Archives du mot-clé Village

La dernière maison avant les bois de Catriona Ward

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Szczeciner

Accompagné de nombreux éloges mais aussi d’avis contraires, il semblerait que ce roman attise les avis du Net. Je le confirme, il faut se laisser mener par Catriona Ward pour atteindre, cent pages avant la fin, le dénouement et le Nirvana Littéraire.

Ted habite en solitaire une petite maison au fond de Needless Street. Onze années auparavant, une fillette de six ans, surnommée la petite fille à la glace au sirop a disparu proche du lac. La police a interrogé tous les habitants alentour, suivie par les journalistes. Ted fut le seul à être pris en photo, contre son opinion, et fut donc le seul à apparaitre à la Une des journaux. Les gens lui ont jeté des pierres, cassant ses fenêtres, alors il a décidé de cloitrer sa maison avec de grandes planches en bois.

Ce matin-là, sinistre anniversaire de la disparition de la fillette, Ted trouve des oiseaux collés sur le rebord de l’abreuvoir. Quelqu’un a dû apposer de la glu pour les tuer. Tout le monde sait qu’il aime les oiseaux ; les gens ont voulu l’atteindre par l’intermédiaire des oiseaux. Il ne peut rien faire pour les sauver. Par un trou percé dans une planche, il voit la dame au chihuahua ; il est sûr qu’elle le surveille. Il préfère jouer avec sa fille Lauren.

Olivia, son chat, saute sur ses genoux pour avoir son lot de caresses. Olivia confie ses pensées, en léchant sa patte qui lui fait mal. Pour elle, tous les hommes sont des teds. Elle se rappelle comment Ted l’a sauvée en la trouvant dans un fossé. Depuis, elle habite dans un congélateur où Ted a percé des trous pour respirer. Elle regarde dehors en espérant voir un chat passer dans la rue.

Onze ans auparavant, Dee passait de belles vacances au bord du lac avec ses parents et sa jeune sœur Lulu. Jeune adolescente, ça l’énervait d’être suivie par Lulu ; elle aurait préféré rencontrer des garçons ! Alors qu’elle doit aller aux toilettes, elle en oublie sa sœur. En sortant, il faut bien se rendre à l’évidence qu’elle a disparu. Depuis ce jour-là, Dee cherche sa sœur, jusqu’à venir louer une maison dans Needless Street.

Ma foi, je pense que ce roman est et restera le roman le plus étrange que j’aurais lu cette année. Dès le début, on a droit à des fautes de conjugaison avant que Ted explique qu’il a toujours eu du mal avec les verbes. Quand il explique la mésentente qu’il subit, le harcèlement des voisins, il en devient poignant, puis on trouve des éléments perturbants qui ne « collent » pas avec ce qu’il disait.

Le principe est expliqué dans ces premiers chapitres : tout ce que vous croyez lire, ce que vous croyez voir n’est que le prisme de votre interprétation. Car après Ted, Olivia, un chat qui parle, va nous expliquer sa vie, et sa vision de son environnement. Puis entrent en jeu Dee la seule personne saine et Lauren qui nous décrit ses peurs.

La construction, basée sur celle d’un roman choral, fait tout pour nous déstabiliser. La trame est plus ou moins linéaire, avec quelques retours sur le passé, mais les faits décrits ne nous aident pas à comprendre où l’auteure veut en venir. Je me suis demandé si je devais continuer ou arrêter ma lecture, mais j’ai persévéré car je ne pouvais pas comprendre que des blogueurs que je suis (dont Yvan) aient encensé ce roman s’il ne présentait pas un quelconque intérêt.

Il faudra arriver aux cent dernières pages (sur quatre cents) pour avoir un gigantesque chamboulement qui va faire voler en éclat tout ce que nous avions cru comprendre de cette situation. Et du coup, comme dirait mon fils, nos croyances vont exploser ; ce que j’avais pris pour des longueurs se révèlent justifiées par les indices parsemés de-ci de-là. Et la postface de l’auteure nous éclaire à la fois sur ce qu’elle a voulu montrer et sur ce qu’elle a voulu construire. Alors, vous voilà prévenus, si vous voulez un roman surprenant, extraordinaire et que vous êtes patients, La dernière maison avant les bois est fait pour vous. Je peux juste ajouter que la fin en vaut le coup !

Publicité

Une saison pour les ombres de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Etienne Gomez

Moi qui ai lu presque tous les romans de Roger Jon Ellory, je peux ressentir derrière ce nouveau titre à la fois l’évolution de l’auteur et sa passion pour la psychologie humaine, la faculté de l’homme à prendre des décisions et les assumer … ou pas. Le Ellory nouveau est arrivé !

