Tous les articles par Pierre FAVEROLLE

Le chouchou du mois de mai 2023

Avec tous ses ponts, le mois de mai 2023 est propice à se plonger dans des lectures et rien de mieux que des polars pour se divertir ! J’avais annoncé que cette année 2023 se déroulerait sous le signe de découvertes de nouveaux auteurs, ou du moins des auteurs que je ne connais pas. Parmi les billets publiés ce mois-ci, il faut en dénombrer trois, et pas des moindres :

J’étais passé à côté de son précédent roman, Les Routes Oubliées, La colère de S.A.Cosby (Sonatine) fait donc office de session de rattrapage. Ce roman d’action ferait un excellent scénario de film, tant l’auteur arrive à ménager un excellent équilibre entre humour, psychologie des personnages, dénonciation des extrémistes, rédemption vengeresse, émotions et des scènes visuelles et cinématographiques impressionnantes.

Sarek de Ulf Kvensler (La Martininère) possède une intrigue proche de « A qui la faute » de Ragnar Jonasson (un groupe d’amis se lance dans une excursion et sont confrontés à une tempête de neige), et on se laisse prendre à cette histoire qui fait la large part à la subjectivité du témoignage d’une des victimes tout en faisant monter le suspense de façon totalement bluffante. Un premier roman prometteur.

Le sang de nos ennemis de Gérard Lecas (Rivages) nous plonge en pleine période d’indépendance de l’Algérie à Marseille. L’auteur nous propose de suivre un fil narratif de polar et parvient à nous présenter cette période explosive dans un roman instructif et passionnant à ne pas rater.

Dans le cadre des Oldies, Serge Breton (via l’Association 813) avait attiré mon attention sur les enquêtes de Burke. J’ai donc lu et dévoré la première de cette série intitulé Flood d’Andrew Vachss (Livre de Poche). En tant que premier roman d’une série, ce roman est juste remarquable. La difficulté de cet exercice est à la fois de présenter le personnage central et son entourage, et de présenter une intrigue passionnante. Ce premier tome est tellement passionnant que j’ai déjà acheté le deuxième … A suivre …

L’Halali de Nicolas Lebel (Editions du Masque) est le troisième tome mettant en scène Yvonne Chen, inspecteur de police virée et qui cherche à venger la mort de son partenaire. Pour ce faire, elle poursuit un groupuscule criminel, les Furies. A nouveau, je me retrouve ébahi par la science du scénario devant cette histoire construite comme un tournoi médiéval. Un excellent divertissement.

De même que Leur âme au diable, où il pointait du doigt l’industrie du tabac, Marin Ledun s’attaque au commerce de la bière au Nigeria dans Free Queens de Marin Ledun (Gallimard – Série Noire). Le talent de cet auteur n’est plus à démontrer, la documentation est fouillée, les personnages nombreux et complexes et l’intrigue prenante du début à la fin.

On attendait beaucoup de Le silence de Dennis Lehane (Gallmeister), annoncé comme le dernier roman du créateur d’Un pays à l’aube, Shutter Island ou Mystic River et on est comblé par cette fresque du Boston des années 70, et par ce formidable personnage de mère à la recherche de sa fille, qui se termine par une scène finale mythique.

Shit ! De Jacky Schwartzmann (Seuil – Cadre Noir) nous raconte l’histoire d’un CPE qui prend la tête d’un trafic de drogue par hasard pour en faire profiter les gens de son quartier dans une cité de Besançon. Une nouvelle fois l’humour de Jacky Schwartzmann fait mouche dans ce roman remarquablement intelligent.

La lisière de Niko Tackian (Calmann-Lévy) démontre le talent de conteur de cet auteur à travers cette histoire qui démarre comme une disparition d’un mari et de son fils et qui est construit comme un puzzle particulièrement retors.

Tous les ans, mon plaisir est retrouvé lors de la lecture des romans de Valerio Varesi. Cela ressemble à des rencontres entre deux amis qui dissertent sur la vie et la société. Avec Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri de Valerio Varesi (Agullo), l’auteur nous parle politique et de l’héritage laissé à nos enfants. Une nouvelle fois, c’est un roman prenant, intelligent et magnifique. Je pourrais lui donner des coups de cœur, des titres de chouchou mais ce serait trop facile !

