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Le sang de nos ennemis de Gérard Lecas

Editeur : Rivages

On a peu l’habitude de voir Gérard Lecas sur les étals des libraires, et j’avais découvert sa plume avec Deux balles, un court roman au style coup de poing paru chez Jigal. Changement de temps, changement de décor, nous voilà transportés à Marseille en 1962.

Juillet 1962. Alors que l’Algérie vient d’accéder à son indépendance, de nombreux réfugiés débarquent dans le port de Marseille. Ils se retrouvent rejetés de toutes parts, expulsés de leur pays de naissance et détestés par les marseillais. La situation politique n’est pas plus calme : L’OAS devant cet échec envisage des actions terroristes sur le sol français et devient la cible du SAC, le service armé du Général de Gaulle. Le paysage civique se retrouve aussi scindé entre communistes et extrême droite, entre résistants et collaborateurs ; Gérard Lecas situe donc son roman dans un lieu et une période explosive.

Le ministère de l’Intérieur décide de nommer Louis Anthureau à la police criminelle de Marseille, surtout par reconnaissance pour son père qui fut un résistant émérite aujourd’hui décédé et dont la mère à disparu. Il a en charge aussi de surveiller Jacques Molinari, un ancien résistant cinquantenaire proche de l’extrême droite. Ces deux-là ressemblent à s’y méprendre à une alliance du feu avec de l’eau.

Louis assiste à une fusillade sur un marché et reconnait Jacques parmi les assassins, mais il décide de ne rien dire. Il ne sait pas que Jacques joue sur plusieurs tableaux, de l’OAS à l’extrême droite en passant par les parrains locaux qui veulent monter un laboratoire d’affinage de drogue avec plusieurs centaines de kilogrammes en transit. Louis et Jacques vont devoir faire équipe sur une enquête compliquée : un maghrébin a été retrouvé avec un jerrican à coté plein de son sang. 

Voilà typiquement le genre de roman que j’adore. Je trouve que peu de romans traitent de cette période mouvementée alors que c’est un décor idéal pour un polar. Alors il faudra de l’attention pour bien appréhender les différents personnages et les différentes parties mais j’ai trouvé cela remarquablement clair, et le mélange entre les personnages réels et fictifs m’a semblé parfait.

On ressent à la lecture le savoir-faire d’un grand scénariste, tant les événements vont s’enchainer sans que l’on puisse réellement déterminer jusqu’où cela va nous mener. Devant toutes les factions en lutte, Louis et Jacques sont montrés beaucoup moins monolithiques et plus complexes qu’il n’y parait. Personne n’est tout blanc ou tout noir, ni gentil ni méchant. Un véritable panier de crabe dans une situation inextricable dont je me demande toujours comment on sen est sorti ! Et je suis resté béat d’admiration devant les dialogues justes et brillants. 

L’intrigue va se séparer en trois : Les meurtres de maghrébins, la recherche de la mère de Louis et la recherche du chargement de drogue qui a été dérobé. Ceci permet de montrer la lutte politique et policière en œuvre dans cette région qui ressemble à s’y méprendre à un baril de poudre où la mèche a été allumée depuis belle lurette. Avec ce roman, Gérard Lecas nous offre un roman bien complexe, bien passionnant, bien costaud, bien instructif. Le sang de nos ennemis est clairement à ne pas rater pour les amateurs d’histoire contemporaine.

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Le 52ème Prix Mystère de la Critique 2023

Le prix Mystère de la critique a été créé en 1972 par la revue Mystère magazine, publiée par les éditions OPTA de 1948 à 1976, et continue d’être attribué chaque année par son fondateur, Georges Rieben, et son équipe. Il a pour caractéristique d’avoir survécu à la disparition du magazine.

A la disparition de Georges Rieben, Alain Regnault et Serge Breton ont décidé de faire perdurer l’un des plus anciens prix français récompensant un roman policier.

Le prix se distingue en deux catégories, roman français et roman étranger, et cette année, le vote se réalise en deux tours.

J’ai la chance de participer aux votes depuis deux ans et j’ai l’honneur de vous annoncer les lauréats de cette année.

Les derniers jours des fauves de Jérôme Leroy (La Manufacture de Livres)

Nathalie Séchard, celle qui incarna l’espoir de renouveau à la tête de l’État, a décidé de jeter l’éponge et de ne pas briguer un second mandat. La succession présidentielle est ouverte. Au sein du gouvernement commence alors un jeu sans pitié. Dans une France épuisée par deux ans de combat contre la pandémie, les antivax manifestent, les forces de police font appliquer un confinement drastique, les émeutes se multiplient. Le chaos s’installe. Et Clio, vingt ans, normalienne d’ultra gauche, fille d’un prétendant à la présidence, devient une cible…

Maître incontesté du genre, Jérôme Leroy nous offre avec ce roman noir la plus brillante et la plus percutante des fictions politiques. De secrets en assassinats, il nous raconte les rouages de l’implacable machine du pouvoir.

