Archives pour la catégorie Littérature espagnole

La sagesse de l’idiot de Marto Pariente

Editeur : Gallimard – Série Noire

Traducteur : Sébastien Rutés

Outre d’être une découverte, ce premier roman (sauf erreur de ma part) est une excellente surprise aussi bien dans sa forme que dans son fond, le genre de polar attachant dont l’on ressort pleinement satisfait, voire plus. Formidable !

Toni Trinidad, c’est pas le genre très malin. Orphelin très jeune, il s’est donné pour mission de protéger sa sœur Vega … et inversement. Heureusement, ils sont tombés dans une famille d’adoption qui leur a permis après un passage traumatisant dans l’orphelinat. Leur père adoptif a négocié avec le maire un poste de policier municipal pour Toni et Vega a obtenu la gestion d’une casse automobile à Ascuasà la suite de la disparition de son mari violent Chimo.

Toni a l’habitude d’aller prendre son café chez son ami Triste, et de commencer sa journée ensuite, avec une visite chez sa sœur. Mais ce matin-là, on lui apprend que Triste s’est pendu à la branche d’un de ses arbres. Quand il arrive, il observe trois traces de pneus de voiture, une de trop. Mais qui est-il, lui, pour donner des leçons à la police judiciaire alors qu’on le connait comme l’idiot du village.

Vega a un problème avec l’alcool, et un ras-le-bol de sa vie, coincée dans ce village. Comme elle utilise sa casse comme plateforme pour le trafic de drogue de l’Apiculteur, une idée émerge de garder une livraison pour elle. Elle vient justement d’apprendre qu’une voiture pleine d’argent allait transiter chez elle. Mais les hommes de Rocha, de la brigade des stupéfiants, guettent devant sa porte, sans qu’elle le sache. 

A priori, des intrigues mettant en scène un village où les habitants représentent une frange de la population se retrouvent plutôt et aisément chez les auteurs anglo-saxons. Et il est toujours surprenant de trouver des auteurs se lançant dans cette aventure sachant qu’ils se comparent aux maîtres du genre, Jim Thompson en tête. Pourtant, on retrouve dans ce roman une véritable originalité voire une liberté dans le traitement, une certaine folie déjantée et un humour grinçant à souhait typique de la littérature espagnole (dont je ne suis pas un spécialiste, je préfère le préciser).

L’idée de génie est de positionner en plein milieu de ce marasme explosif un « idiot du village » ou du moins veut-il se faire passer pour tel, tout en autodérision, en se dévalorisant à tout moment. D’ailleurs, il précise qu’il réalise une action pour faire avancer son enquête dans le but de bien se faire voir par les gens. On va voir Toni se prendre des coups voire plus jusqu’à ce qu’une étincelle fasse resurgir l’homme qui est en lui.

En termes de liberté d’écriture, Marto Pariente s’autorise tout, donnant voix à chacun des personnages comme les meilleurs romans choraux, mais variant de l’un à l’autre dans la syntaxe, la narration pour Toni, le tutoiement pour Vega, et la troisième personne pour les autres. Cela lui permet d’évoquer la vie de famille, la difficulté de vivre de son travail, la corruption, le pouvoir des politiques, la soif inassouvie d’argent des promoteurs immobiliers, la complicité des banques, la course à la promotion professionnelle …

De toutes ces intrigues mêlées avec brio, Marto Pariente nous présente une situation explosive n’attendant qu’une étincelle pour tout se transforme en catastrophe et cela ne manque pas de survenir. Et malgré l’amoralité affichée et les attitudes minables de tout un chacun, on se retrouve avec une lecture fortement addictive pleine de célérité grâce à ses chapitres ultra-courts. L’auteur se permet même de nous surprendre jusqu’à la dernière ligne, avec un événement totalement inattendu, signe d’un grand, ou futur grand du polar. A découvrir d’urgence.

Un grand merci à Coco mon dealer de livres pour ce prêt. Il a comparé ce roman à un film des frères Coen totalement déjanté.

La face nord du cœur de Dolores Redondo

Editeur : Gallimard – Folio Policier

Traducteur : Anne Plantagenet

Sélectionné parmi les finalistes du trophée du meilleur roman étranger de l’Association 813, j’avais acheté ce roman à sa sortie suite à de nombreux conseils de mes collègues et amis blogueurs. Ils avaient raison !

En aout 2005, Amaia Salazar, sous-inspectrice de la police de Navarre, vient suivre une conférence au siège du FBI à Quantico. Son objectif est d’acquérir des compétences dans la détermination des profils de tueurs en série et devenir ainsi profileuse. La conférence est assurée par l’agent spécial Duprée, reconnu comme étant un génie dans les analyses de serial killers.

Lors de la présentation d’un cas réel, Amaia qui semble être d’un caractère réservé, participe activement à l’activité proposée et impressionne Duprée. En proposant une nouvelle façon d’analyser les indices, elle met en lumière une nouvelle piste potentielle. Duprée l’aborde donc lors d’une pause au restaurant et lui propose d’intégrer leur groupe d’enquête sur la chasse au tueur qu’ils vont maintenant dénommer Le Compositeur.

Ce dernier profiterait en effet des catastrophes naturelles pour s’immiscer dans des familles en détresse et d’assassiner des familles entières, composées de deux parents, trois enfants et de la grand-mère. La situation devient urgente quand on leur annonce un cyclone de niveau 1, nommé Katrina, se dirige vers la Nouvelle Orléans et va bientôt devenir un des ouragans les plus dévastateurs que les Etats-Unis ont connu.

Il ne faut pas avoir peur de se jeter à corps perdu dans ce pavé de 750 pages, tant on se retrouve rapidement emmené dans ces enquêtes menées par deux génies policiers. Et il n’est pas nécessaire d’avoir lu la trilogie de Betzan pour aborder ce prequel, qui va nous présenter la jeunesse d’Amaia, mais aussi celle de Duprée et l’obsession de ce dernier dans la recherche de jeunes filles disparues en Nouvelle Orléans.