Le titre du chouchou du mois revient donc à Six versions, tome 1 : Les orphelins du Mont Scarclaw de Matt Wesolowski (Les Arènes – Equinox) par l’originalité de sa construction mais aussi par sa façon de détailler la psychologie des personnages interrogés pour arriver à l’explication finale de ce drame qui est survenu dans ce camp de jeunes.

J’espère que ces avis auront été utiles dans vos choix de lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez-vous, protégez les autres et lisez !

Publicité

Ce n’est qu’un début, Commissaire Soneri de Valerio Varesi

Editeur : Agullo

Traducteur : Florence Rigollet

Chaque année, je retrouve le Commissaire Soneri comme on rencontre un vieil ami. Lors de cette rencontre, nous devisons sur divers sujets qui bien évidemment dévient sur des sujets contemporains. Avec son air désabusé, il fait montre d’une lucidité remarquable et nous parle ici d’héritage.

Soneri regarde la pluie tomber sur Parme quand Juvara, son adjoint vient lui annoncer la découverte d’un corps. L’homme, retrouvé pendu avec une ceinture, a réussi à sectionner les barbelés enfermant le chantier et pénétrer dans ce lieu peu fréquenté avant de se donner la mort, qui remonte au moins à douze heures. Le problème qui se pose à Soneri est de découvrir son identité puisqu’aucun papier n’a été trouvé.

« Les suicidés sont beaucoup plus clairvoyants qu’on le croit. »

En sortant, Soneri voit une dépanneuse manœuvrer pour emmener une Vespa Primavera 125. Le petit scooter a été trouvé près d’un camp de Roms. Dans la valise du mort, Juvara y trouve des habits de marque. Alors qu’il déjeune avec son ami Nanetti, le téléphone vient les déranger : un homme vient d’être assassiné devant chez lui de 23 coups de couteau, pendant que sa compagne prenait sa douche.

« Les hommes vieillissent mieux que les motos. »

Franca Pezzani les reçoit en état de choc. Elle a entendu l’interphone de la porte, puis plus rien. Quand elle s’est inquiétée, elle est allée voir et a trouvé son mari mort, poignardé. Quand elle donne son nom, Guglielmo Boselli, Soneri se rappelle son surnom, Elmo, l’un des leaders du Mouvement Etudiant de 1968. Pourtant, pour lui, Elmo s’était rangé des affaires politiques. Bizarrement, la Vespa s’avère appartenir à Elmo ; la déclaration de vol date de 34 ans !

« Malheureusement, on a tendance à embellir tous nos souvenirs. La mémoire les arrange. »

Dans chaque roman, Valerio Varesi nous parle d’un aspect de la société avec un recul et une lucidité impressionnante, et propose sa vision avec plusieurs années d’avance. Il faut se rappeler que la série a commencé a être publiée en 2003 et montre des aspects dont on retrouve les conséquences aujourd’hui. Si on répertorie les romans sortis en France par rapport aux dates de publication italienne, on trouve :

Le Fleuve des brumes (2003) : Métaphore entre le Pô et l’état de l’Italie

La pension de Via Saffi (2004) : Regrets vis-à-vis de ses propres erreurs passées

Les ombres de Montelupo (2005) : Les erreurs sur le mauvais jugement de son père

Les mains vides (2006) : Le Nouveau Monde a choisi une idole unique : l’argent

Or, encens et poussière (2007) : La fracture entre les pauvres et les riches

La Maison du Commandant (2008) : Le rejet des étrangers et leur statut de boucs émissaires

La Main de Dieu (2009) : La place de la religion dans la société moderne

« le problème n’est pas tant la mort des autres, mais la part de nous-mêmes qui meurt avec eux. »

Ce roman est sorti en 2010 et aborde le sujet des révoltes communistes des années 60 et de l’héritage à la fois sur la société mais aussi, d’une façon plus intime, sur les conséquences des enfants des leaders. On y trouve une réflexion d’un des personnages interrogés qui dit, (je paraphrase car je n’ai pas retrouvé le passage exact) : Les communistes ont créé le bordel, et les gens veulent des règles, de l’ordre. Il n’est pas étonnant que le peuple se tourne vers l’extrême-droite qui leur promet de la discipline.

« Tout est bon à prendre, surtout quand on n’a rien. »

Quand on voit la situation actuelle de l’Italie, on mesure l’aspect visionnaire de Valerio Varesi. Avec son air débonnaire, son art de l’interrogatoire, où il laisse parler les gens mais sait les provoquer au bon moment, Soneri va réussir à démêler cette pelote de laine bien complexe en nous parlant de nous, en nous mettant en garde. Et après avoir tourné la dernière page, je me suis senti plus serein après ma discussion avec mon ami Soneri. On se donne rendez-vous l’année prochaine, bien entendu ! 

