Archives du mot-clé Huis-clos

Le manoir des glaces de Camilla Sten

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Traductrice : Anna Postel

Dans la famille Sten, je demande la fille. Ce roman est l’occasion de découvrir une nouvelle autrice, Camilla Sten, fille de sa mère Viveca Sten, mais aussi un retour pour moi vers la littérature suédoise.

Eleanor a été élevée par sa grand-mère Vivianne et s’arrange toujours pour aller manger avec elle le dimanche. Cette semaine-là, Vivianne a essayé de la joindre plus d’une dizaine de fois mais Eleanor ne lui a pas répondu à cause de ses occupations professionnelles. Quand elle se décide à aller la voir, la porte est ouverte. Elle découvre sa grand-mère allongée par terre égorgée avec une paire de ciseaux en argent.

Sous le choc, elle se sent bousculée par une personne qu’elle pense être l’assassin. Eleanor étant atteinte de prosopagnosie, maladie neurologique qui l’empêche de reconnaitre les visages, elle est incapable de décrire la personne à la police quand elle est interrogée.

Quelques mois plus tard, elle apprend que Vivianne lui a léguée le Domaine du Haut Soleil, une vaste demeure située au nord de Stockholm. Elle s’y rend avec son petit ami Sebastian, et y retrouve sa tante Veronika, et l’avocat Rickard Snäll chargé de faire l’inventaire. Seul Bengtsson, le régisseur chargé de l’entretien de la propriété est absent.

1965. Anushka vient d’arriver au domaine en tant que femme de chambre au service de la mère de Vivianne. D’origine polonaise, on lui fait vite comprendre qu’elle doit oublier sa langue maternelle, le polonais et qu’elle doit garder ses distances avec sa cousine qui n’est autre que Vivianne.

Des romans proposant une intrigue dans une demeure mystérieuse en prise à une tempête, ce n’est pas nouveau et cela s’apparente à une variation du huis-clos. Dès lors, quand il se passe des événements étranges, qu’on entend des bruits incongrus, et que l’on est en présence de quatre personnes (cinq si l’on compte Bengtsson), on comprend vite que le but recherché par Viveca Sten n’est pas de chercher un éventuel tueur.

On ne peut pas non plus dire que ce roman nous terrifie, contrairement à ce que nous annonce la quatrième de couverture. Camilla Sten joue sur différents genres sans en choisir un, roman d’ambiance, roman de mystères, roman psychologique et l’intérêt est plutôt à chercher du côté de l’intrigue avec le journal d’Anushka et sur la subjectivité de la narration qui nous montre le strict nécessaire pour mieux nous surprendre dans le final.

On peut juste regretter quelques facilités ou quelques incohérences, surtout avec les batteries de téléphone portable un coup vides, un coup encore chargées mais on apprécie grandement cette histoire familiale racontée de façon emberlificotée pour mieux attirer le lecteur dans ses filets. Camilla Sten n’est pas encore au niveau de sa mère, mais avec une faculté à construire des intrigues tordues comme cela, elle en prend le chemin.

Flynn se fâche de Gregory McDonald

Editeur : Mazarine (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

Traductrice : Simone Hilling

Si vous n’avez jamais lu Rafael, derniers jours, vous devez vous jeter sur le chef d’œuvre de Gregory McDonald, en gardant en tête que c’est un roman très dur, très violent. A côté de ce roman, Gregory McDonald a écrit deux série. L’une met en place Fletch, un journaliste et l’autre Flynn, un inspecteur de police. J’avais lu quelques romans avec Fletch après avoir vu le film avec Chevy Chase (que j’aime beaucoup). J’en conserve des souvenirs de romans très drôles même si je dois dire que j’en ai oublié les intrigues (cela fait presque 40 ans que je les ai lus). Ce roman m’a permis de découvrir l’inspecteur Flynn.

L’inspecteur Flynn est appelé un dimanche par son chef, Eddy d’Esopo pour lui rendre un service. Il lui fournit un trajet complexe pour rejoindre un endroit isolé, hors de sa juridiction. Et surtout, il devra s’y rendre seul. Il devra laisser en plan son affaire en cours, un délit de fuite où une voiture a renversé un cycliste, ou du moins la gérer par téléphone en laissant son adjoint le sergent Whelan qu’il surnomme Grover prendre les rênes.

