Archives du mot-clé Ville

L’âme du fusil d’Elsa Marpeau

Editeur : Gallimard La Noire / Folio

Auréolé d’avis élogieux chez la plupart de mes collègues blogueurs, je me devais de lire le dernier opus en date d’une auteure dont j’apprécie particulièrement la plume.

Philippe a passé vingt ans dans une entreprise agro-alimentaire à mettre des pains au lait dans des cartons, avant de se faire remercier brutalement. Il commence à chercher un emploi avant de se rendre compte que, la quarantaine passée, on est déjà trop vieux pour le marché du travail. Alors, il vit du salaire de sa femme infirmière Maud et regarde son adolescent de fils Lucas s’abrutir sur son téléphone.

Sa passion, c’est la chasse avec les copains du village. La préparation, les réunions au bar devant un verre de vin, les discussions pour refaire le monde, l’ouverture tant attendue et les battues pour ramener du gibier à cuisiner. Philippe ne désespère pas de former son fils, de le sortir des limbes d’Internet où on ne rencontre personne en vrai, de ce monde virtuel où rien n’existe.

Alors qu’il arpente les bois, il débouche sur le lac, où il vient y chasser les canards. Quelle surprise éprouve-t-il en apercevant un jeune homme nu en train de se baigner. Philippe ne peut s’empêcher de l’épier, et, prenant son courage à bras le corps, il accoste Julien le citadin, et lui apprend qu’il doit mettre de la paille pour que les petits canetons puissent manger. Puis, il va inviter Julien à un repas avec les copains de la chasse. Il ne sait qu’il vient d’enclencher une mécanique dramatique.

Elsa Marpeau va prendre son temps pour installer le décor et les personnages, de façon totalement naturelle, et presque poétique quand elle va aborder la nature. L’auteure a décidé de présenter ce roman sous la forme d’une confession de Philippe à son neveu Pierre, ce qui m’a posé quelques problèmes d’incohérence, car j’en attendais plus de termes argotiques par exemple, alors que le style est plutôt littéraire.

Pour autant, elle ne juge pas les chasseurs, nous les montrant même amoureux de la beauté de la nature et respectueux des règles. Elle y emploie d’ailleurs des termes judicieux qui montrent sa grande connaissance de la faune et de la chasse (et je ne suis pas chasseur !). Toutes ces qualités en font un livre très agréable à lire. D’autant que l’on sent un drame arriver.

Et ce drame va subvenir dans les vingt dernières pages du livre, au demeurant relativement court (182 pages). Là encore, Elsa Marpeau va rester factuelle, ne dégageant de ses mots que peu d’émotions pour rester très factuelle. Par contre, le drame en lui-même est surprenant et on ne s’y attend pas. Cela donne une lecture très agréable, tout en respect envers le monde rural et ses habitants, faisant ressortir les émotions brutes des personnages et sans effets impressionnants, un bon roman dont j’attendais probablement plus de passion.

Publicité

La prophétie de Barintown de George Arion

Editeur : Ex-Aequo éditions

Traducteur : Sylvain Audet-Gainar

La bonne nouvelle de cet été est le retour sur nos étals de George Arion, auteur Roumain qui nous a enchanté avec les (més) aventures d’Andreï Mladin, en particulier dans Qui veut la peau d’Andreï Mladin ? et La Vodka du Diable. Ici, George Arion, avec l’humour ironique qui le caractérise, nous invite dans une ville imaginaire, Barintown.

A Barintown, petite ville des États-Unis, un homme entre dans un restaurant, s’installe à une table puis ort en passant par les cuisines. Le bilan est lourd : 3 morts et une quinzaine de blessés. Fred Brown, policier qui a toujours rêvé d’intégrer la brigade criminelle, et a assisté au drame, y voit là une opportunité unique. Mais quand la brigade anti-terroriste arrive, il se fait écarter comme un malpropre.

L’église catholique de Barintown ne tient debout que miraculeusement, malgré tous les efforts déployés par le Père Pascal. Mais il doit bien se rendre à l’évidence que l’audience se vide, et les dons aussi. Un soir, un jeune garçon se présente à sa porte. N’écoutant que sa bonté, il lui offre le diner et le souper. Le jeune garçon dit s’appeler Emmanuel mais reste muet sur ses origines.