Bobby Mars Forever d’Alan Parks (Payot et Rivages)

Glasgow ne connaît pas de répit en cette année 1973. C’est l’été et tout le monde ne parle que d’une chose : l’enfant de la ville, le rocker Bobby Mars est mort d’une overdose dans un hôtel. Pourtant, l’inspecteur Harry McCoy de la Criminelle a d’autres préoccupations : la petite Alice Kelly, 13 ans, a disparu. Et comme si cela ne suffisait pas, Murray, le supérieur de Harry, le charge officieusement de retrouver sa nièce, une adolescente rebelle qui a de mauvaises fréquentations. McCoy voit bien sûr un lien entre les deux disparitions, et dans ce type d’affaire, chaque minute compte.

Le chouchou du mois d’avril 2022

Allez ! je vous propose de terminer la douzième année d’existence de Black Novel avant de partir pour de nouvelles aventures, de nouvelles découvertes littéraires, et ce dès le 1er mai. Pour ce cent quarante quatrième mois, j’ai innové en consacrant une semaine entière (soit trois billets en ce qui me concerne) à un auteur.

Pour cette première session, c’est Maurice Attia qui est passé sous le scalpel avec sa deuxième trilogie consacrée à Paco Martinez, ancien flic devenu journaliste judiciaire et cinématographique. La blanche Caraïbe de Maurice Attia (Jigal) nous emmène en Guadeloupe en 1976, en pleine éruption de la Soufrière, où Paco débarque pour aider son ami et se retrouve dans un panier de crabes. Le rouge et le brun de Maurice Attia (Jigal) regroupe trois enquêtes dont l’une se passe en Italie lors de l’enlèvement d’Aldo Moro, alors qu’Irène, la femme de Paco, découvre un journal écrit par son père qui évoque un passage méconnu de notre histoire en 1899. Enfin, Couleurs de la vengeance de Maurice Attia (Jigal) alterne entre une tuerie dans un bar vers Marseille et l’invasion de l’Afghanistan par les Russes. Cette trilogie permet de faire œuvre de m »moire sur quelques événements de notre histoire contemporaine en adoptant une forme polyphonique jouissive.

J’aurais préféré ne pas écrire tout de suite la chronique Oldies de ce mois. Hélas, suite à la mort de Liliane Korb, j’ai voulu rendre hommage aux livres qu’elle a écrit avec sa sœur en commençant par le premier tome des enquêtes de Victor Legris. Mystère rue des Saints Pères de Claude Izner (10/18) nous plonge dans le Paris de l’Exposition Universelle de 1889 et nous apprend beaucoup de choses. Une belle introduction à cette série.

Arsène Lupin contre Herlock Sholmes de Maurice Leblanc (Archipoche) est le deuxième roman de la série et propose un duel entre le célèbre détective anglais (accompagné de son imbécile Wilson) et notre gentleman cambrioleur. Le style est vif, le ton humoristique et la lecture plaisante pour ce match nul entre ces deux personnages. A suivre …

Avec plus de sérieux, Château de cartes de Miguel Szymanski (Agullo) nous emmène dans le monde de la Haute Finance au Portugal. Premier d’une série à venir, l’auteur nous montre les dérives des banques, la corruption des politiques et les petits arrangements pour sauver de sombres truands. Bien que le domaine soit technique, l’auteur fait un effort pour nous rendre tout cela explicite et nous livre un Thriller prenant.

Parmi les auteurs que j’adore, La jeune femme et l’ogre de John Connolly (Presses de la cité) est le dernier tome des enquêtes de Charlie Parker et c’est un excellent cru. John Connolly multiplie les personnages, les pistes et les duels à distance, dans une ambiance fantastique et angoissante qui ravira les habitués et permettra de faire découvrir et enchanter les novices.

Qui voit son sang d’Elisa Vix (Editions du Rouergue) est le dernier roman noir de cette auteure qui a l’art de créer des intrigues différentes dans un style direct et expressif. Ici, Elisa Vix compose une intrigue de recherche classique et oppose l’enfermement intérieur des personnages à l’air du grand large aux abords de l’île d’Ouessant. Une fois commencé, ce livre ne peut être lâché : A ne pas rater.