Comme il avait entamé une partie d’échecs avec son ami Cocky Concannon, un inspecteur blessé en service et mis en pré-retraite, Flynn décide de l’emmener contre l’injonction de son chef. Après avoir dépassé un village perdu, ils entament la montée d’une colline et arrivent devant un portail gardé comme une zone militaire confidentielle. Les hautes grilles enferment un lieu appelé La canne et le Fusil.

Il s’agit d’un club très fermé de notables, de patrons industriels en passant par des sénateurs candidats potentiels à la présidence en passant par des avocats ou des juges. Cette poignée d’hommes influents ont découvert l’un d’eux assassiné de deux balles mais, pour ne pas être ennuyés par la police, ils ont déplacé le corps dans un hôtel proche situé hors de la propriété en simulant un accident de chasse. Flynn est chargé officieusement de trouver le coupable.

On pourrait donner un sous-titre à ce roman : voyage de Flynn dans le club des puissants. Si les enquêtes de Fletch sont drôles, celle de Flynn que je viens de lire est plus cynique. Il convient de préciser que ce n’est pas sa première enquête. On nous présente Flynn comme un inspecteur qui travaille quand il veut, disparaissant pendant ses heures de service sans justification. Malgré cela, il semble doué et ce mystère va nécessité tout son talent de déduction.

Gregory McDonald, à travers ce huis-clos, nous présente un groupe de puissants qui se croient au-dessus des lois. Il n’hésite pas à grossir le trait, nous détaillant les travers de ces gens que l’on pourrait considérer bien sous tous rapports. Flynn lui-même parait détaché, nonchalant et mène son enquête de façon non conventionnelle. Il faut dire qu’il a les mains liées et que quoi qu’il fasse, les cadavres vont continuer à tomber.

Honnêtement, ce roman est un bon petit polar, un huis-clos qui ressemble plus à une charge contre les puissants de ce monde qu’à une volonté de bâtir une intrigue solide. J’ai lu sur Internet que Gregory McDonald voulait s’engager dans la politique et qu’il avait vu des choses et rencontré des désillusions. Dans ce cadre, ce roman ressemble à une vengeance en bonne et due forme.

Enigma d’Armelle Carbonel

Editeur : Fayard Noir

Cela faisait un petit moment que je voulais découvrir la plume d’Armelle Carbonel et la sortie de son petit dernier est une bonne occasion de voyager dans le monde angoissant de cette jeune auteure française.

Connue pour ses documentaires sur des bâtiments abandonnés, Barbara Blair arrive dans un orphelinat perché au sommet d’une colline, le Domaine de la Haute-Barde. Warren et David, cadreur et preneur de son l’accompagnent. Dès leur visite du bâtiment en compagnie du propriétaire, ils ressentent une ambiance d’abandon avec des souffles de vent et des bruits étranges.

Magda, une voisine leur raconte que soixante ans auparavant, toutes les horloges du village se sont arrêtées à 21h00 dans une atmosphère de fin du monde sous un orage monstrueux. Tout le monde l’a surnommée L’Heure Fantôme. Cette nuit-là, des dizaines d’enfants ont disparu. Dans les souvenirs des habitants, ces disparitions ont survenu en même temps qu’une épidémie mortelle.

Barbara qui tous les soirs se connecte sur son micro avec sa fille sourde, a du mal à prendre du recul avec sa situation personnelle et son sentiment d’abandonner sa fille. Quand une jeune fille disparait dans le village, l’ambiance mystérieuse devient vite intenable. En interviewant le voisinage, ils rencontrent Arnold, un psycho-criminologue en fauteuil roulant qui va les guider sur ces événements passés ayant un impact sur aujourd’hui.

Enigma est une lecture particulière, qui laisse une impression de visiter un paysage mystérieux où Armelle Carbonel joue le rôle de guide. Ce roman n’est pas un roman d’action, ni un thriller et même pas un roman d’horreur. Tout se joue sur le talent de l’auteure, sa capacité à créer une ambiance dans un lieu clos et angoissant, puis de faire monter gentiment la pression chez le lecteur.