A base d’allers-retours entre présent et passé, entre les deux personnages principaux mais aussi des autres enquêteurs du FBI, Dolores Redondo nous passionne à nous décrire la démarche utilisée, la façon d’utiliser les indices à la disposition des agents du FBI pour essayer de déterminer la psychologie du tueur, et en déduire sa façon d’opérer. On va ainsi passer plus de temps à assister à des brainstormings qu’à une course poursuite effrénée, dans la première partie.

Puis arrive l’ouragan, et le décor change pour devenir un champ de désolation, que l’auteure va nous faire vivre par les yeux d’Amaia, seule personne extérieure (car non américaine) et seule personne choquée par la façon dont les gens sont traités, ou devrais-je dire non secourus. A coté, la façon d’aborder le vaudou dans l’enquête de Duprée parait un peu pâlotte. C’est dans cette deuxième partie que l’on trouve cette phrase extrêmement explicite et que je garderai longtemps en mémoire :

« Des terroristes détruisent le World Trade Center et le pays bascule dans le malheur, mais quand une ville entière à forte population noire disparaît sous l’eau, qu’est-ce que ça peut faire ? Aurait-on trouvé normal que quatre jours après la destruction des tours jumelles l’aide ne soit toujours pas arrivée ? »

La face nord du cœur, « le lieu le plus désolé du monde », comme l’annonce Dolores Redondo en introduction, se révèle un excellent thriller, irrémédiablement bien construit et original dans sa façon d’aborder une enquête sur un serial killer. En ayant décrit les racines d’Amaia, elle nous donne envie de nous plonger dans la trilogie de Betzan qui va suivre ces événements et publiés antérieurement.

Histoire universelle des Hommes-Chats de Josu Arteaga

Editeur : Nouveau Monde éditions

Traducteur : Pierre-Jean Bourgeat

Pourvu que l’on accepte la forme, que l’on connaisse l’histoire de l’Espagne, ce premier roman est une vraie surprise, probablement l’une des meilleures en cette année 2022. L’auteur nous présente une autopsie d’un village, une petite histoire dans les interlignes de la grande Histoire.

« A Olariz, nous comprenons la mort et la vie à notre façon. Tout nait, tout meurt. Ni plus ni moins. Et ce, depuis la première aube. Pour les humains ou les animaux. Sans distinction. La vie est la neige première. La mort est la neige piétinée. Les deux sont semblables. »

Le narrateur va donc nous raconter la vie de ce village renfermé sur lui-même, en y mêlant ses souvenirs personnels. Ainsi, il se rappelle son père, accoucheur qui mettait bas des juments. Il avait sept ans quand son père l’avait emmené Olaiceta, Ce matin-là, le narrateur avait trouvé un œuf avec deux jaunes lors de son petit déjeuner. Cela aurait dû être un bon présage. Mais le jeune poulain est né avec deux têtes. Alors, il a emmené la jeune bête dans les bois pour l’achever et l’enterrer. Plusieurs années après, une truie donna le jour à douze petits, comme le nombre des apôtres de Jésus. De rage et de douleur, la truie s’est jetée sur eux et les a tous dévorés. Il en va ainsi de la vie et de la mort. Et il faut toujours écouter les présages, et surtout bien les interpréter.

Le narrateur se rappelle aussi Teodora, une jeune femme honnête et pauvre. Son mari avait choisi le camp de la révolution et le couple haïssait le curé et sa religion. Ils travaillaient dans un ferme de riches sans enfant et espéraient hériter à la mort des propriétaires quand un petit Gabriel vit le jour. On dit que le mari de Teodora y mit le feu et Gabriel en réchappa. Par contre, il mourut encore bébé et on dit que Teodora enduisait ses tétons de poison avant de les donner à Gabriel. Les propriétaires les chassèrent et tout le monde au villages les appelaient Les Damnés …

Dans un village rural, éloigné de toute modernité, ce village va nous raconter ses petites histoires, embringuées dans la Grande Histoire. Par son éloignement, il ne subit pas les conséquences de ce qui se passe à l’extérieur. Et les lois sont revenues celles de la nature, celles du plus fort, celles du village. Les hommes y sont rugueux, taiseux, et préfèrent régler leurs affaires entre eux plutôt que de faire appel à quelqu’un d’extérieur. D’ailleurs, on n’y trouve pas de police, chacun fait sa justice.

Construit comme une suite de nouvelles, ce roman tient son fil directeur avec ce narrateur, que l’on imagine vieux, repensant au passé de ceux qui nous manquent. Chaque petit événement est l’occasion pour lui de se rappeler une scène, une personne, un fait marquant. La narration se fait donc sans aucun dialogue et de façon très directe. Cela en devient remarquable quand il arrive à nous passer en revue toute une vie et de faire revivre des fantômes devant nos yeux. J’ai adoré cette narration.

J’ai eu l’impression que l’auteur faisait appel dans certains chapitres à des faits de l’histoire espagnole, et n’en connaissant que des bribes, je me suis senti délaissé, j’ai eu l’impression de passer au travers. Par contre, le dernier chapitre, contre toute attente, est terrible et donne à l’ensemble la cohérence que j’attendais. Josu Arteaga se permet même de nous pointer du doigt, nous montrant que les horreurs qu’il a décrites n’ont rien à envier à celles du monde actuellement. On prend une bien belle claque pour la fin, voire même quelques réflexions philosophiques très justes. Voilà un premier roman surprenant et surtout très réussi. Auteur à suivre.

Double Noir Saison 5

Claude Mesplède, le pape du polar, nous a quittés fin 2018 après s’être lancé dans une dernière aventure. L’association Nèfle Noire propose des nouvelles noires, l’une d’un auteur « ancien », l’autre d’un auteur contemporain. L’association Nèfle Noire a décidé de continuer l’aventure et pour l’occasion, a décidé de changer le format.

Fini le format A6 regroupant 2 nouvelles, voici un mini recueil de 75 pages avec 4 nouvelles à l’intérieur. Et cette saison 5 nous propose quatre nouvelles extraordinaires, pour le prix de 8 euros, avec, comme d’habitude, une introduction judicieuse de l’auteur. Pour vous le procurer, et / ou acheter les volumes précédents, il vous suffit d’aller sur le site www.doublenoir.fr/, vous téléchargez le bon de commande, un petit chèque et hop ! Vous avez même la possibilité de payer directement par Paypal.