Dernier recueil de nouvelles publié à la Déviation, Jusqu’ici tout va mal de Pascal Dessaint (La Déviation) est un petit bijou avec ses 17 cartes postales. De la nature et des hommes. De l’Amour et de la solitude. Vivre ensemble et respecter la nature sont les messages forts de ce recueil de nouvelles parfait.

Le titre de chouchou du mois revient donc à Tokyo revisitée de David Peace (Rivages), dernier tome de la trilogie que ce gigantesque auteur britannique a consacrée à la capitale japonaise de l’après-guerre. Même s’il prend pour trame une affaire criminelle irrésolue, il nous montre, nous assène la guerre froide à distance entre les USA et l’URSS en mettant les personnages au premier plan, en nous offrant des scènes hallucinées hallucinantes avec son style haché, rythmé comme aucun autre.

Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou, et dès le 1er mai pour fêter le 13ème anniversaire du blog. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Tokyo revisitée de David Peace

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Jean-Paul Gratias

Nous les fans de David Peace, nous avons attendu dix ans, dix longues années avant de pouvoir enfin ouvrir le troisième tome de la trilogie consacrée à Tokyo, après Tokyo année zéro, et Tokyo ville occupée. David Peace clôt ainsi cette période d’occupation du Japon après la seconde guerre mondiale. Pour cela, il se penche sur une affaire encore inexpliquée de nos jours, la mort de Sadanori Shimoyama, le président des chemins de fer japonais,

1949. En ce 5 juillet, la température caniculaire rend l’atmosphère étouffante, irrespirable. L’inspecteur Harry Sweeney un coup de téléphone à son bureau, dans lequel un homme, japonais par son accent lui annonce : « Trop tard ». Retrouvant la trace de l’appel, il se dirige vers le café Hong Kong avec son chauffeur du jour Shintarõ, en vain. De retour au bureau, on lui apprend que Shimoyama a disparu.

L’entretien avec la femme du président lui apprend qu’il est parti tôt ce matin, accompagné de son chauffeur. Ce dernier lui dit qu’il l’a conduit dans une galerie commerciale et qu’il l’a attendu toute la journée, conformément aux ordres. A l’intérieur du centre, Sweeney ne trouve aucune trace du passage de Shimoyama. Tout le monde pense qu’il a passé la journée avec une amante.

Le lendemain, Harry Sweeney, Bill Betz, Toda son coéquipier et Ishirõ son chauffeur foncent en direction de la gare d’Ayaze. On a découvert un corps sur les rails. La police américaine et la police japonaise ne peuvent que reconnaitre le corps de Sadanori Shimoyama, découpé par le train qui lui est passé dessus. Deux théories vont alors s’affronter : un assassinat ou bien un suicide.

David Peace nous éclaire à la fin du roman sur les raisons qui l’ont poussé à aborder cette histoire véridique. A l’époque, Sadanori Shimoyama a réellement été retrouvé mort sur les rails de la gare d’Ayaze et le meurtre n’est aujourd’hui toujours pas expliqué. Dans le climat de tension de la fin de la guerre, cette affaire a fait autant de bruit au Japon que l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy aux Etats Unis. Cet homme était reconnu comme étant un homme bon, faisant son possible pour reconstruire et développer le trafic ferroviaire. Mais il se retrouvait harcelé entre l’obligation imposée par les politiques de licencier plusieurs milliers de personnes et la lutte anti-communiste menée par les Etats-Unis sur le terrain même des japonais.

David Peace va diviser son roman en trois parties et, non pas nous donner clé en main, la solution de cette énigme, mais plutôt nous plonger dans cette époque trouble, entre magouilles politiques, syndicats rouges violents, militaires américains arrogants et manipulateurs, agents secrets, agents doubles, agents triples … pour cela il a choisi trois personnages à trois époques différentes, exilés dans une contrée qui n’est pas la leur, marqués aussi par leur passé et se trouvant dans une impasse quant à leur futur.

Harry Sweeney, inspecteur doué, va ouvrir le bal et mettre à jour pour nous lecteurs les différents fils qui tirent le pays du Soleil Levant dans tous les sens. Puis, un détective privé, Murota Hideki, doit retrouver un auteur de polars, Kurota Roman, qui a disparu après avoir touché une avance confortable pour son prochain opus qui devait dévoiler les dessous de l’affaire Shimoyama. Enfin, nous finirons ce voyage en eaux troubles avec le retour au Japon de Daniel Reichenbach.

