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Eden, l’affaire Rockwell de Christophe Penalan

Editeur : Viviane Hamy

Cela faisait un petit moment que je n’avais pas lu un premier roman, qui plus est maitrisé et passionnant. Passionné par les polars américains, l’auteur jour son va-tout et nous propose un très bon polar bien construit, en un mot passionnant.

En ce mois d’octobre 2004, l’inspecteur Dwight Myers fête sa première à son poste dans la police municipale de Bakersfield en Californie. Il a travaillé une dizaine d’années au LAPD puis a choisi de s’éloigner des horreurs de la Cité des Anges. Son précédent poste lui a déjà coûté un divorce avec Olivia et l’éloignement de sa fille Nancy qu’il ne voit que lors de quelques week-ends. Le travail de policier est bien peu compatible avec la vie de famille.

Myers reçoit un appel en soirée : la jeune Eden Rockwell âgée de 11ans n’est pas rentrée à la maison depuis sa sortie de l’école vers 15h30. Elle s’apprêtait à prendre le bus scolaire avec sa copine Sandra Johnson puis décida de rentrer à pied, ce qui lui arrivait parfois. Eden a été adoptée par la famille Rockwell et se révélait une très bonne élève, étant considérée comme une surdouée qui participait à beaucoup d’activités extrascolaires.

Myers et son adjoint Buddy Holcomb ne voient aucune raison tangible de penser à une fugue. Quelques jours plus tard, ils apprennent que le technicien de maintenance de la piscine municipale est absent depuis trois jours. Or la natation faisait partie des activités d’Eden. Quand ils arrivent à la maison de Todd Adams, ils découvrent qu’il vient de se suicider. Mais Myers trouve des traces de pneu dans la boue devant la maison, qui ne correspondent à aucune voiture garée.

Positionner une intrigue dans une petite ville des Etats-Unis, venant d’un auteur français, nous pousse à comparer ce roman avec les Grands du polar américain. Et je dois dire que la plume de cet auteur dont c’est le premier roman se révèle très agréable, fluide à souhait et que la construction de son intrigue est tout simplement bluffante, voire impressionnante. A tel point que l’on souhaite lire une autre enquête de Myers …

Les qualités de ce roman sont nombreuses : Christophe Penalan ne va pas insister outre mesure sur la vie privée de Myers mais positionner quelques scènes judicieusement dans l’enquête. De même, il ne s’appesantit pas sur la vie de la ville mais le cadre est bien décrit. Aussi, Myers ne prend pas toute la place en tant que personnage principal, les autres acteurs sont bien présents et surtout facilement reconnaissables car ils possèdent une vraie présence dans l’enquête.

Ce que l’on voit dans ce roman, c’est surtout une enquête qui balbutie, qui avance au fur et à mesure des indices ce qui montre un Myers qui ne sait pas par quel bout prendre cette énigme. Il faut dire que nous nous retrouvons à raisonner en même temps que Myers, et qu’on subit avec délice les nombreuses fausses pistes semées devant nos yeux. Quant aux dialogues, ils ne se montrent ni trop longs ni trop courts, juste le bon équilibre. Pour les amateurs de polar, c’est du pur plaisir.

Il faut se le dire, ce premier roman est une vraie réussite, ce que j’appellerai un coup de maître tant il tient la comparaison avec les plus grands, tant tout semble couler de source. Myers nous apparait comme humain, ni trop fort, ni trop faible ni trop torturé, un flic normal, quoi ! et cette enquête s’avère terrible par tous les aspects sombres qu’elle montre. Retenez bien ce nom : Frédéric Penalan : il a toutes les qualités d’un grand auteur du polar. Vivement le deuxième roman pour confirmer tout cela !

Bois-aux-Renards d’Antoine Chainas

Editeur : Gallimard La noire (Grand Format) ; Folio (Format Poche)

Après l’extraordinaire Empire des Chimères, on pouvait se demander jusqu’où Antoine Chainas pouvait nous emmener. Il nous convie avec ce roman dans un voyage à travers les contes pour adultes.

1951. Revenant du cinéma pour aller voir Cendrillon, Cécile, Monsieur et leur triplés Chloë, Jean-Jacques et Loïc bien installés dans leur Citroën ont effectué une sortie de route. Seule Chloë s’en sortira vivante blessée méchamment à la jambe et sera emmenée par des chasseurs. 

1986. Yves et Bernadette travaillent dans un supermarché. Depuis la mort de leur enfant Romain, ils vadrouillent les routes dans leur camping-car Transporter, à la recherche d’auto-stoppeuses. Après en avoir embarqué une, ils la droguent et la tuent avant de faire l’amour, ensemble ou séparément.

Anna va bientôt fêter ses douze années et adore se balader dans les bois quand sa mère n’est pas à la maison, parler avec les insectes ou les arbres. Quand un voit un camping-car soumis à des soubresauts, elle s’approche et jette un coup d’œil à l’intérieur. Ce qu’elle y voit l’oblige à prendre la fuite mais Yves a vu un mouvement à l’extérieur et décide de supprimer ce témoin gênant.

