Archives pour la catégorie Chouchou 2011

Meurtre aux poissons rouges de Andrea Camilieri et Carlo Lucarelli (Fleuve noir)

Je n’avais jamais lu de roman de Andrea Camilleri, mais par contre, j’adore carlo Lucarelli. Alors, quand les deux s’allient pour un polar au titre énigmatique, pas question de passer au travers !
A Bologne, de nos jours. Un homme est retrouvé assassiné chez lui par sa voisine. Il se nomme Arturo Magnifico, et il est allongé dans sa cuisine, étouffé par un sac plastique autour de la tête. A coté de sa tête, trois poissons rouges morts gisent sur le carrelage. Sur le cadavre, il manque une chaussure. Comme Arturo est allergique aux poissons, il est étrange de le trouver en compagnie de ceux-ci.
La policière Grazia Negro va enquêter sur cette affaire. Elle va demander de l’aide à Salvo Montalbano, célèbre commissaire sicilien. Elle va donc lui écrire pour lui décrire la scène du crime. Celui-ci va refuser la collaboration, car Grazia a inclus dans sa lettre des pièces officielles du dossier et il ne veut pas être impliqué dans un détournement de documents. De plus, sa compagne Livia est très jalouse.
L’enquête de Grazia va déranger du monde. Elle échappe à un attentat, quelqu’un ayant coupé les freins de sa voiture. Elle s’en sort pour quelques jours d’hôpital. La correspondance entre les deux policiers va continuer, utilisant les subterfuges les plus originaux pour que les lettres ne soient pas interceptées.
Il vaut mieux ne pas en dire plus sur l’intrigue de ce livre qui comporte 150 pages, au risque de dévoiler la qualité de l’intrigue. Car ce roman est tout simplement remarquable, autant par l’intrigue, relativement simple, mais menée avec brio et avec une facilité déconcertante, que par la qualité de l’écriture qui nous fait progresser dans l’histoire passionnante avec beaucoup d’humour.
Car l’originalité de ce roman réside bien dans sa construction. Elle est faite de correspondances, d’extraits du dossier, de morceaux d’articles de journal ou de retranscriptions d’interrogatoires. Malgré cet aspect décousu, les deux auteurs arrivent à nous prendre par le bout du nez et nous empêchent de lâcher le bouquin avant qu’il soit fini.
Et on imagine bien la joie, l’euphorie des deux auteurs, qui ont construit le roman à distance, faisant comme leurs deux protagonistes principaux, en profitant pour glisser quelques croche-pattes, pour insérer des défis à son ami-co-auteur-concurrent-adversaire. Rarement je n’ai lu un roman aussi original, aussi bien construit, aussi passionnant. Chapeau, messieurs !

A noter le coup de coeur de l’ami Claude ici

Haine, ma sœur haine de Jean Pierre Ferrière (Noir Délire)

Après Rictus et Cinémaniaques, je continue à explorer l’œuvre de Jean Pierre Ferrière, avec qui je suis en contact grâce à ce blog. Quelle chance de pouvoir partager avec un auteur qui place en avant dans ses romans l’intrigue et la psychologie des personnages.

Geneviève Brunel a pour habitude de passer ses dimanches, enfermée chez elle, devant la télévision. Ex-femme de Vincent Marsac, la nouvelle coqueluche du cinéma français, elle admire cet homme qu’elle aime toujours et dont la carrière lui doit beaucoup. Ils ont en effet été mariés six ans, elle l’a entretenu pendant qu’il prenait ses cours d’art dramatique, et il a divorcé pour prendre son envol sans elle.

Elle se décide à aller voir le dernier film de Vincent, Un coup pour oui, deux coups pour non, où il partage l’affiche avec Karen Vance. Tous les journaux ne parlent que de ça, le nouveau couple vedette. Si le film est loin d’être génial, elle est toujours éblouie par le talent de son mari. Mais elle préfère se renfermer, mâcher son malheur, ressasser ses regrets … jusqu’à ce qu’elle discute avec son amie de toujours, Danielle.