David Peace n’a pas son pareil pour construire des personnages complexes placés dans des situations complexes, pour nous faire vivre dans un pays étranger. Autant par les décors que les situations, il nous montre la situation du Japon sous l’occupation, où chacun gardait une part de l’information pour lui. Il nous montre aussi dans la première partie, la différence de culture ne serait-ce que dans des dialogues entre la police japonaise et la police américaine toute en tension, en menaces mais à travers des phrases douces et sibyllines.

David Peace n’a pas son pareil pour nous peindre une situation politique, presque géopolitique, sans être trop explicite, nous donnant les clés pour comprendre la situation de guerre froide, et comment elle avait lieu sur le terrain. Le nom du coupable a peu d’importance, car on comprend vite que, quel que soit le camp, un homme a été manipulé, tué uniquement pour des considérations idéologiques de gens de grand pouvoir.

David Peace n’a pas son pareil pour nous plonger dans des personnages extraordinaires, cassés, brisés par leur passé, cherchant des exutoires à leurs souffrances. On trouve dans ce roman des scènes hallucinées, hallucinantes, formées de longs paragraphes qui nous plongent dans les délires du personnage et qui rajoutent au mystère de ce pays. Nous nous retrouvons dans un pays, une culture qui nous est étrangère, que nous ne comprenons et nous plongeons dans une paranoïa profonde.

J’ai beaucoup parlé du meurtre de Sadanori Shimoyama, car c’est ce que j’en ai déduit en refermant ce livre. Pour autant, il se peut qu’il s’agisse d’un suicide. La résolution de l’affaire ne constitue qu’un fil narrateur de ce roman dont le message se révèle plus complexe et aboutit, dans mon cas, à un dégout des idéologies extrémistes, quel que soit le camp d’où elle vienne. Enorme !

Le carré des indigents de Hugues Pagan

Editeur : Rivages

On ne peut pas dire que j’ai lu beaucoup de romans de Hugues Pagan, si ce n’est quelques uns dans la collection de poche Rivages Noir, en particulier ses premiers parus. On retrouve ici un de ses personnages récurrents, l’inspecteur Schneider.

Novembre 1973. Le président Pompidou agonise, à l’image de son pays. Après avoir dix années en Algérie, L’inspecteur Claude Schneider aurait pu briguer un beau poste à Paris, mais il a décidé de revenir dans sa ville natale. Le voyage en train lui convient bien, ces paysages qui défilent sans dire un mot. Son ami, Monsieur Tom, dont on dit qu’il détient toute la ville l’accueille à son arrivée et le conduit à l’hôtel.

« La Ville dérivait lentement derrière les vitres, avec ses places, ses allées, les rangs de réverbères qui s’ouvraient comme de grandes jambes blanches et glacées … »

Le lendemain, sous une température glacée, Schneider se rend au Bunker, non sans avoir au préalable fumé une cigarette. Le Contrôleur Général Toussaint Mariani, Dieu en personne demande son dossier en aboyant, et le fait attendre. A force d’attendre, Schneider décide d’aller boire un coup à l’abreuvoir. Dieu débarque en rogne. Schneider ne porte pas sa légion d’honneur et ça énerve Dieu qui aimerait bien l’avoir. Schneider récupère le Groupe Criminel.

André Hoffmann, certificat d’études en poche est entré aux chemins de fer. Ne faisant pas de bruit, il a fondé une famille et ils ont eu une fille. Aujourd’hui, sa femme est morte et sa fille une adolescente de quinze ans, respectueuse de sa famille. Hoffmann arrive au Bunker pour signaler la disparition de sa fille Betty. Elle était allée à la bibliothèque et devait rentrer avant la tombée de la nuit. Schneider va prendre sa déposition, les autres fêtant la fin de la semaine au bar. Pour Schneider comme pour Hoffmann, il ne reste plus qu’à attendre pour confirmer une terrible nouvelle.

Dès qu’on ouvre ce roman, on se retrouve plongé dans une époque, dans un cadre et dans les déambulations d’un homme désabusé par son passé. Marquant ses distances avec les autres, taiseux au point de ne jamais dire plus d’une phrase, Schneider porte sa vie et son passé comme une pierre impossible à déplacer. Il regarde passer sa vie en plongeant dans le brouillard gris et les horreurs du quotidien. Et la disparition de la petite Betty, renversée par une voiture, va constituer un crime qu’il ne peut laisser passer, comme tous les autres.

Hugues Pagan prend le temps pour dérouler son intrigue, laissant son personnage le guider dans son enquête, qui ne comporte pas, comme beaucoup d’auteurs du Noir, d’événements retentissants. Hugues Pagan préfère montrer la vie des petites gens, ceux qui se confondent avec les ombres à force de ne pas les regarder. Il nous apporte un ton de véracité, nous décrit autant le décor désolant que les personnages vivant de peu, opposés aux dirigeants de la ville profitant de leur « palaces » ou aux chefs de la police à la poursuite de leur progression dans la hiérarchie.