Antoine Chainas doit être un des seuls auteurs à savoir mélanger la réalité et les cauchemars. Dès le début du roman, il prend une scène de la vie de tous les jours et créé une tension effrayante : Yves est à coté du hangar de charriots quand un gamin veut en prendre un ; il se place devant lui et l’empêche d’insérer sa pièce dans la fente prévue à cet effet. Tout est simplement et parfaitement dit.

De ces trois itinéraires menés en parallèle, Antoine Chainas va alterner entre la forêt bien réelle et des contes fantastiques, créant un kaléidoscope fait de pureté et d’horreurs, de vert et de rouge. De ce monde toujours plus violent, l’auteur illustre la chaîne alimentaire où un toujours plus grand, toujours plus fort va venir tuer et manger le plus faible, l’éternelle victime désignée par la nature.

Sachant faire apparaitre des scènes fantasmagoriques, Antoine Chainas arrive à fondre son histoire dans des contes, ses contes dans ses histoires, usant de digressions se rapprochant de l’univers des deux David, Lynch et Cronenberg. Certes, parfois, il arrive à nous perdre dans les méandres de son esprit, mais quand on découvre un caillou blanc, on continue à le suivre pour se perdre toujours plus loin dans son effrayant cauchemar, entre poésie noire et hallucination rouge sang. C’est aussi son roman le plus hermétique.

Le chant des innocents de Piergiorgio Pulixi

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons-Reumaux

Nous avions fait la connaissance de Piergiorgio Pulixi avec le formidable L’île des âmes qui se déroulait en Sardaigne dont la visite était assurée par deux inspectrices Mara Rais et Eva Croce. Nous les retrouvions l’année suivante dans L’illusion du mal dans lequel apparaissait un nouveau personnage Vito Stega. Ce roman a d’ailleurs brillamment remporté le trophée de meilleur roman étranger de l’Association 813 (Rejoignez-nous !). En réalité, ce roman était le troisième d’une quadrilogie (pour le moment), Les chants du mal, mettant en scène Vito, personnage de flic complexe. Le chant des innocents revient dans le passé et s’avère être le premier tome de la quadrilogie.

Les policiers entrèrent dans la maison pour trouver une scène de carnage. Une jeune fille a été poignardée 85 fois et sa meurtrière se laisse désarmer en répétant inlassablement et d’une voix atone : « Il est à moi ». Elle doit parler de son petit ami. Les policiers sont effrayés non pas par la scène mais par la meurtrière : Une gamine qui n’a que 13 ans.

Vito Stega est suspendu de son poste de commissaire pour avoir tué son partenaire Jacopo Di Giulio. Sa hiérarchie lui impose de suivre des entretiens avec une psychologue, Livia Salerno. Ayant fait lui-même des études de psychologie et de droit, il se montre réfractaire envers ces rendez-vous. D’un abord bourru et agressif, il ne souhaite que son autodestruction depuis que Cinzia sa femme l’a quitté quatre mois auparavant.

L’inspectrice Teresa Brusca se retrouve aux premières loges et hérite de cette affaire d’adolescente et demande conseil à Vito. Mais ils doivent bien se rendre à l’évidence qu’aucun indice ne leur permet d’avancer. Quand un deuxième adolescent tue son père à coups de marteau, Teresa et Vito sont persuadés que quelqu’un manipule ces jeunes, qu’ils vont surnommer le Marionnettiste. Alors que leur hiérarchie les prie de boucler les affaires, les assassins étant connus, ils vont enquêter chacun de leur coté.

Pour bien l’apprécier, il faut à mon humble avis aborder ce roman comme le premier d’une série. Il faut par conséquent passer par la présentation du personnage principal et c’est le cas puisque Vito Stega occupe tout l’espace disponible, tant il est imposant et psychologiquement complexe. Sa rage d’ailleurs souffre de la volonté de l’auteur de grossir le trait dans certaines scènes.

Mais à l’instar de ceux qui le fréquentent, on ne peut qu’aimer Vito Stega malgré ses défauts. Son entourage ne s’y trompe pas, sa femme tout d’abord qui a parfaitement su voir en lui son talent et qui refuse de le suivre sur son trajet autodestructif, sa collègue ensuite qui en tombe secrètement amoureuse, sa psychologue enfin qui veut le protéger quitte à lui supprimer sa raison de vivre, les enquêtes. Que des femmes me direz-vous ? Je dois avouer que Piergiorgio Pulixi a le don de les créer désirantes (et je précise pas toutes belles comme dans les magazines), fortes et sûres d’elles. On peut d’ailleurs y ajouter sa voisine Ada et sa petite fille qui sont pour moi les bonnes idées de cette galerie de personnages.

Enfin, Piergiorgio Pulixi a le talent d’écrire juste et avec rythme. Quelque soit le chapitre, tout y est minutieusement dosé et le rythme est apporté par les chapitres ultra-courts qui ne dépassent que rarement les quatre pages. Ce roman est prenant, vif, animé et on ne veut pas le lâcher. Quand au sujet, il m’a paru banal parce qu’on parle tous les jours des adolescents hypnotisés par les jeux vidéos (mais il faut se rappeler que le roman a été écrit en 2015) et j’avais deviné bien tôt de quoi il s’agissait. Le chant des innocents est donc le premier roman d’un cycle passionnant qui donne furieusement envie de lire le suivant.