Donc, voici un petit aperçu des 4 nouvelles de la saison 5 :

Saison 5 – Episode 1

Jean Giraudoux : D’un cheveu

Le docteur Watson sort d’une après-midi coquine avec Madame Holmes, quand Sherlock le rencontre. Devant l’émoi et la gêne de son ami, Sherlock, de son esprit logique hors du commun, va tout deviner … ou presque.

Adoptant le ton de Sir Arthur Conan Doyle, Jean Giraudoux va nous écrire une petite nouvelle se moquant du célèbre détective, comme une gentille boutade hilarante. Le plaisir de lire ainsi que la chute de la dernière phrase font de cette nouvelle un morceau de littérature à ne pas manquer.

Saison 5 – Episode 2

Luigi Pirandello : L’autre fils

Traduction : Benjamin Crémieux

Dans un petit village sicilien, la vieille Maragrazia, habillée de vieilles fripes, frappe à la porte de Ninfarosa. Devant l’absence de réponse, elle s’écroule en pleurs, la priant de l’aider à écrire une lettre à ses deux fils partis chercher fortune aux Amériques. Elle ne veut que leur demander quelques lires pour s’habiller avant l’hiver. Il faudra un jeune docteur pour découvrir le secret terrible d’une famille.

De la vie d’un petit village en passant par les pauvres femmes abandonnées par leurs hommes partis vers le nouveau monde, des commérages à une terrible histoire de famille, cette nouvelle est exemplaire sur tous les points. Car on ne peut deviner les terribles secrets que renferment ces 28 pages d’une noirceur terrible.

Saison 5 – Episode 3

Benoit Séverac : Le casse-tête (s)

Dans le cimetière de Cazères-sur-Garonne, les têtes de trois hommes sont découvertes. L’une est récente, les deux autres datent de quelques décennies. Le capitaine Yves Letourneur et le brigadier Etcheverry sont mandatés pour enquêter sur ce mystère. La première étape consiste à identifier la tête reconnaissable et se dirigent donc vers la mairie.

En une vingtaine de pages, Benoit Séverac nous déroule une enquête policière en ne dédaignant ni les décors, ni les psychologies des personnages, ni le déroulement de l’intrigue. Et quand en plus, on débouche sur une fin terrible, on se rend compte qu’on a entre les mains un tour de force formidablement réussi

Saison 5 – Episode 4

Maxime Gillio : Joëlle

« J’ai encore rêvé d’elle ; c’est bête ; elle n’a rien fait pour ça ».

Qui n’a pas écouté, rêveur, cette mélodie imparable avec des paroles si simples qu’on ne peut les oublier. Et puis, pour ceux qui l’ont vue, il y a cette jeune femme qui semble si timide, avec cette voix comme descendue des cieux. Le narrateur raconte, romance, sa rencontre avec Joëlle, la façon dont il reste dans l’ombre pendant qu’elle grimpe les marches du succès, puis sa descente aux enfers.

Fort subtilement, avec beaucoup d’humilité, Maxime Gillio raconte cette histoire simplement d’où émerge des flots d’émotions et de pitié pour cette jeune fille prise dans les engrenages du show-business, broyée par une machine cruelle.

Oldies : Cinq femmes et demie de Francisco Gonzales Ledesma

Editeur : L’Atalante (2006) ; Points (2011)

En cette année 2020, nous allons fêter les 50 années d’existence de la collection Points, et les 40 ans de Points Policier. Cela faisait un bon bout de temps que je voulais découvrir Francisco Gonzales Ledesma et son personnage d’inspecteur récurrent Ricardo Méndez. Il aura fallu un cadeau de mon ami Jean le Belge pour que je me lance. Je peux vous dire qu’après cette lecture, je lirai toutes ses enquêtes.

L’auteur :

Francisco González Ledesma, né le 17 mars 1927 à Barcelone et mort le 2 mars 2015 à Barcelone, est un écrivain espagnol, auteur de nombreux romans policiers. Son personnage le plus célèbre, l’inspecteur Ricardo Méndez, apparaît pour la première fois dans Le Dossier Barcelone. La qualité et la force de ses romans lui ont valu les faveurs du public, la reconnaissance de ses pairs et de nombreux prix littéraires.

Né le 17 mars 1927 dans le quartier populaire de Poble Sec à Barcelone, c’est grâce à l’aide d’une tante qu’il étudie au collège, puis entreprend des études de droit qu’il finance avec des « petits boulots » et en écrivant des « pulps ». De 1951 à 1981, sous le pseudonyme de Silver Kane, Francisco González Ledesma écrit plus de mille westerns et romans d’aventures qu’il livre parfois au rythme de trois par mois. En parallèle, entre 1957 et 1965, il a recours au pseudonyme Rosa Alcázar pour faire paraître une vingtaine de romans d’amour. En 1948, son premier roman signé de son patronyme, Sombras viejas, est couronné par le Prix international du roman. Cependant, interdit trois fois, il ne sera jamais publié en Espagne.

Déçu par la profession d’avocat, il cherche une autre voie. L’assouplissement de la loi sur la presse lui permet de devenir journaliste en 1963, ce qui lui permet de « réaliser un vieux rêve d’enfance ». Il entre à La Vanguardia, dont il deviendra rédacteur en chef. Il y fonde un syndicat de journalistes clandestin auquel adhère un autre futur auteur de romans policiers, Manuel Vázquez Montalbán. Refusant d’écrire le moindre papier sur Franco pour ne pas trahir ses opinions, il devient un orfèvre dans l’art de rédiger les informations de façon défavorable au régime sans encourir les foudres de la censure.