Plus tard, alors qu’Emmanuel jouait dans un terrain vague, il tombe en butant sur une aspérité. Il s’agit en réalité d’une main qui dépasse du sol. Demandant l’aide du Père Pascal, ils se précipitent au commissariat. Fred Brown les reçoit et se décide à aller voir sur place. Il s’agit bien de la main d’une jeune femme. Emmanuel leur dit alors que ce corps n’est pas le seul à être enterré là. Effectivement les fouilles mettront à jour vingt-quatre cadavres.

Pendant ce temps, toujours à Barintown, la découverte d’un vieil ouvrage dans la bibliothèque du presbytère trouble au plus haut point le père Pascal. Les pages de ce livre renferment en effet le récit apocryphe et incroyable des premières années de la vie du Christ. Mais d’où peut bien provenir un texte aussi explosif ?

Alors que le commissaire James Warren prend en charge cette affaire avec le légiste Sid Thatcher, le père Pascal, remis de ses émotions, trouve dans son grenier un document apocryphe, racontant la vie de Jésus à travers des épisodes méconnus. Fortement ébranlé par l’histoire racontée dans ces feuillets, il continue malgré tout sa lecture.

Ses précédents polars étaient fort drôles. Ils avaient été écrits sous le règne immonde de Ceausescu, et avaient réussi à passer à travers la censure grâce à sa trop grande subtilité humoristique. Ce roman de 2015 est résolument plus moderne mais présente la même apparente légèreté et une ironie féroce envers le monde actuel. Au premier degré, cette histoire se révèle amusante, foisonnante. Au second degré, c’est hilarant. Décidément j’adore l’humour roumain.

Car tout le monde va en prendre pour son grade, mais gentiment, et tous les personnages sont montrés comme des gens ayant leur propre motivation mais surtout faisant preuve de bien peu de recul. Seul le père Pascal, impliqué dans sa foi, pourra se rendre compte de la futilité du quotidien face au futur incertain qui nous attend.

Du maire aux journalistes, des scientifiques à l’église, des policiers aux amoureux éconduits, des terroristes aux simples citoyens, sans oublier les conspirationnistes et les prophètes de malheur, tous vont avoir des tares qui, par la simplicité des situations et la subtilité de l’humour vont se révéler irrésistibles. George Arion semble vouloir nous décrire par le petit bout de la lorgnette notre vie qui peut s’appliquer à n’importe quel pays.

Chaque chapitre étant précédé d’une phrase qui introduit la scène ou propose une réflexion philosophique (par exemple : « il existe une seule vérité incontestable : le hasard tient une place essentielle dans la vie de chacun »), ce roman bâti autour d’un nombre incommensurable de personnages est construit comme une série télévisée auquel il apporte un aspect amusé et amusant supplémentaire souvent absente de la télévision. J’aime beaucoup ce roman original et je vous conseille de le découvrir.

Oldies : Hot spot de Charles Williams

Editeur : Gallmeister

Traductrice : Laura Derajinski

Attention, coup de cœur !

Afin de fêter ses 15 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux éditions Gallmeister, spécialisées dans la littérature anglo-saxonne. Je vous propose un roman écrit par un auteur culte, toujours au sommet de son art comme il le démontre ici.

La biographie de l’auteur est disponible ici.

Harry Madox débarque de la grande ville dans une bourgade de campagne. Il ne tarde pas à trouver un travail de vendeur de voitures dans concession automobile de George Harshaw. A l’image de son nouveau patron, Madox a un franc parler et une attitude hautaine qui n’attire pas la sympathie mais il a le bagout suffisant pour qu’il excelle dans son travail. Rapidement, il va faire connaissance avec les autres employés, Gullitt vendeur comme lui et Gloria Harper, jeune femme d’une vingtaine d’années chargée des emprunts aux clients.

Alors que la température devient étouffante en cette journée d’été texane, Madox se rend à la banque pour ouvrir un compte et est surpris par le vacarme des sirènes des pompiers. Quand il entre dans l’agence, la salle est désertée de ses employés qui sont aussi pompiers volontaires. Cette situation anodine et inhabituelle lui donne une idée et le pousse à réfléchir à un plan machiavélique pour récupérer de l’argent facilement.

La femme de George Harshaw, Dolores, lui demande un service, d’emporter des cartons de papiers dans une remise non loin de la concession. Agée d’une quarantaine d’années, Dolores est une blonde incandescente en mal de sensations. Un peu plus tard, il est chargé de récupérer une voiture impayée en compagnie de Gloria, auprès de Sutton, un vieil homme et Madox s’aperçoit que Sutton exerce un chantage auprès de Gloria. Madox va devoir monter son coup, tout en étant écartelé entre ces deux femmes.