Montréal, 2011. Jack Devereaux parcourt la maison qui a été la proie de l’incendie avec son comparse Ludovick Caron. En tant qu’enquêteur pour la compagnie d’assurance, il s’aperçoit vite qu’un court-circuit dans un appareil ménager est à l’origine du sinistre. Jack est surpris de recevoir un coup de fil d’un numéro inconnu. Le shérif de Jasperville l’informe que son frère Calvis a été arrêté pour tentative de meurtre.

Calvis, son petit frère, vient se rappeler à ses souvenirs, de même que Jasperville, qu’il a voulu oublier ;Jasperville, que l’on surnomme Despairville, petite commune située à l’extrême nord-ouest du Canada et qui vit uniquement grâce à ses mines de métaux ferreux. Pour Jack, Jasperville représente son pire cauchemar, un endroit inhumain ne connaissant que rarement des températures positives, une ville de 5000 habitants enclavée par les monts Torngat, surnommés le lieu des esprits mauvais par les indiens ayant vécu là auparavant.

Canada Ironexploite les minerais issus des roches éruptives de Jasperville. A cause de la crise économique, en 1969, Henri Devereaux accepte un poste de contremaître et y emmène sa famille, Elisabeth sa femme et ses deux enfants Juliette et Jacques, ainsi que le grand-père William. William raconte les légendes indiennes et le Wendigo, un esprit malfaisant qui prend possession des hommes et leur fait faire des meurtres. Dès 1972, un corps de jeune fille est retrouvé dans les bois. Le policier en poste en déduit vite qu’elle a été attaquée par un animal, un ours ou un loup.

Le Ellory Nouveau est arrivé ! cela peut paraitre bizarre comme entrée en matière, comme si je le comparais au Beaujolais. Détrompez-vous, le but de cette phrase d’introduction est bien de mettre l’accent sur tout ce qui change chez cet auteur incontournable dans le paysage du polar contemporain.

Commençons par le contexte : Roger Jon Ellory reste sur le continent américain mais change de pays : direction le Canada et en particulier l’extrême nord du pays, avec son climat rigoureux, inhumain, où les températures descendent à -40°C et la population ne voit quasiment jamais le soleil. L’auteur utilise cet aspect pour les conséquences sur la psychologie des gens, enfermés chez eux, renfermés sur eux-mêmes.

Il apparait donc logique que de nombreuses légendes fassent leur apparition, et en particulier celles émanant des tribus indiennes. Avec la proximité des Monts Torngat qui pèsent sur le village comme une main maléfique se refermant sur la petite ville, Roger Jon Ellory utilise à merveille le contexte pour faire monter l’angoisse et introduire les meurtres de jeunes filles qui vont se succéder.

Utilisant des allers-retours entre le présent (le retour de Jack dans sa ville de jeunesse) et le passé (sa jeunesse, ses drames familiaux), Roger Jon Ellory place au centre de son intrigue Jack qui a amputé son prénom comme s’il voulait laisser derrière lui ces mauvais souvenirs. Prévu pour être sympathique, nous allons avoir affaire à une histoire introspective, une méticuleuse analyse de sa réaction d’homme.

Car le sujet, au-delà de la recherche du ou des tueurs, se situe bien au niveau de ce jeune homme qui a quitté sa ville 26 ans plus tôt à l’âge de 19 ans, laissant derrière lui sa famille, ses amis, son amour de jeunesse. Et une fois sa décision prise, la difficulté d’assumer son choix, surtout quand le passé se rappelle à lui d’une façon particulièrement cruelle et fait ressortir son lot de culpabilité.

De la même façon que le paysage est brutal, les événements violents, le contexte sans pitié, le style de Roger Jon Ellory évolue pour s’adapter à son histoire. Finies les digressions ou la volonté d’expliquer les réactions de ses personnages, place ici à un style plus direct, plus franc, sans pour autant délaisser les qualités de narration, ni les événements placés au bon moment de l’histoire. Indéniablement, cette Saison pour les ombres est remarquable et fait partie des meilleurs romans de l’auteur avec Seul le silence et Papillon de nuit.

Epaulard de Thierry Brun

Editeur : Jigal

Sauf erreur de ma part, j’ai dû lire tous les romans de Thierry Brun, admirant son évolution, son monde et ses thèmes cachés (j’avoue être passé au travers de certains). Il centre toujours ses intrigues autour de personnages forts psychologiquement et a l’art de prendre le lecteur par surprise. Bingo !