La transition démocratique qui suit la mort du caudillo lui permet de faire publier un premier roman sous sa véritable identité : Los Napoleones. Cet ouvrage, écrit en 1967, n’avait jamais été présenté à la censure par l’éditeur, de peur de le voir interdit. Les années 1980 sont fécondes pour Francisco González Ledesma qui crée le personnage de l’inspecteur Ricardo Méndez dans Le Dossier Barcelone (Expediente Barcelona, 1983), suivi par sept titres dans le même cycle. Il publie également dix autres romans noirs. Il utilise à deux reprises le pseudonyme Enrique Moriel pour faire paraître des romans noirs.

Il reçoit la Creu de Sant Jordi en 2010.

Quatrième de couverture :

Palmira Canadell est morte violée puis assassinée par trois voyous. Et Méndez n’a reçu pour mission que d’assister à son enterrement. Il fera davantage en partant explorer les petits cafés, les rues étroites, les appartements et les cours intérieures où se cachent les secrets de Barcelone. Le sang coule dans la cité catalane, et des ombres y planent aussi.

Méndez observe que cinq femmes se réunissent dans un bar en vue d’un tournage publicitaire : certains trembleraient s’ils savaient la vérité. Tandis que, depuis la fenêtre de sa chambre, une autre femme découvre en son nouveau voisin un tueur chargé de l’assassiner.

« Voici l’histoire la plus intime de Méndez, de ses vieilles solitudes et de ses rues qui n’ont l’air de conduire nulle part. C’est aussi l’histoire secrète de six femmes (peut-être cinq et demie seulement) que leur naissance destinait à n’être que des victimes, dévorées l’une après l’autre par les hommes riches de la ville. »

Mon avis :

Quelle personnage que ce Ricardo Méndez ! Relativement âgé mais refusant de prendre sa retraite, son chef le charge d’activités sans importance. Mais il s’intéresse aux affaires envers et contre tous, de façon non officielle. Il n’arrête pas non plus les truands ou assassins, s’arrangeant pour leur passer l’envie de franchir la ligne jaune. Mais c’est surtout un personnage à l’image de son pays, regrettant le passé illustre de l’Espagne, celle avant la dictature, regrettant la décrépitude de Barcelone, regrettant la modernité qui transforme les humains en machines sans sentiments.

Pour cela, il vit dans son quartier pauvreux et sale, et se retrouve avec une affaire dont il ne doit pas s’occuper : Une femme a été enlevée, violée et tabassée à mort. Son corps a été retrouvé dans un terrain vague. Pourtant, elle était du genre à ne pas se laisser faire. En parallèle, il se croit suivi par un tueur à gages, Reglan et se tient prêt à toute agression. Et puis, il y a cette femme qui raconte sa vie, poussée à la prostitution par sa mère … et puis il y a ces cinq femmes qui se préparent à un tournage publicitaire …

Roman foisonnant, roman déstructuré, roman baroque, le ton y est des plus originaux mais aussi parfaitement cohérent, à la fois par le sujet, le décor et le personnage de Ricardo Méndez. On n’y est jamais perdu, et même, on s’attache à tous ces personnages rencontrés, tous ces lieux visités. Le Barcelone que l’on parcourt est loin du faste de Las Remblas, les trottoirs sont sales, les nuits glauques, et Ledesma nous partage son amour de ces immeubles populaires, de ces quartiers humains.

Et puis, il y a ce sujet terrible, ces scènes d’une dureté et d’une ignominie infâme : ces femmes tour à tour insultées, maltraitées, battues, violées, voire tuées par des hommes riches, dont l’impunité fait monter la rage, la colère et l’envie de tout balayer d’un coup de balayette. La plume de Francisco Gonzales Ledesma a cette puissance unique pour faire passer ce message et il montre que malgré les années qui passent, rien ne change jamais, la société s’enfonce de plus en plus dans l’ignominie. Et ces femmes représentent une belle allégorie de la ville de Barcelone, qui s’est laissée séduire par l’argent et a laissé son peuple perdre son espoir au profit du capitalisme, quand la corruption et l’impunité sont élevées au rang de nouvelle religion. Un roman toujours d’actualité, hélas.

J’ai tué Kennedy de Manuel Vázquez Montalbán

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; Points (Poche)

Traducteur : Denise Laroutis

En cette année 2020, nous allons fêter les 50 années d’existence de la collection, et les 40 ans de Points Policier. Après Fredric Brown, voici le premier roman dans lequel apparaît le plus que célèbre Pepe Carvalho. C’est un roman pas comme les autres.

L’auteur :

Manuel Vázquez Montalbán (né à Barcelone le 14 juin 1939 et mort à Bangkok, Thaïlande le 18 octobre 2003) est un romancier, essayiste, poète et journaliste espagnol catalan, surtout connu pour ses romans policiers ayant pour héros Pepe Carvalho. Personne inclassable, il se définissait lui-même comme un « journaliste, romancier, poète, essayiste, anthologiste, préfacier, humoriste, critique et gastronome », ou plus simplement comme « un communiste hédoniste et sentimental ». Il obtient en 1995 le Prix national des Lettres espagnoles.

Issu d’un milieu modeste, Manuel Vázquez Montalbán est le fils unique d’une modiste et d’un militant du PSUC, qu’il ne connut pas avant l’âge de cinq ans, quand son père sortit de prison. Il fit des études de philosophie et de lettres à l’université autonome de Barcelone, et fut diplômé de l’école de journalisme de Barcelone. C’est d’ailleurs à l’université qu’il rencontre son épouse, l’historienne Anna Sallés Bonastre, qui lui donne en 1966 son fils unique, Daniel Vázquez Sallés, lui aussi devenu écrivain et journaliste.

Il s’engage politiquement dans les mouvements de gauche catalans, milite au PSUC et devient même membre du Comité central. Ces activités le mènent dans les prisons franquistes. En 1962, un conseil de guerre le condamne à trois ans de prison pour ses activités dans la résistance anti-franquiste. C’est dans la prison de Lérida qu’il écrit son premier essai, Informe sobre la información.

Après être sorti de prison, il commence sa carrière de journaliste dans la revue Triunfo, et collabore à plusieurs publications, telles que Siglo XX, Tele/Xprés, Por Favor. Par la suite, il écrit également dans des journaux réputés tels qu’El País, Interviú (es) ou Avui, dans lesquels il signe des articles jusqu’à sa mort.