Ce roman bénéficie d’un scénario en béton, du début à la fin. D’un personnage hautain, provenant de la ville, et considérant que les ploucs de la campagne lui sont inférieurs, l’auteur va dérouler son intrigue en refermant petit à petit le piège sur cet homme qui se croyait plus fort que tout le monde. A partir d’une situation présentée en deux chapitres, les situations et les retournements de situation vont se suivre rapidement jusqu’à une conclusion bien noire, et cynique à souhait.

Ecrit à la première personne du singulier, Madox va se contenter de présenter les événements, et présenter les différents personnages dans une démarche béhavioriste. Le point de vue choisi permet surtout de nous montrer les protagonistes de la façon dont Madox les comprend et les interprète. Madox étant un personnage factuel, il va chercher des solutions aux problèmes qui lui sont posés. Et plus l’intrigue avance, plus le piège se resserre autour de ses secrets et ses mensonges. J’ai particulièrement aimé cette description psychologique d’un personnage à la fois factuel et sensible puisqu’il va tomber amoureux de Gloria.

Le roman vaut aussi et surtout pour son style, en plus de son histoire, remarquablement fluide, formidablement expressif, et extraordinairement traduit. Malgré le fait qu’il ait été écrit en 1953, l’écriture grandement expressive n’a pas vieilli d’un iota et pourrait rendre jaloux beaucoup d’auteurs contemporains tant elle est intemporelle. Hot spot fait partie de ces polars américains qui en disent beaucoup en en découvrant peu et s’avère un indispensable pour tout amateur de roman décrivant la vie des petites villes américaines. Un roman parfait de bout en bout.

Coup de cœur !

Oldies : La vie même de Paco Ignacio Taibo II

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Juan Marey

Je continue ma rubrique Oldies qui est consacrée en cette année 2018 à la collection Rivages Noir. J’ai choisi un auteur connu dont je n’ai jamais lu un roman, et c’est l’occasion de découvrir le Mexique dépeint par Paco Ignacio Taibo II.

L’auteur :

Paco Ignacio Taibo II ou Francisco Ignacio Taibo Mahojo, né le 11 janvier 1949 à Gijón en Espagne, est un écrivain, militant politique, journaliste et professeur d’université hispano-mexicain, auteur de romans policiers.

Né en 1949 à Gijón, dans les Asturies, en Espagne, «il grandit au sein d’une famille espagnole très engagée dans la lutte contre le franquisme.» En 1958, il a 9 ans quand sa famille de la haute bourgeoisie de tradition socialiste, émigre pour le Mexique, fuyant la dictature. Le jeune Paco est déjà un passionné de lecture grâce à son grand-oncle, féru de littérature. Son père Paco Ignacio Taibo I écrivain, gastronome, dramaturge et journaliste travaille pour la télévision mexicaine jusqu’en 1968.

En 1967, Paco Ignacio Taibo II écrit son premier livre, mais ce n’est qu’en 1976 qu’il publie son premier roman noir Jours de combat (Días de combate), où il met en scène pour la première fois son héros, le détective Héctor Belascoarán Shayne, un ancien ingénieur, diplômé d’une université américaine, qui est devenu détective privé à Mexico. Ce personnage borgne qui, comme son nom le laisse deviner, est d’origine basque et irlandaise, rappelle les héros des univers de «Hammett pour le côté politique et de Chandler pour le côté moral, mais il fait aussi référence à Simenon pour les aspects du quotidien.» Deux autres séries policières ont été créées par l’auteur : l’une, historique, met en scène quatre amis du révolutionnaire Pancho Villa, dont le poète Fermin Valencia ; l’autre, qui se déroule à l’époque contemporaine, a pour héros José Daniel Fierro, un célèbre auteur de roman policier qui réside à Mexico, sorte de double de Taibo.

Paco Ignacio Taibo II devient professeur d’histoire à l’Université de Mexico dans les années 1980. Il a écrit de nombreux essais historiques sur le mouvement ouvrier, ainsi qu’une importante biographie de Che Guevara qui le fit connaître largement au-delà du Mexique.

En avril 2005, il écrit avec le sous-commandant Marcos (pseudonyme de Rafael Guillén) le roman Des morts qui dérangent (Muertos incómodos). En outre, il est président de «l’association internationale du roman noir» et collabore activement à l’organisation de la Semana negra (Semaine noire), festival de littérature et de cinéma de Gijón.

Depuis 2007, il est le conseiller de la maison d’éditions L’Atinoir qui publie à Marseille de la littérature d’Amérique latine. Il collabore depuis 2016 à la revue Délibéré, dans laquelle il a publié des nouvelles ainsi que des articles consacrés au football, à la lecture, ou à l’écrivain et journaliste argentin Rodolfo Walsh.

(Source : Wikipedia)

Quatrième de couverture :

En un an et demi, deux chefs de la police municipale de Santa Ana, la ville  » rouge  » du nord du Mexique, ont été assassinés. Jose Daniel Fierro, célèbre écrivain de romans policiers, accepte de leur succéder. Il est bientôt confronté à deux cadavres (dont celui d’une « gringa », retrouvé nue dans l’église du Carmel), à la corruption, aux émissaires du gouvernement central, qui essaie de contrarier le destin  » rouge  » de la municipalité et à une histoire policière sans solution qui est plus proche de  » la vie même  » que de la fiction.

Mon avis :

C’est un roman original dans la forme que nous propose Paco Ignacio Taibo II plus que dans le fond. Le sujet aussi participe à l’intérêt que l’on peut porter à ce roman, puisqu’une ville, gangrenée par le crime va faire appel à un auteur de romans policiers pour prendre la tête de la police. Et tout incompétent qu’il est, José Daniel Fierro va apporter aux policiers les méthodes pour résoudre les affaires qu’il a en charge.

Il y a à la fois une sorte de recul, de détachement dans la narration mais aussi beaucoup d’humour, de dérision envers une ville qui s’est habituée à être la proie des truands et des tueurs. Et la résolution ne sera pas extraordinaire comme on peut la trouver dans les romans policiers habituels mais elle viendra de témoignages des uns et des autres.

Avec ses chapitres très courts, Paco Ignacio Taibo II va alterner les chapitres narratifs avec les lettres de José Daniel Ferrio à sa femme qui est restée au pays, ce qui nous montre son état de stress et ses questionnements, mais aussi avec les propres notes de l’auteur de romans policiers en vue d’écrire l’histoire de la municipalité rouge de Santa Ana. C’est la façon qu’a choisi l’auteur pour dénoncer les travers de son pays, la corruption généralisée, les politiques véreux et la mainmise des criminels sur la ville. Ce roman s’avère à la fois un témoignage et une mise en garde sur le chemin néfaste qu’a pris son pays, le Mexique, dans les années 80, et il est intéressant, passionnant de le lire encore aujourd’hui.

La reine noire de Pascal Martin

Editeur : Jigal

Bien que Pascal Martin soit connu dans le milieu du polar, je n’avais lu un de ses romans auparavant. L’erreur est maintenant réparée et j’ai découvert un super polar, exemplaire à tous points de vue.

Avec son nom qui rappelle des champs fleuris, on pourrait croire que la petite ville de Chanterelle est idyllique. Hélas, comme beaucoup de villes de l’Est de la France, elle a subi la crise économique et la fermeture de son usine principale, la raffinerie de sucre, a engagé son déclin. Le seul vestiges qui demeure est cette gigantesque cheminée qui trône sur les ruines de l’usine et que tout le monde appelle La Reine Noire, comme une malédiction, comme pour rappeler aux habitants leur malheur de tous les jours.

Un homme au volant de sa BMW débarque en conduisant comme un fou. Il est habillé tout de noir et porte des lunettes de soleil opaques à travers lesquelles on ne peut voir son regard. Il s’attable au Bar du Centre et demande une boisson. Puis, il demande à Amandine, la serveuse s’il n’y aurait pas une maison à louer dans le coin. Elle l’oriente vers une agence de Bar-Le-Duc qui lui propose une petite maison isolée que tout le monde appelle La Maison du Fada. Il n’en faut pas plus pour que les discussions aillent bon train avec l’arrivée d’un homme qui ressemble à La Faucheuse.

Le même jour, un deuxième homme, moins énigmatique mais tout aussi inconnu débarque. Il ne cherche pas une  maison à louer mais une chambre qu’il trouve à l’auberge de Joe. D’un aspect amène, il pue l’eau de toilette pour homme et se dit psychiatre, ce qui lui permet de s’intéresser à beaucoup de gens.

En réalité les deux hommes se connaissent : l’homme en noir se nomme Toto Wotjeck et est tueur à gages pour le compte d’un Indonésien. Le deuxième se nomme Michel Durand et est flic. Il est chargé de surveiller Wotjeck. Les deux ont grandi à Chanterelle avant de suivre chacun leur parcours, l’un en Indonésie, l’autre dans la police. Quand des larcins sont perpétrés et que quelques corps sont retrouvés, la ville endormie de Chanterelle se réveille.

Malgré un début que j’ai trouvé maladroit, au moins pour les deux premiers chapitres, que j’aurais aimés plus descriptif pour que l’on entre directement dans le décor, ce polar arrive à captiver par l’efficacité du style et l’économie des descriptions. Pour tout dire, dès le troisième chapitre, j’étais pris, embringué dans cette histoire où, tout du long, on se demande où l’auteur veut en venir, sans pouvoir lacher le livre, pour finalement arriver à un final renversant, formidable.

Nous allons donc suivre l’itinéraire de deux hommes, en parallèle, qui vont débarquer dans une petite ville calme en apparence, mais où règne un ressentiment fataliste envers ceux qui ont fermé la raffinerie. L’auteur arrive à nous plonger dans ce décor, arrive à nous immerger dans des discussions de bistrot, et à nous présenter les âmes de cette ville abîmées par ce drame économique. L’ambiance y est noire, triste, et tout le monde y cherche un bouc émissaire, que les alcooliques du dimanche trouvent en Wotjeck puisqu’il n’est pas comme eux.

Puis l’histoire se construit, et on découvre que les deux hommes, Wotjeck et Durand se sont connus dans leur enfance, qu’ils ont grandi ensemble, mais du même coté de la barrière. L’un était le fils du directeur de l’usine, l’autre le fils d’un ouvrier. De ces deux personnages, l’auteur image une lutte des classes sous le refrain de la vengeance est un plat qui se mange froid comme la mort. Sans vouloir donner de leçons, ni être revendicateur outre mesure, il construit en toute simplicité un roman qui, personnellement, m’a impressionné justement par son apparente simplicité.

Et c’est sans compter la fin, qui évidemment et comme le reste du livre, est étonnante et renversante, mais sans aucune esbroufe, et avec beaucoup de créativité, d’ingéniosité et de malice. Décidément, ce roman s’avère surprenant du début à la fin, à tous points de vue et se place juste à coté des romans de Pascal Garnier, auteur que j’adore.

Ne ratez pas l’avis de Claude et de l’Oncle Paul

Candyland de Jax Miller

Editeur : Ombres Noires

Traducteur : Claire-Marie Clévy

Attention coup de cœur !

Après Les infâmes, le premier roman de Jax Miller que j’avais bien aimé, je ne m’attendais pas à un tel choc dès son roman suivant. Car, pour vous donner une petite idée sur l’effet qu’il m’a fait, j’ai mis deux jours à m’en remettre sans avoir ne serait-ce que l’envie d’en ouvrir un autre. Le personnage principal de ce roman n’est rien moins que la petite ville de Cane.

Cane est une petite ville minière (imaginaire) de Pennsylvanie qui a connu son heure de gloire dans les années 60 grâce à son parc d’attraction dédié aux sucreries nommé Candyland. Cane était même surnommée Le Cœur Sucré de l’Amérique. Avec la fermeture des mines, la ville a petit à petit dépéri et Le cœur sucré de l’Amérique est devenu le Cœur drogué de l’Amérique. La fermeture de Candyland dans les années 80 a sonné le glas de cette petite ville, le parc étant squatté par les fabricants d’alcool de contrebande et de méthamphétamine.

Cane est une ville entourée de forêts, juste en bordure du comté de Vinegar. Au milieu des bois, se dresse une colline, au sommet de laquelle s’est implantée une communauté Amish. Sadie Gingerich en est issue, et est partie pour tenir une boutique de confiseries. Grace à son don de créer des bonbons originaux, elle connait encore aujourd’hui un grand succès. Elle attend son fils Thomas pour le repas de Thanksgiving, qui est bizarrement en retard. En fait, ils ne se voient que pour cette occasion-là.

L’inspecteur Braxton en a encore pour quelques jours avant de prétendre à une retraite bien méritée. Cela ne le rassure pas, car il va être obligé de subir sa femme Deb. Quand on l’appelle, c’est pour lui signaler un corps dans une grotte à la sortie de Cane. Il se déplace donc avec son remplaçant, l’inspecteur Rose qui ne veut pas s’embêter et veut faire passer cette mort pour une attaque d’ours. Mais quand Braxton retourne le corps, il reconnait en lui Thomas, le fils de Sadie et des souvenirs viennent le hanter.