Et puis, Hugues Pagan nous attrape, nous accroche par ses phrases justes, des phrases qui frappent, tantôt poétiques, tantôt violentes car surprenantes. On ne peut que rester ébahi, enchanté par ce style si vrai, plongeant dans un réalisme cru ; on se laisse emporter par ce pouvoir d’évocation, cette faculté de toucher à la vie qui forme notre quotidien. Ce roman policier noir est un vrai cadeau, offert par un maître du genre, où chaque page dévoile un pan de notre vie comme on ne l’avait pas vue. Un pur joyau magique, bien noir, tout simplement beau.

Viper’s Dream de Jake Lamar

Editeur : Rivages

Traductrice : Catherine RICHARD-MAS

Pour qui a lu Nous avions un rêve, Jake Lamar est un auteur dont il faut lire tous les romans. D’origine américaine, il a choisi de vivre en France et nous parle dans chacun de ses romans de son pays et de la vie des Noirs là-bas. Et quoi de mieux que d’évoquer le milieu du jazz pour en parler, comme il le fait ici.

1961, New York. Viper se retrouve chez Pannonica de Koenigswarter, dite Nica, une richissime baronne qui finance le milieu du jazz. Le jeu de la baronne consiste à demander aux gens qu’elle héberge d’écrire sur une feuille leur trois vœux les plus chers. Il reste quelques heures à Viper avant que la police ne vienne l’arrêter. Car cette nuit, Viper vient de tuer un homme, pour la troisième fois de sa vie.

Viper, c’est le surnom de Clyde Morton. En 1936, Clyde découvre une trompette dans le grenier de ses parents. Son oncle Wilson lui apprend à en jouer et le persuade qu’il deviendra un grand jazzman. Clyde décide de quitter Meachum, Alabama, pour rejoindre New-York, laissant derrière lui sa fiancée Bertha. Mais dès la première audition dans un club de Harlem, on lui fait comprendre qu’il n’a aucun avenir dans la musique.

Alors Clyde trouve un travail au Gentleman Jack’s Barbershop. Ne sachant pas couper les cheveux, il deviendra cireur de chaussures et balayeur. Un richissime client, Mr.O débarque dans la boutique et lui demande s’il sait se battre. Il emmène Clyde sur un ring de boxe et, à la surprise générale, Clyde étend son adversaire. A partir de ce jour, Clyde va devenir Viper, et garde du corps de Mr.O, propriétaire d’un club de jazz et trafiquant de Marijuana.

Ecrit comme un conte, comme une histoire orale (il faut dire qu’à l’origine, ce roman était une pièce radiophonique pour France Culture), on prend un énorme plaisir à s’assoir et écouter Jake Lamar nous narrer la vie de Viper, de son ascension jusqu’à sa chute. Il nous brosse un portrait de l’Amérique, avant et après la deuxième guerre mondiale et la « fameuse » échelle sociale des Etats-Unis. On en déduit à la lecture de ce roman, que pour les Noirs, leur seule possibilité de grimper dans la société réside dans le trafic de drogue, le reste de la société étant noyauté par les Blancs.

Viper’s Dream est avant tout une histoire d’amitié, de tolérance et de loyauté ; amitié envers ses proches, tolérance et accueil des étrangers et loyauté envers ce que l’on croit. Et Viper ne voudra jamais vendre de drogue dure. Viper rencontrera aussi l’amour avec le formidable personnage de femme fatale Yolanda. Tous les codes sont bien présents et c’est bien la façon de raconter cette histoire qui retient l’attention.

Car il y a dans ce roman un rythme lancinant, une mélodie avec des variations de rythme, des improvisations. On ressent le brouhaha de Harlem, et on entend les instruments, parfois du piano, souvent de la trompette. Cet hommage au Jazz se couple à un thème fort sur le poids du passé et les regrets qui se transforment en remords qui me parle. Pour moi, ce roman rejoint ma pile de romans cultes.

Un grand merci à Petite Souris, il saura pourquoi.

Le chouchou du mois de novembre 2021

Avec le mois de novembre, arrive le moment où il va falloir songer aux cadeaux de Noël. Evidemment, il faut offrir des livres et évidemment, il faut les acheter chez nos libraires. Je vous propose donc mes avis dans le but de vous aider dans vos choix.