Avec son style très détaillé, Armelle Carbonel met l’accent sur les décors et l’ambiance, pour mieux créer un brouillard, et pas uniquement dans l’intrigue ou les décors. Même l’intrigue qui donne peu de repères temporels nécessite de s’accrocher un peu. On se laisse aisément promener et on prend du plaisir à sentir la tension monter, à frissonner sans effusion d’hémoglobine, juste du bon stress.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce roman m’a fait penser au film Conjuring, que j’aime bien, par son ambiance. Tout se joue dans la façon de présenter les choses, d’ajouter un personnage flou qui passe au second plan, de donner un semblant de stress surprenant par une simple phrase. Tout est construit sur la base d’une ambiance angoissante et c’est bien fait.

Comme il est souvent mentionné son précédent roman Sinestra, j’ai l’impression d’avoir raté quelques rappels mais je dois dire que je me suis bien amusé. Et puis, dans la deuxième partie, le rythme s’accélère pour dévoiler un scénario bigrement retors et qui m’a pleinement satisfait. Pour moi, Enigma fut une belle découverte d’une auteure bigrement douée. A suivre donc, en ce qui me concerne.

Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un de Benjamin Stevenson

Editeur : Sonatine

Traductrice : Cindy Colin Kapen

Derrière ce titre intrigant, on découvre un pur roman policier respectueux de la tradition et foncièrement original. Les amateurs d’Agatha Christie et des Whodunit devraient y trouver leur compte, les autres découvriront un excellent divertissement.

Dans la famille Cunningham, je voudrais le fils Ernest. Auteur de guides sur les méthodes d’écrire des romans policiers à destination d’écrivains en herbe, Il est convié par sa tante Katherine à un week-end en famille pour fêter la sortie de prison de son frère Michael. Ils se retrouvent donc dans un chalet en pleine montagne australienne, dans un décor neigeux et glacial voire glaçant.

Trois ans auparavant, Michael a débarqué chez Ernest dans sa voiture. Sur la banquette arrière, un homme tué d’une balle mais Michael a affirmé qu’il lui a juste roulé dessus. Paniqué, il lui demanda de l’aide pour aller l’enterrer dans les bois, ce qu’Ernest avait accepté. Michael fut arrêté par la police, et Ernest avait témoigné contre son frère lors du procès, arguant que l’homme était déjà mort.

Ils se retrouvent donc tous dans un chalet, Ernest et son ex-femme Lucy, sa mère Audrey remariée à Marcello, un avocat imposant, sa Tante Katherine et son mari Andy, Sofia la fille de Marcello. Arriveront ensuite Michael et Erin, mari et ex-femme. Ce week-end de fête va être bouleversé dès le début par la découverte d’un corps dans la neige, que personne ne semble connaitre.

Tous les ingrédients du roman policier sont bien présents dans ce roman, et l’auteur nous rappelle les dix commandements de Ronald Knox (1929) en introduction du roman. IL va parsemer son histoire de multiples indices et terminer par une scène finale où le narrateur (Ernest) déroule devant nos yeux le mystère. Alors comment faire du neuf avec une recette qui est déclinée à toutes les sauces depuis le 19ème siècle (voire avant, je manque de culture sur le sujet) ?

Tout d’abord, Benjamin Stevenson raconte cette histoire par la voix d’un érudit du roman policier puisqu’il écrit des guides pour apprendre comment en écrire un. Cela lui permet de prendre du recul et aussi de faire de l’autodérision, de se moquer à la fois de ses collègues auteurs et aussi de lui-même. Il prend pour ce faire le lecteur à témoin, comme cet exemple sur le téléphone portable dont la batterie est à plat à un moment crucial. Il l’annonce sans vergogne avant que ça arrive !

Et au-delà de cela, Benjamin Stevenson semble s’être lancé un défi : spolier l’histoire en annonçant à l’avance ce qui va arriver bien plus tard. Et il se permet même d’annoncer à quelle page ! Par exemple au débit du roman, il nous annonce les pages où il va y avoir un mort … Zut, je viens de vous spolier qu’il va y en avoir plusieurs ! Je vous prie de bien vouloir m’excuser !

