Editeur : Gallimard – Série Noire
Traducteur : Sébastien Rutés
Outre d’être une découverte, ce premier roman (sauf erreur de ma part) est une excellente surprise aussi bien dans sa forme que dans son fond, le genre de polar attachant dont l’on ressort pleinement satisfait, voire plus. Formidable !
Toni Trinidad, c’est pas le genre très malin. Orphelin très jeune, il s’est donné pour mission de protéger sa sœur Vega … et inversement. Heureusement, ils sont tombés dans une famille d’adoption qui leur a permis après un passage traumatisant dans l’orphelinat. Leur père adoptif a négocié avec le maire un poste de policier municipal pour Toni et Vega a obtenu la gestion d’une casse automobile à Ascuasà la suite de la disparition de son mari violent Chimo.
Toni a l’habitude d’aller prendre son café chez son ami Triste, et de commencer sa journée ensuite, avec une visite chez sa sœur. Mais ce matin-là, on lui apprend que Triste s’est pendu à la branche d’un de ses arbres. Quand il arrive, il observe trois traces de pneus de voiture, une de trop. Mais qui est-il, lui, pour donner des leçons à la police judiciaire alors qu’on le connait comme l’idiot du village.
Vega a un problème avec l’alcool, et un ras-le-bol de sa vie, coincée dans ce village. Comme elle utilise sa casse comme plateforme pour le trafic de drogue de l’Apiculteur, une idée émerge de garder une livraison pour elle. Elle vient justement d’apprendre qu’une voiture pleine d’argent allait transiter chez elle. Mais les hommes de Rocha, de la brigade des stupéfiants, guettent devant sa porte, sans qu’elle le sache.
A priori, des intrigues mettant en scène un village où les habitants représentent une frange de la population se retrouvent plutôt et aisément chez les auteurs anglo-saxons. Et il est toujours surprenant de trouver des auteurs se lançant dans cette aventure sachant qu’ils se comparent aux maîtres du genre, Jim Thompson en tête. Pourtant, on retrouve dans ce roman une véritable originalité voire une liberté dans le traitement, une certaine folie déjantée et un humour grinçant à souhait typique de la littérature espagnole (dont je ne suis pas un spécialiste, je préfère le préciser).
L’idée de génie est de positionner en plein milieu de ce marasme explosif un « idiot du village » ou du moins veut-il se faire passer pour tel, tout en autodérision, en se dévalorisant à tout moment. D’ailleurs, il précise qu’il réalise une action pour faire avancer son enquête dans le but de bien se faire voir par les gens. On va voir Toni se prendre des coups voire plus jusqu’à ce qu’une étincelle fasse resurgir l’homme qui est en lui.
En termes de liberté d’écriture, Marto Pariente s’autorise tout, donnant voix à chacun des personnages comme les meilleurs romans choraux, mais variant de l’un à l’autre dans la syntaxe, la narration pour Toni, le tutoiement pour Vega, et la troisième personne pour les autres. Cela lui permet d’évoquer la vie de famille, la difficulté de vivre de son travail, la corruption, le pouvoir des politiques, la soif inassouvie d’argent des promoteurs immobiliers, la complicité des banques, la course à la promotion professionnelle …
De toutes ces intrigues mêlées avec brio, Marto Pariente nous présente une situation explosive n’attendant qu’une étincelle pour tout se transforme en catastrophe et cela ne manque pas de survenir. Et malgré l’amoralité affichée et les attitudes minables de tout un chacun, on se retrouve avec une lecture fortement addictive pleine de célérité grâce à ses chapitres ultra-courts. L’auteur se permet même de nous surprendre jusqu’à la dernière ligne, avec un événement totalement inattendu, signe d’un grand, ou futur grand du polar. A découvrir d’urgence.
Un grand merci à Coco mon dealer de livres pour ce prêt. Il a comparé ce roman à un film des frères Coen totalement déjanté.