Braxton tient à aller lui annoncer lui-même la mort de son fils. Le poids du passé les empêche de ne dire que quelques mots, mais il lui promet de trouver le coupable. Le corps a en effet été poignardé à 17 reprises. Lors de l’autopsie, on retrouve un morceau de lame qui s’est cassé entre deux cotes. Dessus, on trouve les empreintes de sa nièce Allison Kendricks, que Braxton a élevée quand son père Danny est parti en prison. Le temps de lever tous les secrets est arrivé …

Dès son deuxième roman, Jax Miller frappe fort, et même plus que fort. J’avais bien aimé Les infâmes, mais j’étais loin d’imaginer que son deuxième roman allait être aussi fort. C’est bien simple, je n’y ai trouvé aucun défaut, sauf peut-être un chapitre en trop (le chapitre 81, qui n’amène rien à l’intrigue). Mais c’est vraiment pinailler car le plaisir de se balader à Cane est immense.

J’ai trouvé hallucinant la facilité avec laquelle Jax Miller arrive à créer une ville complète, sans en faire trop (contrairement à moi dans le résumé que je vous ai fait). En fait elle positionne ses descriptions au fur et à mesure, faisant avant tout la part belle à ses personnages. Surtout, elle montre comment dans cette petite ville comme dans toute petite ville, comment tout le monde se connait, comment tout le monde sait tout et ne dit rien, ou ne sait rien mais dit tout. Surtout, elle nous montre comment tout un chacun garde pour lui ses secrets qui peuvent sembler insignifiants mais qui petit à petit vont s’avérer énormes, dramatiques, catastrophiques.

Sans surprise, Jax Miller va passer d’un personnage à l’autre, évitant d’en faire parler à la première personne du singulier, leur laissant la place sans prendre parti. Et quels personnages, avec Sadie, mère éplorée à cause d’un fils qui la délaisse, ou Braxton, flic vieillissant obligé de s’impliquer dans cette affaire, ou Allison adolescente malheureuse, droguée, qui refuse le bonheur, ou Thomas, fils idéal en apparence, ou Danny ancien taulard qui veut réparer ses erreurs. Même les personnages secondaires sont aussi importants comme Rose qui ne veut pas être emmerdée.

C’est aussi et surtout ce style envoûtant, qui vous prend doucement par la main, qui vous emmène ailleurs, dans une petite ville que l’on pourrait croire tranquille. Puis, plus on avance dans le roman, plus on change d’avis. Mais le plaisir et l’envie d’y retourner est toujours là. Je parle souvent de plume hypnotique, mais je dirai qu’ici elle est magique, elle vous ensorcelle pour laisser dans votre cerveau une envie irrépressible d’y revenir. Comme une drogue …

Il y a aussi cette construction implacable, faite tout en douceur. On voyage d’un personnage à l’autre, d’un lieu à l’autre, d’une époque à l’autre et c’en est un réel plaisir. Tout cela se fait en douceur, pour mieux nous emmener dans un final dramatique époustouflant. Il y a aussi des retournements de situation qui vous renversent, vous prenant à revers dans toutes vos certitudes. Il y a aussi ce souffle romanesque, insufflé par le destin de personnages simples mais hors du commun. Il y a cette description de petites gens, qui m’ont fait penser, dans leur minutie au grand Stephen King.

Énorme, je vous dis que ce roman est énorme. Un vrai grand beau coup de cœur !

Ne ratez pas l’avis de l’ami Yvan

Le diable en personne de Peter Farris

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons

N’ayant pas lu Dernier appel pour les vivants, le précédent roman de Peter Farris, paru aussi chez Gallmeister, ce roman est donc pour moi une découverte. Et comme tous les étés, Gallmeister a le don de nous dégotter d’excellents romans noirs.

Maya est une jeune prostituée, enfermée dans un coffre de voiture. Deux hommes sont au volant, deux brutes épaisses dont le boulot est de faire disparaitre Maya. Elle est attachée mais arrive à se défaire de ses liens. Elle entend leur conversation, est secouée dans tous les sens quand la voiture s’arrête. Elle va tout faire pour se défendre, et va dans un premier temps faire semblant d’être inanimée.

Quand ils sortent Maya de la voiture, ils veulent en profiter un peu avant de la tuer. Mais elle réussit à leur échapper et s’enfuit dans les bois. Malheureusement, ils la rattrapent. Alors qu’elle est assommée, un homme vient la sauver in extremis, tue le premier et laisse partir le deuxième homme. Puis il ramène Maya chez lui, une petite cabane perdue en plein milieu des bois. Cet homme s’appelle Leonard Moye.