Tout ceci n’est pas bien sérieux mais cela revêt un aspect bigrement innovant, arriver à surprendre le lecteur malgré le fait qu’on lui ait annoncé ce qui va arriver. Le personnage principal Ernest étant auteur, il se montre bavard et on peut trouver dans ce roman des longueurs (mais Benjamin Stevenson y insère toujours des indices, utiles ou pas), mais il faut bien avouer que l’on s’amuse beaucoup et que ce roman est idéal pour une lecture estivale distrayante, divertissante et très drôle sans jamais se prendre au sérieux.

A qui la faute de Ragnar Jonasson

Editeur : La Martinière

Traducteur :

Depuis la parution de son premier roman en France, je me suis dit qu’il faudrait que je découvre cet auteur islandais. Depuis, j’ai acheté tous ses livres en format poche sans trouver le temps d’en ouvrir. La sortie de cet huis-clos hivernal était trop tentante !

Ils étaient quatre amis inséparables pendant leurs études puis ont suivi chacun leur chemin. Cette idée de se retrouver ensemble le temps d’un week-end pour découvrir les paysages enneigés semblait bonne.

A la fin de ses études en Arts Dramatiques, Daniel s’est exilé en Angleterre où il galère à boucler ses fins de mois avec les petits rôles qu’il décroche. Vis-à-vis des autres, il est devenu un acteur reconnu.

Son meilleur ami, Gunnlaudur, a toujours été la dernière roue du carrosse, suiveur plutôt que leader. Il s’est tout de même débrouillé pour devenir avocat dans un petit cabinet.

Après avoir connu une adolescence agitée, parsemée d’excès en tous genres, Armann Est revenu au pays pour devenir guide des contrées enneigées.

Helena, la seule fille du groupe, a accepté de faire ce week-end avec ses amis, alors qu’elle vient de perdre l’amour de sa vie.

Les quatre amis vont se lancer dans un week-end découverte dans des paysages immaculés loin de toute habitation. Mais au milieu de leur périple, une tempête de neige s’abat sur eux …

Ragnar Jonasson nous convie ici à un huis-clos en plein air, dans un environnement rigoureux, à faire glacer les os. Et quoi de mieux pour innover que de créer un roman choral. Nous allons donc suivre tout à tour nos quatre compagnons mais la narration se déroulera à la troisième personne de façon à laisser planer le suspense car tout le monde ne va pas s’en sortir.

Les chapitres étant courts, et surtout le style étant fluide et simple, ce roman se lit rapidement. On sent le savoir-faire d’un auteur confirmé pour nous passionner dans le déroulement de cette histoire où il ne se passe rien … dans la première moitié du roman, le seul rebondissement se situe dans la présence d’un homme dans le refuge qu’ils avaient ciblé pour leur week-end.

Malgré cela, psychologiquement, ce roman s’avère passionnant … surtout qu’il va semer quelques zones d’ombre qui vont nous étonner avant de nous tenir en haleine dans la deuxième moitié où les événements vont se précipiter. Pour une découverte, je dois dire qu’elle fut bonne et que je vais poursuivre dans la lecture des romans de cet auteurs, qui malgré son rythme lent, arrive à nous passionner avec peu d’éléments.

Un monde merveilleux de Paul Colize

Depuis Back-up et Un long moment de silence, je suis et resterai à jamais fan des écrits de Paul Colize, pour ses personnages, ses intrigues et son message humaniste. Comme d’habitude, on trouve dans ce dernier roman plusieurs niveaux de lecture.

Le premier maréchal des logis Daniel Sabre a choisi le poste d’instructeur-chef de char, situé dans une base militaire belge en Allemagne. Marié à Catherine, il conçoit sa vie comme son métier : ordonné, respectueux des règles et aveuglément obéissant aux ordres. Ce matin-là, il est convoqué par le colonel Brabant. Afin de valider sa demande de promotion, il devra réaliser une mission spéciale.

Le colonel Brabant lui demande de quitter l’Allemagne pour la Belgique, et de récupérer à Bruxelles une jeune femme. Il devra suivre ses indications à la lettre, la conduire où elle veut pour une durée indéterminée, ne pas poser de questions et ne pas lui donner d’informations. Sabre rentre chez lui préparer ses affaires et quitte Düren en direction de la capitale belge à bord de la Mercedes 220D qu’on lui a fournie.

