Six Versions : Le vampire d’Ergarth de Matt Wesolowski

Editeur : Les Arènes – Equinox

Traducteur : Antoine Chainas

Après avoir insufflé un renouveau dans la forme du thriller, et trois tomes très réussis, on peut toujours se demander comment Matt Wesolowski peut rebondir. Matt Wesolowski a inventé la forme d’un podcast en six épisodes enregistrés par Scott King, le personnage principal. Le principe est de revenir sur un « cold case » et de discuter avec des témoins ayant été impliqués dans cette affaire.

Ergarth est une petite bourgade du nord-est de l’Angleterre qui ne survit que grâce à son abattoir. Au sommet d’une colline, la tour d’Ergarth, une tour médiévale, veille comme une ombre menaçante. En 2018, Elisabeth Barton, une jeune youtubeuse a été retrouvée morte d’hypothermie, enfermée dans la tour. Elle a été découverte nue et décapitée, sa tête reposant sur ses genoux. Ce dramatique événement n’a fait que raviver la légende du vampire d’Ergarth, appelé Vladlena.

Sur sa chaîne, la vlogueuse a annoncé, avant sa fin tragique, s’engager dans le défi MDSJ (Mort Dans Six Jours). Les volontaires doivent relever un défi par jour pour rencontrer le vampire et la mort au sixième jour. L’enquête a vite conclu à la culpabilité de trois jeunes hommes qui faisaient partie du cercle des fidèles d’Elisabeth qui se faisait appeler LIZZIE B. Solomon Meer, Martin Flynn et George Meldby ont été condamnés à plusieurs dizaines d’années de prison.

Deux années ont passé. Scott King décide de creuser cette affaire, et surtout d’en apprendre plus sur la psychologie d’Elisabeth. Car sur la maison de ses parents, quelqu’un vient d’y peindre un message : « Qui a enfermé Lizzie dans la Tour ? ». Scott King va donc partir à la rencontre de personnes ayant connu Lizzie pour nous offrir six podcasts. Parmi eux, on trouve pêle-mêle le pompier qui a découvert le corps, une amie de lycée, les membres de la famille d’Elisabeth … Je m’arrête là car je ne veux pas divulgâcher l’intrigue.

Ceux qui ont déjà lu un des épisodes précédents ne seront pas étonnés par la forme de la narration. D’un fait divers fictif horrible, Matt Wesolowski va mélanger différents genres, autant sociologique que psychologiques, en ajoutant un aspect fantastique. C’est d’ailleurs par cela qu’il débute le roman en nous parlant des légendes qui hantent cette région, celle de la Bête de l’Est qui fait planer une menace constante sur le village.

Cela lui permet par la suite d’aborder la situation de dénuement économique, qui s’appuie uniquement sur un abattoir pour trouver du travail. Si on ajoute un climat rigoureux avec un vent sibérien qui vient balayer les plaines, la jeunesse se retrouve avec des perspectives d’avenir inexistantes. On verra aussi l’impact sur l’éducation des jeunes, en particulier par l’absence des parents qui vont travailler loin de leur maison.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir ces jeunes gens se retourner vers les réseaux sociaux et leur propension à ériger en vedette, voire en idole ceux et celles qui publient des vidéos. Matt Wesolowski ne se gêne pas pour montrer l’hypocrisie de ce système d’influenceurs qui profitent du système et de leur notoriété pour faire de la publicité pour des produits et en tirer un confortable revenu, ce qui s’apparente à de la manipulation de masse.

Psychologiquement, le roman est parfait. Il se permet de creuser les psychologies de Lizzie, mais aussi de ceux et celles qui l’ont connue, donc de ceux qui s’entretiennent avec Scott King. A travers les différentes interviews, nous allons obtenir des avis contradictoires sur Elisabeth, idéalisée par ses parents, jugée manipulatrice par d’autres. Puis ce sera les personnalités des trois assassins qui seront passés au crible. Comme dans les trois précédents romans, la narration est impressionnante et passionnante.

D’un côté, on se retrouve en terrain connu. On sait que les entretiens et la façon dont ils sont présentés vont nous manipuler jusqu’à un twist final. Mais on ne peut qu’être impressionné du talent de Matt Wesolowski à créer des contextes réalistes et à construire son intrigue sur des aspects psychologiques remarquables pour ne pas dire géniaux. Et il aborde de nombreux sujets de société contemporains sans jamais juger, puisque il laisse le lecteur se faire sa propre opinion. Ce quatrième opus n’a plus la fraicheur du premier, et n’est pas le plus émotionnellement fort mais c’est probablement le plus costaud, et le mieux construit.

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