, après, cela vous montrera tout le travail de l’auteur fait à partir d’un simple fait divers. C’est pour moi un complément indispensable à ce roman.

https://5cartesbrulees.blogspot.com/2019/10/un-fait-divers-dans-la-presse.html