Leonard Moye est connu dans la ville de Trickum pour être un marginal. Bien qu’il vive seul, il a un mannequin en plastique dans sa cuisine, élégamment habillé, qu’il appelle Marjean, et qu’il considère comme sa femme. Il explique à Maya que personne ne vient fouler ses terres sans son autorisation. D’ailleurs, son premier travail consiste à faire disparaitre les traces du mort. Maya lui explique qu’elle travaille pour un proxénète nommé Mexico, et qu’elle connait des secrets compromettant le Maire.

Voilà un roman de petite taille dont l’intrigue est relativement simple. L’auteur aurait pu entrer plus dans les détails en ce qui concerne la corruption du Maire, ou les développements des différents trafics. Il va en fait se contenter de rester dans la bonne tradition du roman américain, en faisant de son roman presque un western classique, où Leonard Moye jouerait le rôle de la diligence encerclée par les Indiens. Car les mafieux vont tenter de pénétrer sur les terres de Leonard pour éliminer Maya.

Dans ce roman noir, on n’y trouve aucun personnage « bon », au sens où tous sont des cinglés, des pourris, et où la morale n’existe plus. Tous les coups sont permis, ce qui donne une image pessimiste des Etats Unis, ce que l’on a l’habitude de lire dans les romans américains actuels. Tout le monde s’octroie le droit d’avoir une arme et de l’utiliser. Et comme les trafiquants corrompent ceux qui sont censés faire la loi ou la faire respecter, tout y est permis.

Malgré le ton désespérant du livre, certaines scènes humoristiques viennent soulager l’ensemble, comme quand Leonard Moye descend en ville pour acheter des tampons hygiéniques, accompagné de sa femme mannequin Marjean. Mais c’est surtout le style ébouriffant qui frappe dans ce livre. La plume de Peter Farris est tout bonnement fascinante, tant elle est simple, concise, et imagée. On a vraiment l’impression d’être plongé dans un décor de petite ville sans qu’il y ait de descriptions bavarde.

Le seul bémol que je mettrais concernant ce roman, c’est qu’à force de lire ces nouveaux auteurs américains, j’ai l’impression de lire la même intrigue traitée différemment. Dans le cas présent, ce roman m’a beaucoup fait penser à En mémoire de Fred de Clayton Lindemuth. Et si certaines pages de ce roman m’ont tout simplement époustouflé, si sa fin est extraordinaire, je dois bien avouer que la lassitude de lire des romans sur le même sujet est proche.

Claude a mis un coup de coeur à ce roman. Yan et Jean-Marc ont beaucoup aimé, entre autres.

Le diable dans la ville blanche de Erik Larson (Livre de poche)

J’ai la chance de faire partie du jury pour élire le thriller 2013 du livre de poche, dont les romans sont choisis parmi les sorties de l’année. Je commence donc par ce roman imposant, 600 pages, et pas un dialogue. C’est marqué Thriller et le sujet est intéressant. Cela va me permettre de découvrir un pan de l’histoire américaine que je connais bien mal. Nous allons balayer une période allant de 1890 à 1895.

Le contexte est l’Exposition universelle de Chicago de 1893. Daniel Burnham est un jeune architecte qui s’est fait connaitre par la construction de gratte-ciel. Avec son associé, il va hériter d’un défi hors du commun : batir en à peine 4 ans une nouvelle cité, qui accueillera l’exposition universelle. Elle devra montrer la grandeur des Etats Unis mais aussi être plus imposante que celle de Paris de 1889.

En parallèle, nous allons suivre l’itinéraire du docteur Holmes, un jeune homme séduisant qui va faire sa fortune en assassinant des gens pour toucher leur assurance vie, puis en achetant une pharmacie. Il va ensuite faire construire un immeuble à Englewood, avec des appartements qu’il va louer à des jeunes femmes. Au sous-sol, il va aménager une salle totalement insonorisée et un four crématoire.

Le destin de ces deux hommes, Burnham et Holmes va être mis en parallèle tout au long de ces années. Mais dès les premières pages, le ton est donné : L’auteur, journaliste de formation a regroupé une documentation impressionnante pour retranscrire le Chicago du 19ème siècle et narrer une histoire à 100% vraie.

Je dois dire que ce roman n’est pas un roman, et encore moins un thriller. Mais Erik Larson, au travers d’une documentation sans faille et d’un style parfaitement fluide sait faire monter la pression chez le lecteur. De la pression sur les épaules de Burnham aux subterfuges de Holmes, des désastres naturels (ils vont subir une tempête extraordinaire) aux massacres de jeunes filles, ce livre se dévore même s’il n’est pas à proprement parler un roman.