En 1967, il publie son premier recueil de poésie, Une éducation sentimentale, suivi en 1969 de Movimientos sin éxito. La même année parait son roman Au souvenir de Dardé. Mais c’est en 1972 qu’il crée le célèbre personnage du détective Pepe Carvalho.

Montalbán a créé une des séries de roman noir les plus prolifiques de la littérature espagnole. Le personnage principal en est Pepe Carvalho, un détective privé catalan et gastronome. Il est assisté, professionnellement et culinairement, par Biscuter, rencontré dans les prisons de Lérida. Ces romans furent un moyen pour l’auteur de donner une chronique sociopolitique, historique et culturelle des quarante dernières années de l’Espagne et du monde contemporain.

On peut souligner ainsi dans Meurtre au Comité Central, de 1981, Montalbán raconte l’assassinat d’un dirigeant communiste, en pleine crise de l’Eurocommunisme du PCE. En 1993, il évoque les fastes de la Barcelone olympique dans Sabotage olympique.Il fait également part dans ces romans de ses passions, comme la gastronomie, en particulier les spaghetti.

Manuel Vázquez Montalbán reçoit plusieurs prix : le Premi Creu de Sant Jordi en 1985, le Prix national de Narration pour Galindez en 1991, le prix Europa en 1992 et le Prix national des Lettres espagnoles en reconnaissance de toute son œuvre en 1995.

Il meurt le 18 octobre 2003 d’une crise cardiaque à l’aéroport Suvarnabhumi de Bangkok.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Pepe Carvalho entre en scène : détective privé nihiliste, gourmet, grand lecteur et brûleur de livres, il a pour mission de camper un tueur super entraîné, à la fois garde du corps et assassin du président américain, pour le compte de la CIA et du lobby du pétrole. Une première enquête hallucinatoire qui sape le mythe Kennedy dans une joyeuse sarabande de marionnettes, d’ellipses et de délires.

 » Un texte drôle, effronté, d’une belle force d’invention.  »

Dernières nouvelles d’Alsace

Mon avis :

Edité en 1972 mais traduit en France seulement en 1994, ce roman est le premier dans lequel apparaît le personnage de Pepe Carvalho. N’en ayant lu aucun, c’est donc une totale découverte mais ce n’est probablement pas celui par lequel il faut commencer. En effet, Pepe Carvalho apparaît (ou pas) comme l’assassin de Kennedy, et l’histoire est racontée par le garde du corps le plus proche du président et de sa famille.

En réalité, il n’y a pas d’enquête, juste un meurtre qui survient vers la fin du roman (il est dans le titre), et entre temps beaucoup de férocité envers la famille que tout le monde adule, regrette, vénère. C’est surtout un roman en forme de véritable charge contre les Etats-Unis, ce royaume du paraître, du rôle de gendarme du monde alors qu’ils ne cherchent à servir que leurs propres intérêts.

Sur la base de photos, l’auteur a imaginé ce que pourrait être la vie des Kennedy, les montrant plus attirés par leur image, les détaillant dans toute leur futilité. Et Manuel Vázquez Montalbán n’y va pas de main morte, mêlant des scènes d’une drôlerie féroce, d’un ridicule irrésistible, au milieu de scènes délirantes, comme si tout le monde était sous l’emprise d’une substance illicite.

Pepe Carvalho n’apparaît ici que comme une ombre, une personnalité inquiétante et menaçante. Tout le roman est écrit comme le journal du Garde du corps du couple présidentiel et à ce titre, il nous décrit des choses renversantes, scandaleuses. Jackie par exemple est plus impliquée par l’architecture d’un palais, JFK étant montré comme un superficiel pantin qui déteste ses enfants. Et tout ce ramdam est justifié au nom de l’anticommunisme primaire !

Je ne suis pas sûr que ce soit le bon roman à lire pour aborder l’œuvre de Manuel Vázquez Montalbán. Et personnellement, je vais y revenir avec une autre enquête. Car si je me suis beaucoup amusé avec celui-ci, je pense qu’il y a tant d’autres aspects à découvrir avec cet auteur. A suivre donc …

Je ne suis pas un monstre de Carme Chaparro

Editeur : Plon

Traductrice : Judith Vernant

J’ai bien hésité avant de lire ce livre, faute à la quatrième de couverture qui donne l’impression que l’on va lire un énième roman sur une disparition d’enfant. Il aura fallu l’avis de Jeanne Desaubry (http://jeanne.desaubry.over-blog.com/2019/10/vous-avez-dit-monstrueux.html) pour que je me décide. En fait de thriller bas de gamme, j’ai eu entre les mains un excellentissime roman choral. Et c’est un premier roman !

Inès est une journaliste pour une chaîne de télévision Canal Onze. Elle a un vrai don pour présenter des événements dramatiques et faire naître des émotions incroyables chez ses spectateurs. C’est pour cela qu’elle a eu un succès phénoménal quand elle a écrit son premier thriller, premier et unique pour le moment. Alors, son éditeur la pousse à se lancer dans l’écriture de son deuxième roman, mais elle ne tient pas le sujet. C’est lui qui lui propose d’assister à une réunion de thérapie de groupe. Là, elle entend un témoignage d’une femme prise dans une inondation avec ses enfants, obligée de sacrifier l’un de ses petits pour sauver les autres.

Ana Arén est inspectrice-chef à la brigade des mineurs de Madrid avec un dossier plus que parfait. Comme elle est physiquement superbe, elle attire forcément les convoitises. Ce matin-là, le commissaire Luis Bermudez convoque tout le monde : il leur annonce qu’il va y avoir du changement ; la direction lui demande de partir pour laisser la place à David Ruipérez, un homme à la réputation impitoyable. Au même moment, des appels téléphoniques font état de la disparition d’un petit garçon, Kike. Ana veut réussir cette enquête à tout prix. En effet, deux ans auparavant, un petit Nicolas a disparu au même endroit. On ne l’a jamais retrouvé, et c’est le seul échec d’Ana. La légende créée par les médias dit qu’il a été enlevé par Slender man.

