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La Femme Paradis de Pierre Chavagné

Attention, coup de cœur !

Editeur : Le Mot et le Reste

A l’origine, j’ai trouvé le conseil de lecture sur le blog PassionPolar de mon ami du sud Bruno. Puis, les avis se sont accumulés, tous positifs et ils ont tous raison : Ce roman fera partie de mes meilleures lectures de ce début d’année 2023.

Elle se lève ce matin-là, pousse la porte en chêne qui ferme sa grotte. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle vit ici, dans le causse. Elle ne compte plus les jours, les semaines, les mois, les années peut-être. Elle connait par cœur le paysage qui entoure sa maigre habitation, connait toutes les couleurs, toutes les odeurs, tous les bruits, les chants des oiseaux, les grattements des animaux.

La veille, une détonation a retenti. Le silence a appesanti la forêt alentour, comme une menace qui risquait de s’imposer. Rien n’est arrivé mais elle ne peut empêcher une appréhension, une certaine inquiétude. Elle avait fait un tour, et avait été surprise par une meute de loups. Comme s’ils avaient senti qu’elle faisait partie de leur environnement, ils avaient passé leur chemin.

La détonation l’inquiète. Pour se calmer, elle écrit dans son petit cahier. Elle se rappelle un autre temps, un autre lieu, le passé. Elle se rappelle son mari, si charmant, si touché par sa timidité. Elle préfère laisser les souvenirs s’évaporer pour éviter la douleur et l’absence. Elle a construit son habitation, vit de chasse, de pêche et de cueillette. Elle a construit sa nouvelle vie comme une fusion avec la nature.

Jamais un roman ne m’a fait une telle impression … ou rarement. Entrer dans un lieu inconnu, en compagnie d’une personne inconnue, se pelotonner auprès d’elle comme un témoin silencieux, de peur de déranger le calme, l’équilibre parfait dans une nature calme et sereine. Vivre au rythme du soleil, des nuages menaçants qui s’amoncellent, des bruits enchanteurs et des odeurs simples.

Lire ce roman procure un plaisir proche d’un enchantement. Cette femme vit un retour à la nature et en devient comme un animal apeuré pour qui tout contact avec la pseudo-civilisation devient un danger. Jamais un roman ne m’aura fait voir autant de beautés naturelles, ne m’aura fait sentir les feuilles humidifiées par la brume matinale, ne m’aura fait écouter les chants mélodieux des oiseaux.

Et pourtant, elle va rencontrer des gens, des hommes. Dans ces moments-là son cœur s’enfuit, court à tout rompre, lui crie de se défendre d’une menace, existante ou à venir. De ces moments survient la violence, d’elle ou d’eux. Cet ode à la nature, à la femme, à la liberté est apparu sur les étals des libraires comme un miracle, comme un joyau rare, qu’il faut lire, relire, presque apprendre par cœur.

Coup de cœur !

Ne ratez pas le coup de cœur de mon ami Bruno sur PassionPolar

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La contrée finale de James Crumley

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Jacques Mailhos

Illustrateur : Baudoin

Mon petit plaisir de fin d’année ; mon grand, mon énorme nirvana ; mon incommensurable tristesse de se dire qu’il s’agit de la dernière aventure De Milo Milodragovitch, mais quelle aventure !

Alors qu’il a récupéré son héritage accompagné de plusieurs kilogrammes de drogues dérobés à des trafiquants, Milo s’est rangé des problèmes et a investi dans un bar, le Low Water Crossing Bar and grill qui marche bien. Après quatre mariages et quatre divorces, il vit maintenant avec Betty Porterfield dans un ranch au Texas et a délaissé son Montana. Mais il lui manque le rythme, l’adrénaline du danger et vient de recevoir sa licence de détective privé.

En route vers le comté de Travis, que les habitants eux-mêmes appellent Le Mauvais Coin, sa mission consiste à retrouver Carol Jean, la femme d’un timide professeur Joe Warren. Il la trouve sans difficultés dans un bar malfamé, nommé Over the Line, en train de jouer au billard. Après une échauffourée, il lui conseille de retrouver son mari plutôt que de déclencher des bagarres avec ses obus artificiels en silicone.

Il y fait la connaissance de Enos Walker, un type à chercher constamment la bagarre, qu’il ait bu ou non. Apparemment, il vient de tuer à bout portant un homme dans la salle du fond. Après avoir noté le nom de Sissy Duval, il voit Walker partir et appelle les flics. Le capitaine Gannon l’interroge et lui demande de retrouver Walker qui vient de sortir de prison mais Milo va le rechercher pour lui éviter d’autres ennuis, avec des truands ou la police. « Tout le monde, ici, est soit un étranger, soit une personne étrange ».

Et c’est parti … Comme il sait si bien le faire, James Crumley part d’une simple recherche pour créer une intrigue qui part dans tous les sens, pour aboutir dans les dernières pages à la résolution des énigmes en une seule phrase. On a droit à du grand art, à de la baston, des fusillades, du sexe et des visites de bas-fonds. Car où que l’on regarde, où que l’on aille, le Texas regorge d’endroits malfamés.

Et Milo ressemble à un aimant à emmerdes. Dès qu’il va quelque part, cela va mal tourner, et ces scènes incroyablement visuelles s’insèrent parfaitement dans l’intrigue. Et puis, dans un moment de calme, entre deux phrases de dialogue aux réparties saignantes et irrésistiblement hilarantes, la plume de James Crumley se fait légère, imagée, poétique et le lecteur fond.