Mauvaise foi de Maurice Gouiran

Editeur : M+ éditions

Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter Maurice Gouiran, l’auteur de près d’une trentaine de romans. Initialement publié chez Jigal, il nous revient avec une nouvelle enquête de Clovis Narigou et Emma Govgaline sur la Légion du Christ.

Quand Clovis débarque au bistrot, il se dirige directement à la table de Biscottin avec sa tasse de café pour lui raconter son périple à Rome. Un étrange bonhomme suçote sa cannette de coca-cola, affublé d’un maillot de l’équipe nationale de Brésil floqué du nom de Socratès, le capitaine de grande Seleçao. Biscottin lui annonce qu’il a demandé à lui parler alors Clovis va le voir. Socratès dit avoir été conseillé par sa nièce Giovana qui connait bien Clovis. Il préfère ne pas parler en public et lui donne rendez-vous chez lui le lendemain après-midi.

Arnal invite Emma, Jibé et Sami à le rejoindre dans son bureau. Le Commandant Ludovic Mallemare qui lutte contre la traite des êtres humains les attend et leur fait part de la disparition de plusieurs prostituées. Comme cela sort de son domaine d’activités, il leur demande d’enquêter sur ce qui pourrait bien être des meurtres, ce qui sous-entendrait la présence dans les Bouches du Rhône d’un tueur en série. Ceci pourrait se rapprocher de celui que l’on surnomme Le Fantôme.

Quand Clovis débarque chez Socratès, il est surpris de trouver la porte ouverte. A l’intérieur, tous les meubles ont été renversés, fouillés. Le corps git dans la chambre, étranglé, mort. Il s’attarde à regarder les photos accrochées au mur, dont plusieurs où Socratès apparait en soutane et une autre où on a inscrit sur la photo de Jean-Paul II, Bastardos. Clovis appelle la police et se voit bientôt accusé du meurtre sur la seule allégation qu’il a mis trop de temps à appeler la maréchaussée.

On peut faire confiance à Maurice Gouiran pour nous construire une intrigue solide et nous apprendre des faits que nous connaissons mal ou que nous avons oublié. La construction du livre alterne entre Clovis et Emma, comme d’habitude je dirais, et fait avancer les deux enquêtes en parallèle. Par rapport aux précédents romans, on retrouve un Clovis Narigou volontaire, gaillard et battant.

Le fait d’être obligé de retourner à Rome pour son reportage sur l’architecture sous Mussolini va lui permettre de prendre contact avec une confédération nommée La Légion du Christ. Socratès, de son vrai nom Henrique Alberto Gonzaga Freitas de Assis Teixeira do Nascimento, a témoigné dans l’affaire des Pandora Papers. La légion du Christ, protégée par Jean-Paul II, et créée par le père Marcial Maciel Degollado, a fait l’objet d’enquêtes par le cardinal Ratzinger et mis à jour de nombreux cas d’abus sexuels sur des enfants de la part de son fondateur.

Nous avons donc d’un coté, un tueur de prostituées qui fait disparaitre les prostituées, de l’autre un ancien séminariste membre de La Légion du Christ assassiné, et nous voilà parti pour un roman policier costaud avec comme vedettes deux enquêteurs attachants qui se retrouvent quand ils le peuvent … comme leurs enquêtes d’ailleurs … mais je ne vous dis rien car la pirouette finale est formidablement bien trouvée.

Le parfum de Patrick Süskind

Editeur : Fayard (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

Traducteur : Bernard Lortholary

Attention, coup de cœur !

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

L’ayant acheté il y a une éternité, il me fallait une occasion d’aborder ce roman annoncé comme un monument littéraire, voire un chef d’œuvre.

L’auteur :

Patrick Süskind est un écrivain et scénariste allemand. Il est né le 26 mars 1949 à Ambach à côté du lac de Starnberg (am Starnberger See), en Bavière près de Munich. Il a grandi dans le village bavarois de Holzhausen. Il étudie l’histoire (histoire médiévale et contemporaine) et la littérature à Munich et à Aix-en-Provence. Il travaille ensuite comme scénariste pour la télévision.

Il écrit une pièce de théâtre à un personnage : La Contrebasse, qui sera jouée pour la première fois à Munich en 1981. Elle sera publiée en 1984. Depuis sa création, cette pièce est régulièrement jouée en Allemagne et a également été interprétée à Paris par Jacques Villeret dans le rôle-titre.

Le Parfum est son premier roman édité en 1985 à Zurich, sous le titre Das Parfum, Die Geschichteeines Mörders, puis publié en France en 1986 aux éditions Fayard dans une traduction de Bernard Lortholary. Il vaut à son auteur un succès mondial. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 2006 : Le Parfum, histoire d’un meurtrier.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Au XVIIIème siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus horribles de son époque.

Il s’appelait Jean-Baptiste Grenouille.

