Archives pour la catégorie Littérature israélienne

Duel à Beyrouth de Mishka Ben-David

Editeur : Nouveau Monde

Traducteur : Eric Moreau

Une fois n’est pas coutume, nous allons nous pencher sur un roman d’espionnage, qui plus est situé à Beyrouth. J’en lis peu mais la référence à John Le Carré sur la quatrième de couverture a fini de me décider.

Gadi revient à Beyrouth, au cœur de Dahieh Janoubyé, dans le fief du Hezbollah. Cela fait déjà un an qu’en tant que chef d’unité, il était venu repérer Abou Khaled, en vue d’une opération d’élimination. Abou Khaled avait commandité un nouvel attentat sanglant et la décision a été prise de l’éliminer. Accompagné de son équipe, Gadi avait chargé Ronen de réaliser cette tâche. Tout était prévu, du transport jusqu’à l’assassinat en passant par l’extraction. Sauf qu’au moment de tirer, Ronen n’avait pas pressé la détente et deux hommes ont été blessés lors de la fusillade qui a suivi.

Il aura donc fallu une année pour que la commission d’enquête donne ses conclusions. Gadi s’en sort, non s’en être désigné responsable et Ronen est écarté de toute mission opérationnelle. Ce dernier ressent une bouffée d’amertume, en même temps qu’une forte injustice. Dans le groupe, tous pensent Ronen coupable. Malgré le fait qu’il reconnaisse Gadi comme son mentor, contre l’avis de sa femme Naamah, l’ancienne petite amie de gadi, Ronen décide de retourner à Beyrouth réaliser sa mission envers et contre tous. Gadi se sentant responsable, va suivre ses traces pour l’empêcher de faire une nouvelle erreur.

Ce roman ne cache pas sa volonté de construire un roman d’espionnage costaud. L’auteur, ancien du Mossad, met beaucoup d’application, à la fois dans la réalisation d’une mission mais aussi dans la hiérarchie et les arcanes de décision. Il met un soin tout particulier pour décrire à la fois les réactions des personnages mais aussi leur motivation, en insistant sur l’extrême méticulosité dans la préparation, l’interdiction de toute improvisation, et le respect et l’obéissance qui y règne.

Plus on monte dans la hiérarchie, plus les décisions se font au plus haut sommet de l’état, et personne ne doit aller contre la voix suprême. On y voit aussi les communications faites officiellement à la presse et aux journalistes, des versions édulcorées de la réalité. Tout ceci donne un ton de vérité, de réalité dans cette intrigue dont le suspense va surtout résider dans la réussite de Gadi à arrêter Ronen.

Enfin, on y trouve une belle relation, presque filiale, entre les deux hommes. Qui va l’emporter entre la mentor Gadi et ce qu’il faut bien considérer comme un fils naturel ? On aura droit à plusieurs rencontres, mâtinées de suspense avec des scènes d’action fort réussies pour aboutir à une conclusion que j’ai trouvée sans surprise. Pour toute cette application que l’auteur a mise dans ses descriptions et sa construction des personnages, Mishka Ben-David ravira les fans de John Le Carré dont il ne cache pas sa filiation.

Une disparition inquiétante de Dror Mishani

Editeur : Seuil (Grand Format) ; Points (Format Poche)

Traducteur : Laurence Sendrowicz

Je dois rendre un hommage appuyé à mon ami Jean le Belge qui a écrit un superbe avis sur son blog, et qui a insisté pour que je lise ce roman. Et je suis d’accord avec lui, tout tient dans l’originalité de l’approche d’un roman policier. C’est aussi le premier polar israélien que je lis, et je dois dire que Dror Mishani a une façon très didactique de nous présenter son pays. Il le confirme d’ailleurs dans une interview qu’il a donnée au Nouvel Obs.

A Holon, petite banlieue de Tel-Aviv, on ne connait pas de délinquance. Tout se déroule en toute tranquillité. C’est pour cela qu’Avraham Avraham, commandant de police s’ennuie dans son bureau. Pour un passionné comme lui de romans policiers étrangers, d’un esprit redoutablement logique et d’un aspect débonnaire, la vie est très frustrante. Alors, quand débarque dans son bureau Hannah Sharabi, pour lui annoncer la disparition de son fils Ofer, sa réaction ne peut être que tranchée : Pourquoi on n’écrit pas de romans policiers chez nous ?

« Parce que chez nous on ne commet pas de tels crimes. Chez nous, il n’y a pas de tueurs en série, pas d’enlèvements et quasiment pas de violeurs qui agressent les femmes dans la rue. Chez nous, Si quelqu’un est assassiné, c’est en général le fait du voisin, de l’oncle ou du grand-père, pas besoin d’une enquête compliquée pour découvrir le coupable et dissiper le mystère. Oui chez nous il n’y a pas de vraies énigmes et la solution est toujours très simple. »

Il lui conseille donc de laisser passer quelques jours, car il est sur que son adolescent de fils a fait une fugue et qu’il réapparaitra rapidement. Mais le lendemain et le surlendemain, Ofer est toujours absent. Avraham Avraham est bien obligé d’ouvrir une enquête pour Disparition inquiétante et rend visite à la famille Sharabi, dont le père est en voyage pour son travail. Il apprend que Hannah élève sa fille, atteinte d’une légère déficience mentale. Dans l’escalier de l’immeuble, il croise Zeev Avni, un professeur d’Anglais qui a donné des cours particuliers à Ofer et qui a des choses à lui dire.

Ce roman policier est remarquable en tous points. Et pour le premier roman mettant en scène un personnage récurrent, je dois dire que je suis ébahi par la maîtrise de son auteur. Il faut dire que Dror Mishani est universitaire israélien spécialisé dans l’histoire du roman policier, critique littéraire et éditeur de polars. Ce roman s’adresse donc à tous les fans de romans policiers et est une réflexion intéressante sur les notions de culpabilité et d’innocence et sur les doutes d’un enquêteur.

En effet, ce roman se veut la pierre fondatrice de la psychologie de Avraham Avraham, car c’est une enquête qui va le marquer toute sa vie. Le commandant est quelqu’un de débonnaire, calme et timide, ce qui est un comble pour un enquêteur. Il rappelle en cela ses illustres prédécesseurs d’Hercule Poirot à Maigret, en passant par Erlendur. C’est aussi quelqu’un qui est très respectueux d’autrui, et qui est très renfermé dans ses réflexions, très introverti, jusqu’à ce qu’il ait suffisamment de convictions pour porter ses accusations.

L’enquête policière est donc classique, l’auteur parsemant des indices que seul Avraham Avraham arrivera à assembler pour avoir un tableau final satisfaisant. Dans sa démarche de considérer tout le monde innocent (à l’inverse de ses illustres prédécesseurs), il est donc constamment proie au doute. Il faut donc s’attendre à un rythme lent, donnant une large part à la psychologie et à la déduction.

Avec tous ces arguments, vous allez en conclure que c’est un roman policier classique, parmi les centaines qui sortent chaque année. Que nenni ! La fin du roman est remarquable et illustre toute l’intelligence de cette intrigue, redoutablement retorse. Alors qu’Avraham Avraham a trouvé le coupable, une de ses collègues lui propose une autre alternative, laissant entendre qu’il pourrait avoir tort. Et c’est là où le roman atteint des sommets en termes de réflexion sur le roman policier en général et sur la psychologie du commandant d’autre part. Une disparition inquiétante est définitivement un roman à ne pas rater.