«  – Qu’avons-nous à voir avec la politique et tout ce qui s’ensuit ? se récria Coriani
– Rien, rien …, répéta Soneri, déçu et rempli d’amertume. Nous, on est seulement là pour ramasser les morceaux. »

Free Queens de Marin Ledun

Editeur : Gallimard – Série Noire

Après avoir disséqué l’industrie du tabac dans l’excellent Leur âme au diable, Marin Ledun s’attaque à celle de la fabrication et de la vente de la bière, en se basant sur le scandale Heineken au Nigéria.

Jasmine Dooyun se fait arrêter à la Porte de Pantin à Paris pour prostitution. Etant mineure, elle risque de se faire expulser dans son pays, le Nigeria. Serena Monnier, journaliste au Monde, parvient à obtenir un entretien avec elle et apprend comment on lui a vendu du rêve, avant de la violenter pour qu’elle fasse le trottoir. Mais Jasmine veut continuer à se battre. Serena décide de poursuivre son enquête au Nigeria et est accueillie par une association féministe, les Free Queens.

Oni Goje occupe un poste de policier chargé de la circulation. Bien qu’il accepte des pots de vin, comme la plupart de ses collègues, il garde en lui une volonté d’intégrité et de justice. Il s’approche d’un attroupement géré par un cordon de policiers. En s’approchant, il découvre le corps de deux jeunes femmes assassinées que l’on a dévêtues. Il est persuadé que la police criminelle ne va rien faire et considérer que ce ne sont que des prostituées. Il décide de mener l’enquête.

Master Brewers, la multinationale qui fabrique de la bière, vient de mettre sur le marché la First. Pour son développement, elle a embauché Peter Dirksen qui va rapidement mettre en place un plan marketing. Les bières devront être présentées par des jeunes femmes peu vêtues, que ce soit dans les bars miteux ou luxueux. La stratégie est claire, « le sexe, le fric et une First » et le slogan devra faire mouche auprès de la population : la First permet d’augmenter les performances sexuelles. Peter Dirksen va donc construire un vaste réseau de prostitution en même temps qu’une campagne de corruption à tous niveaux.

Dans quasiment tous ses livres, Marin Ledun donne à ses œuvres une tonalité sociale qui ne peut qu’attirer l’œil. Son précédent roman sur l’industrie du tabac d’ailleurs a eu un fort écho et celui-ci devrait en avoir tout autant. Il revient sur un scandale qui a éclaboussé Heineken à tel point qu’ils ont dû justifier leur rôle dans le massacre des Tutsis au Rwanda, fait dont l’auteur ne parle pas ici.

Il préfère se concentrer sur le Nigéria et la façon dont les dirigeants hollandais ont décidé de déployer leur commerce en laissant les mains libres à un homme qui a vite compris que la loi et la morale devait être mise de coté. Bien que je n’aie pas été au courant de cette affaire en lisant le livre, les articles que j’ai lus depuis m’ont effaré. Car Peter Dirksen a vite choisi son camp pour remplir ses objectifs.

Marin Ledun choisit plusieurs points de vue, plusieurs personnages et le paysage qui en ressort fait froid dans le dos. Il faut se rappeler que tout se passe de nos jours, que l’on permet par l’intermédiaire de pots-de-vin d’exercer des commerces de prostitution pour améliorer les ventes de bière. Marin Ledun démontre très bien l’implication de la police, et on pouvait s’y attendre, mais aussi les hommes politiques jusqu’au plus haut niveau de l’état en passant par de grandes entreprises continentales comme Total mais aussi le PSG.

Contrairement à Leur âme au diable, Marin Ledun préfère dérouler un aspect narratif proche du polar, avec comme fil rouge la résolution du meurtre des deux jeunes filles, et s’attarde moins sur les aspects marketing. Et c’est probablement parce que cette affaire nous touche de moins près que le tabac et les cigarettes que des millions de personnes fument tous les jours.

Il n’empêche que devant toutes les horreurs décrites, ce que l’on pourrait trouver « normal, parce que ça se passe en Afrique » nous touche en plein cœur quand on a ne serait-ce qu’une once d’humanité dans le sang. Les combats des ONG pour le respect des droits des femmes ressemblent à la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Alors, que faire ? En parler, c’est ce que fait de grande façon cet excellent polar riche et documenté.