James Crumley n’a pas son pareil pour nous faire croire à des rades miteux et poussiéreux, à nous faire vivre des bagarres mémorables, à nous asséner des fusillades bruyantes, à nous faire participer à des nuits enfiévrées dans une histoire tortueuse à souhait. On le suit dans ses pérégrinations avec un plaisir incommensurable et son histoire est bien plus compréhensible que celle des Serpents de la frontière.

Et puis, il faut se le dire, ce roman ressemble à un geste d’adieu. Milo subit sa soixantaine et ressent bien les affres de l’âge. Il ne peut plus prendre de l’alcool ou de la drogue sans en ressentir les conséquences le lendemain, il est plus lent, se prend plus de coups. On entend ses os craquer, sa fatigue prend le dessus et les dernières pages m’ont fait ressentir une immense tristesse, celle de quitter un personnage hors-norme. Le crépuscule d’un géant.

L’un des nôtres de Larry Watson

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Elie Robert-Nicoud

J’avais adoré Montana 1948 et j’ai donc acquis tout naturellement le roman paru cette année mais qui date de 2013 en réalité. Si le scénario est d’une simplicité extrême, les personnages et la façon de les présenter m’ont impressionné.

1951, Dakota du Nord. George Blackledge a occupé le poste de sheriff et profite d’une semi-retraite en compagnie de sa femme Margaret. Ils déplorent la mort de leur fils, dans un accident de cheval, qui a laissé une veuve Lorna, et son fils Jimmy. Lorna a quitté le ranch de ses beaux-parents au bras de Donnie son amoureux, et a rejoint sa nouvelle famille, le clan Weboy, dans le Montana.

Margaret se rend compte que son petit-fils n’est pas bien considéré dans le clan Weboy, laissé de côté. Il n’est pas dans des conditions acceptables pour s’épanouir. Cette situation devient insoutenable pour elle, et un matin, elle décide de voyager dans le Montana et de le ramener chez eux, coûte que coûte.

George sait très bien que Margaret ne changera pas d’avis. Quand elle a décidé quelque chose, elle prend les choses en main. Elle a tout préparé, des affaires à la nourriture, a récupéré l’argent disponible, et lui présente la situation : avec ou sans lui, elle ira récupérer Jimmy. George connait sa femme ; il décide de l’accompagner dans son long voyage vers l’inconnu.

Avec un tel sujet, on aurait pu s’attendre à la description d’une itinérance de nos deux sexagénaires à travers les Etats-Unis pour rejoindre le Montana et affronter le clan Weboy. Larry Watson préfère s’attarder sur la psychologie des deux personnages principaux et nous concocte des dialogues remarquables qui vont nous en dire bien plus sur George et Margaret que de longs discours.

Nous allons donc vivre avec George et Margaret, plus que les suivre, en appréciant la ténacité féminine et l’amour fou de George pour sa femme. Nous allons aussi voir leur attitude, leurs réactions évoluer dans trois scènes marquantes, la première rencontre avec le clan Weboy, la deuxième rencontre à l’hôtel et enfin la scène finale. Assurément vous n’oublierez pas ce roman avec ses pièces angulaires si émotionnellement fortes.

Larry Watson nous présente donc, avec son style personnel, sa façon d’en dire le moins possible laissant son lecteur interpréter ses personnages, avec sa faculté de créer une tension insoutenable en une phrase, avec son talent d’alterner la douceur avec l’agression extrême (non explicite) l’Amérique rurale, faite de clans, de groupes dans lesquels on n’accepte pas les étrangers et où la seule façon de réagir est de se replier derrière un mur de violence.

Malgré des personnages caricaturaux, on s’attache à George et Margaret ainsi qu’à tous ceux qui gravitent autour d’eux et les aident dans leur entreprise. Outre son scénario simple, on retiendra son traitement original et surtout cette plume unique capable de d’entrer dans la tête des protagonistes grâce à une phrase de dialogue géniale. Et puis, il faut bien s’avouer que le portrait de l’Amérique rurale fait froid dans le dos, d’autant plus qu’il a des accents intemporels qui nous permettent de faire le parallèle avec la situation d’aujourd’hui.

La douleur de Manfred de Robert McLiam Wilson

Editeur : Christian Bourgois (Grand format) ; 10/18 (Format Poche)

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Quand j’ai entamé cet hommage envers les éditions 10/18, j’avais mis de coté deux romans pour les mois de novembre et de décembre, deux auteurs que j’adore.

L’auteur :

Robert McLiam Wilson, né le 24 février 1964 à Belfast, est un écrivain nord-irlandais.

Robert Wilson est né dans un quartier ouvrier et catholique de l’ouest de Belfast. Il adopte le nom de plume McLiam Wilson pour ne pas être confondu avec les « dix mille Robert Wilson dans le monde entier » (McLiam est le mot gaélique pour Wilson).

Après avoir vécu à Londres et étudié durant quelques années la littérature anglaise à St Catharine’s College (université de Cambridge), il est revenu en Irlande du Nord pour donner des cours à l’université d’Ulster.