Quand on commence la découverte d’un nouvel auteur (en l’occurrence une nouvelle auteure), il y a toujours une adaptation à faire quant au style ou à la construction du roman. C’est ce que j’ai ressenti lors des 2 premiers chapitres (soit 12 pages), étant surpris par le punch et la brutalité de l’écriture. Les phrases claquent, il n’y a pas de temps mort et je n’ai pas l’habitude de lire ça dans un roman psychologique.

Car si la quatrième de couverture peut nous faire croire à un thriller, c’est bien un roman psychologique que nous propose Carme Chaparro, avec un scénario d’enfer et une fin que je qualifierai d’anthologie. Si la construction est classique, proche d’un roman choral, ce roman se détache par son acuité à présenter les réactions des différents protagonistes aux événements dramatiques auxquels ils vont être confrontés.

Ana et Inès vont constituer le fil conducteur de cette histoire et donner l’occasion de présenter des problématiques telles que la guerre des polices, les influences des politiques dans une enquête, les relations conflictuelles avec les chefs, ou même le rôle des médias dans les résolutions des enquêtes. Dans chacun de ces thèmes, Carme Chaparro excelle car elle y place au centre un être humain avec ses sentiments, ses problèmes, ses réactions humaines (ou non).

Et je dois dire que j’ai été totalement bluffé par les émotions qui déferlent de ces pages malgré un style brut, la justesse des réactions et cette capacité à trouver les mots justes au bon moment. Je peux vous assurer qu’à certains moments, votre gorge va se serrer, ou vos yeux vont s’ouvrir devant l’horreur. Quant à la chute de ce roman, et chute est le bon terme, elle ouvre sur une dénonciation des monstres de notre société (et ce ne sont pas ceux que vous croyez, mais je ne peux vous en dire plus).

Je ne suis pas un monstre s’avère au final une belle dénonciation de cette société avide de sensations, avide d’opportunités au nom de l’argent, avide de sang et surtout celui des autres. C’est aussi et surtout un premier roman impressionnant, époustouflant, émotionnellement très fort et qui ne peut que vous faire réagir. J’espère sincèrement que mon avis vous donnera envie de lire le livre et qu’il n’en a pas trop dit quant à l’intrigue …

Oldies : La vie même de Paco Ignacio Taibo II

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Juan Marey

Je continue ma rubrique Oldies qui est consacrée en cette année 2018 à la collection Rivages Noir. J’ai choisi un auteur connu dont je n’ai jamais lu un roman, et c’est l’occasion de découvrir le Mexique dépeint par Paco Ignacio Taibo II.

L’auteur :

Paco Ignacio Taibo II ou Francisco Ignacio Taibo Mahojo, né le 11 janvier 1949 à Gijón en Espagne, est un écrivain, militant politique, journaliste et professeur d’université hispano-mexicain, auteur de romans policiers.

Né en 1949 à Gijón, dans les Asturies, en Espagne, «il grandit au sein d’une famille espagnole très engagée dans la lutte contre le franquisme.» En 1958, il a 9 ans quand sa famille de la haute bourgeoisie de tradition socialiste, émigre pour le Mexique, fuyant la dictature. Le jeune Paco est déjà un passionné de lecture grâce à son grand-oncle, féru de littérature. Son père Paco Ignacio Taibo I écrivain, gastronome, dramaturge et journaliste travaille pour la télévision mexicaine jusqu’en 1968.

En 1967, Paco Ignacio Taibo II écrit son premier livre, mais ce n’est qu’en 1976 qu’il publie son premier roman noir Jours de combat (Días de combate), où il met en scène pour la première fois son héros, le détective Héctor Belascoarán Shayne, un ancien ingénieur, diplômé d’une université américaine, qui est devenu détective privé à Mexico. Ce personnage borgne qui, comme son nom le laisse deviner, est d’origine basque et irlandaise, rappelle les héros des univers de «Hammett pour le côté politique et de Chandler pour le côté moral, mais il fait aussi référence à Simenon pour les aspects du quotidien.» Deux autres séries policières ont été créées par l’auteur : l’une, historique, met en scène quatre amis du révolutionnaire Pancho Villa, dont le poète Fermin Valencia ; l’autre, qui se déroule à l’époque contemporaine, a pour héros José Daniel Fierro, un célèbre auteur de roman policier qui réside à Mexico, sorte de double de Taibo.

Paco Ignacio Taibo II devient professeur d’histoire à l’Université de Mexico dans les années 1980. Il a écrit de nombreux essais historiques sur le mouvement ouvrier, ainsi qu’une importante biographie de Che Guevara qui le fit connaître largement au-delà du Mexique.

En avril 2005, il écrit avec le sous-commandant Marcos (pseudonyme de Rafael Guillén) le roman Des morts qui dérangent (Muertos incómodos). En outre, il est président de «l’association internationale du roman noir» et collabore activement à l’organisation de la Semana negra (Semaine noire), festival de littérature et de cinéma de Gijón.

Depuis 2007, il est le conseiller de la maison d’éditions L’Atinoir qui publie à Marseille de la littérature d’Amérique latine. Il collabore depuis 2016 à la revue Délibéré, dans laquelle il a publié des nouvelles ainsi que des articles consacrés au football, à la lecture, ou à l’écrivain et journaliste argentin Rodolfo Walsh.

(Source : Wikipedia)

Quatrième de couverture :

En un an et demi, deux chefs de la police municipale de Santa Ana, la ville  » rouge  » du nord du Mexique, ont été assassinés. Jose Daniel Fierro, célèbre écrivain de romans policiers, accepte de leur succéder. Il est bientôt confronté à deux cadavres (dont celui d’une « gringa », retrouvé nue dans l’église du Carmel), à la corruption, aux émissaires du gouvernement central, qui essaie de contrarier le destin  » rouge  » de la municipalité et à une histoire policière sans solution qui est plus proche de  » la vie même  » que de la fiction.