Le rendez-vous est fixé à midi et à 11h58, une jeune femme à l’allure altière, vêtue d’un long manteau gris l’attend sur le trottoir. Tel un chauffeur, il pose ses bagages dans le coffre,  juste au dessus de l’arme qu’il a pris soin de cacher sous la roue de secours. Marlène s’installe à l’arrière, et commence à remplir un petit cahier dans lequel elle écrit les souvenirs de ce voyage. Elle lui indique la direction de Lyon, et le voyage commence.

Paul Colize est connu pour allier la forme et le fonds à son sujet. On n’y trouvera donc pas de courses poursuites effrénées mais plutôt un aspect psychologique fouillé venant supporter un sujet historique, au moins pour ses derniers romans. Pour ce Monde merveilleux, il choisit le format d’un huis-clos pour opposer deux personnages qui n’ont rien en commun et remet en lumière un événement remontant à la deuxième guerre mondiale.

Deux personnages donc, vont intervenir dans ce roman, en alternance. L’un est un soldat et a été élevé pour obéir aveuglément aux ordres. L’autre est une jeune femme libre, à la recherche de son passé. Ils vont être enfermés dans une voiture et Paul Colize va nous montrer tout ce qui les oppose avant de trouver quelques événements qui va les amener à se découvrir, ou au moins à s’écouter voire se comprendre.

De façon totalement incroyable, Paul Colize nous passionne avec ces deux caractères forts qui ne sont pas prêts à remettre en cause leur éducation. Et il en profite pour nous poser la question de la conséquence de l’obéissance aveugle, qui aboutit entre autres aux horreurs que l’on a connues pendant la deuxième guerre mondiale. Ce qui, sans vouloir déflorer le scénario du roman, en devient un des sujets.

Entre chaque chapitre (ou presque), Paul Colize introduit de courts passages nous présentant des exemples précis de personnages réels ayant réalisé des actes ignobles et/ou horribles et certains (rares) de bonnes actions. Dans ce deuxième niveau de lecture, il nous montre ou plutôt nous demande si finalement, l’Homme n’est pas naturellement mauvais. A la lecture, on sent bien que cet humaniste dans l’âme est miné par les horreurs que l’on rencontre dans n’importe quel fait divers. Et le titre, qui fait référence à la chanson de Louis Armstrong, est formidablement trouvé pour tous ces thèmes qui s’emmêlent comme une remise en question de la nature de l’Homme. Excellentissime.

De silence et de loup de Patrice Gain

Editeur : Albin Michel

Depuis que l’on me harcèle pour que je découvre ce roman et cet auteur, j’ai enfin succombé à la tentation avec le dernier roman en date de Patrice Gain, un voyage dans les terres inhospitalières de la Sibérie. Fichtre !

Anna Liakhovic, journaliste de son état, a accepté de suivre une mission scientifique en Sibérie pour un reportage. Cette mission doit faire des prélèvements en Arctique pour déterminer l’impact du réchauffement climatique sur les étendues glacées. Après la mort de sa fille Zora par noyade et de sa compagne Romane qui s’est suicidée, elle a voulu mettre de la distance avec ses malheurs. Elle débarque donc à Tiksi, une petite ville balayée par le vent glacial du pôle Nord, avant de rejoindre le Yupik, un bateau spécialement conçu pour des températures extrêmes.

Sur le bateau, elle va faire connaissance avec l’équipage, Jens le capitaine, Margot la microbiologiste, Jeanne la glaciologue, Loicet Erwan les marins, Louise la biologiste, Zoe la cuisinière et Valery le militaire russe chargé de les surveiller tous. Puis commence le dangereux périple sur la Lena, entre la dangerosité de la faune et les icebergs qui dérivent suite au réchauffement climatique.

Cela fait deux ans que Sacha, le frère d’Anna, a rejoint le monastère de la Grande Chartreuse, en Isère. Suivant le rythme imposé par l’instance religieuse, entre deux prières, Dom Joseph, puisque c’est son nouveau nom, parcourt un journal, celui de sa sœur. Il va découvrir ainsi le périple d’Anna et toutes les difficultés qu’elle a rencontrées.