Dès son premier roman, Ripley Bogle (1988), il remporte plusieurs prix littéraires en Grande-Bretagne ou en Irlande, le prix Rooney de littérature irlandaise (1989), le prix Ted Hughes de poésie (1989), le prix Betty Trask (1990) et le Irish Book Awards (1990). C’est la biographie romancée, à portée autobiographique pour l’auteur, d’un SDF londonien, tout à la fois génial, mais aussi hautain et nonchalant, qui a érigé le mensonge en règle de vie.

Son œuvre la plus connue, celle qui l’a fait connaître, est Eureka Street. C’est un roman foisonnant avec comme personnage central la ville de Belfast et la période dite des «Troubles » entre catholiques et protestants d’Irlande du Nord.

Robert McLiam Wilson est contributeur à Charlie Hebdo depuis fin janvier 2016. Son premier article a été publié le 20 février 2016.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Dans son deuxième roman, l’auteur d’Eureka Street décrit avec une concision clinique les derniers jours d’un vieil homme, Manfred, qui souffre d’un certain nombre de douleurs : physiques – qu’il refuse de confier aux médecins et dont McLiam Wilson évoque les effets avec une minutie extraordinaire -, morales, liées au souvenir de la Seconde Guerre mondiale et a son mariage avec Emma, une rescapée des camps de la mort. C’est dans les rapports entre Emma et Manfred que se noue le roman: pourquoi un mari bat-il sa femme bien-aimée?

Le sait-il seulement? Pourquoi, vingt ans après leur séparation, les deux époux (ils n’ont pas divorcé) continuent-ils de se voir chaque mois sur un banc de Hyde Park, à Londres?

Pourquoi Manfred n’a-t-il pas le droit de regarder le visage de sa femme ?

McLiam Wilson nous fait partager les tourments, les joies et les indignations d’une fin de partie parfois beckettienne, où le tragique et le burlesque s’entremêlent en un savant dosage. Et personne, sinon Dickens, ne décrit avec autant d’amour un Londres fuligineux, détrempé ou mouillé de bruine, ses soleils brouillés, son pavé luisant de pluie, les fastes de certains crépuscules et l’ennui gris de l’aube.

Mon avis :

Eh bien, voilà ! ce roman qui m’avait été conseillé lors de la publication de mon billet sur Eureka Street a réussi à me choquer. Avec son style clinique, Robert McLiam Wilson ouvre son roman sur Manfred, un vieil homme qui se découvre une nouvelle douleur. Lassé par la vie, il est prêt à baisser les bras et laisser la maladie le ronger petit à petit, laisser le fil de vie quitter son corps fatigué.

On entre donc dans ce roman avec une grosse dose de sympathie et de pitié envers cet homme qui a décidé d’en finir. Petit à petit, de petits indices nous laissent entrevoir que la situation n’est pas aussi simple que l’on peut le croire. Jusqu’à la fin de la deuxième partie qui a complètement changé ma vision de Manfred, dans une bouffée soudaine de pure haine. Et pourtant, Robert McLiam Wilson n’est pas démonstratif à l’excès, et c’est probablement ce style froid qui s’avère frappant, choquant.

La construction et le déroulement de l’intrigue sont juste remarquables, la psychologie de Manfred éminemment complexe et la réaction de son entourage bien plus explicite que ce qu’il a dans sa tête. Robert McLiam Wilson ne justifie rien, aligne les actes, les situations et nous laisse conclure pour ce qui est un roman d’une extraordinaire justesse et d’un essor dramatique sans fond. Mon Dieu ! je n’imagine même pas comment l’auteur a pu finir un tel roman sans en ressentir un malaise abyssal.

Skaer de Philippe Setbon

Editeur : Editions du Caïman

Philippe Setbon fait partie de ces auteurs capables de vous emmener dans des scénarii prenants, toujours portés par des personnages forts auxquels on croit d’emblée. Il ne faut pas rater Skaer !

Skaer a acheté et retapé une petite cahute juchée sur une colline en plein pays basque, du côté d’Ilbaritz. En contrebas, se tient une belle demeure, dans laquelle vient d’arriver une famille. Toujours à l’affut, il observe le mari qui semble énervé. En descendant prudemment et sans faire de bruit, il entend le mari frapper sa femme et lui intimer de ranger la maison, avant de s’en aller en ville.

Stéphanie est en train d’éponger le sang qui coule de son nez quand Skaer entre dans la propriété. Il n’a jamais apprécié que l’on s’en prenne à une femme. Il conseille à Stéphanie et Celestia, sa fille adolescente, de ne pas s’inquiéter. Son mari ne la violentera plus, il en fait une affaire personnelle. Derrière sa barbe qui cache des cicatrices, Skaer devrait faire peur mais il dégage une aura de confiance.

Skaer s’introduit dans la chambre d’hôtel du mari. Quand ce dernier rentre, il lui met le marché en main : ne plus avoir aucun contact avec sa femme et sa fille. Comme il refuse, Skaer le tue et maquille le meurtre en accident. Pour le lieutenant Paul Burgonges, l’accident ne fait aucun doute. Lorsqu’il annonce le drame à Stéphanie, il rencontre Skaer. Les deux hommes se trouvent un objectif commun, trouver le tueur d’enfants qui a déjà fait cinq victimes.

Je ne vais pas tourner autour du pot, ce roman est un petit bijou de polar. La fluidité du style de l’auteur n’est plus à démontrer, son talent à bâtir des intrigues costaudes non plus. Mais il me semble qu’il a mis beaucoup d’application dans la construction de l’intrigue qui est tout simplement remarquable et qu’il n’a laissé aucune zone d’ombre en ce qui concerne le passé des personnages et leur psychologie.

