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La résistance des matériaux de François Médéline

Editeur : Manufacture de livres

Quand il s’agit de roman politique, j’attends de découvrir des faits que je ne connais pas et surtout un style qui m’emporte. Frédéric Paulin ou Dominique Manotti font partie de mes auteurs favoris dans ce domaine. Si j’ai commencé cette lecture en étant dubitatif, j’ai fini par être convaincu puis emporté puis passionné.

En tant que députée suppléante des Rhône-Alpes, Djamila Garrand-Boushaki fait des allers-retours entre Paris et sa circonscription. Elle remplace Serge Ruggieri devenu ministre de l’intérieur de François Hollande. Elle se rend à Privas pour soutenir une association protestante pour la charité. Elle a épousé Jean-Michel Garrand, Enarque et chef de cabinet de Ruggieri. Grâce à cela, la jeune femme originaire des banlieues de Bron-Terraillon a posé un pied parmi ceux qui comptent en politique. A la fin de la journée, Mediapart publie un article affirmant que Ruggieri a possédé un compte en banque au Luxembourg.

Le commandant Alain Dubak a été muté de la Brigade des stupéfiants à la Brigade financière alors qu’il n’y connait rien. C’en est probablement la raison, d’ailleurs. Son équipe est composée du capitaine Joseph Filippo et la lieutenante Peggy Guilleminot, alors qu’ils devraient être six pour abattre leur boulot. Ils viennent de coincer Gérard Dalmaro, directeur général de la société Eau Noire, pour détournement et évasion fiscale.

Gérald Hébert est un barbouze qui a été mis de coté à la DCRI. Il a rendez-vous avec Hugues Corvoisier, directeur international de la sécurité d’un groupe majeur de l’énergie. Corvoisier roule pour Fillon. Ce groupe qui a remporté 80% des marchés publics de la région lyonnaise se sent gêné par la tournure des événements à propos de Ruggieri. Corvoisier lui demande de trouver une diversion.

J’ai commencé ce roman un peu à reculons, parce que j’attends d’un roman politique un fonds solide mais aussi un aspect fictif fourni par une intrigue forte et construite. Sans grande surprise, mes maîtres dans ce domaine sont James Ellroy, Dominique Manotti et plus récemment Frédéric Paulin. Je ne veux pas oublier non plus l’excellentissime French Tabloïd de Jean-Hugues Oppel dont La résistance des matériaux se rapproche.

François Médéline fait reposer son intrigue sur trois personnages forts, Djamila, femme politique calculatrice, Dubak, flic désabusé et tête brûlée et Hébert, un auteur de basses œuvres sur commande, qui vont intervenir alternativement dans le roman. Mais ce qui prend à la gorge, c’est le rythme de la narration, ce style haché, rapide, fait de petites phrases qui ne vous lâche plus et qui insuffle un battement d’urgence dans tout ce qui s’y passe.

Si on peut penser que le focus est mis sur l’affaire Cahusac, ministre du budget et condamné pour avoir détourné des sommes astronomiques, j’ai personnellement trouvé l’intérêt ailleurs. J’ai dépassé « l’ère » des Tous pourris, mais j’ai été fasciné par les relations des uns et des autres, leur entraide même quand ils font partie du camp adverse, leur façon de manipuler les médias ou la justice.

On va retrouver nombre de personnages connus, Mosco, Le Foll, Guéant, Sarkozy, Woerth, Hollande et tant d’autres à la fois dans l’histoire mais aussi à travers des pseudo-interceptions réalisées par la NSA. Personnellement, certaines conversations (téléphoniques ou SMS) ne m’ont apporté quelque chose que quand elles faisaient référence à une information relayée par les médias qu’ils avaient manipulés.

Et au final, si j’ai été réticent avant d’entamer ce roman, je l’ai terminé à la vitesse de la lumière tant l’écriture vous emporte dans son tourbillon jusqu’à nous faire ressentir un mal-être devant le drame démocratique et le niveau de manipulation que l’on subit, de la part de n’importe quel camp. Je ne suis pas sûr que ce roman donne envie d’aller voter alors qu’il nous permet de prendre du recul face à l’omnipotence des informations inutiles et parasites dont on nous gave à toute heure.  

(Nota : je ne fais pas de politique). 

Les loups de Benoit Vitkine

Editeur : Les arènes – Equinox (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

J’avais beaucoup aimé Donbass, roman policier se déroulant en Ukraine dans la zone interdite de Tchernobyl, et j’ai attendu la parution en poche de son roman suivant qui s’attache plus particulièrement aux hautes sphères de l’état ukrainien.

Olena Vladimirovna Hapko, ponte de l’acier ukrainien vient de se faire élire présidente de l’Ukraine avec 52,7% des voix. Le peuple espère un renouveau et croit au message de la nouvelle première dame d’en finir avec la corruption généralisée dans le pays. Elle doit donc se préparer pendant 30 jours pour son investiture officielle.

Avec son surnom de La Chienne, elle est reconnue pour être sans pitié dans les affaires. Elle laisse aussi de côté sa vie privée, se contentant par moments de son jeune garde du corps. Son associé Semion « Grands Mains » est le seul à la connaitre vraiment et à l’avoir suivi depuis plus de trente ans.

Olena doit donc négocier avec les politiques et les riches industriels pour former son gouvernement et insuffler un vent de renouveau. Elle veut surtout tenir à l’écart les oligarques russes qui détiennent le vrai pouvoir dans son pays. Elle doit aussi se prémunir de son passé pas toujours rose et de son argent à l’abri à Chypre, un paradis fiscal pour tous les riches ukrainiens.

Quand l’ambassadeur de Russie lui fait passer un message sous la forme d’un article racontant comment un jeune homme s’est empoisonné avec des noyaux de cerise, elle comprend de suite la menace. Sa société écran porte le nom de Noyau de cerise. Elle va donc essayer de retrouver la seule trace qui peut la rattacher à ce nom de société, qui remonte à son adolescence.

Bâti comme un compte à rebours, le roman de Benoit Vitkine va nous montrer toute la difficulté de ce pays anciennement inclus dans l’URSS pour se détacher de l’influence politique et financière de son géant voisin. On va assister à de nombreuses réunions, à des menaces et des chantages voilés comme autant d’obstacles qu’Olena doit franchir pour espérer mettre son pays sur de nouvelles voies.

Et si Olena nous parait une bonne personne au premier abord, les retours en arrière dans son passé lointain vont nous faire découvrir son côté sombre, sa personnalité sans pitié pour qui oserait se mettre sur son chemin. Loin d’écrire un roman naïf, Benoit Vitkine nous offre une histoire réaliste n’hésitant pas à faire intervenir des personnages réels pour étayer un peu plus son histoire.

On comprend mieux l’histoire de ce pays, gangréné par la Russie, essoré par la corruption, réduit à l’état d’esclave comme tout son peuple. D’ailleurs, Benoit Vitkine, bien qu’il aborde les hautes sphères du pays, n’hésite pas à faire intervenir les travailleurs ukrainiens qui souhaitent un changement dans leur vie de tous les jours, mais pas à n’importe quel prix.

Même si certains passages sont un peu longs, poussifs, j’ai particulièrement apprécié sa façon de montrer le décalage entre les hautes sphères et le peuple, ce qui est particulièrement le cas dans de nombreux pays. Il est à noter aussi que ce roman a été écrit avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le Téorem des grands hommes de Jean-Louis Nogaro

Editeur : Arcane 17

J’ai eu l’honneur de rencontrer Jean-Louis Nogaro dans des salons et de posséder quelques romans parmi ses premiers écrits. Quand il m’a proposé de lire son petit dernier, je n’ai pas hésité une seconde.

Son Sen travaille officiellement pour une entreprise de sécurité. En réalité, c’est un hacker professionnel et son travail du jour consiste à entrer sur le site de la section Archéologie de l’université de Poitiers. Après avoir aspiré la totalité des données, il reçoit un SMS lui indiquant que tout va bien à Concarneau. Un code pour son salaire.

En tant que responsable historique du laboratoire de paléontologie de l’université de Poitiers, Edwyn Moutardon ne comprend qu’on veuille lui adjoindre un technicien, titulaire d’un doctorat en plus ! Juste avant de prendre le métro parisien, quelqu’un le pousse sur les voies.

A Saint-Malo, un homme se gare près de la plage et décharge des sacs. Il est interrompu par un promeneur qui malheureusement va devoir mourir.

Yvon Ben Ouassil profite de son pèlerinage annuel à Saint Malo avec son chien Ghriba quand son camping-car Volkswagen se mit à chauffer. A la recherche d’une bouteille d’eau, il trouve une voiture abandonnée et récupère un bidon.

Il se fait contrôler par deux gendarmes. Son faciès, ajouté à un corps retrouvé dans sa voiture sont suffisants pour finir en prison. Le corps est celui de la voiture abandonnée, Etienne Lanaët.

La seule chose qu’Yvon pense à faire, c’est de demander à son avocat Maître Brochand de prévenir son ami Ludovic Mermoz, rédacteur en chef dans un journal local de Saint-Etienne. Ce dernier passe son temps à rendre visite à sa compagne Lola, plongée dans le coma. Quand il reçoit l’appel de Yvon, il n’hésite pas et prend la direction de la SPA de Saint Malo.

Je tiens juste à vous signaler que ce résumé ne couvre même pas les cinquante premières pages, ce qui vous donne une idée du rythme donné par ce polar. Dès le départ, les scènes s’enchainent mettant en place différents personnages et je dois dire que l’on a du mal à imaginer comment l’auteur va pouvoir relier tout ce maelstrom et comment arriver à en faire une et une seule intrigue.

La magie et le talent suffisent à créer une intrigue qui se tient, et montrer la montée d’un parti politique inconnu en se basant sur des faits extraordinaires voire incohérents pour des scientifiques : découvrir des ossements de dinosaures inconnus à deux endroits différents de la France et au même moment. Mais les journalistes et le peuple y croit et la mayonnaise n’a pas de mal à prendre.

J’ai particulièrement apprécié les personnages, en particulier Ben Ouassil et Mermoz lancés dans une fuite pour leur vie, poursuivis à la fois par les gendarmes, la police et par un groupement occulte. Mais il ne faut pas oublier le Major Jo Digoin et la jeune gendarme Pauline Chardelet, formidablement bien brossés jusque dans leurs bourdes et leurs défauts presque comiques parfois.

Le but de ce roman est de nous faire passer un bon moment, de parcourir différentes régions de France et de ressentir de l’empathie pour nous autres manipulés jusqu’aux bout des ongles. Et la mission est accomplie tant après les points d’interrogation acquièrent une réponse et que la fin nous fait vivre un concert de rock. Bref, ce Téorem des grands hommes est un polar hautement recommandable.

La poésie du marchand d’armes de Frédéric Potier

Editeur : Editions de l’Aube

Si vous êtes fans de politique fiction, alors vous vous devez de lire le deuxième roman de Frédéric Potier qui va vous expliquer les arcanes de la vente d’armes dans le monde, et en France en particulier. C’est très instructif.

Alors qu’il quitte l’Hôtel Royal Monceau, après avoir passé quelques coups de fil pour affaires dans différentes langues, Abdel Lounès, faciliteur dans le domaine des ventes d’armes, arpente l’avenue Hoche quand une berline s’arrête à sa hauteur. En deux secondes, le voici assommé et kidnappé !

Nathalie Bordes vient d’être réélue Présidente de la République. Ce matin, elle a rendez-vous avec Virginie Trinh Duc, l’ex-préfète et directrice générale de la DGSI. Cette dernière insiste à nouveau pour que la Présidente réduise ses déplacements, des informations faisant état d’un potentiel prochain attentat contre sa personne.

Nathalie Bordes a suivi les conseils de son secrétaire général de placer le Conseil de Défense avant le Conseil des Ministres. Le ministre de la défense, François Chevigné détaille les leçons du conflit en Ukraine et lui intime d’augmenter le budget des armées.

La capitaine Nina Meriem fulmine dans son bureau de la DGSI après avoir raté le concours oral de commissaire. Elle décide de poser ses jours de congés restants et prend un billet pour Marseille.

Pierre-André de Saint-Sernin vient d’être remercié du poste de conseiller du premier ministre pour s’être moqué sur un réseau social d’une députée écologiste. Il est parachuté dans l’usine de Lorient du groupe Poséidon, la société qui étudie, conçoit, fabrique et vend les armements français. Il arrive juste au moment où une explosion détruit un hangar où est fabriqué en secret les derniers drones offensifs.

Cette lecture fut une belle surprise, car même si le sujet m’intéressait au départ, j’avais peur d’entrer dans un livre didactique expliquant les détails de ventes d’armes en oubliant d’insérer tout cela dans une intrigue. Il n’en est rien, on a une vraie enquête, et un style fluide fort agréable à suivre. Pour ne rien gâcher, les chapitres courts donnent une célérité à l’enquête ce qui est un plus pour moi.

A passer en revue les membres du gouvernement et les différents intervenants dans les ventes d’armes, l’auteur, qui doit fort bien connaitre son sujet, élève son propos en introduisant les relations géopolitiques entre les différents pays. Sans jamais nous perdre, il nous montre le rôle de ceux qui facilitent les transactions, et les façons de transférer des armes sans froisser de grands pays. C’est très intéressant.

Il nous montre la course aux armements de haute technologie, déclenché par une explosion dans l’usine de Lorient et les sombres tractations qui permettent de multiplier les pistes vers les potentiels coupables. L’auteur nous montre les aspects politiques, la gestion des médias, les problématiques pour financer ces recherches, et les relations conflictuelles dans les différentes polices. Le propos sans être lénifiant est parfaitement clair et instructif.

J’ai apprécié la place importante donnée aux femmes qui apparaissent fortes (et c’est tant mieux !) et les différents événements qui parsèment ce roman qui permettent de montrer la stratégie de chaque personnage pour conserver son poste. Même si on peut regretter le peu de place laissée à la vie privée des protagonistes, ce roman fort bien fait et instructif permet d’être moins naïf et d’en apprendre beaucoup sur des dossiers brûlants dont on ne fait pas de publicité.

Péché mortel de Carlo Lucarelli

Editeur : Métaillié

Traducteur : Serge Quadrupani

Dans la postface de son roman, Carlo Lucarelli nous indique qu’il a encore des comptes à régler avec De Luca après ses quatre précédentes enquêtes qui sont : Carte blanche suivi de L’Été trouble (1999), Via Delle Oche (1999), et Une affaire italienne (2021).

24 juillet 1943, Bologne. Alors qu’il se rend dans une maison pour une interpellation contre des gens pratiquant le marché noir, dont le chef est Egisto Saccani, le commissaire De Luca se trompe de maison et découvre un cadavre sans tête. Ils arrêtent donc un adolescent Negroni Gianfranco qui semble avoir perdu la tête en indiquant avoir vu le Christ des Chiens. Alors qu’il passe la journée avec sa fiancée Lorenza et ses amis, l’un d’eux le met sur la piste d’une fresque présente dans un mausolée du cimetière qui s’appelle le Christ des Chiens. Pendant ce temps-là, la charcuterie est partagée entre la questure et la milice.

Le lendemain, l’information circule que Mussolini vient d’être arrêté. Le consul a ordonné de libérer les hommes arrêtés la veille et De Luca se rend au cimetière. Il découvre la fresque et en déduit que la tête doit reposer dans les environs. En effet, il finit par la découvrir sur la rive de la rivière. Mais en la rapportant, il est pris à partie par des manifestants qui veulent se débarrasser des fascistes et les policiers sont considérés comme les premiers fascistes.

Quand il apporte la tête au service de médecine légiste, les conclusions le guident vers un homme corpulent. Mais surtout, De Luca est surpris d’apprendre que la tête n’appartient pas au corps, les traces de découpe ne correspondent pas. Quand il veut interrogés le Trafiquant et son jeune ami, ils ont tous deux disparus, libérés par le consul Martina, qui est la directeur de la milice.

Carlo Lucarelli nous avait présenté De Luca comme un personnage jugé comme fascisant puisqu’il occupait le poste de commissaire de police pendant la guerre. Un doute subsistait sur sa situation réelle. L’auteur met les choses au clair et nous peint un enquêteur doué et obsédé par les mystères qu’il doit résoudre. Cela en devient une telle obsession qu’il semble être imperméable face aux soubresauts de son environnement et n’avoir comme seule réponse que : « Je ne fais pas de politique, je suis de la police ».

Je ne vais pas vous faire l’affront de juger l’enquête proposée dans ce Péché mortel, tant tout y est mené de main de maître et que l’on suit son avancement du point de vue de De Luca, et pouvoir apprécier sa logique de réflexion. Il faut aussi préciser que Carlo Lucarelli n’est pas du genre à vous mâcher la lecture, chaque mot, chaque phrase sont importants et il arrive à nous faire ressentir l’ambiance qui régnait à cette époque dans des scènes mémorables comme celle du bombardement, où l’on ressent les soubresauts à chaque explosion.

Et puis, le contexte historique est parfaitement rendu, non pas par les événements qui vont se succéder mais par la réaction des différents protagonistes. Il faut bien avouer que la situation a dû être invivable pour le peuple italien. Imaginez : Alors que les Américains entrent en Sicile, Mussolini se fait virer et emprisonner. Le peuple se retourne contre les fascistes qui eux, retournent leur veste. A peine trois mois plus tard, les Allemands envahissent le nord de l’Italie et restaurent la dictature.

Carlo Lucarelli ne s’appesantit pas sur les événements mais se concentre sur leur impact en regardant la réaction des gens (et on n’est pas loin du Corps Noir de Dominique Manotti). Il y rajoute une bonne dose d’humour et de dérision. Outre son personnage de flic remarquablement complexe, son intrigue policière tordue, ce roman est une belle leçon d’histoire grâce à laquelle on apprend beaucoup de choses sur une période dont on a bien peu parlé.

Ce n’est qu’un début, Commissaire Soneri de Valerio Varesi

Editeur : Agullo

Traducteur : Florence Rigollet

Chaque année, je retrouve le Commissaire Soneri comme on rencontre un vieil ami. Lors de cette rencontre, nous devisons sur divers sujets qui bien évidemment dévient sur des sujets contemporains. Avec son air désabusé, il fait montre d’une lucidité remarquable et nous parle ici d’héritage.

Soneri regarde la pluie tomber sur Parme quand Juvara, son adjoint vient lui annoncer la découverte d’un corps. L’homme, retrouvé pendu avec une ceinture, a réussi à sectionner les barbelés enfermant le chantier et pénétrer dans ce lieu peu fréquenté avant de se donner la mort, qui remonte au moins à douze heures. Le problème qui se pose à Soneri est de découvrir son identité puisqu’aucun papier n’a été trouvé.

« Les suicidés sont beaucoup plus clairvoyants qu’on le croit. »

En sortant, Soneri voit une dépanneuse manœuvrer pour emmener une Vespa Primavera 125. Le petit scooter a été trouvé près d’un camp de Roms. Dans la valise du mort, Juvara y trouve des habits de marque. Alors qu’il déjeune avec son ami Nanetti, le téléphone vient les déranger : un homme vient d’être assassiné devant chez lui de 23 coups de couteau, pendant que sa compagne prenait sa douche.

« Les hommes vieillissent mieux que les motos. »

Franca Pezzani les reçoit en état de choc. Elle a entendu l’interphone de la porte, puis plus rien. Quand elle s’est inquiétée, elle est allée voir et a trouvé son mari mort, poignardé. Quand elle donne son nom, Guglielmo Boselli, Soneri se rappelle son surnom, Elmo, l’un des leaders du Mouvement Etudiant de 1968. Pourtant, pour lui, Elmo s’était rangé des affaires politiques. Bizarrement, la Vespa s’avère appartenir à Elmo ; la déclaration de vol date de 34 ans !

« Malheureusement, on a tendance à embellir tous nos souvenirs. La mémoire les arrange. »

Dans chaque roman, Valerio Varesi nous parle d’un aspect de la société avec un recul et une lucidité impressionnante, et propose sa vision avec plusieurs années d’avance. Il faut se rappeler que la série a commencé a être publiée en 2003 et montre des aspects dont on retrouve les conséquences aujourd’hui. Si on répertorie les romans sortis en France par rapport aux dates de publication italienne, on trouve :

Le Fleuve des brumes (2003) : Métaphore entre le Pô et l’état de l’Italie

La pension de Via Saffi (2004) : Regrets vis-à-vis de ses propres erreurs passées

Les ombres de Montelupo (2005) : Les erreurs sur le mauvais jugement de son père

Les mains vides (2006) : Le Nouveau Monde a choisi une idole unique : l’argent

Or, encens et poussière (2007) : La fracture entre les pauvres et les riches

La Maison du Commandant (2008) : Le rejet des étrangers et leur statut de boucs émissaires

La Main de Dieu (2009) : La place de la religion dans la société moderne

« le problème n’est pas tant la mort des autres, mais la part de nous-mêmes qui meurt avec eux. »

Ce roman est sorti en 2010 et aborde le sujet des révoltes communistes des années 60 et de l’héritage à la fois sur la société mais aussi, d’une façon plus intime, sur les conséquences des enfants des leaders. On y trouve une réflexion d’un des personnages interrogés qui dit, (je paraphrase car je n’ai pas retrouvé le passage exact) : Les communistes ont créé le bordel, et les gens veulent des règles, de l’ordre. Il n’est pas étonnant que le peuple se tourne vers l’extrême-droite qui leur promet de la discipline.

« Tout est bon à prendre, surtout quand on n’a rien. »

Quand on voit la situation actuelle de l’Italie, on mesure l’aspect visionnaire de Valerio Varesi. Avec son air débonnaire, son art de l’interrogatoire, où il laisse parler les gens mais sait les provoquer au bon moment, Soneri va réussir à démêler cette pelote de laine bien complexe en nous parlant de nous, en nous mettant en garde. Et après avoir tourné la dernière page, je me suis senti plus serein après ma discussion avec mon ami Soneri. On se donne rendez-vous l’année prochaine, bien entendu ! 

«  – Qu’avons-nous à voir avec la politique et tout ce qui s’ensuit ? se récria Coriani
– Rien, rien …, répéta Soneri, déçu et rempli d’amertume. Nous, on est seulement là pour ramasser les morceaux. »

Le sang de nos ennemis de Gérard Lecas

Editeur : Rivages

On a peu l’habitude de voir Gérard Lecas sur les étals des libraires, et j’avais découvert sa plume avec Deux balles, un court roman au style coup de poing paru chez Jigal. Changement de temps, changement de décor, nous voilà transportés à Marseille en 1962.

Juillet 1962. Alors que l’Algérie vient d’accéder à son indépendance, de nombreux réfugiés débarquent dans le port de Marseille. Ils se retrouvent rejetés de toutes parts, expulsés de leur pays de naissance et détestés par les marseillais. La situation politique n’est pas plus calme : L’OAS devant cet échec envisage des actions terroristes sur le sol français et devient la cible du SAC, le service armé du Général de Gaulle. Le paysage civique se retrouve aussi scindé entre communistes et extrême droite, entre résistants et collaborateurs ; Gérard Lecas situe donc son roman dans un lieu et une période explosive.

Le ministère de l’Intérieur décide de nommer Louis Anthureau à la police criminelle de Marseille, surtout par reconnaissance pour son père qui fut un résistant émérite aujourd’hui décédé et dont la mère à disparu. Il a en charge aussi de surveiller Jacques Molinari, un ancien résistant cinquantenaire proche de l’extrême droite. Ces deux-là ressemblent à s’y méprendre à une alliance du feu avec de l’eau.

Louis assiste à une fusillade sur un marché et reconnait Jacques parmi les assassins, mais il décide de ne rien dire. Il ne sait pas que Jacques joue sur plusieurs tableaux, de l’OAS à l’extrême droite en passant par les parrains locaux qui veulent monter un laboratoire d’affinage de drogue avec plusieurs centaines de kilogrammes en transit. Louis et Jacques vont devoir faire équipe sur une enquête compliquée : un maghrébin a été retrouvé avec un jerrican à coté plein de son sang. 

Voilà typiquement le genre de roman que j’adore. Je trouve que peu de romans traitent de cette période mouvementée alors que c’est un décor idéal pour un polar. Alors il faudra de l’attention pour bien appréhender les différents personnages et les différentes parties mais j’ai trouvé cela remarquablement clair, et le mélange entre les personnages réels et fictifs m’a semblé parfait.

On ressent à la lecture le savoir-faire d’un grand scénariste, tant les événements vont s’enchainer sans que l’on puisse réellement déterminer jusqu’où cela va nous mener. Devant toutes les factions en lutte, Louis et Jacques sont montrés beaucoup moins monolithiques et plus complexes qu’il n’y parait. Personne n’est tout blanc ou tout noir, ni gentil ni méchant. Un véritable panier de crabe dans une situation inextricable dont je me demande toujours comment on sen est sorti ! Et je suis resté béat d’admiration devant les dialogues justes et brillants. 

L’intrigue va se séparer en trois : Les meurtres de maghrébins, la recherche de la mère de Louis et la recherche du chargement de drogue qui a été dérobé. Ceci permet de montrer la lutte politique et policière en œuvre dans cette région qui ressemble à s’y méprendre à un baril de poudre où la mèche a été allumée depuis belle lurette. Avec ce roman, Gérard Lecas nous offre un roman bien complexe, bien passionnant, bien costaud, bien instructif. Le sang de nos ennemis est clairement à ne pas rater pour les amateurs d’histoire contemporaine.

Sans collier de Michèle Pedinielli

Editeur : Editions de l’Aube

Après Boccanera, Après les chiens, et La patience de l’immortelle, voici la quatrième affaire de notre détective privée niçoise Ghjulia Boccanera, surnommée par ses proches « Diou », dans une intrigue emberlificotée.

Diou et Dan son colocataire viennent de recevoir une nouvelle lettre de menace, sous prétexte qu’il est homosexuel ou qu’elle a ennuyé quelqu’un dans le cadre d’une de ses enquêtes. La menace ne laisse planer aucun doute : « Toi et l’enculé, on t’aura ». Pourtant, depuis son retour de Corse, elle n’a pas eu d’affaire extraordinaire. Et Dan tient une galerie d’art ce qui est difficilement concevable avec le contenu de la lettre.

Shérif Haïchout ressemble à l’exception dans l’entourage de Diou. Il est son ami et inspecteur de travail. Shérif se bat pour faire respecter les lois de protection des travailleurs. (J’adore la description qu’en fait Michèle : « Shérif est basané, communiste, tenace et obèse »). Shérif travaille sur le chantier Emblema, encore un qui ne sert à rien d’autre que détruire le Vieux Nice. A part quelques accidents transformés en incidents domestiques (ce qui est pratique quand une entreprise ne veut pas voir ses cotisations sociales augmenter), Shérif déplore un ouvrier qui s’est volatilisé. Il demande à Diou de retrouver le disparu, un moldave du nom de Marcus Cebanu.

Diou se rend à l’adresse officielle de Marcus, un immeuble délabré derrière la gare, loué une fortune à des sans-papiers. Sur la boite aux lettres, elle voit plusieurs noms et trouve l’appartement de Marcus. Le jeune homme qui lui ouvre est en fait son cousin. Il n’a plus de nouvelles de Marcus depuis le lundi précédent.

Michèle Pedinielli par la voix de Diou continue de nous parler de notre monde, de notre société et en particulier des « petites gens », les exploités qui rament pour survivre. A travers cette intrigue complexe, elle aborde les conditions de travail sur les chantiers et dévie peu à peu sur un trafic de drogue. Elle aborde aussi les conditions de vie des immigrés, l’homophobie, l’impunité de certains, et le difficile héritage d’un passé sanglant.

En parallèle, nous suivons un jeune homme qui passera par Bologne, pendant les années de plomb. Il va se regrouper avec d’autres jeunes qui ne sont pas impliqués par les différentes factions en œuvre en Italie dans les années 80 mais vont en subir les conséquences dramatiques. A l’image de l’attentat de Nice, l’auteure ne prend pas position, mais porte son regard de témoin envers les victimes, en évoquant celui de Bologne en 1980.

Cette nouvelle enquête de Diou comporte tous les ingrédients des précédentes, et se veut un regard chargé de reproches envers des dirigeants qui n’ont rien à faire des gens qui tentent de vivre avec le peu qu’on leur octroie. Malgré une intrigue à multiples entrées, Michèle Pedinielli narre une belle histoire d’amitié-amour-loyauté qui traverse les âges et conserve son regard lucide sur notre société, où de nombreux passages humoristiques permettent de faire retomber la rage chez le lecteur. Continue, Diou, je te suivrai où que tu ailles !

Kepone de Philippe Godoc

Editeur : Viviane hamy

On avait perdu l’habitude de lire des polars engagés relatant des scandales récents, de ceux qui vous révulsent et vous donnent envie de vomir. Le fait que ce soit un premier roman est un argument supplémentaire pour que je me penche dessus.

Marc Montroy est un jeune journaliste pour un magazine écologiste de métropole « L’écologue ». D’origine guadeloupéenne par son père, il doit enquêter sur le scandale de la Chlordecone, produit inventé par Allied Chemical et interdit par les autorités américaines en 1975. Le brevet a ensuite été racheté par une entreprise brésilienne et fabriqué dans quelques pays dont la France. Il a été utilisé aux Antilles pour lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur pour ces cultures. Il faudra attendre 1993 pour que cet insecticide fortement polluant soit officiellement interdit. En 2023, un non-lieu a été prononcé par la justice française, alors que depuis 2009, le Chlordecone est inscrit dans la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants.

Marc Montroy commence son enquête à Hopewell (Virginie), où le Chlordecone a été fabriqué. Il y rencontre le Professeur Ashland, qui lui en apprend un peu plus, en particulier sur le fait que tout le monde savait avant 1970 que ce produit était dangereux. Il lui annonce aussi que la société qui a racheté le brevet est domiciliée au Brésil, qu’elle se nomme Farma mais que personne ne connait son actionnariat.

Quand il apprend par son demi-frère que l’on vient de diagnostiquer un cancer de la prostate à Celio son père, il décide de le rejoindre et d’en profiter pour continuer son enquête aux Antilles. Apprenant l’agression et la mort du Professeur Ashland, Marc Montroy se retrouve bientôt confronté à une spirale de violence concernant toutes les personnes proches du dossier Chlordecone.

Bien qu’ayant entendu parler de ce scandale sanitaire, je n’y avais pas prêté plus d’attention que cela avant de commencer cde roman. Et heureusement, Philippe Godoc nous remet les pendules à l’heure dans le début du roman, avant de s’orienter vers une intrigue plus resserrée, rythmée et bien stressante. Et il arrive à tenir le rythme du début jusqu’à la fin, remarquable !

L’auteur a donc choisi une forme classique du polar, avec un personnage principal journaliste et qui a toutes les qualités pour nous paraitre sympathique. Comme je le disais, le roman commence par une partie enquête qui permet de situer le contexte avant que Marc Montroy arrive en Guadeloupe. Et à partir de ce moment-là, les événements s’enchainent à une vitesse folle ce qui rend la lecture de ce roman addictive.

Outre son aspect documentaire complet, Philippe Godoc nous parle de la situation des Antilles, des connivences des hommes politiques et de leurs liens avec les riches industriels, de la haine des locaux envers les « Békés », des systèmes mafieux qui se permettent tout pour conserver leur position dominante, tout cela au travers des différents personnages secondaires (qui ne le sont pas).

Bref, ce roman est une excellente découverte, un premier roman comme je les aime, avec toute la passion de l’auteur envers cette région qu’il adore. Il renvoie dos à dos les différentes parties en conservant le recul nécessaire pour que le message porte. Kepone est un roman emballant, bluffant, qui mérite que l’on en parle, autant par ses qualités littéraires que par son sujet, surtout quand on apprend qu’un non-lieu a été prononcé envers les coupables. Rageant !

Duel à Beyrouth de Mishka Ben-David

Editeur : Nouveau Monde

Traducteur : Eric Moreau

Une fois n’est pas coutume, nous allons nous pencher sur un roman d’espionnage, qui plus est situé à Beyrouth. J’en lis peu mais la référence à John Le Carré sur la quatrième de couverture a fini de me décider.

Gadi revient à Beyrouth, au cœur de Dahieh Janoubyé, dans le fief du Hezbollah. Cela fait déjà un an qu’en tant que chef d’unité, il était venu repérer Abou Khaled, en vue d’une opération d’élimination. Abou Khaled avait commandité un nouvel attentat sanglant et la décision a été prise de l’éliminer. Accompagné de son équipe, Gadi avait chargé Ronen de réaliser cette tâche. Tout était prévu, du transport jusqu’à l’assassinat en passant par l’extraction. Sauf qu’au moment de tirer, Ronen n’avait pas pressé la détente et deux hommes ont été blessés lors de la fusillade qui a suivi.

Il aura donc fallu une année pour que la commission d’enquête donne ses conclusions. Gadi s’en sort, non s’en être désigné responsable et Ronen est écarté de toute mission opérationnelle. Ce dernier ressent une bouffée d’amertume, en même temps qu’une forte injustice. Dans le groupe, tous pensent Ronen coupable. Malgré le fait qu’il reconnaisse Gadi comme son mentor, contre l’avis de sa femme Naamah, l’ancienne petite amie de gadi, Ronen décide de retourner à Beyrouth réaliser sa mission envers et contre tous. Gadi se sentant responsable, va suivre ses traces pour l’empêcher de faire une nouvelle erreur.

Ce roman ne cache pas sa volonté de construire un roman d’espionnage costaud. L’auteur, ancien du Mossad, met beaucoup d’application, à la fois dans la réalisation d’une mission mais aussi dans la hiérarchie et les arcanes de décision. Il met un soin tout particulier pour décrire à la fois les réactions des personnages mais aussi leur motivation, en insistant sur l’extrême méticulosité dans la préparation, l’interdiction de toute improvisation, et le respect et l’obéissance qui y règne.

Plus on monte dans la hiérarchie, plus les décisions se font au plus haut sommet de l’état, et personne ne doit aller contre la voix suprême. On y voit aussi les communications faites officiellement à la presse et aux journalistes, des versions édulcorées de la réalité. Tout ceci donne un ton de vérité, de réalité dans cette intrigue dont le suspense va surtout résider dans la réussite de Gadi à arrêter Ronen.

Enfin, on y trouve une belle relation, presque filiale, entre les deux hommes. Qui va l’emporter entre la mentor Gadi et ce qu’il faut bien considérer comme un fils naturel ? On aura droit à plusieurs rencontres, mâtinées de suspense avec des scènes d’action fort réussies pour aboutir à une conclusion que j’ai trouvée sans surprise. Pour toute cette application que l’auteur a mise dans ses descriptions et sa construction des personnages, Mishka Ben-David ravira les fans de John Le Carré dont il ne cache pas sa filiation.