Sa naissance, son enfance furent épouvantables et tout autre que lui n’aurait pas survécu.

Mais Grenouille n’avait besoin que d’un minimum de nourriture et de vêtements, et son âme n’avait besoin de rien. Or ce monstre de Grenouille avait un don, ou plutôt un nez unique au monde, et il entendait bien devenir, même par les moyens les plus atroces, le Dieu tout-puissant de l’univers, car « qui maîtrisait les odeurs, maîtrisait le cœur des hommes ».

C’est son histoire abominable… et drolatique, qui nous est racontée dans Le Parfum, un best-seller mondial.

Mon avis :

On entre dans ce roman comme un voyage dans le temps. On est projeté dans un marché parisien, sur un étal de poissonnerie. On est harcelé par les odeurs de puanteur, des égouts aux entrailles de poisson qui encombrent les rues. La vendeuse de poisson, enceinte, accouche et coupe le cordon ombilical avec son couteau avant de perdre connaissance. De toutes façons, elle l’aurait laissé mourir, ne pouvant le nourrir. Mais le bébé va survivre.

Récupéré par une nourrice, puis par un moine, il est finalement élevé par une femme qui touche de l’argent pour les nourrir. Outre son nez « parfait », qui lui permet de détailler n’importe quelle odeur, Jean-Baptiste Grenouille n’en dégage aucune dans ce monde de relents immondes. Il va être rejeté de tous, être comparé au Diable et trouver un travail chez un tanneur.

J’ai été impressionné, époustouflé par la faculté de l’auteur à nous faire vivre, voir, entendre et sentir la façon dont le peuple vivait au dix-huitième siècle. Dès les premières pages et pendant tout le roman, la multitude de détails mais aussi la justesse des descriptions vont nous emmener ailleurs, et suivre l’itinéraire de ce jeune homme doté d’un talent unique et la façon dont il va se transformer en monstre.

Nous allons ainsi le suivre de Paris au massif central, Montpellier, Grasse pour revenir enfin à Paris. On en apprend à chaque page sur les conditions de vie, les écarts entre les pauvres et les nobles, sur la fabrication des parfums, sur l’essor de cette manufacture mais aussi sur les ambiances. Toute la magie de ce roman repose sur sa capacité à nous immerger dans cette période lointaine.

L’aspect psychologique des différents personnages croisant Jean-Baptiste Grenouille est aussi remarquablement décrit sans jamais être pédant. Il est d’ailleurs original de constater que l’itinéraire de Grenouille est principalement décrit via les personnes qui le rencontrent ou avec qui il travaille. Cela laisse une aura de mystère quant à ce que Grenouille pense réellement et insiste sur la façon dont il est vu et interprété. Car il ne faut pas oublier que dans sa folie, il nous montre une logique implacable le menant à sa fin.

En parlant de fin, l’auteur n’entre jamais dans des descriptions horribles, alors que ses actes le sont. Il se situe plutôt à un niveau technique de parfumerie ce qui évite des scènes à vomir. Et je ne peux qu’insister sur l’issue de ce roman, d’une folie à la hauteur de ce meurtrier, avec un aspect humour noir terrible (c’est mon ressenti). Et alors que l’on peut éprouver de la compassion envers cet enfant que l’on a vu grandir, on termine cette lecture en étant effrayé de ce qu’il fait, avec une rage noire collé au ventre.

J’ai été tellement pris par ce roman que je suis allé chercher sur Internet si ce Grenouille avait existé ! Impressionné de bout en bout, moi qui ne suis pas un fan de romans historiques, je dois bien vous avouer que ce roman vient d’intégrer mon TOP20. Il n’est pas étonnant de constater qu’il se situe en 16ème place des lectures préférées des Français pour sa qualité d’écriture et son immersion dans la France du 18ème siècle. Un roman hors normes.

Coup de cœur, oh que oui, énorme coup de cœur !

Une saison pour les ombres de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Etienne Gomez

Moi qui ai lu presque tous les romans de Roger Jon Ellory, je peux ressentir derrière ce nouveau titre à la fois l’évolution de l’auteur et sa passion pour la psychologie humaine, la faculté de l’homme à prendre des décisions et les assumer … ou pas. Le Ellory nouveau est arrivé !

Montréal, 2011. Jack Devereaux parcourt la maison qui a été la proie de l’incendie avec son comparse Ludovick Caron. En tant qu’enquêteur pour la compagnie d’assurance, il s’aperçoit vite qu’un court-circuit dans un appareil ménager est à l’origine du sinistre. Jack est surpris de recevoir un coup de fil d’un numéro inconnu. Le shérif de Jasperville l’informe que son frère Calvis a été arrêté pour tentative de meurtre.

Calvis, son petit frère, vient se rappeler à ses souvenirs, de même que Jasperville, qu’il a voulu oublier ;Jasperville, que l’on surnomme Despairville, petite commune située à l’extrême nord-ouest du Canada et qui vit uniquement grâce à ses mines de métaux ferreux. Pour Jack, Jasperville représente son pire cauchemar, un endroit inhumain ne connaissant que rarement des températures positives, une ville de 5000 habitants enclavée par les monts Torngat, surnommés le lieu des esprits mauvais par les indiens ayant vécu là auparavant.