Stéphanie peut apparaitre comme la victime, et Skaer comme le sauveur, le chevalier. Mais c’est surtout le personnage de Celestia qui crève l’écran, tant elle prend de l’ampleur au fur et à mesure de l’intrigue au point de voler la vedette à Skaer. Cette gamine apparait comme une battante, elle soutient sa mère, se montre d’un courage proche de l’inconscience et elle est bigrement attachante. Skaer est construit comme un personnage plus classique. Il est présenté comme un barbouze, un soldat déserteur, capable de revêtir différentes identités, de se fondre dans l’ombre et d’être sans pitié quand il le faut. Enfin, Burgonges aurait pu être le niais dépassé par les événements mais l’auteur l’a voulu comme le complice de Skaer … et je ne vous en dis pas plus.

A construire son roman comme il l’a fait, on imagine sans mal cette histoire adaptée au cinéma, tant l’écriture est visuelle, le scénario remarquable, le découpage des scènes implacable et les dialogues savoureux et évidents. Toutes ces qualités font de ce roman un divertissement très haut de gamme, le genre de polar dont vous souviendrez longtemps tant vous y aurez trouvé du plaisir à sa lecture.

Au passage, la photographie en couverture est superbe.

Jesus’ son de Denis Johnson

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; 10/18 (Format poche)

Traducteur : Pierre Furlan

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Une fois n’est pas coutume, je vous propose un recueil de nouvelles pour cette rubrique Oldies, d’un auteur américain bien peu connu chez nous.

L’auteur :

Denis Johnson, né le 1er juillet 1949 à Munich en Allemagne de l’Ouest et mort le 24 mai 2017, est un auteur américain. Il est surtout connu pour son recueil de Jesus’ Son (1992) et son roman Arbre de fumée (2007), qui a remporté le National Book Award.

Dans sa jeunesse, Denis Johnson suit son père au gré des affectations de celui-ci. Il devient dépendant ensuite à diverses substances. Finalement, il obtient une maitrise (MFA) à l’université de l’Iowa. Ses principales influences sont Dr Seuss, Dylan Thomas, Walt Whitman et T. S. Eliot. Il a reçu de nombreux prix pour ses œuvres, y compris un Prix du Whiting Writer’s en 1986 et une bourse Lannan pour la fiction en 1993.

Selon un groupe de critiques, écrivains et autres membres du milieu littéraire, son recueil Jesus’ son fait partie des meilleures œuvres de fiction américaines des 25 dernières années.

Denis Johnson fait des débuts remarqués avec la publication de son recueil de nouvelles Jesus’ Son (1992), qui a été adapté au cinéma en 1999 sous le même titre, et qui a été cité comme l’un des dix meilleurs films de l’année par le New York Times, le Los Angeles Times, et par Roger Ebert. Denis Johnson a un petit rôle dans le film, interprétant l’homme ayant été poignardé à l’œil par sa femme.

Il est titulaire en 2006-2007 de la chaire Mitte d’écriture créative à l’université d’État du Texas, à San Marcos (Texas).

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Révélation terrifiante et admirable à la fois pour l’univers intérieur d’une certaine jeunesse américaine hantée par la violence et la drogue, les onze nouvelles de ce recueil retracent les tribulations d’un narrateur unique. Vies brisées, agonies dérisoires, accidents spectaculaires, l’auteur décrit tout cela comme autant de vignettes de l’existence quotidienne vécue par les junkies errant à travers le paysage américain. Pour Christophe Mercier (Le Point) : « L’ensemble forme comme une tapisserie pointilliste, la radiographie d’une frange, invisible à l’œil nu, de l’Amérique moyenne. Une découverte impressionnante. »

Mon avis :

Dès la première nouvelle, on est frappé par l’absence de sentiments, lors d’un accident décrit comme des images colorées. On y trouve un coté détaché, halluciné malgré la violence du propos. Le ton est donné pour tout le reste de ce recueil, une violence omniprésente et détachée comme si elle était irréelle.

L’auteur nous présente un monde qui alterne entre réalité et cauchemar, fait de passages décalés soit dans la description soit dans les remarques qui peuvent paraitre choquantes. Dans ce monde de drogués, la réalité est altérée et l’impression que l’on en retire reste toujours étrange, inimaginable, fantasmagorique, comme quelque chose qui ne peut jamais arriver en vrai.

L’auteur semble nous présenter des moments de sa vie, des cartes postales sur des rencontres (Deux hommes), dans des situations communes (Un travail, Urgences). Il y est rarement question d’amour, mais quand c’est le cas, le ton est toujours violent, désabusé et décalé. Il n’est pas étonnant que l’auteur ait rencontré un grand succès avec ces nouvelles d’un ton qui semble imagé avec un filtre imposé par les stupéfiants, avec une bonne dose de poésie. Intéressant !

Last exit to Brooklyn de Hubert Selby Jr

Editeur : Albin Michel (Grand format); Livre de Poche puis 10/18 (Format Poche)

Traducteurs : Jeanne Colza puis Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet

Attention, Coup de Cœur !

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Cela faisait plus de trente ans que je voulais lire ce roman, surtout grâce à sa réputation de chef d’œuvre de l’auteur, l’accusation d’obscénité qu’il a subie en Angleterre ne me faisant ni chaud ni froid.