Béatrice s’appelle en réalité Epaulard pour son travail. En tant que garde du corps, ils portent toujours des surnoms étranges, mais celui-ci correspond bien à son état d’esprit. Son équipe a parfaitement repéré les pièges et les issues de sortie au Negresco et Eric, via l’oreillette la rassure en observant les alentours. Aujourd’hui, elle doit assurer la sécurité de Philippe Viale, spécialiste en solutions d’armement. Arrivés à destination, elle peut repartir comme si de rien n’était.

En dehors de son travail, Béatrice fait du sport, beaucoup de sport pour maintenir son corps en état et repense sans cesse à Anista, la chanteuse qu’elle a protégée et aimée. Quelques jours plus tard, Vialle la rappelle : il veut qu’elle escorte seule sa femme et ses deux filles. Sans préparation, c’est de la folie, mais pour 100 000 euros … malheureusement, le transfert se passe mal, un guet-apens où la femme et les deux filles meurent et Béatrice reçoit plusieurs balles dans le corps … presque morte.

Après plusieurs semaines de rééducation, elle a du mal à oublier. Elle doit couper les ponts et décide de se perdre dans un village, se faire oublier, s’oublier. Là-bas, elle rencontre un curé et retrouve son sens de la vie. Et petit à petit, elle va découvrir la vie du village, de ses habitants, et ses secrets aussi.

Si ce roman commence comme un polar, il va tranquillement se refermer sur lui-même avec un talent remarquable. On entre dans le vif de l’action, les phrases sont courtes, coupées, parfois juste quelques mots pour faire ressentir l’adrénaline qui court dans les veines, mais aussi le stress et l’attention nécessaire de tous les instants … jusqu’au drame aussi brutal que rapide.

Le passage à l’hôpital va nous montrer une Béatrice seule, irrémédiablement seule, noyée dans ses regrets et ses amours ratées. De son travail où elle était reliée aux autres par une oreillette, elle est rattachée à des tubes. Cette période va la conforter dans une vie d’ascète, loin des autres, par culpabilité probablement, par besoin d’oublier son échec, ses écueils. Car elle vient d’échouer dans le seul domaine où elle était excellente.

N’ayant plus rien, le curé Pôl va la révéler à elle-même. Il va l’apprivoiser comme on le fait d’un animal sauvage. Et elle va se rendre compte que pour s’ouvrir au monde, il faut qu’elle s’ouvre elle-même, qu’elle s’accepte. De polar, on passe donc à un roman introspectif, réflexion intense sur le sens de la vie et la relation aux autres. Tous les auteurs de thriller auraient créé un personnage cherchant les coupables et semant sur son sillage des dizaines de truands.

Thierry Brun nous prend à nouveau par surprise en se concentrant sur son personnage, et interroge les liens que nous avons avec les autres et les réactions que nous avons. Il nous démontre enfin que pour avoir des relations sociales, le mieux est encore de faire le premier pas, dans ce très joli et très surprenant roman.

L’homme peuplé de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Est-il seulement imaginable de ne pas acheter le nouveau roman de Franck Bouysse ? Est-il seulement imaginable de ne pas le lire et de ne pas en parler. Que nenni !

Caleb habite une petite maison dans une campagne perdue de France. Il se rappelle Sarah sa mère, qui prenait soin de lui, tous ces petits gestes qui font l’amour. Il se rappelle aussi quand il lui avait présenté sa première petite amie, comment elle l’avait presque insultée pour qu’elle s’éloigne de son fils. Par contre, Caleb ne connait pas son père, et d’ailleurs, Sarah n’en parle jamais.

Caleb se rappelle quand l’ambulance a débarqué, pour emmener la vieille Privat qui loge en face. Caleb la voyait nourrir ses poules, s’occuper de son jardin. La vieille était morte avant d’arriver à l’hôpital, contrairement à sa mère qui avait fait une crise cardiaque quand il avait parlé d’avoir une femme. Peut-être n’était-il pas fait pour avoir de femme, en tant que sourcier ? En attendant, Caleb voit un homme emménager dans la maison de la Privat.

Alors que son premier roman a été adulé par les critiques et le public, Harry a tenté d’écrire un deuxième opus. Mais il sent que la sincérité n’y est pas, il ne veut pas se mentir, donc mentir au lecteur. Il vient d’acheter une maison, dans un coin perdu, pour retrouver son âme, ou pour fuir l’effervescence des milieux littéraires. Peut-être va-t-il retrouver ici l’inspiration qui lui fait tant défaut ?