Canada Ironexploite les minerais issus des roches éruptives de Jasperville. A cause de la crise économique, en 1969, Henri Devereaux accepte un poste de contremaître et y emmène sa famille, Elisabeth sa femme et ses deux enfants Juliette et Jacques, ainsi que le grand-père William. William raconte les légendes indiennes et le Wendigo, un esprit malfaisant qui prend possession des hommes et leur fait faire des meurtres. Dès 1972, un corps de jeune fille est retrouvé dans les bois. Le policier en poste en déduit vite qu’elle a été attaquée par un animal, un ours ou un loup.

Le Ellory Nouveau est arrivé ! cela peut paraitre bizarre comme entrée en matière, comme si je le comparais au Beaujolais. Détrompez-vous, le but de cette phrase d’introduction est bien de mettre l’accent sur tout ce qui change chez cet auteur incontournable dans le paysage du polar contemporain.

Commençons par le contexte : Roger Jon Ellory reste sur le continent américain mais change de pays : direction le Canada et en particulier l’extrême nord du pays, avec son climat rigoureux, inhumain, où les températures descendent à -40°C et la population ne voit quasiment jamais le soleil. L’auteur utilise cet aspect pour les conséquences sur la psychologie des gens, enfermés chez eux, renfermés sur eux-mêmes.

Il apparait donc logique que de nombreuses légendes fassent leur apparition, et en particulier celles émanant des tribus indiennes. Avec la proximité des Monts Torngat qui pèsent sur le village comme une main maléfique se refermant sur la petite ville, Roger Jon Ellory utilise à merveille le contexte pour faire monter l’angoisse et introduire les meurtres de jeunes filles qui vont se succéder.

Utilisant des allers-retours entre le présent (le retour de Jack dans sa ville de jeunesse) et le passé (sa jeunesse, ses drames familiaux), Roger Jon Ellory place au centre de son intrigue Jack qui a amputé son prénom comme s’il voulait laisser derrière lui ces mauvais souvenirs. Prévu pour être sympathique, nous allons avoir affaire à une histoire introspective, une méticuleuse analyse de sa réaction d’homme.

Car le sujet, au-delà de la recherche du ou des tueurs, se situe bien au niveau de ce jeune homme qui a quitté sa ville 26 ans plus tôt à l’âge de 19 ans, laissant derrière lui sa famille, ses amis, son amour de jeunesse. Et une fois sa décision prise, la difficulté d’assumer son choix, surtout quand le passé se rappelle à lui d’une façon particulièrement cruelle et fait ressortir son lot de culpabilité.

De la même façon que le paysage est brutal, les événements violents, le contexte sans pitié, le style de Roger Jon Ellory évolue pour s’adapter à son histoire. Finies les digressions ou la volonté d’expliquer les réactions de ses personnages, place ici à un style plus direct, plus franc, sans pour autant délaisser les qualités de narration, ni les événements placés au bon moment de l’histoire. Indéniablement, cette Saison pour les ombres est remarquable et fait partie des meilleurs romans de l’auteur avec Seul le silence et Papillon de nuit.

L’aigle noir de Jacques Saussey

Editeur : Fleuve Noir

Il ne doit me rester qu’un ou deux romans de Jacques Saussey, dont les plus célèbres sont le cycle consacré à Daniel Magne et Lisa Heslin. Il s’agit d’un changement d’éditeur pour cet auteur aux intrigues foisonnantes avec ce roman orphelin, qui nous convie à un voyage à la Réunion.

2016, Ghana. La jeune femme s’est endormie en bord de plage alors qu’un homme l’observe. Irrésistiblement attiré par elle, il s’approche. Quand elle se réveille, il est au dessus d’elle et prend peur. Sans hésiter, avec sa machette, il lui tranche la tête et s’enfuit dans la forêt en entrainant sa fille qui jouait à coté.

2020, Toulon. Hubert Bourdenais, directeur de la société chargée du traitement des déchets ménagers, accueille chez lui Paul Kessler, qu’il utilise pour régler de menus trafics orchestrés par ses ouvriers. Bourdenais sait que Paul a perdu son fils et que cette perte l’a fait démissionner de la police. Il lui propose une enquête en sous-main, inofficielle, celle de connaitre les causes de la mort en hélicoptère de son propre fils, Pierre Bourdenais. Le rapport légiste a conclu à un accident alors qu’il était un as du pilotage.

2020, Ecole Jacques Brel, La Réunion. Jean-Denis Pavadé, nouvellement nommé professeur des écoles, surveille les enfants dans la cour de récréation. Il voit la petite Louna dans un coin, en train de dessiner. Quand il lui demande de regarder ses œuvres, elle s’enfuit. Il est surpris de voir des croquis de monstres sur chaque page. Chloé la psychologue scolaire essaie de faire dire à l’enfant la raison de ces dessins, mais elle reste mutique. Chloé et Jean-Denis font part de leurs soupçons à la directrice de l’école.