Mon avis :

C’est un roman original dans la forme que nous propose Paco Ignacio Taibo II plus que dans le fond. Le sujet aussi participe à l’intérêt que l’on peut porter à ce roman, puisqu’une ville, gangrenée par le crime va faire appel à un auteur de romans policiers pour prendre la tête de la police. Et tout incompétent qu’il est, José Daniel Fierro va apporter aux policiers les méthodes pour résoudre les affaires qu’il a en charge.

Il y a à la fois une sorte de recul, de détachement dans la narration mais aussi beaucoup d’humour, de dérision envers une ville qui s’est habituée à être la proie des truands et des tueurs. Et la résolution ne sera pas extraordinaire comme on peut la trouver dans les romans policiers habituels mais elle viendra de témoignages des uns et des autres.

Avec ses chapitres très courts, Paco Ignacio Taibo II va alterner les chapitres narratifs avec les lettres de José Daniel Ferrio à sa femme qui est restée au pays, ce qui nous montre son état de stress et ses questionnements, mais aussi avec les propres notes de l’auteur de romans policiers en vue d’écrire l’histoire de la municipalité rouge de Santa Ana. C’est la façon qu’a choisi l’auteur pour dénoncer les travers de son pays, la corruption généralisée, les politiques véreux et la mainmise des criminels sur la ville. Ce roman s’avère à la fois un témoignage et une mise en garde sur le chemin néfaste qu’a pris son pays, le Mexique, dans les années 80, et il est intéressant, passionnant de le lire encore aujourd’hui.

Franco la muerte (Arcane 17)

C’est un fait inédit : on annonce la sortie d’un recueil de nouvelles pour fêter les 40 ans de la mort de Franco. Vingt nouvelles écrites par vingt auteurs, au format imposé mais au sujet libre. Ce roman se veut aussi un rappel, un cheveu sur la soupe de l’oubli. Rien que pour certaines de ces nouvelles, ce recueil vaut le coup. Ce recueil sort demain 27 aout 2015.

Je vous propose de regarder cela dans le détail :

Moi et Franco de Patrick Amand :

Sous la forme d’un souvenir de famille, l’auteur nous conte comment le père de son ami Roberto aurait pu tuer le général lors d’un attentat pendant une partie de chasse. C’est une belle illustration d’un assassinat littéraire par procuration.

Le banquet du bas monde d’Alain Bellet :

A la mort de Franco, au ciel, tout le monde est content. De nombreux personnages se côtoient, mais je manque de culture pour apprécier pleinement cette nouvelle.

Mon village fantôme d’Antoine Blocier :

Alors qu’il découvre un article de papier jauni sur le village de Janovas, le narrateur va évoquer les drames qui sont survenus là-bas et qui ont marqué sa famille. Toute en retenue, mais plein de rage, un pan de l’histoire espagnole à faire froid dans le dos. Rien qu’à lire la première phrase, on en a des frissons.

Mauricio Lopez est communiste ! de Frédéric Bertin-Denis :

Il s’appelle Pedro, il a 14 ans, il conduit le troupeau vers les pâturages. En ce 8 aout 1942, il est arrêté par les troupes franquistes, pour ses relations supposées communistes, alors qu’il ne sait même pas ce que cela veut dire. L’auteur de Viva la muerte que j’avais adoré nous concocte une formidable nouvelle dramatique, au style sans émotion, efficace comme un uppercut au foie.

Le raid du F-BEQB de Didier Daeninckx :

Il fallait tout le talent de Didier Daeninckx pour écrire en seulement vingt pages une enquête policière passionnante qui démarre avec un véhicule retrouvé dans un canal et qui se termine avec une certaine amertume. Excellent.

Porque te vas de Jeanne Desaubry :

Elle s’appelait Valérie, étudiait à la Sorbonne. Elle s’était décidée d’aller voir un film de Carlos Saura … Encore une fois, Jeanne Desaubry nous sort une nouvelle bien noire, un vrai concentré de polar, pour le plaisir du lecteur.

Le cimetière des deux mères de Pierre Domenges :

Esteban subit une séance d’hypnotisme qui va le ramener à l’époque des enfants volés du franquisme.

L’ombre de la Santa Cruz de Maurice Gouiran :

Le 20 novembre a lieu à Madrid le diner des patries, où tous les partis fascistes se donnent rendez-vous pour célébrer la mort de Franco. Le narrateur a décidé de gâcher les festivités en hommage à Pedro. Une nouvelle intéressante car on y apprend plein de choses et la chute est excellente.

El Ogro (L’ogre) de Gildas Girodeau :

Cette nouvelle conte la préparation et la réalisation de l’attentat à la bombe contre le successeur désigné au général Franco. La bombe était cachée derrière une sculpture dénommée L’ogre qui représentait des enfants mangeant l’ogre.

A quelques minutes près … de Patrick Fort :

1973, Madrid. Virtudes est une petite fille qui fait tout le temps le même cauchemar : un ogre vient la dévorer. Adelina sa mère la réveille pour assister à l’église… Une nouvelle parfaite, passionnante qui comporte juste ce qu’il faut de descriptions et de psychologies.

Franco : La muerte de Hervé Le Corre :

Le soir de la mort de Franco …

« Il y a dans Bordeaux, entre la flèche Saint Michel et le cours de la Marne, un vieil homme qui sourir à la photo de son fils, tué un jour de juillet pendant la bataille de l’Ebre. »

Une nouvelle magnifique

Gratia Plena de Sophie Loubière :

La lettre de Franco à son père, pleine de rage est une nouvelle remarquablement écrite. Je ne suis pas sur que cet homme ait fait montre d’humanité mais littérairement parlant, ces quelques pages sont un grand moment.

GAL-OAS de Roger Martin :

Au travers d’une lettre de Eva-Maria Dirche, fille de Jean-Paul Dirche, à Robert Ménard, nouveau maire de Béziers, l’auteur écrit une charge contre les relations entre l’Espagne et la France, les attentats fascistes et les relations entre le Gal et l’OAS. Fichtre, voilà une bien belle charge contre les barbouzes et certains hommes politiques !