On se retrouve dans ce nouveau roman en territoire connu, dans une campagne isolée, avec deux hommes que tout oppose. L’un est issu du cru, issu de la Terre, matériel ; l’autre est étranger, spirituel ou à tout le moins intellectuel. On trouve d’ailleurs une belle image dans le livre où Caleb fouille dans le puits quand Harry visite son grenier, créant entre eux la distance égale de la Terre au ciel.

De même, on y retrouve cette vie dure, âpre, avec sa météo rigoureuse et ses habitants qui ne s’adressent pas plus d’un mot. On y retrouve Caleb, sorte de sourcier, que tout le monde craint car il serait capable de jeter des sorts. Ma foi, on a déjà lu ce genre de scénario chez Franck Bouysse, et on serait tenté de laisser tomber ce roman sous ce fallacieux prétexte. Sauf que quelques dérapages attirent l’œil, quelques reflexions semblent plus personnelles et la fin nous rassure.

Franck Bouysse utilise son terrain de prédilection pour parler de la création littéraire, pour se questionner que la page blanche, sur l’inspiration mais aussi et surtout sur la nécessité de ne pas se mentir, de rester honnête envers soi-même et donc envers son lectorat. A ceux qui pourraient lui reprocher de prendre tout le temps le même décor, les mêmes personnages, il leur répond par ce livre, il leur dit son intégrité, son refus de la compromission.

Et puis, il y a ce style qui n’appartient qu’à Franck Bouysse. On n’y trouve jamais un mot de trop dans une phrase, mais une nouvelle façon d’aborder les choses. Franck Bouysse nous invite à regarder le monde autrement, en s’aidant de la richesse de la langue et de la poésie dont il fait preuve. Comme le dit ma femme : « C’est très bien écrit, on n’est plus dans la littérature, on touche à la poésie … du Franck Bouysse, quoi ! ». Dont acte

L’été où tout a fondu de Tiffany McDaniel

Editeur : Gallmeister

Traducteur : François Happe

A la suite du succès rencontré par son roman Betty, les éditions Gallmeister ressortent le premier roman de Tiffany McDaniel, initialement sorti chez les éditions Joëlle Losfeld, dans une nouvelle traduction. On retrouve avec plaisir cette plume poétique dans cette histoire entre réalité et fantastique.

La petite ville de Breathed, Ohio, est écrasée par la chaleur lors de cet été 1984. Fielding Bliss, le narrateur, passe ses vacances avec son grand frère Grand qui excelle au lancer au baseball, sa mère Stella qui ne sort pas de la maison par peur de l’eau, Autopsy, son père qui a la charge de procureur, et Granny leur vieux chien. A la suite d’un procès qu’il a gagné, Autopsy, toujours dans le doute, fait publier dans un journal l’annonce suivante :

« Cher Monsieur le Diable, Messire Satan, Seigneur Lucifer, et toutes les autres croix que vous portez, je vous invite cordialement à Breathed, Ohio. Pays de collines et de meules de foin, de pêcheurs et de rédempteurs.

Puissiez-vous venir en paix.

Avec une grande foi.

AutopsyBliss »

Quelques jours plus tard, Fielding rencontre un petit garçon noir qui dit être le Diable. Il ne connait pas son nom, et se surnomme lui-même Sal, contraction de SAtan et Lucifer. Personne ne le croit et le shérif va rechercher des enfants ayant disparu dans les environs. Et dans cette ville à majorité blanche, on regarde bizarrement ce petit être, surtout quand des phénomènes dramatiques se succèdent.

Fielding se présente comme un vieil homme quand il raconte cette histoire et à chaque début de chapitre, il se raconte au présent quand un détail le ramène dans ses souvenirs, dans ce passé maudit de 1984. Le procédé, classique s’il en est, fonctionne à merveille ici et on ne peut qu’être ébahi devant la maitrise montrée par Tiffany McDaniel pour son premier roman, d’autant qu’elle a commencé son écriture à l’âge de 15 ans.

L’auteure va donc nous faire vivre cette ville, ces gens simples, qui respectent les autres, qui croient en la police et la justice, qui croient aussi aux légendes et à la religion. Et Sal va petit à petit concentrer toutes les craintes, toutes les peurs surtout dans un contexte propre à faire monter la tension et exciter tout le monde. Il fait chaud, il fait lourd, le ciel est bleu à n’en plus finir, et le vendeur de glaces a détruit son stock ! A cela, s’ajoute le racisme ambiant qui va aboutir à la création d’une communauté anti-noire … pardon … anti-Diable.