Dès le départ de ce roman, l’auteur nous présente une multitude de personnages, pas loin d’une dizaine, dans des lieux et des contextes différents. Et chaque personnage va amener son lot de mystères, d’énigmes à résoudre, ce qui va forcément aiguiser l’esprit du lecteur de roman policier ou de thriller. Heureusement, Paul Kessler va faire le lien en progressant petit à petit dans sa propre enquête.

On louera donc la construction qui, si elle peut s’avérer complexe de prime abord, va ressembler à une toile d’araignée que nous allons parcourir en commençant par les fils extérieurs. Et Jacques Saussey sait comment nous tenir en haleine, comment mener une intrigue, nous passionner par dialogues remarquablement efficace, et utiliser les codes du thriller quand il le faut avec des chapitres courts.

Contrairement à beaucoup de ses confrères, Jacques Saussey ne prend pas son lectorat pour des imbéciles : j’en prends pour exemple les mentions des dates et des lieux en tête de chapitre qui ne sont présents que quand on en a besoin. De même, il a conçu son intrigue avec beaucoup de pistes à suivre, des trafics en tout genre, et l’itinéraire de Sobgwe sur quatre années sans jamais perdre l’intérêt du lecteur.

Enfin, on y trouve une description des deux facettes de la Réunion (sans que l’auteur n’y ait mis les pieds, il l’avoue en fin de roman), l’une faite de belles maisons pour les riches, l’autre plus misérable avec tout ce que cela comporte comme horreurs (même s’il reste très évasif et non démonstratif dans le glauque). L’aigle Noir est donc un thriller de très bonne facture de la part d’un auteur au savoir-faire incontestable, trop injustement méconnu à mon goût.

La face nord du cœur de Dolores Redondo

Editeur : Gallimard – Folio Policier

Traducteur : Anne Plantagenet

Sélectionné parmi les finalistes du trophée du meilleur roman étranger de l’Association 813, j’avais acheté ce roman à sa sortie suite à de nombreux conseils de mes collègues et amis blogueurs. Ils avaient raison !

En aout 2005, Amaia Salazar, sous-inspectrice de la police de Navarre, vient suivre une conférence au siège du FBI à Quantico. Son objectif est d’acquérir des compétences dans la détermination des profils de tueurs en série et devenir ainsi profileuse. La conférence est assurée par l’agent spécial Duprée, reconnu comme étant un génie dans les analyses de serial killers.

Lors de la présentation d’un cas réel, Amaia qui semble être d’un caractère réservé, participe activement à l’activité proposée et impressionne Duprée. En proposant une nouvelle façon d’analyser les indices, elle met en lumière une nouvelle piste potentielle. Duprée l’aborde donc lors d’une pause au restaurant et lui propose d’intégrer leur groupe d’enquête sur la chasse au tueur qu’ils vont maintenant dénommer Le Compositeur.

Ce dernier profiterait en effet des catastrophes naturelles pour s’immiscer dans des familles en détresse et d’assassiner des familles entières, composées de deux parents, trois enfants et de la grand-mère. La situation devient urgente quand on leur annonce un cyclone de niveau 1, nommé Katrina, se dirige vers la Nouvelle Orléans et va bientôt devenir un des ouragans les plus dévastateurs que les Etats-Unis ont connu.

Il ne faut pas avoir peur de se jeter à corps perdu dans ce pavé de 750 pages, tant on se retrouve rapidement emmené dans ces enquêtes menées par deux génies policiers. Et il n’est pas nécessaire d’avoir lu la trilogie de Betzan pour aborder ce prequel, qui va nous présenter la jeunesse d’Amaia, mais aussi celle de Duprée et l’obsession de ce dernier dans la recherche de jeunes filles disparues en Nouvelle Orléans.

A base d’allers-retours entre présent et passé, entre les deux personnages principaux mais aussi des autres enquêteurs du FBI, Dolores Redondo nous passionne à nous décrire la démarche utilisée, la façon d’utiliser les indices à la disposition des agents du FBI pour essayer de déterminer la psychologie du tueur, et en déduire sa façon d’opérer. On va ainsi passer plus de temps à assister à des brainstormings qu’à une course poursuite effrénée, dans la première partie.

Puis arrive l’ouragan, et le décor change pour devenir un champ de désolation, que l’auteure va nous faire vivre par les yeux d’Amaia, seule personne extérieure (car non américaine) et seule personne choquée par la façon dont les gens sont traités, ou devrais-je dire non secourus. A coté, la façon d’aborder le vaudou dans l’enquête de Duprée parait un peu pâlotte. C’est dans cette deuxième partie que l’on trouve cette phrase extrêmement explicite et que je garderai longtemps en mémoire :

« Des terroristes détruisent le World Trade Center et le pays bascule dans le malheur, mais quand une ville entière à forte population noire disparaît sous l’eau, qu’est-ce que ça peut faire ? Aurait-on trouvé normal que quatre jours après la destruction des tours jumelles l’aide ne soit toujours pas arrivée ? »

La face nord du cœur, « le lieu le plus désolé du monde », comme l’annonce Dolores Redondo en introduction, se révèle un excellent thriller, irrémédiablement bien construit et original dans sa façon d’aborder une enquête sur un serial killer. En ayant décrit les racines d’Amaia, elle nous donne envie de nous plonger dans la trilogie de Betzan qui va suivre ces événements et publiés antérieurement.