Danielle, qui profite bien de la vie et des hommes, persuade d’aller trouver Vincent pour lui demander d’augmenter sa pension. Alors qu’elle se décide enfin, elle rencontre Karen chez Vincent, la trouve sympathique. Vincent accepte de multiplier par trois la pension mensuelle. Le fait qu’il lui confirme qu’ils vont se marier en mars est la goutte d’eau de trop. Vincent doit payer et c’est à travers Karen qu’elle va se venger … mais rien ne va se passer comme prévu.

Le titre, qui parodie la géniale chanson de Louis Chédid, est une bonne illustration de ce livre, mais je la trouve réductrice. Car nous n’avons pas affaire à une simple histoire de haine mais plutôt à une intrigue formidablement menée, un destin tragique d’une jeune femme qui, le jour où elle se décide à sortir de sa coquille, le jour où elle prend une décision, les événements vont déraper pour irrémédiablement terminer mal.

Dans ce livre, il y a tout ce que j’attends dans un polar : des portraits psychologiques fouillés, cohérents et attachants, de Geneviève, femme victime qui se transforme en femme fatale contre son gré, de Vincent, acteur mégalomane, égoïste et égocentrique, de Danielle l’amie insouciante mais fidèle à l’extrême et j’en passe pour ne pas vous raconter l’histoire.

Il n’y a pas d’esbroufe dans ce livre, pas d’effets de style, juste une formidable narration, un style fluide qui s’efface pour laisser place à l’intrigue et aux différents rebondissements qui, je dois le dire, montrent tout le talent de Jean Pierre Ferrière pour laisser libre cours à sa créativité. A chaque chapitre, on a droit à un événement inattendu qui fait rebondir le lecteur dans une direction non prévue, et la lecture en devient jouissive.

C’est aussi le portrait d’un monde, en dehors de notre monde, celui des stars, des icônes, qui montrent leur plus beau visage mais qui n’en ont rien à faire des pauvres gens, qui les font vivre. Vincent est un bel exemple et j’aurais bien aimé lui mettre quelques claques, tant il se moque de tout sauf de lui-même. Mais c’est aussi parce que je me suis attaché à Geneviève, parce que je me suis laissé prendre au jeu de ce livre. Définitivement, j’ai trouvé ce polar très bon, à dix mille lieues de la production contemporaine qui en rajoute dans les effets pas toujours justifiés.

Pour finir, un grand merci à M.Jean Pierre Ferrière avec un petit message personnel : Non, je ne vous ai pas oublié. Comment le pourrais-je ?

Betty de Arnaldur Indridason (Métailié)

Publié à l’origine en 2003, ce roman a été écrit au beau milieu de la série des Erlendur, puisque La cité des Jarres date de 2000. Comme s’il avait voulu tenter un coup d’essai. C’est un essai réussi, très réussi même.

Le narrateur est enfermé dans la prison de Lital-Hraun, à Eyrarbakki, en détention provisoire. Il est accusé du meurtre de Tomas Ottosson Zoega, mais il nie tout en bloc. Sa position est de se présenter en tant que victime d’une machination, d’une conspiration dont il va essayer de comprendre les tenants et les aboutissants.

Le narrateur est spécialisé en droit économique, et ce matin là, il venait faire une conférence au cinéma de l’université, sur la situation des négociations des armateurs islandais à Bruxelles. Dans l’assistance, une femme, incontournable, sublime, Betty. Elle va l’accoster pour lui demander de venir travailler pour son mari, richissime armateur qui ne comprend rien aux nouvelles règles de l’Union Européenne. Il sera grassement payé, assure-t-elle.

Elle va le harceler, le pousser, lui téléphoner plusieurs fois par jour, jusqu’à ce que, finalement, il accepte. C’est surtout le fait que Tomas frappe sa conjointe (bien qu’ils ne soient pas mariés) et le fait qu’il va se retrouver hypnotisé par cette femme fatale qui va le décider. Ils vont devenir amants et le narrateur va décrire comment il va devenir une victime.