Commençons par mon coup de cœur du mois : Les rêves qui nous restent de Boris Quercia (Asphalte), un roman de science-fiction situé dans un futur proche, nous présente une société où les Humains se sont laissés séduire par les robots et leur ont laissé gérer leur vie. Avec une intrigue policière simple, un style sec digne des meilleurs polars, Boris Quercia, en faisant le parallèle avec notre situation actuelle, nous pose une question essentielle : les robots ne sont-ils pas plus humains que les Hommes ?

Le Oldies du mois sort du polar. Malgré cela, Dans la forêt de Jean Hegland (Gallmeister) nous décrit dans un monde apocalyptique comment deux jeunes filles vont survivre dans une maison perdue au fond des bois. Psychologiquement juste, remarquablement écrit, ce roman offre de bien belles heures de lecture.

Parmi les romans chroniqués ce mois-ci, vous trouverez beaucoup d’enquêtes bien qu’on ne puisse pas tous les classer dans les romans policiers. Cela confirme que les auteurs aiment mélanger les genres pour notre plus grand plaisir. City of windows de Robert Pobi (Points) nous propose par exemple un formidable personnage Lucas Page à la recherche d’un serial killer dont les cibles sont des policiers. La forme ressemble à un thriller et tout repose sur le rythme et le déroulement du scénario. Un excellent divertissement.

Comme son titre l’indique, La consule assassinée de Pierre Pouchairet (Filatures) nous propose de trouver un assassin dans un pays étranger d’Europe de l’est. Là encore, l’auteur nous montre les dessous du pouvoir, les luttes en toute diplomatie et l’histoire nous propose de lever le voile sur la vraie personnalité de la consule. Un polar costaud et passionnant.

De roman policier, il est aussi question dans Le carnaval des ombres de Roger Jon Ellory (Sonatine), mâtiné de psychologie, de mystère, de fantastique et de politique. Un agent nouvellement promu agent spécial sénior au FBI doit enquêter sur un homme que l’on a retrouvé mort dans un cirque de freaks. L’agent Travis va être bousculé dans ses certitudes cartésiennes et découvrir les exactions du FBI et de la CIA. On se laisse emporter par la plume magique de l’auteur tout en regrettant des longueurs et le fait que Ellory ait mis trop de thèmes dans son livre.

Il est aussi question de personnages et de politique dans La sirène qui fume de Benjamin Dierstein (Points), premier roman, premier tome d’une trilogie dont j’avais adoré le deuxième. Deux flics, deux trajectoires et des meurtres de jeunes filles sur fond d’élections politiques alors que DSK fait peur à la droite au pouvoir, voilà pour le menu. Je retrouve ce style que j’adore, ces deux personnages écorchés et extrêmes et une plongée dans le glauque qui ouvre le chemin au deuxième tome. Auteur à découvrir.

Direction Toulouse, avec Divin Toulouse de Luis Alfredo (Cairn éditions), où c’est un détective privé, cette fois-ci qui enquête sur un groupe meurtrier faisant référence au Marquis de Sade. Le style littéraire de l’auteur et les personnages font merveille dans une intrigue complexe à souhait.

Je pourrais le classer dans les polars, ou dans les romans noirs, ou dans les romans humoristiques sauce féroce. Un tueur sur mesure de Sam Millar (Métaillié) abandonne le cycle Karl Kane et démarre avec un casse loufoque à Halloween. A partir de ce moment, s’engage une course poursuite pour retrouver et / ou tuer les voleurs et / ou mettre la main sur l’argent. On y trouve une belle galerie de personnages, ça va vite et surtout on rit devant l’humour féroce et les répliques hilarantes.

De roman noir, il en est question dans Octobre à Paris de Gérard Streiff (La Déviation). Chloé Bourgeade, détective privée, enquête sur la noyade d’un flic à la retraite. C’est l’occasion pour l’auteur de nous rappeler le massacre du 17 octobre 1961 dans un court polar pour faire œuvre de mémoire. Essentiel.

Tableau noir du malheur de Jérémy Bouquin (Editions du Caïman), dernier roman en date de cet auteur prolifique que j’aime tant par son style et ses sujets. Après les gilets jaunes, Jérémy Bouquin aborde ici la situation d’une professeure des écoles dans une classe difficile. Il ajoute à ce personnage de Céline des raisons de pêter un câble mais le tableau qu’il fait de l’Education nationale est sans appel.