Lady Chevy de John Woods

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Diniz Galhos

L’Ohio semble receler d’un vivier d’auteurs très intéressants et à la clairvoyance remarquable. Il n’y a qu’à se rappeler de Stephen Marklay, Tiffany McDaniel, David Joy, Benjamin Whitmer pour n’en citer que certains. John Woods arrive avec un roman coup de poing, une autopsie de l’Amérique des campagnes, très largement suprémaciste, d’aucuns diraient trumpiste, même si le roman se déroule pendant le gouvernement de Barack Obama.

Subissant les moqueries de ses camarades de classe, Amy Wirkner porte sur son dos le surnom de Lady Chevy, en lien avec son surpoids et son postérieur très large. La fête organisée chez Sadie Schafer regroupe toute sa classe qui va entamer sa dernière année de lycée, avant d’essayer d’obtenir une place en université pour quitter enfin cette petite ville de Barnesville. Paul McCormick et Sadie forment le petit cercle d’amis d’Amy, surtout parce qu’ils se connaissent depuis la petite enfance.

Amy intégrera l’Ohio State University si ses moyennes restent à ce niveau. Elle deviendra vétérinaire, quittera enfin son père, qui a loué ses terres à une entreprise extrayant le gaz de schiste, sa mère qui va se faire baiser tous les soirs par des inconnus, son oncle, ex-soldat, enfermé dans ses théories paranoïaques et suprémacistes, et tous ces imbéciles qui passent leur temps à soigner leur apparence et vomir sur elle. Mais l’université coûte cher, et elle compte sur une bourse et un don de la paroisse.

Brett Hastings représente la loi à Barnesville en tant qu’adjoint du shérif. Il conduit dans le désert, avec comme passager, un homme dont la tête a été recouverte d’un sac poubelle. Randy s’est fait kidnapper parce qu’il est un dealer, parce qu’Hastings veut faire le ménage dans sa ville, à moins qu’il en ait besoin. Il le sort et les deux hommes avancent dans les collines, avant qu’Hastings lui ordonne de s’arrêter. La discussion ne dure pas longtemps et il lui tire une balle dans la tête à travers le sac poubelle.

Toute la ville devient malade, même son frère Stonewall, petit être chétif atteint de saignements et de crises. Tout le monde sait que cela vient des produits qu’ils injectent dans le sol. Paul, ce soir-là, vient voir Amy pour lui demander de l’aide. Il a fabriqué des bombes artisanales pour détruire les installations gazières ; Sauf que leur plan va tourner au drame et Amy va devoir réagir.

John Woods aurait pu donner la parole à Amy, en faire l’unique narratrice ; il a préféré un duo de raconteurs avec Amy et Hastings. Et il ne faut pas prendre ce roman comme un énième roman sur l’adolescence, ou même une simpliste description des campagnes américaines ou encore un pamphlet contre l’extraction du gaz de schiste. Ce serait bien trop réducteur par rapport à ce que John Woods a voulu montrer.

Car dans son premier roman, il a voulu parler de beaucoup de thèmes, et pour cela, il a choisi un personnage féminin hors normes (je ne parle pas de son poids), au sens où il a minutieusement construit sa psychologie. S’il l’a voulue en surpoids, c’est pour montrer une adolescente qui s’est construit un mur contre sa famille, contre ses amis, contre le monde ; et ce mur est tellement haut qu’elle a fini enfermée dans son monde. On la voit ainsi écoutant les autres, regardant les autres, mais ne suivant que son chemin, aidée en cela par une acuité et une intelligence au dessus du troupeau peuplant Barnesville.

Il a voulu aussi son héroïne en prise avec un environnement familial perturbé, mais il n’a pas fait dans la simplicité. Son père d’abord, au chômage, mais responsable, se retrouve obligé de louer ses terres à un processus mortel pour lui et les autres, car c’est sa seule source d’argent. Sa mère ne rêve que de s’enfuir, même s’il ne s’agit que d’une nuit dans les bras d’inconnus.

Enfin, son oncle, que l’auteur a appelé Oncle Tom (quel humour !), apparait comme un homme cultivé, qui est passé par la guerre et qui en a déduit sa propre logique philosophique raciste et s’est donné comme but dans la vie, la sauvegarde de la race blanche. Ces passages, où Amy et Tom discutent en s’entrainant au tir au fusil, sont les plus réussis du livre et font froid dans le dos. Ils apparaissent comme un portrait lucide de l’Amérique contemporaine (et pas que l’Amérique).

Bien sur, on y voit l’église essayer de fédérer cette ville, les riches profiter et les pauvres souffrir, mais on y voit surtout par ces descriptions les campagnes subir les lois des grandes villes, de l’Etat, et le ras-le-bol des politiques (Rappelons nous que ce roman se déroule sous l’ère Obama). On y voit aussi la police, pas plus douée que les gens du cru, à part Hastings, que l’on peut prendre comme un justicier de l’ombre et qui s’avère un assassin qui se débarrasse des gens qui le gênent.