Les Couacs Franco de Jacques Mondoloni :

Le 14 novembre 1975, pendant un concert au Palais des Congrès, on apprend la mort de Franco.

Decimas de Ricardo Montserrat :

Ricardo Montserrat donne la parole à Franco, qui écrit une lettre à Joseph Staline pour décrire la manipulation et l’extermination de son peuple.

Garrots-Gorilles de Chantal Montellier :

Agnès Saulnier, professeur de vingt six ans, prend fait et cause pour les révolutionnaires espagnols suite à la condamnation au garrot de Salvador Puig Antich. Elle devient même dessinatrice politique engagée. La suite de l’histoire va nous montrer la recette du garrot à la française. Une nouvelle révoltante.

Los Caidos de Max Obione :

Une jeune étudiante loue une chambre chez un vieil homme à moitié aveugle. Petit à petit, leur relation va devenir plus étroite et il va parler de l’Espagne, de sa jeunesse, de ses parents. Elle va l’aider à réaliser sa promesse, son rêve. De toutes les nouvelles, celle-ci remporte la palme de l’Emotion. Tout y est si vrai et si sobrement écrit. Et puis, cette dernière phrase nous arrache un sourire, un rire amer.

Je ne suis pas Franco de Jean-Hugues Oppel :

Un prisonnier, soupçonné d’être un terroriste, n’a qu’une seule phrase en bouche : « je ne suis pas Franco ». C’est l’occasion pour l’auteur de rappeler quelques évidences qu’il est bon de se rappeler telle celle-ci : « Tuer un homme pour défendre une idée, ce n’est pas défendre une idée, c’est tuer un homme. »

La faute du toubib de Gérard Streiff :

Les derniers jours de Franco montrent un homme paranoïaque. Quand la maladie se déclare, un jeune reporter, amant de la fille d’un des docteurs a accès à des informations en avant-première. Il devient la coqueluche du tout Paris. Jusqu’à ce que …

Les vivants et les morts de Maria Torres Celada :

L’inspecteur Francisco Alcantara est passé du camp républicain au camp pour l’armée franquiste. Cette nouvelle montre la progression d’un homme qui n’a jamais pris de décision et qui a mené sa vie en suivant le cours d’eau du temps. Remarquablement écrit.

Bien que ce ne soit pas une lecture commune, l’ami Claude a aussi parlé de ce recueil aujourd’hui même ici

Bouclage à Barcelone de Xavier Bosch (Liana Levi)

C’est une belle découverte que nous propose Liana Levi, le genre de roman qui emprunte les codes du polar pour nous montrer le quotidien des journalistes, tout en nous invitant subtilement à réfléchir à leur mission.

Dani Santana est un présentateur de journal télévisé, qui connait un grand succès de par ses sujets traités et sa classe naturelle. Riera, le président honorifique du conseil éditorial du Cronica le convoque et lui propose de prendre la direction du journal en tant que directeur de la rédaction. Ce journal populaire est sous la direction de A.B.C., directeur général du groupe Blanco, du nom du propriétaire de la holding de communication. Dani accepte le challenge. Il n’avait pas trop le choix, s’il refusait, il ne présenterait plus le journal télévisé.

Il y a quatre départements au Cronica, troisième journal de Barcelone. Ismael Cardena est à la tête de la rubrique Politique ; Ernest Pla s’occupe de l’économie et de l’actualité internationale ; Berta Masdeu s’occupe du service photographique. Marcel Miro quant à lui s’occupe des Arts et spectacles. Monica Callol est aux sports, JR Fernandez pour la rubrique télévision, et Ricard Vilalta est le chef des informations. Enfin, Senza dirige la rubrique Société.

Dani Santana veut donner un nouveau souffle au journal. Sa première Une concerne les activités nocturnes sur Las Ramblas, oscillant entre prostitution et trafic de drogue. Forcément cela ne plait pas au maire, qui est en pleine campagne électorale. Son deuxième coup concerne les vendeurs ambulants de canettes de bière qui, soi-disant, servent à récupérer de l’argent pour les islamistes. Puis vient un scoop sur le candidat à la mairie, actuellement député. Toutes ces infos lui viennent de Senza et Dani, au milieu de la tourmente, décide de le couvrir. Mais la tempête ne fait que commencer.

Ce roman, même si j’y ai trouvé quelques imperfections, est bigrement intéressant. Je commence par ce qui m’a gêné ; comme ça, on est débarrassé. Ce roman alterne entre une narration à la première personne avec le personnage de Dani, et des chapitres à la troisième personne du singulier avec Senza ou des islamistes. C’est le genre de narration qui me gêne car il m’empêche de m’immerger complètement dans une histoire. C’est globalement le seul reproche que j’ai à faire à ce roman.

Car, outre que l’histoire est très bien menée, le contexte est bigrement intéressant. En fait, on voit un journaliste, brillant au demeurant, se voir offrir un poste de direction et découvrir les dessous d’un journal. Sans se montrer naïf, mais répétant la mission d’information du journaliste, l’auteur nous montre qu’il faut arrêter de se bercer d’illusions et qu’un journal est avant tout une entreprise donc qu’elle doit gagner de l’argent.

C’est là où ça devient intéressant, et que cela fait réfléchir. Car quand on publie une information, en restant le plus objectif possible, cela a forcément des conséquences pour les uns ou les autres, et donc tout le monde subit des pressions. L’impact est évident quand il s’agit des prostituées sur Las Ramblas et on imagine bien la pression de la part de la mairie. Cela est plus insidieux avec les vendeurs de canettes quand l’auteur nous montre la pression du fabricant de ces canettes, qui ne veut pas être assimilé à l’islamisme intégriste.

Et ce roman est une grande réussite, car la narration est fluide, les personnages passionnants, les jeux de pouvoir formidablement bien décrits. C’est aussi et surtout un roman qui vous oblige à réfléchir … et qui, au bout du compte, vous oblige à vous poser des questions quand vous regardez le journal télévisé ou ouvrez un journal d’information. Un roman qui ouvre les yeux, ce n’est pas tous les jours que l’on a ça entre les mains …