Alternant entre 2017 (avec Anna) et 2019 (avec Dom Joseph), Patrice Gain nous déroule cette histoire dramatique voire dure voire glauque sans voyeurisme, sans esbroufe, avec une simplicité remarquable. C’est par ce déroulement inéluctable et cette simplicité de style que passe les émotions avec une efficacité redoutable. Autant dans la vie et les réactions de Dom Joseph que dans le journal d’Anna, on ressent une véracité et une réelle immersion dans la psychologie des personnages.

Ce voyage dans des confins inimaginables, l’auteur va éviter de nous noyer sous des termes scientifiques, mais ne se gêne pas pour nous apprendre beaucoup de choses sur la vie au pôle et sur les conséquences du réchauffement climatique. Etant de formation scientifique, j’ai trouvé ces aspects simples, et très instructifs. Mais le paysage montré dans ce roman ne concerne pas les contrées enneigées mais bien la noirceur de l’âme humaine.

Le choix d’une expédition dans des contrées inhumaines et de présenter la vie d’un équipage en huis-clos se révèle un choix remarquable pour fouiller les psychologies des passagers, la lutte de pouvoir qui tourne à un recours à la force où les femmes deviennent les victimes. Anna, enfermée dans le bateau (au moins dans la première partie du roman) et Sacha / Dom Joseph enfermé dans le monastère ont choisi tous les deux une même punition pour eux-mêmes mais pas pour les mêmes raisons.

Avec une simplicité remarquable dans le style, mais avec une vraie profondeur dans les thèmes traités, ce roman comporte des scènes d’une force dramatique impressionnante et des thèmes tristement contemporains dans l’actualité. L’auteur en conclut que l’Homme est le pire des prédateurs et on ne peut qu’acquiescer et le regretter tous les jours. Il va me falloir lire les précédents romans de cet auteur, tant celui-ci m’a impressionné.

Solak de Caroline Hinault

Editeur : Editions du Rouergue

S’il n’y avait eu l’avis de Jean-Marc Lahérrère, je n’aurais pas eu l’idée de me pencher sur ce roman. D’ailleurs, je n’ai pas attendu bien longtemps avec de le lire, et je ne peux que confirmer la force de ce roman.

Sur cette presqu’île du cercle polaire arctique, une misérable station est perdue au milieu de la neige et du blizzard. Servant de base scientifique, elle abrite aussi des hommes chargés de veiller sur le drapeau national. Outre le temps redoutable, ils doivent aussi éviter les ours qui, à l’approche de l’hiver, s’approchent des habitations pour trouver à manger. Six mois de jour, six mois de nuit, une année de calvaire.

Igor vient de se suicider, une balle dans la tête, incapable de supporter la nuit qui s’approche. Piotr, le narrateur, habite ici depuis vingt ans et fait office de vétéran. Il se retrouve donc en compagnie de Roq, brute épaisse alcoolique qui s’amuse à tuer les animaux pour son traffic de fourrures et Grizzly un scientifique bavard qui amène un semblant d’humour dans ce monde froid et sans pitié.

En échange du cercueil d’Igor, débarque un jeune gamin frêle qui semble flotter dans sa combinaison. Ne dégoisant pas un mot, il passe aussi peu de temps avec les autres, préférant écrire dans ses cahiers. Peu après, les trois résidents apprennent que le gamin est muet, mais pas sourd. Et l’approche de l’hiver infernal va petit à petit faire monter la tension entre les quatre hommes.

J’adore les premiers romans, et encore une fois, je me suis trouvé embarqué dans ce huis-clos où la tension va monter doucement jusqu’à devenir intenable, invivable, irrespirable. Ces quatre hommes qui ne sont pas là pour s’entendre mais par obligation vont emmagasiner des ressentiments et la pression va finir par exploser dans un final non seulement inattendu mais aussi incroyable.

Et dans ces 124 pages, on retrouve tout des romans marquants : la psychologie des personnages vue par un narrateur, les actions de survie quotidienne qui deviennent des obligations, des rancœurs qui vont se transformer en colère délirante et le choix d’un bouc émissaire pour déverser le trop-plein de haine, de manques, de socialisation, de normalité dans un déferlement de férocité violente.