Tout au long du roman, on va se retrouver gêné par ce qui est dit, par la façon dont c’est dit, par les événements qui vont se dérouler. Car on n’y trouve plus de notion de bien ou de mal, la morale n’existe plus, on parle ici de survie ; et pour Tom, il s’agit de survie de la race blanche. Plus que choquant, ce roman est provoquant, poussant toujours le bouchon un peu plus loin, en gardant son ton clairvoyant pour montrer la vérité du terrain, celui que les politiques ne veulent pas voir.

A part quelques passages un peu long où on a l’impression que l’auteur en rajoute, ce roman porté par Amy et Hastings m’a impressionné par ce qu’il montre. J’ai tendance à dire que les auteurs mettent leurs tripes dans leur premier roman, et cela semble être le cas ici, tant John Woods est capable de faire une démonstration éloquente sans jamais juger qui que soit ; au lecteur de se faire sa propre opinion. John Woods a écrit l’autopsie de l’Amérique moderne et il va falloir suivre ses prochains écrits.

Un dernier mot : ne ratez pas la fin, avec quelques retournements de situation qui font que je ne suis pas prêt d’oublier ce roman. Impressionnant !

Usual victims de Gilles Vincent

Editeur : Au diable Vauvert

J’avais un peu perdu de vue Gilles Vincent, depuis qu’il avait quitté les éditions Jigal, et les nombreux avis positifs des collègues blogueurs m’ont fait acheter son dernier roman en date, Usual victims, un polar au scénario implacable, dont le titre nous rappelle un célèbre film de Bryan Singer.

Après avoir bourlingué avec son diplôme d’officier de la Police Nationale, Martin Delbard atterrit à Tarbes avec le grade de capitaine. Depuis le collège, il ressent une attirance pour les hommes et doit cacher ce penchant dans sa vie professionnelle. Le hasard le fait rencontrer Florent, le facteur, avec qui il vit une idylle parfaite.

Clémentine Rucher lui a été rattachée, non pas pour ses qualités professionnelles mais pour le fait qu’elle soit lesbiennes. Leurs supérieurs ont surement dû juger que cela éviterait de mauvaises blagues. Elle vit une parfaite idylle avec Maïwen, professeure de lettres, depuis sept ans.

Stéphane Brindille se retrouve sans ses parents à l’âge de vingt-deux ans, ses parents s’étant noyés en barque deux ans auparavant. Le cinéma américain est sa passion première, et il en apprend les répliques cultes. Dans sa commode, il cache des cahiers dans lesquels il inscrit le poids des choses, de tous les objets qu’il rencontre. Diagnostiqué atteint du syndrome d’Asperger, il ne ressent aucune empathie et arrive dans l’équipe du capitaine Delbard en tant que stagiaire.

La plus grosse entreprise du coin se nomme Titania, le mastodonte du commerce en ligne. Dans une région abandonnée de ses riverains, Titania a bâti un gigantesque entrepôt et offre des emplois à tous les désœuvrés du coin, à tel point qu’elle pèse maintenant quatre mille cent soixante salariés en CDI. Sauf qu’on vient de découvrir le suicide de Camille Barrere juste avant son service, la quatrième en quelques semaines.

Tout est affaire de sentiments, de ressenti. Pour ce roman, j’ai été surpris par les premiers chapitres. Après l’introduction et le suicide de Camille, l’auteur laisse la parole aux trois policiers l’un après l’autre, pour leur présentation personnelle. Et je me suis dit que j’allais me retrouver dans un reportage criminel type « Présumé innocent » ou Affaires criminelles », ce que j’ai trouvé amusant.

Dès le quatrième chapitre, on entre dans le vif du sujet, avec une narration à la troisième personne, et au premier plan les trois flics, même si Stéphane semble mis en avant. Vous l’aurez compris, ce roman ne propose pas de « héros », de personnage principal, mais déroule une enquête dont le scénario est sans cesse surprenant, fait de multiples révélations, et nous malmène dans nos certitudes.

Car dès l’arrivée des flics sur le site de Titania, l’auteur nous décrit le monde ultra-sécurisé des grandes entreprises, les parkings où les voitures sont rangées en épi, les contrôles par badge à l’entrée, les vestiaires déshumanisés, les séparations entre les postes pour privilégier l’efficacité et le rendement, le rythme infernal demandé aux employés et les méthodes de motivation à base de récompenses futiles.

Même si le roman présente une enquête classique, et finit par faire un détour par le Darkweb, il présente l’avantage de nous présenter un contexte peu connu, et bénéficie d’un style remarquablement fluide, de personnages formidablement bien croqués, et d’un scénario noir dans lequel bien peu de protagonistes s’en sortiront. Et l’amusement que j’avais ressenti au début du roman s’est transformé en excellent divertissement avec un fond social important, en même temps qu’il est un hommage au cinéma policier.