L’auteur :

Hubert Selby, Jr., né le 23 juillet 1928 à New York, et mort le 26 avril 2004 (à 75 ans) à Los Angeles, est un écrivain américain.

Né à New York, dans l’arrondissement de Brooklyn en 1928, Selby quitte l’école à l’âge de 15 ans pour s’engager dans la marine marchande, où son père, orphelin, avait travaillé. Atteint de la tuberculose à 18 ans, les médecins lui annoncent qu’il lui reste deux mois à vivre. Il est opéré, perd une partie de son poumon, et restera 4 ans à l’hôpital.

Lors de la décennie suivante, Selby, convalescent, est cloué au lit et fréquemment hospitalisé (1946-1950) à la suite de diverses infections du poumon. « C’est à l’hôpital que j’ai commencé à lire avant d’éprouver le besoin d’écrire. » Incapable de suivre une vie normale à cause de ses problèmes de santé, Selby dira : « Je connais l’alphabet. Peut-être que je pourrais être écrivain. ». Grâce à sa première machine à écrire, il se lance frénétiquement dans l’écriture.

Son premier roman, Last Exit to Brooklyn, une collection d’histoires partageant un décor commun, Brooklyn, entraîna une forte controverse lorsqu’il fut publié en 1964. Allen Ginsberg prédit que l’ouvrage allait « exploser sur l’Amérique comme une bombe infernale qu’on lirait encore cent ans après. ». Il fut l’objet d’un procès pour obscénité en Angleterre, interdit de traduction en Italie, et interdit à la vente aux mineurs dans plusieurs états des États-Unis. Son éditeur, Grove Press, exploita cette controverse pour la campagne de promotion du livre, qui se vendit aux alentours de 750 000 exemplaires la première année. Il fut également traduit en douze langues. L’auteur le résume ainsi : « Quand j’ai publié Last Exit to Brooklyn, on m’a demandé de le décrire. Je n’avais pas réfléchi à la question et les mots qui me sont venus sont : « les horreurs d’une vie sans amour». ». L’ouvrage est republié sous une nouvelle traduction française début 2014.

Son second ouvrage, La Geôle, publié en 1971, est un échec commercial, malgré les critiques positives, ce qui décourage l’auteur.

Selby connaît des problèmes d’alcool, et devient dépendant à l’héroïne, ce qui le conduira deux mois en prison et un mois à l’hôpital, et lui permettra de sortir de cette dépendance. Cependant, après cette cure, il tombera encore plus dans l’alcoolisme.

En 1976 sort son roman Le Démon, l’histoire de Harry White, jeune cadre New-yorkais en proie à ses obsessions. Cette histoire présente de grandes similitudes avec American Psycho, écrit quinze ans plus tard par Bret Easton Ellis.

Deux ans plus tard, il publie Retour à Brooklyn ((en) Requiem for a Dream), qui sera adapté plus de 20 ans plus tard au cinéma, en 2000, sous le même titre, par Darren Aronofsky, avec qui il écrira le scénario.

En 1986 sort son recueil de nouvelles Chanson de la Neige Silencieuse ((en) Songs of the Silent Snow), et en 1998 son roman Le Saule (The Willow Tree), plus apaisé : « Mes premiers livres avaient tous ce côté pathologique, il fallait parler du « problème » sous tous les angles possibles alors que, dans Le Saule, j’essaie de parler de la solution et des moyens d’y parvenir. ». Enfin, en 2002, est publié Waiting Period, roman où le héros, contraint de reporter son suicide, reconsidère son projet.

Il a vécu à Manhattan, puis à Los Angeles, où il a enseigné à l’Université. Il a été marié trois fois et a eu quatre enfants, deux filles et deux garçons.

À la fin de sa vie, il confiait à l’un de ses amis  » je peux tout juste taper une lettre sur ce putain d’ordinateur « . En effet, Selby avait acheté un ordinateur, dans le seul et unique but de remplacer sa  » bonne vieille machine à écrire « .

Il est mort le 26 avril 2004 à Los Angeles d’une maladie pulmonaire chronique, consécutive à la tuberculose contractée durant sa jeunesse. Il s’est éteint accompagné de ses proches : son ex-femme Suzanne, chez qui il se trouvait, les enfants de son premier mariage, et son chien.

Quatrième de couverture :

Consacré à la violence qui déchire une société sans amour mais ivre de sexualité, ce livre a imposé d’emblée Selby parmi les auteurs majeurs de la seconde moitié de ce siècle. D’autres oeuvres ont suivi : La Geôle, Le Démon, Retour à Brooklyn, toutes parues dans notre « Domaine étranger ». Last Exit to Brooklyn reste le point d’orgue de ce Céline américain acharné à nous livrer la vision apocalyptique d’un rêve devenu cauchemar. Où la solitude, la misère et l’angoisse se conjuguent comme pour mieux plonger le lecteur dans ce qui n’est peut-être que le reflet de sa propre existence. Implacablement.

Mon avis :

Autant vous prévenir tout de suite, ce roman se mérite, il nécessite des efforts et du courage mais vous trouverez la récompense au bout du chemin. Ce roman est composé de six nouvelles plus ou moins longues qui tournent autour d’un quartier de Brooklyn, le bar grec d’Alex. Dans ce microcosme, on va trouver un échantillon de la société américaine représentative de ce qu’elle était mais aussi de ce qu’elle est devenue. Car ce roman reste encore d’actualité et démontre la violence inhérente à ses règles, ses lois, son éducation.