Ce roman est un classique du roman noir revisité par Arnaldur Indridason. Il reprend par le fond et la forme tout ce qui fait un bon polar. D’ailleurs, il fait clairement référence à Le facteur sonne toujours deux fois de James M.Cain, dont il cite un passage en introduction de son roman. Si l’intrigue est donc connue, si le style est toujours aussi plaisant, le roman se détache par la manipulation dont il fait montre … et dont je ne peux rien dire sans dévoiler la perle de l’intrigue.

On y trouve donc un mari, une femme et son amant. Le mari est violent, frappe sa femme et celle-ci ne peut le quitter à cause de l’argent. Le narrateur, choisi ou pas par la femme (c’est une des questions du roman) va jouer un rôle dans ce drame et être le complice du drame qui est le meurtre du mari. Dit comme ça, cela parait simple voire simpliste.

Oui mais voilà ! Après nous avoir installé dans le personnage principal, Indridason nous réserve une belle surprise en plein milieu du livre. Cela nous remet à notre place, et le plaisir rebondit devant cette histoire savamment construite. C’est finalement un bel exemple d’histoire faite avec des personnages classiques, sur une trame classique revisitée par un auteur qui décidément n’en finit pas de me surprendre. Betty ne fait que confirmer le talent de cet auteur islandais.

Tijuana Straits de Kem Nunn (Sonatine)

Il m’aura fallu neuf mois avant d’ouvrir ce roman. Ce roman est sélectionné pour le trophée 813 du roman étranger, donc je me devais de le lire avant la fin octobre. C’est fait ! Quel bouquin !

Sam Fahey est un ancien champion de surf, qui a touché à tout, de l’alcool à la drogue et qui, après être passé par la case prison, s’est établi en Californie, juste à coté de la frontière avec le Mexique. Il a créé un petit commerce de vermicultture et a même créé un site internet. En parallèle, il cherche à protéger les pluviers d’occident, espèce en voie de disparition. Alors qu’il est à la chasse de chiens sauvages qui détruisent les nids des pluviers, il va faire une rencontre qui va changer sa vie.

Elle s’appelle Magdalena, elle est mexicaine, elle a 25 ans. Elle déambule sur la plage, blessée car on a essayé de l’assassiner. Elle se retrouve en face des quatre chiens sauvages, et Fahey va lui sauver la vie en abattant trois des chiens. Fahey, qui est un solitaire, ne sait même pas pourquoi il va la soutenir, pourquoi il va l’inviter chez lui, pourquoi il va la soigner, pourquoi il va la prendre sous son aile.

Magdalena est une jeune avocate qui travaille dans un cabinet chargé de défendre les victimes des industries américaines polluantes. Ces sociétés préfèrent s’installer du bon coté de la frontière pour bénéficier de l’absence de loi sur la pollution ainsi que de la main d’œuvre moins chère. Cette activité militante fait que l’on veut se débarrasser d’elle.

Pour une découverte de Kem Nunn, ce fut pour moi un sacré choc. Car j’ai trouvé dans ce roman tout ce que j’adore dans les romans noirs. Et forcément, je vais avoir plein de choses à dire sur ce roman que je pourrais qualifier d’exemplaire. Car c’est passionnant à lire, beau et horrible à la fois, maîtrisé de bout en bout, et on en ressort avec un sacré goût amer dans la bouche.

Ce qui m’a choqué, dans le bon sens du terme, c’est la tranquillité du style, le rythme lent de l’intrigue, la sérénité qui se dégage de l’écriture qui est en complète contradiction avec le contexte. Car Kem Nunn nous montre, nous démontre la destruction de l’homme par l’homme, la course aux profits où les industries américaines préfèrent s’installer au Mexique pour polluer tranquillement et avoir accès à de la main d’œuvre moins chère, refrain connu, mais décrit de manière éclatante.

Et puis, il y a cette nature si belle, mise à mal par les industries, avec des descriptions tellement poétiques que c’en est un pur plaisir de lecture. Il y a ces deux personnages écorchés par la vie, à la rencontre improbable, qui traînent leurs cicatrices avec insouciance, pour la jouissance du moment présent : Fahey, ce grand solitaire, qui préfère se recroqueviller sur lui-même pour se sauver, Magdalena, cette idéaliste à la fois naïve et réaliste.

L’issue de ce roman ne peut qu’être dramatique, et elle l’est. Après avoir tourné la dernière page, j’ai été envahi par une tristesse que j’ai rarement ressentie, car ces personnages sont tellement vivants, que l’on aurait aimé vivre un peu plus longtemps avec eux.

La seule mise en garde que je donnerai pour les amateurs de romans noirs, car c’en est un, c’est que le style de l’auteur est fait de longues phrases, de grands paragraphes avec très peu de dialogues. Ceux qui cherchent des lectures rapides risquent d’être rebutés. Ils passeraient alors à coté d’un roman noir profond, au style poétique et envoûtant, tout simplement magnifique.

Breakfast on Pluto de Patrick McCabe (Asphalte)

Breakfast on pluto

Les éditions Asphalte ont le don de dénicher des auteurs rarement connus chez nous, et qui sont d’une grande qualité littéraire. Ce roman irlandais recèle de grandes qualités sur un sujet original traité avec humour.

Dans le petit village de Tyreelin, dans le comté de Cavan, la vie est compliquée pour les habitants à cause de la guerre qui sévit entre les deux Irlande. Et comme ce village est situé à quelques kilomètres de la frontière, le quotidien des habitants est parsemé d’attentats, d’arrestations et de morts violentes.

Patrick Braden est un enfant qui naît dans ce monde en guerre, fils illégitime d’un curé et d’une mère qu’il n’a jamais connu puisqu’elle l’a abandonné. Je dis il mais je devrais dire elle, car, depuis tout petit Patrick se sent femme. Malgré les moqueries dans la rue quand il porte un vêtement volé à La Moustachue, la femme qui l’élève, il cherche avant tout le bonheur dans sa personnalité féminine en se faisant appeler Pussy.

Pussy ne peut pas vivre longtemps comme ça. Elle quitte le domicile soi-disant familial pour se retrouver entre les bras de Totoche, le surnom qu’elle a donné à un politicien marié. Celui-ci trouvant la mort dans un attentat, elle part à nouveau, et son départ qui passe par Dublin et Londres, devient autant une fuite de son monde qu’une recherche de sa vraie mère et qui elle est.

Quand on n’a pas de chance, quand on commence la vie sans repère, sans famille et sans personnalité, la vie ne peut qu’être un enfer. Celle de Pussy en est un, mais comme le roman est écrit à travers son personnage, et qu’elle ne veut pas se laisser aller au désespoir, le ton est résolument léger, désinvolte et désenchanté, voire grinçant ou cynique. Patrick McCabe nous montre un pays, soumis à des attentats violents et aveugles. Et au milieu, il y a des gens, des peuples qui ne comprennent pas, essayant de vivre leur vie. Il n’y a pas meilleur moyen pour montrer l’absurdité d’un tel conflit. Mais le sujet n’est pas là, il est dans une quête d’identité.

Car c’est bien le personnage de Pussy qui remplit les pages. Pussy est bavarde, elle parle, digresse, est légère, parfois se fait plus grave mais elle a toujours la bonne remarque pour repartir de l’avant. C’est un garçon qui rêve, qui vit dans ses rêves, et qui ne cherche qu’une chose, trouver l’amour qu’on ne lui a jamais donné. C’est écrit comme une improvisation, additionnant les personnages et les situations d’un point de vue détaché, humoristique, et on se prend à suivre ses pérégrinations avec beaucoup d’empathie pour ce garçon fille qui ne sait pas qui il est. C’est une lecture originale et prenante qui pourra en rebuter certains par les longueurs dues au personnage de Pussy qui est une bavarde inconditionnelle. Une leçon d’optimisme !

Les visages écrasés de Marin Ledun (Seuil Roman Noir)

Voici mon premier roman de Marin Ledun, dont j’avais très envie de lire un livre, et je profite de la sélection pour le prix 813 pour commencer par un roman noir, très ancré dans la réalité sociale actuelle. Au passage, je remercie Holden de l’excellent site Unwalkers qui me l’a donné.

Vincent Fournier a la cinquantaine, il est marié et a deux enfants. Il a été balloté de postes en postes avant d’atterrir sur une plate forme téléphonique à répondre aux exigences des clients et d’essayer de vendre quelques forfaits téléphoniques supplémentaires. Car les objectifs sont difficiles à atteindre voire impossibles à réaliser. Il a fait une tentative de suicide et va de plus en plus mal.

Il a rendez-vous avec le docteur Carole Matthieu, qui est médecin du travail. Elle connait mieux que n’importe qui la situation des salariés, leur mal-être, leur difficultés au quotidien, et l’inhumanité qui règne dans cette entreprise. Une fois de plus, Vincent lui déclare qu’il ne dort plus, qu’il n’en peut plus. Alors elle consigne dans son rapport qu’il doit obtenir un arrêt de travail.

A la fin de son travail, elle prend sa voiture, mais s’arrête quelques pâtés de maisons plus loin, revient sur le site de l’entreprise, armée d’un pistolet, et retrouve Vincent, étourdi par le médicament qu’elle lui a injecté. Elle presse le révolver contre son menton, et suicide Vincent, pour soulager ses souffrances autant que pour dénoncer les conditions de travail qui règnent dans cette entreprise.

Ce roman a été écrit avec toute la passion et l’envie de montrer et démontrer une vision du monde du travail d’aujourd’hui. Clairement, le sujet tient à cœur à Marin Ledun, et il nous le fait sentir au travers de cette histoire de médecin du travail. Il a clairement écrit une intrigue sans concession, montrant la loi de l’objectif inatteignable et des gains optimaux, au détriment de l’humanité.

Tous les personnages y passent, grâce à une personne qui les connait mieux que tout le monde, le médecin du travail, qui recueille tous les petits maux, les petites pensées, les petits soucis, les grandes désillusions, les grandes luttes pour rester en vie selon la nouvelle philosophie : travailler pour vivre. Comme Marin Ledun a travaillé dans ce monde de standard téléphonique, il nous le fait vivre par le petit bout de la lorgnette.

Et quoi de mieux que de nous le décrire par les yeux d’une personne dérangée, stressée, à bout, qui fait partie de l’entreprise sans pour autant en faire partie ? Quel génie d’avoir choisi ce médecin qui au travers de son mal-être veut soulager les salariés qui souffrent ? Ecrite à la première personne, il nous fait pénétrer dans la psychologie de ce médecin du travail, à la fois docteur et complice des objectifs de cette entreprise.

La seule réserve que j’apporterais à ce roman, c’est son style haché qui colle mal avec la personnalité du docteur ; j’aurais aimé des phrases plus construites qui donneraient à montrer l’éducation et le dilemme de la personnalité du médecin. Et puis, j’y ai trouvé une certaine répétition sur certains messages tels que « les objectifs sont inatteignables » qui apparait plusieurs fois. Malgré cela , il est écrit sur la quatrième de couverture : « Un roman noir à offrir de toute urgence à votre DRH », ce qui est accrocheur; il faut que tout le monde le lise, alors lisez le !

La mort au détail de Dirck Degraeve (Riffle noir)

Depuis une lecture de riffle noir qui était Eclipse d’une nuit d’hiver de Richard Albisser, et une rencontre très accueillante lors du salon du livre, je surveille les publications de cette maison d’édition. La publication du petit dernier va me permettre d’ajouter un nouvel auteur à ma liste déjà bien fournie.

Noel 2007, Saulmères. Une baraque à frites a pris feu. Tout le monde pense à une arnaque à l’assurance et Corinne Maresquier est chargée de l’enquête. Quand Papy Malou est retrouvé assassiné chez lui, tout le commissariat est sur le pied de guerre. Car c’est un personnage sans histoire, ancien artisan à la retraite, et parce que un meurtre dans cette ville du nord est toujours un événement exceptionnel.

Le commandant de police Jacobsen est naturellement chargé de l’enquête et on lui octroie Corinne. L’enquête montre rapidement que sa femme, à moitié sourde n’a rien entendu, et que Georges Malou participait bénévolement à de nombreuses associatives dont Caritas qui vient en aide aux immigrés clandestins qui cherchent à rejoindre l’Angleterre. Mais pourquoi donc ce retraité paisible a-t-il été tué par une balle de 9mm, arme utilisée plutôt par de grands malfaiteurs ?

Papy Malou se révèle un personnage un peu plus trouble qu’un paisible artisan à la retraite. Il était plus intéressé par les notables de la ville que par le bénévolat, et c’était un joueur invétéré. En parallèle, les baraques à frites flambent. Antoine Bernard est retrouvé assassiné dans les restes calcinés de l’une d’elles, alors qu’il avait contacté Jacobsen pour lui donner des informations. Les pistes pleuvent, les mystères s’épaississent pour aboutir à un final …

Je ne vous en dirai pas plus, car l’enquête policière, au demeurant classique, est prenante et surprenante à souhait. Le principe de l’auteur est simple : nous donner des dizaines de fausses pistes avant de patiemment démêler les fils qu’il a lui-même emmêlé. Et c’est d’autant mieux fait que l’on suit un couple de policiers qui sont des gentils, amoureux l’un de l’autre sans oser franchir le pas de la vie commune, deux beaux personnages qui ont souffert, qui ont le remède à portée de leur main sans oser le prendre.

L’autre chose qui m’a plu, c’est la description de la vie en province. C’est remarquablement bien fait, quand il s’agit de décrire les relations entre les gens, les petites inimitiés, les on-dit que l’on entend au café. Et je suis d’autant plus époustouflé que la ville est totalement inventée par l’auteur et qu’elle nous semble à nous, lecteurs, terriblement vivante. On pourrait même faire le plan de la ville voire des environs, rien qu’en lisant ce livre.

Enfin, il y a le sujet, cette ville qui a vécu innocente, presque protégée des horreurs modernes, et qui se réveille en plein milieu d’un monde qu’elle ne comprend pas. Le réveil est dur, avec ces notables qui n’ont pas plus de respect envers leurs électeurs qu’envers des chiens, avec ces pauvres immigrés qui survivent dans ce que les gens du coin appellent la jungle (c’est dire !), avec ces associations caritatives qui profitent du système voire de ceux qu’elles sont censés aider, avec ces flics haut gradés qui sont à moitié cow-boys ratés, à moitié obnubilés par les chiffres.

Avec ce livre, qui décrit une vérité hallucinante que nous connaissons mais qu’il est bon de rappeler, vous découvrirez une région qui subit, des gens simples qui vivent sans tout comprendre, des immigrés clandestins que tout le monde voudrait nier ou gommer, et une bonne histoire policière classique avec des personnages attachants. Nul doute que je vais revenir voir du coté de l’œuvre de Dirck Degraeve, car j’y ai pris beaucoup de plaisir.

Un autre avis passionné de Dup chez Book en stock ici.

La voix secrète de Michael Mention (Le Fantascope)

Etant donné le nombre de publications par an, le choix de mes lectures est forcément soit subjectif, soit au hasard d’une rencontre (éditeur, auteur, ami ou blogueur). Je dois cette découverte à Holden de Unwalkers (encore !), car non seulement il a attiré mon attention mais en plus, il me l’a offert. Alors un grand merci pour ce roman particulièrement attachant … mais j’y reviens !

Décembre 1835. Le règne de Louis Philippe ne fait pas l’unanimité, le peuple n’est pas content car miséreux, et de nombreux attentats ont récemment eu lieu.  Pierre François Lacenaire, célèbre tueur en série et poète, attend sa mort prochaine dans sa cellule de la Conciergerie. Son exécution est prévue dans un mois, et il jouit de beaucoup d’égards : bons repas, visites d’amis et de connaissances, confort quant à la rédaction de ses mémoires.

Durant ce mois de décembre, un tueur d’enfants sévit sur la capitale. La police retrouve des corps ou des têtes. Chaque corps porte des marques qui sont identiques à celles relevées sur des victimes de Lacenaire. Allard, le chef de la Sureté et Canler son adjoint vont donc être chargés de cette enquête qui va s’avérer explosive et destructrice pour ces deux personnages autant que pour le pouvoir en place.

Vous est-il déjà arrivé de vous faire draguer par un roman ? C’est la première fois qu’un livre me fait des clins d’œil, que son charme subtil opère un tel attrait sur moi. Car ce n’est pas l’intrigue qui m’a fait l’aimer, mais bien la cohérence de l’ambiance de l’époque, les personnages et l’écriture qui font que je ne suis pas près d’oublier ce voyage au dix neuvième siècle.

Je suis tombé sous le charme de Lacenaire, cet assassin érudit, poète, écrivain, manipulateur, dénonciateur. J’ai adoré Allard, qui au risque de se perdre, place l’amitié au centre de sa vie. J’ai détesté Canler et ses supérieurs qui préfèrent se ranger aux cotés des proches du roi pour ne pas perdre leurs prérogatives, et se contentent d’appliquer les ordres. Et parfois, on se dit qu’il y a bien peu de différence entre aujourd’hui et cette époque.

Il y a dans ce roman des passages d’une pure beauté, des descriptions qui tiennent en une phrase, en un paragraphe pour décrire Paris en pleine mutation, la saleté, la misère, les pauvres qu’on expulse. Michael Mention fait preuve d’un grand talent pour nous faire vivre un voyage dans le temps avec des personnages forts. Indéniablement, c’est un auteur à suivre de très près. Il nous offre là un très bon polar fort et charmant à la fois. C’est rare.

Train Bleu, Train noir de Maurice Gouiran (Editions Jigal)

A force de lire du bien des romans de Maurice Gouiran sur les blogs des copains, il était temps que je commence à en lire un. La sortie en poche de Train bleu Train noir fut une sacrée rencontre, qui va en appeler d’autres. Merci Jimmy !

1943, Marseille : Un train noir se dirige vers le nord avec à son bord plusieurs milliers de gens arrêtés.

1993, Marseille : Un train bleu se dirige vers le nord pour Munich avec à son bord plusieurs milliers de supporters de l’Ohème pour la finale de la coupe des clubs champions contre le grand Milan.

A bord de ce train, trois personnages vont faire le voyage vers Munich pour assister à ce match de football, avec un objectif en tête : tuer un haut responsable Allemand. Robert dit Bert, Michel dit la Miche et Georges dit Jo ont tout prévu, même les pistolets achetés sous le manteau et cachés dans les toilettes du train. Ils ont tous les trois connus ce fameux train noir du 23 janvier 1943, ils ont tous les trois de bonnes raisons de venger ceux et celles qu’ils ont perdu, ils sont tous les trois motivés pour réaliser cette exaction.

Encore une fois, les éditions Jigal ont dégotté un roman coup de poing, que l’on lit à la vitesse de l’éclair et qu’il est indispensable de lire. Car le sujet est de ceux qu’il ne faut pas oublier.  Maurice Gouiran nous rappelle que ceux qui ont participé de près ou de loin à ce massacre ne sont rien d’autres que des criminels. Maurice Gouiran nous démontre que la destruction du centre de Marseille au profit des promoteurs immobiliers est une exaction et que la guerre, dans ces cas là est une bonne excuse pour se faire de l’argent.

Ce roman nous fait revivre à coups de flash-back ces moments, à travers trois personnages qui ont leur propre vie, leur propre expérience, leurs propres cicatrices. Malgré leur age, ils ont gardé une rage, celle des souvenirs douloureux, ineffaçables, et nous retracent ces deux époques, l’une horrible, l’autre heureuse avec leur parlé, leur vocabulaire, leurs sentiments, leurs expressions.

C’est aussi une des grandes qualités de ce roman : nous impliquer, nous plonger dans ces moments. Ça sent la mort dans les convois, la puanteur, le malheur. Ça sent la joie, la liesse, les fumigènes dans les tribunes. Et l’auteur en profite pour nous asséner quelques avis (vérités ?) sur les messages politiques, le rôle des journaux, la règle contemporaine de la gestion d’un pays (Panem et circenses), le besoin de se faire de l’argent à tout prix, le racisme ambiant.

Ne croyez pas que je vous ai dévoilé toute l’intrigue ou tout le déroulement du livre, car la fin réserve une belle surprise, de celle qui font les grands livres, jusqu’à la dernière ligne. Alors, jetez vous sur ce roman, car sa lecture est de celle qui marque, de celle qui sont obligatoire. C’est écrit avec beaucoup de hargne, de rage, de cœur, de sentiment, de honte. Ça frappe fort, ça fait mal mais ça fait du bien.

L’homme inquiet de Henning Mankell (Seuil Policiers)

Voici donc le dernier tome des enquêtes de Kurt Wallander, ce qui n’est pas une surprise pour le lecteur, puisque c’est affiché sur la couverture. J’aurais mis un peu moins d’un an à attaquer ce roman, plus par appréhension que par envie.

Wallander est sur la fin de sa vie professionnelle, il a décidé de quitter Ystad et de s’acheter une maison à la campagne. Comme il n’aime pas être seul, il a aussi adopté un chien, Jussi. Enfin, sa fille Linda a enfin trouvé l’amour en la personne de Hans von Enke et cette union va donner naissance à une petite Klara. Wallander va donc se trouver un nouvel objectif : vivre pour sa petite fille.

Wallander va être invité à l’anniversaire du père de Hans, Hakan, ancien commandant de la marine, ayant officié dans les sous marins. Hakan et Wallander se lient tout de suite d’amitié, et ils s’isolent dans la bibliothèque. Hakan se confie alors sur son passé et sur une étrange affaire où des sous-marins russes ou polonais ont pénétré les eaux territoriales suédoises, avant qu’un ordre haut placé leur permette de s’enfuir et disparaitre.

Hakan s’interrompt tout en sous entendant qu’il expliquerait cette étrange décision de laisser partir des sous-marins ennemis. Peu de temps après, Hakan disparait à son tour. L’inquiétude est à son comble pour Hans, son fils. Louise, la mère de Hans reste très calme. Wallander ne peut s’occuper de cette affaire puisqu’elle est hors de sa juridiction mais il aide les policiers du coin comme il peut. Puis c’est au tour de Louise de disparaitre. Wallander, en arrêt maladie, va donc poursuivre l’enquête.

C’est une enquête particulière à laquelle nous convie Henning Mankell, aux prises avec le monde de l’espionnage avec tous ses faux semblants, toutes ses fausses pistes ; et finalement un roman d’espionnage n’est pas très éloigné d’un roman policier. Comme d’habitude, il y fait une grande part aux personnages et à leur psychologie fouillée, et aux grandes qualités de Wallander de noter toutes les petites remarques, tous les petits indices qui vont le mener à une vérité.

Mais c’est aussi et surtout un roman sur la vieillesse, sur un homme qui a peur de devenir comme son propre père, peu aimable et irritable, qui a peur de mourir, alors que sa petite fille vient de naitre, qui a peur de l’inconnu, lui qui cherche la lumière de la vérité. Des petits maux incessants, aux incidents, sans oublier les pertes de mémoire, Wallander se regarde dépérir, lentement, et Mankell, en cela, est d’une cruauté telle qu’il est difficile pour nous, fans, de le voir finir comme ça.

C’est d’autant plus difficile que nous aimons ce personnage tellement humain, qui se rappelle ses enquêtes précédentes, qui revoit ses amis qui vieillissent aussi, et j’ai trouvé ce dernier roman presque inhumain. En refermant ce livre, j’en veux à Mankell d’avoir écrit ces dernières phrases, de l’avoir abandonné à une fin tellement actuelle, celle de la vieillesse, et de l’oubli, avec cette cruauté des pertes de mémoire. C’était la dernière enquête de Wallander, un personnage adorablement bougon.