La colère de S.A.Cosby

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Szczeciner

J’étais passé à côté de son précédent roman, Les routes oubliées, donc cette lecture ressemble à une session de rattrapage et pour le coup, ce fut une sacrée découverte, entre roman d’action et dénonciation de l’homophobie.

Le roman repose sur deux personnages que tout oppose, Ike Randolf étant noir et Buddy Lee Jenkins étant blanc. Les deux ont connu la prison, et Ike est à la tête d’une entreprise de jardinage et Buddy Lee survit de petits boulots dans une caravane. Isiah, le fils d’Ike et Derek, le fils de Buddy Lee étaient mariés et viennent d’être abattus dans la rue. Ike et Buddy Lee se rencontrent lors de l’enterrement du couple.

Pour les deux hommes, la vie en couple de leurs fils n’est pas normal et ils avaient coupé tous les ponts avec eux. Maintenant qu’il est trop tard, les deux pères ont tout leur temps de ruminer leurs regrets. Si Ike et Mia sa femme s’occupent de l’éducation de leur petite fille Ariana, Buddy Lee veut réparer les erreurs qu’il a faites par le passé, surtout que l’enquête de police n’avance pas d’un poil.

Ike et Buddy Lee vont donc aller voir la police puis les anciens collègues de travail de leurs fils, mais cela ne les avance pas plus. Et puis, Ike doit faire tourner sa petite entreprise et ne veut pas se lancer dans une croisade meurtrière. Quelques jours plus tard, la pierre tombale est cassée et profanée. Pour Buddy Lee, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et il va décider Ike de se lancer à la poursuite des coupables.

Je plussoie tous les avis positifs publiés sur le Net chez les collègues blogueurs ou dans la presse. Avec une structure de roman d’action, l’auteur nous montre l’état de l’Amérique d’aujourd’hui, en implantant son intrigue dans le Sud des Etats-Unis, et plus particulièrement en Virginie Occidentale. De façon totalement assumée et fine, il montre le racisme mais aussi l’homophobie presque comme une base de la société américaine.

Cela passe par la rupture entre les deux pères avec leurs fils, qui n’ont pas accepté ni leur vie commune ni leur mariage, et cela continue avec certaines remarques de Buddy Lee, de mauvaises blagues qui ont l’art d’irriter Ike et qui montrent combien le racisme est implanté en chacun de nous. Et la démonstration se conclura vers la clôture du roman comme une généralisation.

Le roman est basé sur deux personnages vieillissants qui veulent redorer leur blason, et se trouver un objectif de rédemption devant leurs erreurs passées, en laissant libre cours à leur colère. S’ils ne nous paraissent pas agréables de prime abord, je dois dire qu’on finit par les suivre avec beaucoup de plaisir, autant pour leur humour que leur gout du jusqu’au boutisme désespéré, dans des scènes alternant entre sentiments et action pure.

Car S.A.Cosby arrive à trouver le bon équilibre entre humour, psychologie des personnages, dénonciation des extrémistes, rédemption vengeresse, émotions et des scènes visuelles et cinématographiques impressionnantes qui en font à la fois une excellente lecture et un très bon terreau pour un futur film. D’ailleurs, pour retrouver le plaisir que j’ai eu à le lire, j’ai déjà acheté Les routes oubliées qui vient de sortir au format poche chez Pocket.

Sarek d’Ulf Kvensler

Editeur : La Martinière

Traducteur : Rémi Cassaigne

Franchement, un premier roman qui est récompensé par le Prix du meilleur premier roman policier de l’Académie suédoise, et qui fait partie des sélections pour le Prix du meilleur roman suédois de l’année et du Prix suédois Crimetime, ça me fait forcément saliver. Pas vous ?

15 septembre 2019. Une jeune femme en état d’hypothermie est récupérée par un hélicoptère ambulance près de la baie d’Aktse. A peine consciente, elle dit s’appeler Anna. Le lendemain, débute l’interrogatoire d’Anna Samuelson à l’hôpital de Gällivare par l’inspecteur Anders Suhonen.

Anna Samuelson se présente comme une juriste de Stockholm. Fiancée avec Henrik Ljungman, elle indique avoir fait une excursion avec lui, accompagnée par son amie Milena Tankovic et son petit ami Jacob Tessin. Henrik est plus âgé qu’Anna et a été son professeur à l’université. Ils avaient prévu de faire cette excursion dans le parc sauvage du Sarek et ont proposé à Milena de les accompagner. Milena vivait avec Jacob depuis une année et elle leur a proposé de venir avec lui.