Le titre du chouchou revient donc ce mois-ci à Traverser la nuit d’Hervé Le Corre (Rivages). Vous pouvez me dire que je manque d’originalité mais ce roman, plus noir que noir, nous plonge dans une abime de désespoir ; A la fois par les trois personnages piliers de cette intrigue mais aussi par le tableau d’une société violente dans laquelle on a toutes les raisons de perdre espoir. Hervé Le Corre avec sa plume poétique touche au sublime, émeut, secoue, et nous laisse pantois devant cette fin.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou et un bilan de fin d’année. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez-vous, protégez les autres et surtout lisez !

Traverser la nuit d’Hervé Le Corre

Editeur : Rivages/Noir

Acheté dès sa sortie en début d’année, je m’étais mis ce roman de coté pour mes ultimes lectures de 2021. Annoncé comme un roman noir, c’est effectivement une lecture qu’il vaut mieux entamer avec un bon moral, tant le ton y est sombre.

Un homme est retrouvé à un arrêt de tramway, vraisemblablement ivre. Les flics le ramènent au poste de police et se rendent compte que son tee-shirt est ensanglanté. Pour récupérer l’habit, ils lui enlèvent les menottes mais le prisonnier en profite pour prendre un pistolet. Mis en joue, l’homme ne sait quoi faire, puis se jette par la fenêtre. Quelques étages plus bas, sur le trottoir, la flaque de sang s’agrandit.

Louise a pris la bonne décision ; elle a pris son fils Sam et a quitté le domicile conjugal. Elle n’en pouvait plus qu’il la roue de coups chaque fois qu’il avait trop bu. Après avoir conduit son fils à l’école, elle va faire le ménage chez des petits vieux et faire leurs courses, avec cette menace pesante que son mari pourrait bien la retrouver.

Le commandant Jourdan entre dans l’appartement. La voisine a entendu les coups de feu, cinq ou six. La femme a été abattue dans la salle de bains, les corps des trois enfants parsemés dans la salle de séjour et le couloir, tués froidement. Le forcené s’est réfugié dans sa belle famille pour les descendre. Quand Jourdan arrive, la maison est bouclée et il décide d’y aller seul.

Christian vit seul et rend souvent visite à sa mère. Il doit subir les différentes humeurs, en général mauvaises, de ses clients à qui il livre des matériaux de construction. Depuis son retour du Tchad, il est pris de bouffée de haine, qu’il assouvit en poignardant de jeunes femmes rencontrées au hasard. Justement, il vient d’en repérer une à la sortie d’un bar. Cela lui donne comme une bouffée, une pulsion incontrôlable.

Bâti autour de trois piliers, des personnages plus vrais que nature, inoubliables, Hervé Le Corre construit un roman noir implacable, d’une noirceur et d’une violence brutale. Que ce soit Louise, Jourdan ou Christian, il nous présente trois âmes en peine, en souffrance : Louise obligée de s’en sortir seule et sous la menace constante de son ex-compagnon, Jourdan plongé dans les pires horreurs des drames familiaux et Christian obligé de tuer pour calmer ses pulsions.

Toutes ces scènes mises bout à bout vont passer en revue leur vie somme toute banale, dans une société que l’auteur nous montre sans pitié, ayant perdu toute humanité, où on est capable de frapper, de tuer sans raison. Il est par conséquent difficile de retenir son souffle, d’autant plus qu’on s’empêche de respirer devant tant de noirceur, grâce à la minutie apportée à la psychologie des personnages principaux et secondaires.

Si on sait qu’Hervé Le Corre fait partie des meilleurs auteurs de romans noirs français, il confirme ici sa capacité à nous plonger dans une réalité d’une noirceur infinie grâce à sa plume capable de décrire l’horreur et de décrire poétiquement une ville en automne, où derrière les ombres se cachent les monstres. Comme je vous le disais, il vaut mieux avoir le moral avant d’attaquer ce livre fantastiquement noir, sans nuances, et ce n’est pas la fin qui va vous soulager. Malgré cela, le monde doit continuer à tourner …

Les Abattus de Noëlle Renaude

Editeur : Rivages

Premier roman remarqué en 2020, surtout chez mes copains blogueurs, il fallait que je me fasse mon avis sur ce livre au ton si singulier. Surprenant autant que passionnant, il vaut largement le détour.

De 1960 à 2018, le narrateur dont nous ne connaitrons pas le nom va raconter sa vie miséreuse entre son père alcoolique et violent et sa mère baissant la tête, harcelé et malmené par ses deux grands frères. Malgré une vie de pauvreux, car seul le père travaille, il va regarder et analyser son environnement pour avancer dans sa vie.

Un jour, le père part retrouver une plus jeune, une plus belle et la famille se retrouve encore plus dans grise. Il faudra quelque temps à la mère pour trouver un remplaçant, Max, qui fait la loi parce qu’il ramène de l’argent au foyer. Puis vient la naissance de la demi-sœur, Ola, et Max se retrouve ébloui devant la perle de ses jours.