En fait, Erik Larson a tout simplement écrit un fabuleux documentaire sur cette période de folie (merci Christian pour cette phrase), rendant l’ambiance de l’époque par des détails fort judicieux : la pollution, la saleté dans les rues, les mœurs des gens au travers des lettres et des attitudes des jeunes filles. Et puis, le parallèle entre la folie de la construction de cette ville et la folie de ce faux pharmacien est éloquente. Il montre aussi le développement de la criminalité avec la montée des pavillons. Et on peut se demander quelle est la responsabilité de la société dans la création d’un monstre tel que Holmes.

Tout est remarquablement fait et surtout passionnant à lire. Si vous êtes fan de thriller ou lecteurs exclusifs de romans, il vous faut savoir que ce roman se rapproche plus d’un documentaire. Mais que vous devriez laisser votre curiosité vous guider vers ce documentaire éloquent. Et puis, il y a cette phrase qui m’est sans cesse revenue à l’esprit : « Il ne s’agit en aucun cas d’une œuvre de fiction ». Hallucinant !

Chat sauvage en chute libre de Mudrooroo (Asphalte)

Attention, coup de cœur ! Ce roman a été chaudement recommandé par Claude le Nocher . Et comme je suis d’une nature curieuse, je me suis jeté dessus. Comme c’est un roman australien, cela me permet aussi de finir mon Défi pour la littérature policière des cinq continents.

Le narrateur dont on ne connaîtra pas le nom est en prison pour une peine de dix huit mois. Il a dix neuf ans, est un métis, moitié aborigène moitié blanc, et va bientôt sortir. Il sort mais sait très bien qu’il va retourner en prison, alors il va déambuler en ville, et, au gré de ses rencontres va se rappeler les événements passés qui ont forgé sa vie, sa personnalité.

Tout petit, le narrateur a été un enfant modèle, appliquant à la lettre ce que sa mère lui demandait de faire. C’est un métis, né d’une femme aborigène et d’un homme blanc. Sa mère lui a dit de toujours fréquenter les blancs, de se comporter comme un blanc, de toujours être un blanc. Car c’est la seule solution pour bien réussir sa vie.

Lui a mal interprété ce message, et dès l’age de neuf ans, il vole des vêtements et de l’argent pour que sa mère soit la plus belle. C’est son premier séjour en maison de correction. Il cherche à s’enfuir, est repris et entre tout doucement dans une spirale infernale où on ne lui donne pas de travail et où le vol devient un moyen de subsistance.

Je ne voudrais pas dévoiler l’intrigue de ce livre tant c’est touchant et moderne. Ecrit en 1965, on croirait lire un roman contemporain tant tout y est subtil, intelligent, suggéré, vrai, réaliste, avec une vraie réflexion sur les peuples dont le rêve est de vivre et qui cherchent à atteindre un rêve que les blancs ne veulent pas partager.

Ce personnage est fort à un point qu’on vit tout ce qu’il traverse, on entre sans problèmes dans sa logique et on finit par comprendre sa démarche pour conduire sa vie. Et il en va de sa relation avec sa mère, avec les filles qu’il rencontre, avec ses anciens amis, avec sa famille. C’est un être qu’on a éduqué avec des règles qui ne sont pas les siennes, et qui s’est brûlé les ailes à vouloir un bonheur qui, dès le départ, lui était interdit.

Vous l’aurez compris, ce livre est une visite d’une ville d’Australie, parsemée de flash back pour mieux comprendre son parcours. L’auteur utilise la passage de la première à la troisième personne du singulier, non pas pour passer du présent au passé mais pour montrer que le narrateur prend du recul par rapport à ce qu’il était, par rapport à ce qu’on lui a appris.

C’est indéniablement un roman fort, avec peu de sentiments, mais avec une psychologie et une narration impeccables. Sur une intrigue simple, Mudrooroo nous tisse un roman profond dans un style limpide et intemporel. Et à la question : est-ce qu’un chat sauvage en chute libre retombe sur ses pattes ? La réponse est non. C’était écrit, c’était son destin. C’est un coup de cœur de Black Novel. Un superbe roman noir comme je les aime.

Et comme je l’ai dit plus haut, ce superbe roman constitue mon dernier roman pour le défi de la littérature policière des 5 continents, dont vous pouvez lire les articles .