Dès la première nouvelle, le ton est donné : un groupe de clients du bar passe son temps à boire puis, pour se dégourdir les jambes et les poings, entraine quelqu’un dehors pour le tabasser, qu’il soit soldat ou pédé. Cet extrait permet aussi d’entrer dans le monde d’Hubert Selby Jr. Les gens passent leur temps comme ils le peuvent, vivent en meute mais malgré tout, se retrouvent seuls devant les secondes qui s’écoulent avant leur mort. Il permet aussi d’appréhender ce que sera le style imposé de l’auteur : de longs paragraphes, pas d’indication de dialogues, tout est noyé dans une même narration, car le lecteur doit être capable d’écouter cette musique rythmé que le narrateur leur assène, comme une batterie battant la mesure infernale.

On retrouve la solitude au menu de la deuxième nouvelle, La reine est morte, avec Georgette, un travesti qui est amoureuse de Vinnie qui l’ignore. Et ce n’est pas le fait d’avoir un enfant qui va combler cette solitude, selon Trois avec bébé. Mais c’est bien dans Tralala ou La grève que l’on retrouve le thème principal du livre, celui d’exister dans une société aveugle et écrasante, où l’on voit deux personnages qui cherchent à exister (Tralala qui devient une prostituée sans se l’avouer et Harry qui se cherche sexuellement).

Ces nouvelles forment un tout, comme une farandole enlacée, avec ses phrases qui harcèlent le lecteur, sans lui donner la possibilité de respirer. Si le livre se mérite, il a le mérite de poser des questions, mettant en cause une société avide du paraitre beau et sans tâches, éliminant de fait la possibilité de faire sa vie indépendamment des autres. Et tous ces personnages comprendront trop tard leur erreur, la société se vengeant d’eux de façon extrêmement violente.

J’ai eu l’occasion de comparer les deux traductions disponibles en France. Les deux se basent sur le même texte et pourtant, cela n’a rien à voir. Celle de Jeanne Colza me semble plus respecter la forme et le rythme voulu par Selby, mais pâtit de termes argotiques liés à l’époque de la traduction alors que celle de Jean-Pierre Carasso, plus littéraire me semble être une interprétation du texte. Les deux sont intéressantes, respectueuses, surtout quand l’on considère que ce texte est intraduisible, tant les nuances sont difficiles à retranscrire.

Pour peu que vous fassiez un effort, notez ce titre et lisez ce monument de la littérature américaine, qui n’a pas pris une ride et qui pose les bonnes questions sur ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir, notre rapport aux autres et l’image qu’ils ont de nous. Last exit to Brooklyn est un texte puissant, indémodable, grandiose et d’une modernité impressionnante. Un classique !

Coup de cœur !

Je vous conseille aussi de lire ce texte de Jean-Pierre Carasso qui parle sa façon d’appréhender ce texte et ses difficultés. Après cela, vous le lirez peut-être en Anglais !

Moins que zéro de Brett Easton Ellis

Editeur : 10/18 (Format Poche)

Traducteur : Brice Matthieussent

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Et nous commençons en fanfare avec un auteur dérangeant, le trublion Brett Easton Ellis.

L’auteur :

Né à Los Angeles, Bret Easton Ellis passe son enfance à Sherman Oaks, dans la vallée de San Fernando. Il est le fils de Robert Martin Ellis, promoteur immobilier, et de Dale Ellis, femme au foyer, qui divorcent en 1982.

Après des études secondaires dans une école privée, The Buckley School, il suit un cursus musical au Bennington College (l’université qui inspire le « Camden Arts College » dans Les Lois de l’attraction).

Parallèlement à ses études, il joue dans divers groupes musicaux, dont The Parents. Il est toujours étudiant à la sortie de son premier livre, Moins que zéro. Bien reçu par la critique, il s’en vend 50 000 exemplaires dès la première année.

En 1987, Bret Easton Ellis s’installe à New York pour sortir son deuxième roman Les Lois de l’attraction. Le roman est adapté au cinéma en 2001 par Roger Avary et interprété par James Van Der Beek et Jessica Biel. C’est dans ce livre que l’on voit apparaître un personnage nommé Patrick Bateman, que l’on retrouvera dans son roman suivant.

Son ouvrage le plus controversé est sans doute American Psycho (1991). Son éditeur Simon & Schuster lui avait versé une avance de 300 000 dollars pour qu’il écrive une histoire à propos d’un serial killer. À la suite de nombreuses protestations, l’éditeur refuse de publier le roman. En effet, celui-ci est considéré comme dangereusement misogyne. Il sort finalement en 1991, édité par Vintage Books. Certains voient dans ce livre, dont le protagoniste Patrick Bateman est une caricature de yuppie matérialiste et un tueur en série, un exemple d’art transgressif. American Psycho est porté à l’écran en 2000 par Mary Harron, le personnage principal étant interprété par Christian Bale.

(Source : Wikipedia)

Quatrième de couverture :

La révélation des années quatre-vingt assurément. Le premier livre du sulfureux Ellis, qui n’a alors que vingt ans, est un choc. À sa sortie pourtant, « Moins que zéro » est modérément accueilli par les critiques américains. Il connaît en revanche un énorme succès en France.