Il n’est pas une page qui nous rappelle le contexte, et je ne compte plus le nombre de verres bus pendant cette lecture, tant la chaleur est palpable, tant la sécheresse agressive. Et si on a l’impression de rester spectateur au début du roman, Tiffany McDaniel arrive à nous impliquer dans son histoire par de petits événements que l’on a forcément connus, et cela finit par créer une sorte d’intimité, ce qui va rendre la fin d’autant plus dramatique et horrible.

Et puis, Tiffany McDaniel nous étale déjà son talent d’écrivaine, sa poésie venue d’ailleurs (je parlais de poésie issue de ses racines indiennes lors de mon avis sur Betty). Elle a l’art de glisser des remarques, de faire des comparaisons dont nous n’aurions même pas eu l’idée, elle a le talent de montrer les sentiments des gens, de nous faire ressentir la souffrance de la nature et des animaux, et de pointer la nature de l’homme dans une vaste réflexion sur le Bien et le Mal de façon totalement original. On se laisse bercer, on voyage en compagnie de Fielding, et plus les pages filent, plus l’horreur monte. Un premier roman impressionnant.

Les gens des collines de Chris Offutt

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons-Reumaux

Chris Offutt publie trop rarement des romans, et cela attire forcément l’œil du fan de polar quand il aperçoit un de ses titres. Etant écrivain pour des séries télévisées, on comprend que son emploi du temps soit chargé. Mais quand on lit ses romans, on regrette qu’il n’en sorte pas plus souvent.

Mick Hardin est de retour dans son village du Kentucky. En tant que militaire de carrière, il a arpenté le monde dans tous les endroits ensanglantés du monde (Afghanistan, Irak, …) et travaille actuellement dans la Police Militaire. Alors qu’on lui accorde une permission, son retour va lui permettre de voir Peggy sa femme enceinte et de ressouder son couple qui bat de l’aile à cause de ses absences.

Sa sœur, Linda Hardin, a récupéré le poste de shérif après la mort du précédent titulaire du poste. Dans des contrées rurales, il est bien difficile de se faire une place lorsqu’on est une femme. Mais Linda n’est pas du genre à se laisser faire.

Quand un vieil homme retraité, qui a l’habitude de partir à la recherche de racines de ginseng, retrouve le corps d’une jeune femme en bas d’une falaise, Le corps ne comporte pas de culotte, ce qui ouvre toutes les possibilités quant au mobile du meurtre. Linda va faire appel à son frère pour qu’il l’aide, car de toute évidence, beaucoup de gens connaissent l’identité du meurtrier et veulent faire leur justice eux-mêmes.

Cette intrigue simple permet à l’auteur de faire de formidables portraits des habitants des campagnes américaines. Mick et Linda vont surtout nous servir de guide pour rencontrer des gens mutiques, plus occupés à protéger leurs affaires et leurs terres qu’à aider les autres. Chris Offutt ne juge jamais personne, il déroule son intrigue, et nous montre ce que sont les vrais américains du cru et de ses problèmes culturels. J’en veux pour exemple l’accueil fait à Mick quand il approche d’une masure, accueilli par un homme armé d’un fusil.

Chris Offutt en profite aussi pour montrer le clivage de cette société, le fossé se creusant entre les pauvres et les riches, les hommes de pouvoir (qui peuvent convoquer le FBI pour une affaire locale, juste par un coup de fil) et le commun des mortels qui doivent se débrouiller. Dans une région calme en apparence, il oppose en permanence la nature calme et sereine à la violence des hommes. Car avec cette affaire, se cache aussi les élections de shérif et tout le monde aimerait que Linda les perde, parce qu’elle est une femme.

Chris Offutt développe tous ces thèmes avec un style simplifié, limpide, en y ajoutant des traits d’humour dans les dialogues. Mais surtout, il ressort de cette lecture un plaisir immense devant l’évidence de la narration. Chaque phrase, chaque événement paraissent évidents, minimalistes et pourtant si expressifs. Un excellent roman, un polar exemplaire de la part d’un auteur qui fait montre d’un sacré savoir-faire. Du grand art !

La Main de Dieu de Valerio Varesi

Editeur : Agullo

Traductrice : Florence Rigollet

Outre Rocco Schiavone, le personnage d’Antonio Manzini, le deuxième personnage italien dont je suis avec assiduité les enquêtes se nomme le commissaire Soneri, dont La Main de Dieu est déjà la septième enquête publiée en France. Et on en redemande !

