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Jesus’ son de Denis Johnson

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; 10/18 (Format poche)

Traducteur : Pierre Furlan

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Une fois n’est pas coutume, je vous propose un recueil de nouvelles pour cette rubrique Oldies, d’un auteur américain bien peu connu chez nous.

L’auteur :

Denis Johnson, né le 1er juillet 1949 à Munich en Allemagne de l’Ouest et mort le 24 mai 2017, est un auteur américain. Il est surtout connu pour son recueil de Jesus’ Son (1992) et son roman Arbre de fumée (2007), qui a remporté le National Book Award.

Dans sa jeunesse, Denis Johnson suit son père au gré des affectations de celui-ci. Il devient dépendant ensuite à diverses substances. Finalement, il obtient une maitrise (MFA) à l’université de l’Iowa. Ses principales influences sont Dr Seuss, Dylan Thomas, Walt Whitman et T. S. Eliot. Il a reçu de nombreux prix pour ses œuvres, y compris un Prix du Whiting Writer’s en 1986 et une bourse Lannan pour la fiction en 1993.

Selon un groupe de critiques, écrivains et autres membres du milieu littéraire, son recueil Jesus’ son fait partie des meilleures œuvres de fiction américaines des 25 dernières années.

Denis Johnson fait des débuts remarqués avec la publication de son recueil de nouvelles Jesus’ Son (1992), qui a été adapté au cinéma en 1999 sous le même titre, et qui a été cité comme l’un des dix meilleurs films de l’année par le New York Times, le Los Angeles Times, et par Roger Ebert. Denis Johnson a un petit rôle dans le film, interprétant l’homme ayant été poignardé à l’œil par sa femme.

Il est titulaire en 2006-2007 de la chaire Mitte d’écriture créative à l’université d’État du Texas, à San Marcos (Texas).

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Révélation terrifiante et admirable à la fois pour l’univers intérieur d’une certaine jeunesse américaine hantée par la violence et la drogue, les onze nouvelles de ce recueil retracent les tribulations d’un narrateur unique. Vies brisées, agonies dérisoires, accidents spectaculaires, l’auteur décrit tout cela comme autant de vignettes de l’existence quotidienne vécue par les junkies errant à travers le paysage américain. Pour Christophe Mercier (Le Point) : « L’ensemble forme comme une tapisserie pointilliste, la radiographie d’une frange, invisible à l’œil nu, de l’Amérique moyenne. Une découverte impressionnante. »

Mon avis :

Dès la première nouvelle, on est frappé par l’absence de sentiments, lors d’un accident décrit comme des images colorées. On y trouve un coté détaché, halluciné malgré la violence du propos. Le ton est donné pour tout le reste de ce recueil, une violence omniprésente et détachée comme si elle était irréelle.

L’auteur nous présente un monde qui alterne entre réalité et cauchemar, fait de passages décalés soit dans la description soit dans les remarques qui peuvent paraitre choquantes. Dans ce monde de drogués, la réalité est altérée et l’impression que l’on en retire reste toujours étrange, inimaginable, fantasmagorique, comme quelque chose qui ne peut jamais arriver en vrai.

L’auteur semble nous présenter des moments de sa vie, des cartes postales sur des rencontres (Deux hommes), dans des situations communes (Un travail, Urgences). Il y est rarement question d’amour, mais quand c’est le cas, le ton est toujours violent, désabusé et décalé. Il n’est pas étonnant que l’auteur ait rencontré un grand succès avec ces nouvelles d’un ton qui semble imagé avec un filtre imposé par les stupéfiants, avec une bonne dose de poésie. Intéressant !

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Fin de siècle de Sébastien Gendron

Editeur : Gallimard – Série Noire

Sébastien Gendron, voilà un auteur pas comme les autres. L’ayant découvert en 2008 avec Le tri sélectif des ordures, il a le talent de bâtir des intrigues légèrement décalées, d’accompagner son plat d’un humour cynique et de nous servir un plat acidulé sur notre société. Sébastien Gendron, c’est le cuisinier du polar. Son dernier roman, Fin de siècle, comporte déjà un titre totalement génial (à mon gout). Dès que j’ai appris sa sortie, j’ai guetté sa date de sortie pour l’acquérir.