Anna se rappelle quand Milena lui a parlé de Jacob, peu avant de partir. Il travaille en tant que consultant chez BCG. Anna ne peut s’empêcher de se renseigner mais personne chez BCG ne connait un homme de ce nom là.

Au moment du départ, Anna croit reconnaitre en Jacob un homme dont elle a suivi le procès en tant que greffière au tribunal de Nacka. Si elle se souvient bien, à l’époque, le dénommé Jacob était poursuivi pour violences domestiques.

Maintenant se pose à elle la seule question vitale : Doit-elle continuer cette excursion avec Henrik ou doivent-ils faire demi-tour ?

Sur une trame proche de A qui la faute de Ragnar Jonasson que j’ai lu récemment, j’ai forcément comparer les deux romans, ce qui n’est peut-être pas une bonne idée.

Le roman de Ragnar Jonasson est un roman choral faisant la part belle à la psychologie de ses personnages. Sarek se présente plutôt comme un roman conté par Anna, alternant les interrogatoires de la police avec sa propre narration.

Le roman de Ragnar Jonasson se passe en un lieu unique, une cabane harcelée par la tempête de glace alors qu’ici nous suivons l’épopée dans un paysage glacé et montagneux, exigent en termes d’efforts.

Mais dans les deux cas, les deux auteurs jouent la carte de la subjectivité et savent ménager le suspense jusqu’à la fin. Dans A qui la faute, la vérité sera à chercher dans le passé des protagonistes ; ici, il sera plus question de tension qui va monter au fur et à mesure de l’histoire.

Enfin, Ragnar Jonasson a voulu un roman court et bref alors que Ulf Kvensler propose de belles descriptions et les sentiments d’Anna, au risque d’être parfois bavard. Dans les deux cas, les deux romans nous proposent un très bon suspense, avec des mailles dans lesquelles on aime se laisser prendre. Et retenez bien ce nom, Ulf Kvensler, car son roman est prometteur pour la suite.

And the winner is …

Pour fêter les 14 ans du blog, je vous proposais de gagner le magnifique roman de Pierre Chavagné, La Femme Paradis aux éditions Le Mot et le Reste :

Quatrième de couverture :

Coupée de la civilisation depuis plusieurs années, une femme sans passé survit au cœur de la forêt. Elle a apprivoisé les règles du monde sauvage pour mener une vie faite de pêche, de maraîchage et de méditation, où le sang n’est jamais versé en vain.

Son existence spartiate et harmonieuse est bouleversée lorsqu’un coup de feu claque sur le causse. Cette détonation précipitera une série d’événements implacables questionnant les forces qui l’ont amenée à choisir l’exil, la place qu’elle occupe dans le monde des hommes, et la trace qu’elle souhaite y laisser.

Se jouant habilement de la mince frontière qui sépare le désir de la raison, ce texte vif et cinglant ébranle nos certitudes. Que sauver quand tout s’effondre ?

La question était : Un des romans de Pierre Chavagné porte le même titre qu’un film de Ridley Scott. Quel en est le titre ?

La réponse est : Les duellistes

Le nom de gagnant est : Alain

Félicitations !

Je n’ai plus qu’à ajouter : Merci à tous, à bientôt et plus que jamais, n’oubliez pas le principal : protégez-vous, protégez les autres et lisez !

La lisière de Niko Tackian

Editeur : Calmann-Lévy

Parmi les lectures que je note dès le début d’année, on y trouve le dernier roman de Niko Tackian, puisque l’on a la chance d’avoir droit à un nouvel opus tous les ans. Et pour le coup, celui-ci est un sacré puzzle !

Vivian Legoff se rend chez sa belle-mère en compagnie de son mari Hadrien et de son fils Tom. Rien ne devrait survenir jusqu’à ce qu’un choc secoue la voiture, en plein milieu d’un brouillard breton, dans les monts d’Arrée. Il s’agit sûrement d’un chien errant, mais Hadrien tient absolument à s’arrêter pour voir les dégâts. Et comme Tom a envie de faire pipi, cet arrêt tombe bien.