L’histoire, un puzzle dont on ne cesse de replacer les morceaux, est celle de personnages interchangeables, jeunes gens dorés sur tranche, désœuvrés et la tête enfarinée. L’un s’ennuie à mourir dans son loft de deux cents mètres carrés, l’autre cherche désespérément un endroit ou passer la soirée et tout ce joli monde de dix-huit ans à peine se téléphone et se retrouve dans les lieux les plus chics de Los Angeles. Pour méditer, bien entendu, sur les dernières fringues à la mode ou le meilleur plan dope de la ville. Et les parents dans tout ça? Ils sont trop occupés et stressés par leurs boulots, leurs maîtresses ou leurs psychiatres pour voir ce que devient leur charmante progéniture.

Au bout du compte, on a l’impression d’un immense vide, d’une vie qui n’a plus aucun sens. Et là où l’on était d’abord agacé, on finit par être ému, puis révolté. Car, c’est toute la force d’Ellis de nous faire comprendre que ce monde roule un peu trop souvent sur la jante. Stellio Paris.

Mon avis :

Pour un fan de cet auteur comme moi, la curiosité aiguisait mes appétits et j’attendais une occasion de lire ce roman. Ecrit à l’âge de 21 ans, il apparait comme une œuvre impressionnante de maturité. Déjà, il impose son style, très détaillé, à tel point que chaque geste évoqué nous donne l’impression de voir un film se dérouler devant nos yeux. Quant au sujet, il s’agit toujours d’une autopsie de la société américaine, en même qu’une charge féroce contre son anti-culture.

Clay revient à Los Angeles pour les vacances de Noël et retrouve ses amis et sa petite amie. Pendant deux semaines, il va arpenter les soirées, boire, fumer, sniffer, tout en observant ses contemporains. Fils d’un couple divorcé ultra-riche, il ne fait rien car ne trouve aucun intérêt à sa vie, et joue le rôle de suiveur, de témoin d’une génération en mal de repères et se laissant berner par les plaisirs faciles.

Mais derrière ces atours ensorcelants, Brett Easton Ellis nous peint une société propre sur elle, mais qui derrière le décor, se révèle la plus horrible possible. Entre son voisin fan de nazisme, une de ses connaissances qui utilise une jeune fille comme esclave sexuelle, ses amis qui se laissent aller aux pires vices, Clay nous montre les racines de cette société sans réel fondement que celui du fric qui cherche toujours plus de frissons au mépris des lois.

Plus calme que ses deux romans suivants, moins gores, mais tout aussi marquants, ce roman est sans pitié sur ces jeunes gens riches qui ne savent rien faire d’autre que profiter, de leur argent et des autres. D’ailleurs, Clay le dit plusieurs fois : « On peut disparaitre ici sans même s’en apercevoir ». Je vous rajoute aussi une phrase qui fait froid dans le dos de la part de Rip, un copain de Clay : « Quand on veut quelque chose, on a le droit de le prendre. Quand on veut faire quelque chose, on a le droit de le faire. » (Page 228). J’ajouterai sans aucune limite, le No Limit des années Carter puis Reagan.

Je tiens à signaler la traduction exceptionnelle de Brice Matthieussent, et ne peux que vous conseiller de plonger dans ce roman puis d’enchainer avec Les lois de l’attraction et American Psycho tout en vous mettant en garde sur des scènes ultra-violentes dans ces deux derniers, pour mieux enfoncer le clou.

Traverser la nuit d’Hervé Le Corre

Editeur : Rivages/Noir

Acheté dès sa sortie en début d’année, je m’étais mis ce roman de coté pour mes ultimes lectures de 2021. Annoncé comme un roman noir, c’est effectivement une lecture qu’il vaut mieux entamer avec un bon moral, tant le ton y est sombre.

Un homme est retrouvé à un arrêt de tramway, vraisemblablement ivre. Les flics le ramènent au poste de police et se rendent compte que son tee-shirt est ensanglanté. Pour récupérer l’habit, ils lui enlèvent les menottes mais le prisonnier en profite pour prendre un pistolet. Mis en joue, l’homme ne sait quoi faire, puis se jette par la fenêtre. Quelques étages plus bas, sur le trottoir, la flaque de sang s’agrandit.

Louise a pris la bonne décision ; elle a pris son fils Sam et a quitté le domicile conjugal. Elle n’en pouvait plus qu’il la roue de coups chaque fois qu’il avait trop bu. Après avoir conduit son fils à l’école, elle va faire le ménage chez des petits vieux et faire leurs courses, avec cette menace pesante que son mari pourrait bien la retrouver.

Le commandant Jourdan entre dans l’appartement. La voisine a entendu les coups de feu, cinq ou six. La femme a été abattue dans la salle de bains, les corps des trois enfants parsemés dans la salle de séjour et le couloir, tués froidement. Le forcené s’est réfugié dans sa belle famille pour les descendre. Quand Jourdan arrive, la maison est bouclée et il décide d’y aller seul.

Christian vit seul et rend souvent visite à sa mère. Il doit subir les différentes humeurs, en général mauvaises, de ses clients à qui il livre des matériaux de construction. Depuis son retour du Tchad, il est pris de bouffée de haine, qu’il assouvit en poignardant de jeunes femmes rencontrées au hasard. Justement, il vient d’en repérer une à la sortie d’un bar. Cela lui donne comme une bouffée, une pulsion incontrôlable.