A Roquebrune-Cap-Martin, Perdita Baron noie son ennui dans la dégustation de glaces Ben & Jerry’s Blondie Brownie. Elle entend un bruit mais n’a pas le temps de se retourner quand elle se prend un coup de poing dans le dos puis un couteau à lame crantée dans le ventre. Perdita perd la vie vers 1 heure du matin. Ses voisins Jonathan et Armel Koestler n’ont rien entendu, mais quand ils apprennent le fait divers, ils décident de fuir.

A Algarve, au Portugal, la foule se masse sur la plage pour apercevoir des mégalodons échoués. Ces gigantesques requins préhistoriques ont fait leur retour sur Terre de façon inexpliquée. Leur faim de viande fraîche a obligé les hommes à se protéger en installant aux limites de la Méditerranée des herses les empêchant de rentrer dans une zone où les plus riches peuvent se baigner, bronzer et s’épanouir. Sauf que la gestion de ces herses a été vendue plusieurs fois à des fonds de pension qui, pour augmenter leurs profits ont (légèrement) coupé dans le budget d’entretien.

Claude Carven est un « fils à papa » qui a dépensé une fortune, mais pas la sienne, pour construire son rêve : bâtir une fusée et devenir le premier homme à descendre en parachute de la mésosphère. 88 000 km de chute libre pour un pur plaisir … ou pour oublier sa vaine existence.

Laissez vous porter par ces chapitres qui chacun, raconte un personnage, une scène, une démonstration supplémentaire que le monde marche sur la tête. A partir d’un événement scientifique primordial, mettant en danger la population mondiale puisque les mégalodons adorent croquer les humains en apéritif, l’Homme a trouvé des réactions illogiques pour sauver les plus riches. Au début, ce fut la chasse aux requins à coups de bâtons de dynamite, puis on a créé des herses pour créer un espace convivial pour ceux qui peuvent payer.

Au premier degré, ce roman ressemble à une galerie de scènes mises bout à bout, toutes plus géniales les unes que les autres, mais ne brossant qu’une partie du tableau. En prenant du recul, cela donne une vision bien sombre de l’humanité car tous les personnages dans ce roman sont sains d’esprit mais totalement frappés. L’Homme est un animal qui cherche avant tout à tromper son ennui, à coups de milliards dépensés sur le pourtour de la Méditerranée, zone protégée qui vacille ; mais personne n’est au courant. Au second degré donc, c’est une superbe description de la futilité de l’Homme, dans toute sa grandeur et sa décadence.

Même si l’humour est peu présent, j’y ai trouvé des cotés réjouissants dans la façon qu’a l’auteur de décrire ces gens qui n’aspirent à rien si ce n’est leur bien-être. La cruauté devient non pas malsaine mais presque drôle, d’un humour noir grinçant. Et puis, j’y ai trouvé un coté inquiétant, cette impression tenace de lire un livre prémonitoire, une sorte de manuscrit retrouvé de Nostradamus, et ça fait peur.

Derrière ces sujets forts, il ne faut pas oublier les hommages littéraires, cinématographiques et musicaux qui prolifèrent dans ce roman. On y trouvera bien sur Steven Spielberg et Jaws, mais aussi La baleine scandaleuse de John Trinian (que j’ai lu récemment) sans oublier tous les romans parlant de faille temporelle ou les films parlant de voyage interstellaire. Car même s’il est parfois dur à suivre, Sébastien Gendron nous interpelle sur l’argent que l’on dépense pour nos plaisirs au lieu d’améliorer l’humanité. Un sacré roman !

Ne ratez pas les avis de Jean le Belge et Jean-Marc Lahérrère