Au bout de quelques minutes, Vivian, restée seule dans la voiture, n’entend plus rien. Elle sort, appelle son mari et son fils, en vain. Quand elle contourne la voiture, elle aperçoit l’ombre d’un homme armé d’une hache et elle s’enfuit effrayée. A un croisement, à bout de nerfs, elle est recueillie par un chauffeur routier qui la conduit à la gendarmerie, en état de choc. La lieutenante Maëlys Mons recueille son témoignage et envoie immédiatement une équipe sur place. Mais les gendarmes ne retrouvent pas de trace de la voiture. Vivian a-t-elle inventée ce cauchemar ?

Ron habite dans une petite cabane, où il vivote avec le peu d’argent qu’il arrive à récupérer. Il sort un petit sachet de drogue de sa poche et sait que c’est son dernier. Tant pis ! il s’envoie la ligne tant désirée avant d’entendre un bruit. Quand il sort, il voit Vulcain, son chien, venir près de lui tout penaud. En passant ses mains sur son pelage, Ron s’aperçoit que son chien est plein de sang.

Ce roman commence comme un roman psychologique, avec Vivian qui a subi un traumatisme et cherche des explications à ce qu’elle ne peut comprendre … et nous non plus d’ailleurs. Et puis, on ne comprend pas non plus ce que Ron vient faire dans cette histoire. Jusqu’à ce que Vivian parte à la recherche de sa famille en parallèle de la gendarmerie.

Et là, attention ! D’un début mystérieux on entre comme dans une partie de puzzle, où on se retrouve avec des pièces qui ne coïncident pas avec le reste du décor. Mais on retrouve suffisamment de nouvelles pièces pour avoir envie de comprendre le fin mot de l’histoire. Vivian ne devient plus le centre de l’histoire, d’autres personnages font leur entrée et tout cela aboutit à une histoire extraordinaire à la construction diabolique.

Niko Tackian, en grand maître d’œuvre de scénarii complexe nous dévoile petit à petit son histoire avec un art totalement bluffant. Il a minutieusement bâti tous les fils de son intrigue, a tranquillement posé des jalons pour nous faire voir à la toute fin une vue d’ensemble, en évitant des scènes sanglantes. Avec ce roman-là, Niko Tackian déploie tout son génie de faiseur d’histoire pour notre plus grand plaisir.

L’Hallali de Nicolas Lebel

Editeur : Editions du Masque

L’Hallali est le troisième tome des enquêtes d’Yvonne Chen après Le Gibier et La Capture, et est affublé d’un sous-titre : « A jouer double, on perd de vue sa cible ». Evidemment, si vous n’avez pas lu les deux premiers tomes, vous pouvez passer les trois prochains paragraphes qui vont spolier un peu les deux intrigues précédentes.

Depuis qu’Yvonne Chen a perdu son équipier Paul Starski, assassiné par un groupe de tueurs nommés Les Furies, elle voue sa vie à les pourchasser pour se venger. Elle a raté l’occasion dans une aventure en Bretagne et a depuis été radiée de la police. Elle patiente devant sa télévision qu’une nouvelle occasion se présente. Quand Alecto, le stratège des Furies la contacte, elle va accepter cette nouvelle mission sous forme d’infiltration.

Alecto conçoit ses missions comme des danses. Celle-ci se déroulera dans le château de Lieselshertz dans les Vosges, où l’on y concocte le Vin des Glaces, un nectar valant des fortunes. L’objectif de la mission sera d’obliger les barons Ulbricht et Herman Mayer à vendre le château pour combler les dettes d’Herman, jet-setter dépensier. Mais cela devra se dérouler sans aucune effusion de sang.

Alecto convoite les talents d’Yvonne et la convie à les rejoindre, lui, Megara et Tisiphone, mais elle ne connaitra pas le scénario et devra improviser. Tisiphone est déjà sur place, Megara et Yvonne joueront le rôle de négociants de vins. En mettant la pression sur Ulbricht, ils devront lui arracher l’achat du château pour une bouchée de pain … ou une gorgée de vin. Mais rien ne va se passer comme on pourrait le croire.

Une nouvelle fois, Nicolas Lebel va nous surprendre, et le mot est faible, dans cette intrigue retorse au possible, où il est question de double jeu, d’agent double, triple voire quadruple. Si la première partie du roman se déroule de façon plutôt classique, on se retrouve totalement retourné quand Nicolas Lebel nous sort une carte de son jeu que l’on n’attendait pas !

Je ne vais pas faire la liste des qualités de Nicolas Lebel : elle serait trop longue. Le roman est remarquablement bien écrit, les dialogues superbes et le scénario retors au possible. On finit par ne plus savoir qui est la proie, qui est le chasseur et surtout si tout ce petit monde maitrise son scénario entre les Furies et la Police. Une nouvelle fois, on ressent tout le plaisir que l’auteur prend à construire ses intrigues et à nous les partager.

Enfin, il est à noter que si le précédent roman était construit comme une partie d’échecs, celui-ci suit la trame d’un tournoi médiéval, de la présentation des participants au combat jusqu’à sa conclusion. On prend un plaisir fou à essayer de deviner la fin mais cela devient tellement impossible tant l’esprit de Monsieur Nicolas Lebel est tordu. Je note juste un petit regret, c’est d’avoir perdu en humour ce qu’on a gagné en construction de scénario.

Le silence de Dennis Lehane

Editeur : Gallmeister

Traducteur : François Happe

Chaque nouveau roman représente un événement, tant il nous a procuré des sensations inoubliables. Il suffit de se rappeler les enquêtes de Gennaro et McKenzie (Gone, baby gone), Mystic River, Shutter Island ou Un pays à l’aube. Même si ses derniers romans marquaient le pas, on ne peut que se jeter sur ce Silence, dans lequel il revient à un très bon niveau.

1974, Boston. Afin d’améliorer le mélange racial, un juge fédéral modifie la répartition des élèves dans les écoles, collèges et lycées. Des jeunes des quartiers blancs poursuivront leur éducation dans des lycées noirs et inversement, ce qui va nécessiter la mise en place de bus pour les transporter dans des écoles situées potentiellement loin de leur maison. D’un côté comme de l’autre, le mécontentement est grand et cela va aboutir à de violentes manifestations.

Mary Pat Fennessy travaille dans une fabrique de chaussures et habite South Boston, dans la cité Commonwealth, le quartier irlandais. Son mari est parti vivre avec une autre femme plus jeune et son fils est mort d’une overdose, à peine revenu du Vietnam. Il ne lui reste que Julie que tout le monde surnomme Jules. Son travail l’oblige à laisser beaucoup d’autonomie à sa fille, alors que l’effervescence monte dans la ville de Boston à l’approche de la rentrée scolaire et du busing (transport par bus des élèves) imposé.

Quand elle se réveille ce matin-là, Mary Pat trouve la chambre de Jules vide. Le lit n’a même pas été défait. Aux informations, on annonce qu’un jeune noir a été assassiné dans une gare toute proche. Elle va donc voir son petit ami Ronald « Rum »Collins qui lui annonce qu’ils étaient au bord du lac et qu’ils se sont quittés aux environs de minuit. Jules serait donc rentrée seule à pied. Mary Pat va donc voir la police puis le chef de la mafia irlandaise locale. Comme elle n’obtient pas de réponse satisfaisante, elle va mener sa croisade seule.

Ce roman de Dennis Lehane, le dernier a priori puisqu’il a annoncé vouloir se consacrer à sa famille, repose sur trois piliers : Mary Pat tout d’abord, femme forte que rien ne peut arrêter dès lors que l’on touche à la chair de sa chair, Le flic Bobby Coyne et Boston. Et c’est bien Mary Pat qui occupe l’essentiel de la scène tant sa présence illumine ce roman par sa présence et sa volonté. A côté, Bobby m’a paru bien pâle et trop propre sur lui. Je me suis même demandé l’intérêt de l’avoir inséré dans son histoire en parallèle tant l’intrigue se tient parfaitement sans lui. Enfin, Boston, sa vie, ses bruits, ses gens servent de décor de fond, et on sent tout le talent de Dennis Lehane pour nous plonger dans cette époque.

Car malgré mes quelques réserves indiquées ci-dessus, on ne peut que se passionner pour cette période, cet événement que l’auteur a vécu quand il avait neuf ans, et on reste une nouvelle fois abasourdi par son art des dialogues, qui sont juste fantastiques. Il nous fait vivre les quartiers ouvriers, les mécontentements mais surtout la vie quotidienne et la dureté de la vie des employés.