Passées les présentations, on sent réellement le jour partir et nous plonger dans une nuit sans fin ; l’intérieur de l’habitation se transforme en prison qui se prolonge à l’extérieur tant il y fait très froid, trop froid. Surtout, l’écriture n’est pas recherchée, surfaite mais uniquement naturelle et brutale et cela participe beaucoup à notre immersion dans ce monde de l’impossible. Et petit à petit, nos mains se crispent sur les pages, on ne veut pas s’arrêter parce l’on veut savoir et on s’arrête de respirer … Nom de Dieu, quel roman !

Les aveux de John Wainwright

Editeur : Sonatine

Traductrice : Laurence Romance

On m’a chaudement recommandé ce roman et je n’ai pas hésité quand j’ai vu que ce roman par l’auteur de A table !, roman qui a inspiré le film Garde à vue de Claude Miller avec Lino Ventura, Michel Serrault et Charlotte Rampling. Quel roman !

Années 80, Rogate-on-Sands. Herbert Grantley a suivi la tradition familiale, reprenant la pharmacie familiale que son grand-père puis son père ont monté et développé. Face à l’inspecteur-chef Lyle, il vient s’accuser d’avoir empoisonné sa femme Norah, décédée un an plus tôt. Herbert va devoir être persuasif pour démontrer sa culpabilité face à Lyle, plus que dubitatif, puisqu’officiellement la mort de Norah est naturelle.

A sa sortie des études universitaires, Herbert a travaillé dans la pharmacie paternelle, comme un passage de témoin progressif. Quand il rencontre Norah, Herbert est persuadé qu’elle est la femme de sa vie. Lors de leurs fiançailles, son père lui demande s’il est persuadé de prendre la bonne décision, arguant que Norah est trop semblable à lui et que des différences sont l’assurance d’un mariage réussi.

Malgré cette mise en garde, Herbert et Norah se marie. Lui va prendre la gérance de la pharmacie et elle devenir femme au foyer. Bientôt, Norah va prendre l’ascendant, par des petites remarques désagréables, créant en Herbert un ressentiment grandissant contre elle. Deux événements vont bouleverser sa vision du couple : la mort de son père et son incinération au lieu d’un enterrement et la naissance de leur fille Jenny.

A la lecture de ce bref résumé, on pourrait penser à un duel entre Herbert et Lyle, alors qu’il s’agit plutôt d’une confession entrecoupée de chapitres présentant les dialogues entre les deux personnages. Raconté à la première personne, le récit totalement subjectif de Herbert va détailler sa vie de couple, quasiment exclusivement, et l’évolution de ses sentiments envers sa femme et sa famille, pour justifier le meurtre dont il s’accuse.

La façon de raconter cette histoire ressemble à s’y méprendre à Garde à vue, en inversant les rôles. Ce pied de nez envers les codes du genre policier, envers les huis clos que l’on a l’habitude de lire s’avère d’une originalité rare mais surtout d’une acuité impressionnante quand il s’agit de montrer un homme qui passe lentement, au fil des années, du ressentiment à la colère, de la rancune à la haine, jusqu’à envisager le pire.

Puis, en pleine milieu du roman, l’auteur introduit un événement, comme un rebondissement, qui va totalement modifier l’intrigue et surtout nous rappeler que nous lisons un témoignage donc un récit empreint de subjectivité. Effectivement, à partir de ce moment, le lecteur doute et débouche sur la conclusion de l’inspecteur-chef Lyle qui, à la façon d’une Agatha Christie, reprend tous les indices parsemés ça et là, pour afficher la Vérité, la terrible vérité d’une affaire de famille peinte en noir.

Les aveux de John Wainwright s’avère bien plus qu’un simple huis-clos, bien plus qu’une redite à la recette connue et éprouvée. Il détaille et autopsie les liens familiaux du couple, les petits gestes marquants, les petites phrases blessantes et la subjectivité des réactions. Il montre aussi la difficulté de communiquer, d’accepter les autres et la psychologie butée et unilatérale de Herbert. Un excellent roman policier, surprenant.

