Archives du mot-clé Sorcier

L’homme peuplé de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Est-il seulement imaginable de ne pas acheter le nouveau roman de Franck Bouysse ? Est-il seulement imaginable de ne pas le lire et de ne pas en parler. Que nenni !

Caleb habite une petite maison dans une campagne perdue de France. Il se rappelle Sarah sa mère, qui prenait soin de lui, tous ces petits gestes qui font l’amour. Il se rappelle aussi quand il lui avait présenté sa première petite amie, comment elle l’avait presque insultée pour qu’elle s’éloigne de son fils. Par contre, Caleb ne connait pas son père, et d’ailleurs, Sarah n’en parle jamais.

Caleb se rappelle quand l’ambulance a débarqué, pour emmener la vieille Privat qui loge en face. Caleb la voyait nourrir ses poules, s’occuper de son jardin. La vieille était morte avant d’arriver à l’hôpital, contrairement à sa mère qui avait fait une crise cardiaque quand il avait parlé d’avoir une femme. Peut-être n’était-il pas fait pour avoir de femme, en tant que sourcier ? En attendant, Caleb voit un homme emménager dans la maison de la Privat.

Alors que son premier roman a été adulé par les critiques et le public, Harry a tenté d’écrire un deuxième opus. Mais il sent que la sincérité n’y est pas, il ne veut pas se mentir, donc mentir au lecteur. Il vient d’acheter une maison, dans un coin perdu, pour retrouver son âme, ou pour fuir l’effervescence des milieux littéraires. Peut-être va-t-il retrouver ici l’inspiration qui lui fait tant défaut ?

On se retrouve dans ce nouveau roman en territoire connu, dans une campagne isolée, avec deux hommes que tout oppose. L’un est issu du cru, issu de la Terre, matériel ; l’autre est étranger, spirituel ou à tout le moins intellectuel. On trouve d’ailleurs une belle image dans le livre où Caleb fouille dans le puits quand Harry visite son grenier, créant entre eux la distance égale de la Terre au ciel.

De même, on y retrouve cette vie dure, âpre, avec sa météo rigoureuse et ses habitants qui ne s’adressent pas plus d’un mot. On y retrouve Caleb, sorte de sourcier, que tout le monde craint car il serait capable de jeter des sorts. Ma foi, on a déjà lu ce genre de scénario chez Franck Bouysse, et on serait tenté de laisser tomber ce roman sous ce fallacieux prétexte. Sauf que quelques dérapages attirent l’œil, quelques reflexions semblent plus personnelles et la fin nous rassure.

Franck Bouysse utilise son terrain de prédilection pour parler de la création littéraire, pour se questionner que la page blanche, sur l’inspiration mais aussi et surtout sur la nécessité de ne pas se mentir, de rester honnête envers soi-même et donc envers son lectorat. A ceux qui pourraient lui reprocher de prendre tout le temps le même décor, les mêmes personnages, il leur répond par ce livre, il leur dit son intégrité, son refus de la compromission.

Et puis, il y a ce style qui n’appartient qu’à Franck Bouysse. On n’y trouve jamais un mot de trop dans une phrase, mais une nouvelle façon d’aborder les choses. Franck Bouysse nous invite à regarder le monde autrement, en s’aidant de la richesse de la langue et de la poésie dont il fait preuve. Comme le dit ma femme : « C’est très bien écrit, on n’est plus dans la littérature, on touche à la poésie … du Franck Bouysse, quoi ! ». Dont acte

Publicité

Les polaroïds des éditions In8

Editeur : Editions In8

Depuis 2010, les éditions In8 mettent à l’honneur les novellas, ces mini romans de moins de 100 pages. C’est un exercice de style difficile de raconter une histoire et de plonger dans la psychologie de personnages avec aussi peu de mots. Quand 2 de mes auteurs favoris se lancent dans ce défi, je ne pouvais que vous en parler.

Le sorcier de Jérémy Bouquin :

Dans un petit village du Berry, un homme habite une maison isolée. On l’appelle le Sorcier, mais il s’appelle Raoul. Tout le monde le craint mais tout le monde a besoin de lui. Il fournit des potions, des crèmes pour guérir de maladies. En échange, on lui donne à manger et le « client » doit donner à Raoul un objet personnel, qu’il collectionne. Au marché hebdomadaire, il vend ses herbes, ses onguents, ses remèdes et tout le monde connait l’efficacité de ses médicaments. Quand la petite Margaux disparait, tout le monde est persuadé qu’il est le coupable, puisqu’il ne vit pas comme les autres.

Le principe de cette collection est de proposer des novellas, c’est-à-dire des romans de moins de 100 pages. Et Jérémy Bouquin se montre aussi efficace dans cet exercice qu’il l’est dans des nouvelles ou des romans. Avec son style direct, sans fioritures, il nous propose cette histoire rythmée par des chapitres courts et quelques dialogues uniquement quand ceux-ci sont utiles.

Il y a une constance dans ses romans : le décor tout d’abord, un village comme celui que l’on rencontre dans Les enfants de la Meute ; un personnage mystérieux, vivant isolé, en marge du village, habitant une maison sur une colline. Et derrière cette intrigue, on y trouve une illustration de la justice expéditive, où on accuse ceux qui ne rentrent pas dans le moule. C’est une belle occasion pour découvrir Jérémy Bouquin et son univers, son style et ses qualités de conteur.

Ne ratez pas l’avis d’Yves

Aucune bête de Marin Ledun :

Cela fait 8 ans que Vera n’a plus participé à une course officielle. Elle a été la championne des courses extrêmes avant de tomber pour un contrôle antidopage positif. Elle a eu des enfants, a rongé son frein à l’usine pour revenir, car la course, c’est sa vie. Entourée de sa famille, elle s’engage aux 24 heures non-stop. En face d’elle, elle retrouve l’Espagnole Michèle Colnago, qui est devenue la star de la discipline.

D’une structure presqu’académique, cette novella est un modèle du genre, avec une présentation du contexte, le déroulement de la course et la chute finale. Trois parties bien distinctes qui remettent en cause nos certitudes, enfoncent petit à petit ses messages pour finalement nous mettre à mort à la fin. Car cette course est plus qu’une course, c’est la lutte entre la Femme et la Machine.

Vera est plus humaine que jamais, et se bat pour elle, contre elle. Ce type de course, c’est avant tout la capacité à battre son corps par son esprit, oublier les sauts, les pas, les coups. Michèle est une véritable mécanique, abattant les mètres, les kilomètres les uns après les autres. Mais la machine peut s’avérer plus fragile qu’elle ne parait, surtout quand elle va subir l’impensable de la part de son entraineur. Je ne vous en dis pas plus.

Mais j’en ai bien envie, tant Marin Ledun dénonce les images du sport, les icones que l’on monte en vedette au-delà du raisonnable, que l’on descend à la moindre performance. Il dénonce aussi ces femmes que l’on place sur un piédestal, uniquement pour avoir la photo la plus sexy qui permettra au buveur de bière libidineux de baver sur son canapé. Il dénonce l’inhumanité du sport au profit de l’image et de l’argent. Il dénonce l’impunité des hommes ignobles qui se croient tout permis. Tout ça en moins de 80 pages ! Chapeau, M.Ledun !

Ne ratez pas l’avis de mon ami le Souriceau du sud