Dennis Lehane aborde aussi clairement les lois arbitraires et unilatérales, qui sous couvert de mixité raciale, ne font qu’exacerber la haine. Sa démonstration du racisme sous-jacent, que j’appellerai « tranquille », est éloquente : Tant que chacun vit dans son coin, tout va bien ; les blancs dans leur quartier, les noirs dans le leur. Dennis Lehane sait aussi montrer la dérive, les panneaux demandant le retour des noirs en Afrique ! Les gens se révoltent aussi contre des règles qu’on leur impose alors que les dirigeants, eux, enverront leurs enfants dans des écoles privées presque réservées aux blancs. Sans se montrer partisan, il montre de façon éloquente les différentes scissions de ce pays.

Enfin, Dennis Lehane nous décrit ce monde dans lequel on peut y voir des échos bien contemporains. La police fait ce qu’elle peut, doit gérer la population mais aussi la mafia irlandaise qui bénéficie de la confiance des gens. Les manifestations se révèlent calmes et pacifiques contrairement à ce que l’on a pu voir dans Un pays à l’aube par exemple, on n’y trouve pas le bruit et la fureur mais une protestation ferme. Et au milieu de tout cela, on voit Mary Pat essayant de creuser son chemin, de trouver sa fille envers et contre tous, seule contre tous. Et tout cela se terminera par une scène finale mythique, ce qui donnera à ce roman une fin digne des très bonnes fresques américaines.

Le sang de nos ennemis de Gérard Lecas

Editeur : Rivages

On a peu l’habitude de voir Gérard Lecas sur les étals des libraires, et j’avais découvert sa plume avec Deux balles, un court roman au style coup de poing paru chez Jigal. Changement de temps, changement de décor, nous voilà transportés à Marseille en 1962.

Juillet 1962. Alors que l’Algérie vient d’accéder à son indépendance, de nombreux réfugiés débarquent dans le port de Marseille. Ils se retrouvent rejetés de toutes parts, expulsés de leur pays de naissance et détestés par les marseillais. La situation politique n’est pas plus calme : L’OAS devant cet échec envisage des actions terroristes sur le sol français et devient la cible du SAC, le service armé du Général de Gaulle. Le paysage civique se retrouve aussi scindé entre communistes et extrême droite, entre résistants et collaborateurs ; Gérard Lecas situe donc son roman dans un lieu et une période explosive.

Le ministère de l’Intérieur décide de nommer Louis Anthureau à la police criminelle de Marseille, surtout par reconnaissance pour son père qui fut un résistant émérite aujourd’hui décédé et dont la mère à disparu. Il a en charge aussi de surveiller Jacques Molinari, un ancien résistant cinquantenaire proche de l’extrême droite. Ces deux-là ressemblent à s’y méprendre à une alliance du feu avec de l’eau.

Louis assiste à une fusillade sur un marché et reconnait Jacques parmi les assassins, mais il décide de ne rien dire. Il ne sait pas que Jacques joue sur plusieurs tableaux, de l’OAS à l’extrême droite en passant par les parrains locaux qui veulent monter un laboratoire d’affinage de drogue avec plusieurs centaines de kilogrammes en transit. Louis et Jacques vont devoir faire équipe sur une enquête compliquée : un maghrébin a été retrouvé avec un jerrican à coté plein de son sang. 

Voilà typiquement le genre de roman que j’adore. Je trouve que peu de romans traitent de cette période mouvementée alors que c’est un décor idéal pour un polar. Alors il faudra de l’attention pour bien appréhender les différents personnages et les différentes parties mais j’ai trouvé cela remarquablement clair, et le mélange entre les personnages réels et fictifs m’a semblé parfait.

On ressent à la lecture le savoir-faire d’un grand scénariste, tant les événements vont s’enchainer sans que l’on puisse réellement déterminer jusqu’où cela va nous mener. Devant toutes les factions en lutte, Louis et Jacques sont montrés beaucoup moins monolithiques et plus complexes qu’il n’y parait. Personne n’est tout blanc ou tout noir, ni gentil ni méchant. Un véritable panier de crabe dans une situation inextricable dont je me demande toujours comment on sen est sorti ! Et je suis resté béat d’admiration devant les dialogues justes et brillants. 

L’intrigue va se séparer en trois : Les meurtres de maghrébins, la recherche de la mère de Louis et la recherche du chargement de drogue qui a été dérobé. Ceci permet de montrer la lutte politique et policière en œuvre dans cette région qui ressemble à s’y méprendre à un baril de poudre où la mèche a été allumée depuis belle lurette. Avec ce roman, Gérard Lecas nous offre un roman bien complexe, bien passionnant, bien costaud, bien instructif. Le sang de nos ennemis est clairement à ne pas rater pour les amateurs d’histoire contemporaine.