La vallée de Bernard Minier

Editeur : XO éditions

Bernard Minier reprend son personnage récurrent le commandant Martin Servaz, après Glacé, Le cercle, N’éteins pas la lumière, Nuit et Sœurs. Je ne peux que vous conseiller de lire ces romans précédents avant d’attaquer celui-ci qui semble former une conclusion au cycle consacré à Marianne. Pour ceux qui ne les auraient pas lus, je vous conseille de ne pas lire mon résumé.

Martin Servaz vient d’être suspendu et rétrogradé au grade de capitaine suite à son affaire précédente. Il n’a donc plus ni insigne ni arme. Il attend son jugement au tribunal pénal puis sa sanction au conseil de discipline de la police. A cinquante ans, fréquentant le docteur Léa Delambre qui a 7 ans de moins que lui, en charge de son fils Gustav qu’il vient de découvrir, il se sent vieux, trop vieux.

La France vit au rythme de la Coupe de Monde de Football 2018, où la France poursuit son parcours. Gustav, l’enfant de Marianne, qui a été élevé par le tueur en série Julian Hirtmann, est maintenant hors de danger après son opération du foie. Il s’ouvre petit à petit mais c’est Martin qui s’inquiète de plus en plus, même si Hirtmann est détenu dans la prison 5 étoiles de Leoben en Autriche. Cette nuit-là, le téléphone sonne en pleine nuit. La voix de Marianne lui demande de le rejoindre, car elle est en danger.

Marianne lui annonce qu’elle s’est évadée, et qu’elle est dans les Pyrénées, proche d’un cloître. A la brève description des lieux, il reconnait l’abbaye d’Aiguesvives. La conversation se coupe, elle semble en danger. Il décide de partir sur le champ, est reçu par le Père Adriel. La battue qu’ils organisent pour retrouver Marianne ne donne rien, Le lendemain, il se rend à la gendarmerie et retrouve la capitaine Irène Ziegler, qu’il a rencontré 8 ans auparavant. Elle lui apprend qu’une série de meurtres est en cours à Aiguesvives.

Comme je le disais, ce roman semble clore un cycle que j’appellerai le cycle de Marianne, et cela ne vous dévoilera en rien ni l’intrigue, ni son dénouement. D’ailleurs je suis curieux de voir comment Bernard Minier va rebondir et redonner un second souffle aux enquêtes de Martin Servaz. Je parle de second souffle, car ce roman est une sacrée épreuve pour le lecteur, tant il est obligé de retenir son souffle pendant plus de 500 pages.

J’ai trouvé dans ce roman beaucoup de similitudes avec ses deux premiers romans, outre les présences de Marianne et la menace de Julian Hirtmann. Les décors sont aussi majestueux qu’ils sont menaçants, dans un village encastré dans les montagnes, inondées de brume à l’image de Martin Servaz, pris dans une enquête et en proie à ses doutes personnels et à son urgence.

J’ai trouvé dans ce roman une tension constante, un suspense haletant, beaucoup de fausses pistes démontrant toute la maîtrise et l’art de cet auteur que je suis depuis ses débuts. Une fois que vous avez commencé les premières pages, vous ne pourrez plus le lâcher, je vous le garantis. Et puis, Bernard Minier évite les descriptions gore qui auraient desservi l’intrigue, et son message.

Car derrière ce roman policier exemplaire, où il est bien difficile de trouver un point faible, on y trouve plusieurs dénonciations, dont la façon dont est vue et maltraitée la police, leur mal-être, mais aussi la difficulté des relations entre parents et enfants, et enfin cette nouvelle plaie qui s’appelle la manipulation par Internet via les tablettes ou les jeux en ligne. Une nouvelle fois, la démonstration, remarquablement bien menée, ayant pour point central un personnage de pédopsychiatre féminin d’une dureté incroyable, est exemplaire. Bernard Minier démontre encore une fois qu’il a des choses à dire.

Alors, oui, je suis fan de cet auteur et ce billet doit être lu dans ce sens. Et puis, cerise sur le gâteau, il introduit des vers de Patrick Steven Morrissey, dont je suis fan à vie, qui sait si bien dire les sensations de malaise, les impressions d’être seul contre tous. C’est simple, prenez une chanson, n’importe laquelle, lisez un vers et vous trouverez une impression que vous aurez ressentie. Alors oui, ce roman doit faire partie de vos lectures estivales, sans aucune restriction.