Bâti autour de trois piliers, des personnages plus vrais que nature, inoubliables, Hervé Le Corre construit un roman noir implacable, d’une noirceur et d’une violence brutale. Que ce soit Louise, Jourdan ou Christian, il nous présente trois âmes en peine, en souffrance : Louise obligée de s’en sortir seule et sous la menace constante de son ex-compagnon, Jourdan plongé dans les pires horreurs des drames familiaux et Christian obligé de tuer pour calmer ses pulsions.

Toutes ces scènes mises bout à bout vont passer en revue leur vie somme toute banale, dans une société que l’auteur nous montre sans pitié, ayant perdu toute humanité, où on est capable de frapper, de tuer sans raison. Il est par conséquent difficile de retenir son souffle, d’autant plus qu’on s’empêche de respirer devant tant de noirceur, grâce à la minutie apportée à la psychologie des personnages principaux et secondaires.

Si on sait qu’Hervé Le Corre fait partie des meilleurs auteurs de romans noirs français, il confirme ici sa capacité à nous plonger dans une réalité d’une noirceur infinie grâce à sa plume capable de décrire l’horreur et de décrire poétiquement une ville en automne, où derrière les ombres se cachent les monstres. Comme je vous le disais, il vaut mieux avoir le moral avant d’attaquer ce livre fantastiquement noir, sans nuances, et ce n’est pas la fin qui va vous soulager. Malgré cela, le monde doit continuer à tourner …

La chasse

Cette année, nous avons vu apparaitre deux romans portant le même titre, d’où l’idée de les regrouper dans le même billet. Ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre, ni dans le sujet traité, ni dans le genre abordé.

La chasse de Gabriel Bergmoser

Editeur : Sonatine

Traducteur : Charles Recoursé

Maintenant. Franck tient une station-service à 10 kilomètres de la ville, ce qui fait qu’il ne voit quasiment personne. Pour rendre service à son fils, il garde Allie, sa petite-fille de 14 ans. Deux jeunes gens s’arrêtent pour cause de panne de voiture. Puis une autre voiture déboule. Une jeune femme en sort, et s’écroule, couverte de boue et de sang.

Avant. Simon veut découvrir l’Australie authentique et part à l’aventure. Dans un bar, il rencontre une jeune femme, Maggie. Ils décident de faire la route ensemble, et elle choisit la route à l’aide d’une carte étalée sur les genoux. Ils débarquent bientôt dans un village perdu en plein désert, un village à l’atmosphère étrange.

On a affaire à un pur roman d’action et les comparaisons indiquées sur la quatrième de couverture sont quelque peu erronées. Seule la mention de Sam Peckinpah peut donner une idée de cette intrigue et de la façon dont elle est menée. Après être déclinée sur deux fils narratifs, l’histoire va rapidement se concentrer sur l’assaut de la station-service, et là, c’est un véritable massacre.

Le style, direct, descriptif et sans concession, laisse la place à l’action avec une ultra violence, ce qui fait que je conseillerai d’éviter ce roman aux âmes sensibles. Il faut dire que les habitants de ce village n’ayant aucune limite veulent coute que coute récupérer Maggie, dans un univers proche de Mad Max, sans l’humour mais avec l’hémoglobine. Un bon roman, bien violent, et surtout un premier roman d’un auteur intéressant dans sa façon de gérer ses scènes.

La chasse de Bernard Minier

Editeur : XO éditions

Octobre 2020. Un homme court dans les bois, poursuivi par ses assassins. Il débouche, apeuré, sur une petite départementale. Les phares d’une voiture l’éblouissent ; le conducteur, un infirmier, n’a pas le temps de freiner. Le choc est fatal. Quand il sort de sa voiture, l’infirmier s’aperçoit qu’il s’agit d’un homme nu, portant une tête de cerf irrémédiablement fixée sur son occiput.

L’équipe de Servaz est appelée sur place, celui-ci étant étonné de devoir intervenir sur un accident de la route. Quand il se penche sur le corps, il aperçoit le mot JUSTICE gravé sur la poitrine du jeune mort. Peu après, il obtient son identité : Moussa Sarr, 18 ans, reconnu coupable d’un viol et tout juste relâché de prison. Il semble que certains veuillent se faire justice eux-même.

Dans cette enquête, Martin Servaz doit faire face à quelques changements. Son nouveau patron se nomme Chabrillac, et semble être le genre d’homme à ne pas se mouiller, trop politique. Et il doit intégrer un petit jeune, Raphael Karz, tout juste sorti de l’école de police. Bref, Bernard Minier dévoile tout son art à mettre en place un scénario avec un déroulement dont il a seul le secret.

Pour autant, après le cycle consacré à la poursuite de Julian Hirtmann, Bernard Minier sort de son confort pour nous parler de nous, de notre société. Il a minutieusement choisi son thème pour parler de la place de la police dans notre société, du mal-être de ceux sensés faire régner l’ordre et détestés par le plus grand nombre, mais aussi des journalistes qui mettent de l’huile sur le feu, des trafiquants de drogue et des cités. Bref, voilà un vrai bon roman social dans lequel l’auteur s’engage, et qui nous surprend par le fait qu’on ne l’attendait pas sur ce terrain là. Très bien.