Quand il arrive au bureau, le commissaire Soneri s’aperçoit qu’on lui a envoyé un paquet. Inquiet, Juvara son second lui conseille de ne pas l’ouvrir. A l’intérieur, sont disposées des pâtisseries pour fêter la Saint-Hilaire, le protecteur de Parme, le 13 janvier. Il appelle Angela, sa compagne puis part se promener où des plaques de verglas résistent encore à la légère hausse des températures, laissant une sorte de bouillasse grise.

Arrivé au Ponte di Mezzo, Juvara l’appelle et lui annonce la présence d’un cadavre. Le hasard veut que le corps se soit échoué sous le pont que Soneri arpente. Il semblerait que le destin veuille qu’il s’intéresse à cette affaire. Le mort a dû rester longtemps dans l’eau avant d’arriver ici, vu son état, transporté par la crue. Il convie donc son ami médecin légiste Nanneti à faire quelques centaines de mètres pour faire la première analyse.

Le crâne étant enfoncé à l’arrière de la tête, il s’agit sans aucun doute d’un assassinat. En dehors de cela, ils n’ont aucune piste quant à l’identité du mort. Mais déjà, tous les média en font les choux gras. Alors qu’ils dégustent leur repas, Juvara appelle et signale une camionnette suspecte en amont de Parme, en amont, vers Pastorello. Elle comporte des impacts de balles de gros calibre. Le chef de Soneri Capuozzo et le magistrat sont en effervescence et Soneri décide de prendre les devants et de se rendre à Monteripa, village perdu dans les montagnes, où habite le propriétaire de la camionnette.

Chaque roman de Valerio Varesi nous emporte dans un rythme nonchalant, où grâce à une intrigue tortueuse, l’auteur nous propose de visiter son pays en prenant son temps, et de parler des changements de la société et leurs impacts. Le commissaire Soneri a sa propre logique pour mener son enquête, additionnant un a un les indices grâce à des discussions fort intéressantes avec les habitants du coin.

Sauf qu’ici, il va être confronté à un petit village où les gens préfèrent se taire que de s’ouvrir à un inconnu, un village qui survit grâce à une entreprise d’embouteillage d’eau minérale, peuplée majoritairement de pauvres gens et détenu par Malpeli. Comme à son habitude, Soneri passe d’un personnage à l’autre, et en profite pour se prouver une fois de plus son mal-être devant cette société avide de profits et pleine d’irrespect.

Et c’est en cela que Valerio Varesi est grand. Il aborde des thèmes contemporains, la course au profit par exemple quand on lui parle de créer des pistes de ski et que pour ce faire, il faut abattre ces forêts. Il nous parle de l’immédiateté inutile de l’information, la recherche de scoops des journalistes et les réactions des politiques qui y voient l’opportunité de créer un état policier toujours plus répressif.

Mais il aborde aussi d’autres thèmes plus généraux, presque philosophiques, comme la place de la religion dans la société moderne, mais aussi le mal être, la place de l’homme, la nécessaire recherche de l’espoir, autant de thèmes abordés par Soneri et le curé du village que j’ai trouvés passionnants. Valerio Varesi m’a encore pris par la main avec cette nouvelle enquête, nous avons cheminé des sentiers enneigés ensemble, nous avons devisé sur notre passé, notre monde d’aujourd’hui, nos peurs du lendemain, nos questions ou plutôt questionnements quant à l’avenir, et ce fut un déchirement de tourner la dernière page, celle d’avoir à quitter un ami cher (et virtuel) tel que le commissaire Soneri.

Histoire universelle des Hommes-Chats de Josu Arteaga

Editeur : Nouveau Monde éditions

Traducteur : Pierre-Jean Bourgeat

Pourvu que l’on accepte la forme, que l’on connaisse l’histoire de l’Espagne, ce premier roman est une vraie surprise, probablement l’une des meilleures en cette année 2022. L’auteur nous présente une autopsie d’un village, une petite histoire dans les interlignes de la grande Histoire.

« A Olariz, nous comprenons la mort et la vie à notre façon. Tout nait, tout meurt. Ni plus ni moins. Et ce, depuis la première aube. Pour les humains ou les animaux. Sans distinction. La vie est la neige première. La mort est la neige piétinée. Les deux sont semblables. »

Le narrateur va donc nous raconter la vie de ce village renfermé sur lui-même, en y mêlant ses souvenirs personnels. Ainsi, il se rappelle son père, accoucheur qui mettait bas des juments. Il avait sept ans quand son père l’avait emmené Olaiceta, Ce matin-là, le narrateur avait trouvé un œuf avec deux jaunes lors de son petit déjeuner. Cela aurait dû être un bon présage. Mais le jeune poulain est né avec deux têtes. Alors, il a emmené la jeune bête dans les bois pour l’achever et l’enterrer. Plusieurs années après, une truie donna le jour à douze petits, comme le nombre des apôtres de Jésus. De rage et de douleur, la truie s’est jetée sur eux et les a tous dévorés. Il en va ainsi de la vie et de la mort. Et il faut toujours écouter les présages, et surtout bien les interpréter.

Le narrateur se rappelle aussi Teodora, une jeune femme honnête et pauvre. Son mari avait choisi le camp de la révolution et le couple haïssait le curé et sa religion. Ils travaillaient dans un ferme de riches sans enfant et espéraient hériter à la mort des propriétaires quand un petit Gabriel vit le jour. On dit que le mari de Teodora y mit le feu et Gabriel en réchappa. Par contre, il mourut encore bébé et on dit que Teodora enduisait ses tétons de poison avant de les donner à Gabriel. Les propriétaires les chassèrent et tout le monde au villages les appelaient Les Damnés …

Dans un village rural, éloigné de toute modernité, ce village va nous raconter ses petites histoires, embringuées dans la Grande Histoire. Par son éloignement, il ne subit pas les conséquences de ce qui se passe à l’extérieur. Et les lois sont revenues celles de la nature, celles du plus fort, celles du village. Les hommes y sont rugueux, taiseux, et préfèrent régler leurs affaires entre eux plutôt que de faire appel à quelqu’un d’extérieur. D’ailleurs, on n’y trouve pas de police, chacun fait sa justice.

Construit comme une suite de nouvelles, ce roman tient son fil directeur avec ce narrateur, que l’on imagine vieux, repensant au passé de ceux qui nous manquent. Chaque petit événement est l’occasion pour lui de se rappeler une scène, une personne, un fait marquant. La narration se fait donc sans aucun dialogue et de façon très directe. Cela en devient remarquable quand il arrive à nous passer en revue toute une vie et de faire revivre des fantômes devant nos yeux. J’ai adoré cette narration.

J’ai eu l’impression que l’auteur faisait appel dans certains chapitres à des faits de l’histoire espagnole, et n’en connaissant que des bribes, je me suis senti délaissé, j’ai eu l’impression de passer au travers. Par contre, le dernier chapitre, contre toute attente, est terrible et donne à l’ensemble la cohérence que j’attendais. Josu Arteaga se permet même de nous pointer du doigt, nous montrant que les horreurs qu’il a décrites n’ont rien à envier à celles du monde actuellement. On prend une bien belle claque pour la fin, voire même quelques réflexions philosophiques très justes. Voilà un premier roman surprenant et surtout très réussi. Auteur à suivre.

Entendez vous dans les campagnes d’Ahmed Tiab

Editeur : Editions de l’Aube

Ce roman nous propose une nouvelle enquête de Lotfi Benattar que l’on avait rencontré dans Pour donner la mort, tapez 1. On retrouve dans ce roman toutes les qualités de conteur de Ahmed Tiab.

A la suite de sa précédente enquête, Lotfi Benattar est tombé de plusieurs étages et a frôlé la mort. Après avoir passé plusieurs mois dans le coma, il a refait surface et s’est forcé à une rééducation de forçat pour retrouver un semblant de mobilité. Il en garde des cicatrices sur son beau visage et une allure d’escargot boitant, aidé en cela par son indispensable canne sur laquelle il doit s’appuyer.

Son chef décide de lui offrir une petite enquête qui devrait permettre de le remettre en selle. Du coup, il doit abandonner la cité phocéenne pour le Morvan, où on déplore d’un jeune homme habitant Verniers-en-Morvan. Bientôt, c’est son corps que l’on découvre non loin d’un centre de déradicalisation, où l’on essaie de récupérer de jeunes musulmans sur le point de se radicaliser.

Marie-Aliénor Castel de Fontaube aurait pu se contenter du piston de ses parents pour progresser dans la hiérarchie du journal. Elle préfère grimper les échelons par elle-même en commençant comme stagiaire. On lui demande de préparer le terrain sur cette affaire avant que la journaliste vedette la rejoigne. Elle va donc mener l’enquête de son coté en parallèle, alors que trois jeunes du centre sont portés disparus.

Par son allure de pantin fracassé, Lotfi a du mal à passer inaperçu. Et ce séjour dans la Morvan, sous un ciel constamment gris et noyé dans le brouillard ne va pas être une balade bucolique. Entre les gendarmes attentistes et les piliers de bar, entre un attardé mental et une jeune nymphomane, entre un village taiseux et un centre de « rééducation » de jeunes sur le point de se radicaliser, notre inspecteur a de quoi faire. Je regrette juste que le personnage d’Alison soit si peu présent.

Comme à son habitude, Ahmed Tiab ne place pas ses personnages au premier plan de la scène mais les utilise plutôt comme des liens envers tous les habitants de ce village. Son propos n’est jamais de pointer ou de dénoncer mais plutôt de décrire une situation compliquée et ubuesque comme le ferait un journaliste. Et comme partout en France, on retrouve dans ce microcosme tous les pans de notre société, regroupés dans une petite zone, où tous les ressentiments vont s’exacerber.

Cette zone rurale ressemble à s’y méprendre à une cocotte-minute sur le point d’exploser avec les extrémistes de tous bords, et même un trafic de drogue. Ahmed Tiab met beaucoup d’application dans son écriture pour nous présenter la situation et les psychologies des personnages, montrant au passage le bouleversement dû à la présence des potentiels extrémistes proches d’un village. Finalement, il nous décrit une campagne qui doit faire face aux mêmes problèmes que la grande ville, le manque de tolérance et d’acceptation des autres, ce que l’on voit tous les jours à la télévision.

La forêt des silences de Serge Brussolo

Editeur : H&O

L’année dernière, je découvrais avec beaucoup de plaisir Le cavalier du septième jour. Je me suis donc plongé avec envie sur ce nouveau roman, qui nous propose une plongée dans une forêt mystérieuse entourant un village qui ne l’est pas moins.

Le lieutenant J.T.Eldrick s’enfonce dans la plaine, pour rejoindre la citadelle. C’est son tour de garde, il doit surveiller la forêt alentour, silencieuse au point de ne percevoir ni bruits d’animaux ni chants d’oiseaux. Ancien vétéran du Vietnam, il s’est retiré dans le village de Hag’s (dont le vrai nom est Hairless Hag’s taffies, littéralement Les caramels de la vieille sorcière chauve).

Arrivé à son poste de garde, il monte dans la tourelle et surveille tout mouvement. Il sait très bien qu’il ne se passera rien avant la nuit. Ayant somnolé quelques minutes, il se réveille en pleine nuit ; un bruit l’a surpris. Effrayé par ce qu’il pourrait voir, il se terre et n’ose jeter un coup d’œil. Au petit matin, il trouve au pied de la citadelle un gâteau recouvert d’une crème qui ressemble à du sang coagulé. Dedans sont plantées trois bougies. Les bûcherons, êtres mystérieux qui habitent la forêt, réclament trois morts en offrande.

Naomi, jeune journaliste paranoïaque, enfile les kilomètres dans sa vieille voiture. Son patron, le richissime Bertram Aloysius Sweeton, propriétaire des éditions Sweeton& Sweet lui a demandé de retrouver son auteur phare Barney Lambster. Lambster a reçu une confortable avance pour écrire la biographie du juge Hooter et il ne donne plus de nouvelles. Il se serait rendu à Hag’s, ville que le juge Hooter a créée en 1867, en devenant le maire, le shérif, le juge et le bourreau.

Une nouvelle fois, je me suis laissé prendre par ce roman qui vous prend à la gorge dès les trois premiers chapitres. Le premier s’avère angoissant et mystérieux à souhait ; le deuxième est consacré à Naomi, dont on apprendra le passé par la suite ; et le troisième se consacre à l’accueil de Naomi par Ruth, la mairesse adjoint, qui va lui édicté les règles prévalant à Hag’s. On apprend donc que ce village ne bénéficie d’aucunes technologies, vivant en totale autarcie avec des règles de bonne conduite obligatoires. Très vite, Naomi a peur qu’on ne puisse jamais repartir de ce village.

Puis l’imagination de l’auteur nous prend par la main, dans des directions que l’on ne s’attend pas à lire. Inexorablement, la tension monte face aux événements et l’intrigue se transforme en sorte d’Escape Game, avec en parallèle le choix des trois victimes qui seront offertes en offrande. Mais ne croyez pas que cette histoire est aussi simple qu’il n’y parait. Car vous serez surpris par la tournure que prend ce roman.

D’un abord facile, écrit simplement, ce roman se veut un divertissement et il remplit largement son rôle. Relativement court, avec des chapitres d’une dizaine de pages, on passe d’un personnage à l’autre en passant par tous les sentiments, car Serge Brussolo sait parfaitement manipuler son lectorat.  Voilà un roman très divertissant qui vous fera passer quelques bonnes heures de lecture.