La mère, elle, sombre dans un désespoir sans fond, minée par sa vie sans lumière et par les faits-divers du voisinage tels ces voisins retrouvés égorgés. Un jour, elle sort, comme absente, ailleurs, et trouve le courage, les dernières forces pour se jeter sous un train. La mort de la mère va être le premier bouleversement de sa vie.

A l’ouverture de ce roman, le langage parlé du narrateur, sans dialogues, fait d’expressions communes et populaires nous plonge dans le quotidien d’une famille sans le sou, dans une campagne anonyme. Sans en avoir l’air, l’auteure nous convie dans son monde de petites gens, vu par un témoin privilégié.

Le narrateur va trouver des comparaisons simples, presque poétiques pour décrire son environnement et montrer leur vie, comment les petits événements s’enchainent, comment les petits actes s’emboitent pour créer une petite vie. Une fois que l’on est entré dans cet univers, il est bien difficile à en ressortir.

Car le ton n’est pas désespérant, plutôt gris, et le narrateur, malgré toutes les morts qui vont s’amonceler, va avancer avec ce ton unique d’observateur détaché. Car on y trouve aussi une vraie intrigue, d’innombrables personnages formidablement décrits et nombre de mystères qui ne seront levés (pour certains) qu’au tout dernier chapitre.

Indéniablement, ce premier roman est plus qu’emballant, par son ton unique et sa façon originale d’aborder la vie des petites gens sans esbroufe. On est plongé dans cette vie, immergé dans ce quotidien faits de rencontres, réussies ou ratées. Cela donne une impression de véracité que l’on croise rarement.

Le chouchou de l’été 2020

Allez, finies les vacances ! Il va falloir retourner au boulot. Avant que les nouveautés ne débarquent, même si quelques unes sont déjà sorties, voici un petit récapitulatif des avis publiés cet été qui devrait vous permettre de trouver votre bonheur. Comme l’année dernière, j’ai classé les titres par ordre alphabétique de leur auteur et trouvé un adjectif pour qualifier chacun d’eux. A vous de choisir :

Regarder le Noir (Belfond) : Pépites noires à découvrir

Itinéraire d’un flic de Luis Alfredo (Ska) : L’intégrale d’un inspecteur au look mitterrandien

La compagnie des glaces 15-16 de GJ.Arnaud (French Pulp) : LA saga de SF

Indio de Cesare Battisti (Seuil) : Une autre vision de la découverte des Amériques

7 milliards de jurés de Frédéric Bertin-Didier (Lajouanie) : un brûlot intelligent

Holmes (1854/1891 ?) : Livre V – Le frère aîné de Luc Brunschwig et Cecil (Futuropolis) : Visuellement magnifique

Hit the road de Dobbs et Khaled et Josie de Rosa (Comix Buro) : Un hard-boiled violent

Le jour où Kennedy n’est pas mort de RJ.Ellory (Sonatine) : Uchronie kennedienne

Sauve-la de Sylvain Forge (Fayard) : un thriller à messages

La place du mort de Pascal Garnier (Points) : Une machination noire et implacable

Mauvaise graine de Nicolas Jaillet (Manufacture de livres) : les femmes enceintes sont les super-héroïnes de notre société

Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte de Thierry Jonquet (Points) : une vision cyniquement drôle de nos banlieues

L’affaire Silling de Stéphane Keller (Toucan) : Scandale à l’approche de l’élection de Mitterrand

La chronique de Clara : Dôme de Stephen King (Livre de poche) : Ma fille présente …

Marseille 73 de Dominique Manotti (Equinox) : Assassinats de maghrébins dans la cité phocéenne

Reflux de Franck Membribe (Horsain) : Refaire sa vie en oubliant son passé

Hier est un autre jour de Muriel Mourgue (Ex-Aequo éditions) : vision futuriste de notre société

Dans mon village, on mangeait des chats de Philippe Pelaez et Porcel (Grand Angle) : une vision des Institutions Spécialisées d’Education Surveillée

Terres brûlées d’Eric Todenne (Viviane Hamy) : Enquête policière avec de superbes personnages et une histoire forte

Le titre du chouchou de l’été 2019 revient donc à Trouver l’enfant de Rene Denfeld (Rivages Noir), pour son univers sombre, son personnage principal hors du commun, sa poésie, son ambiance de l’enfance et pour ce style et sa construction fantastiques

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous souhaite un bon courage pour la reprise et vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !