Editeur : Gallimard – La Noire
Traducteur : Alexandra Carrasco
Tous les billets de ma rubrique Oldies de 2019 seront dédiés à Claude Mesplède.
Ce roman avait été notifié comme étant le chef d’œuvre de son auteur dans Le Dictionnaire des Littératures Policières. Il faisait aussi partie du Top 100 de l’association 813 et avait été chroniqué par Jean-Marc Lahérrère. Que de bonnes raisons de le découvrir !03
L’auteur :
Rolo Díez, né à General Viamonte, dans la province de Buenos Aires, en 1940, est un écrivain argentin, auteur de roman policier.
Après avoir amorcé des études universitaires en droit à Buenos Aires, il bifurque vers la psychologie et le cinéma. Pendant ce temps, il milite dans un groupuscule politique proche des péronistes visant à la libération du pays par les armes. En novembre 1971, il est arrêté et incarcéré pendant plusieurs années dans un centre de détention de Villa Devoto, un quartier du nord-ouest de Buenos Aires, puis successivement dans les provinces de Chaco et de Chubut. En prison, il se radicalise et adhère au Parti révolutionnaire des travailleurs, fondé par Mario Roberto Santucho (es). En mai 1973, il est libéré grâce à l’amnistie décrétée par le président Héctor José Cámpora et reprend ses activités politiques qui le contraignent à l’exil en 1977. Il se rend en Europe et survit en France, en Italie et en Espagne grâce à une série de petits emplois mal rémunérés. Il s’installe à Mexico en 1980 et travaille comme scénariste d’émissions de télévision et de bandes dessinées. Il devient ensuite responsable des pages de politique internationale du quotidien mexicain El Día.
À la fin des années 1980, il se lance dans l’écriture. Los compañeros (1987), son premier ouvrage, est un récit en grande partie autobiographique qui revient sur la situation politique en Argentine dans les années 1970.
L’auteur aborde le roman policier, auquel il infuse une bonne dose d’ironie, avec Vladimir Ilitch contre les uniformes (1989), où plusieurs meurtres et enlèvements sont perpétrés sous le régime de la dictature militaire dans le Buenos Aires de 1977. Avec la crise économique de 1989 en toile de fond, Le Pas du tigre (1992) évoque la corruption des hauts dirigeants de la police impliqués dans un trafic de prostituées. Une galerie de personnages aussi désenchantés que cocasses brosse dans ce récit choral une fresque impitoyable de la société argentine de l’époque. Dans L’Effet tequila (1992) apparaît le policier Carlos Hernández, qui revient dans Poussière du désert (2001). Bigame, proxénète, maître-chanteur et ami des truands, c’est un bon père de famille et un agent de l’ordre qui, ironiquement, est soucieux de bien faire son métier. Ainsi n’hésite-t-il pas à payer de sa poche des collaborateurs pour faire toute la lumière sur une série d’assassinats visant des pornographes.
Selon Claude Mesplède, Lune d’écarlate (1994) est le chef-d’œuvre de Rolo Díez. À Mexico, Scarlett, une grande adepte de la littérature à l’eau de rose, croit encore au prince charmant, en dépit d’un divorce et d’une vie sexuelle qui tourne à vide. Quand elle rencontre Julio Cesar, elle est persuadée qu’il incarne le héros de ses rêves. Mais cet ancien malfrat, devenu indicateur de la police, s’avère plutôt un misérable petit sadique qui incendie et torture pour le compte d’un gouvernement néolibéral et corrompu qui ne recule devant rien pour se maintenir au pouvoir. Lune d’écarlate s’est vu décerner le prix Dashiell Hammett et le prix Semena Negra.
(Source Wikipedia)
Quatrième de couverture :
Dans son deux-pièces en plein cœur de Mexico, Scarlett est fin prête à devenir princesse. Dès le berceau, sa mère s’est brûlé les yeux à lui lire les chroniques mondaines et à lui confectionner des robes à la hauteur de ses ambitions. Mais le prince charmant tarde à se déclarer. En l’attendant, Scarlett est bien obligée de travailler et d’user de ses charmes pour arrondir ses fins de mois.
De son côté, poursuivi par la malchance, Julio César brûle ses amis sous les ponts, erre de prison en prison, écoute les délires d’ivrogne d’un émule de Bukowski, partage sa vie avec une clocharde, quand il ne travaille pas pour la police ou ne pousse pas les gamins sous les roues des camions dans son rôle de défenseur de la loi.
Que l’on poursuive un rêve absurde ou que l’on dérive de hasards en crimes, on est fichu si on ne sait pas déchiffrer les messages de la lune, une lune ensanglantée par les exactions d’une bande de flics aussi sadiques que pervers.
Rolo Díez, l’ancien militant, a un talent formidable pour pointer la brutalité du dieu Libéralisme. Sa condition d’exilé lui a appris à déporter son regard pour mieux voir. Dans la plus pure tradition de la tragédie grecque, Lune d’écarlate offre un tableau particulièrement lucide du Mexique des années 90. Rolo Díez confirme dans ce septième roman son art de concilier noirceur et humanisme.
Mon avis :
On naît pauvre, on meurt pauvre. Concepcion a toujours voulu le mieux pour elle, pour sa fille … mais surtout pour elle. Elle a tant rêvé devant le film Autant en emporte le vent, qu’elle a appelé sa fille Scarlett. Elle lui a tellement seriné, répété qu’elle était une future reine, qu’elle était la plus belle du monde, qu’elle avait tout d’une reine, que la petite y a cru. Mais la vie ne nous offre pas tous nos désirs.
Julio César est un truand, un moins que rien, dont le seul but est de ne pas mourir et de monter dans une échelle sociale sans grand intérêt. Il sera braqueur, indic, agent double, tortureur, tueur, violeur … et se fera mener par bout du nez par plus fort et plus intelligent que lui. Ces deux-là vont se rencontrer, ne vont pas se marier et ne vont pas avoir beaucoup d’enfants …
Voilà un conte moderne cruel et d’une noirceur sans pareil, probablement un des romans les plus durs et les plus pessimistes que je n’aie jamais lu. Alors qu’au début du roman, l’auteur utilise l’humour et la dérision pour se moquer des rêves, de l’égoïsme et des illusions de Concepcion, le ton devient vite noir et méchant pour mettre brutalement les personnages en face d’une société plus cruelle qu’eux, qui n’en a rien à faire des êtres humains.
Tous les personnages vont donc nous paraître dérisoires, mêmes ceux qui tentent juste de vivre (tels que Juan le père de Scarlett, qui tient une boulangerie pour subvenir aux besoins de sa famille, ou Œil du Diable, trop moche pour trouver des clients). Et cela va donner des scènes d’une violence émotionnelle rare, allant jusqu’à la description d’une orgie sexuelle à vomir.
Il faut juste savoir que le style de l’auteur est brillant, maniant la langue entre description et sentiments (et je tire un grand coup de chapeau au traducteur !). Que certains passages ont des paragraphes longs de quelques pages mais ne sont pas lassants. Que le déroulement de ce conte pour adultes n’est pas chronologiquement linéaire. C’est donc une histoire noire qui se mérite. Qu’on se le dise.