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Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches ? de San-Antonio

Editeur : Fleuve Noir

Dans le deuxième recueil des romans incontournables de Frédéric Dard dit San-Antonio, Anny Duperey nous propose deux romans dont celui-ci. Ce roman fait partie des incontournables parmi les œuvres de Frédéric Dard.

Les anecdotes :

Frédéric Dard a commencé à écrire ce roman avant l’enlèvement de sa propre fille Joséphine, qui est intervenu alors qu’il en écrivait la page 132. Il le reprendra une année après et terminera ce qu’il considère comme son roman maudit.

Alors que Fleuve Noir a décidé d’annoncer San-Antonio comme son auteur, alors qu’il n’apparait jamais dans l’intrigue, il s’agit d’un roman de Frédéric Dard et de la plus personnelle de ses œuvres.

L’accroche du roman lors de sa sortie en grand format est : « Les larmes de San-Antonio ».

Mon résumé :

Charles Dejallieu vit en Suisse à Gstaad et bénéficie d’une célébrité grâce au succès de ses romans populaires. Il vit avec sa femme Melancolia qui a un penchant pour les alcools forts et sa belle-fille Dora que Melancolia a eu d’un précédent mariage. Lorsqu’il tombe sur une photo d’un jeune garçon qui les mains sur les hanches, Dejallieu extrapole sur l’image et envisage d’en faire un roman.

Deux psuedo-journalistes Franky Muzard et Aldo Moretti se demandent comment gagner de l’argent facilement. Ils proposent à Dejallieu de réaliser une interview que ce dernier accepte. En parallèle, ils mettent au point un kidnapping de la petite Dora pour en obtenir deux millions de francs suisses. Ils profitent qu’elle soit sous la garde de la mère de Dejallieu pour réaliser leur forfait. Mais Dejallieu n’a pas l’intention de payer.

Mon avis :

Sans aucun doute, nous tenons là le roman le plus personnel de Frédéric Dard. On le voit dans le nom du personnage : Charles est le deuxième prénom de Frédéric Dard et Dejallieu rappelle qu’il est originaire de Bourgoin Jallieu. Le polaroid qui inspire Charles est même une photo de l’auteur qui cherchait à cacher son infirmité du bras gauche, à propos de laquelle il écrira : « Si jeune et déjà tricheur »

Le ton est donné dans ce roman que l’on a l’habitude de découper en deux parties alors que j’en discerne trois. Dans la première, l’auteur montre sa mélancolie tout en doutant, dans sa déprime désenchantée cynique, de son devenir en tant qu’auteur. Il ne se gène pas de laisser libre cours à sa verve voire à son humour vachard et ravageur, surtout quand il s’attaque à sa belle mère nymphomane.

Deuxième partie après l’enlèvement de Dora, et mise en place de l’intrigue policière … Frédéric Dard joue avec nos nerfs avant de trouver cette idée immensément dramatique qui va tout bouleverser, à la fois notre perception de Charles et l’intrigue va dans une direction totalement inattendue. Et je ne vous dirai rien sur la conclusion qui est juste extraordinaire comme seul pouvait l’imaginer M.Dard.

Ce serait une honte de dire que Frédéric Dard a écrit là son meilleur roman. Les San-Antonio sont des monuments d’humour, ses romans noirs sont de grands moments. Mais ce roman est indéniablement son plus personnel, où il évoque sa vie sans concession, presque sans pitié, par moments. Il ne se donne aucune excuse comme il ne pardonne pas à Charles. Et il en rédige leur tribunal.

Quelques citations impayables :

« Ce sera une chose difficile a faire, qui empoisonnera ma vie pendant six mois, qu’on tirera à quelques milliers d’exemplaires, à laquelle on consacrera quelques papiers ou émissions diverses et que l’on oubliera. Le fumier littéraire, tu sais ce que c’est, Heidi ? Ce sont les livres d’hier ! Des feuilles d’arbre, ma bonne : il en pousse et elles tombent et il en repousse encore. Il faut être fou pour faire le métier d’arbre. »

« Tout est vrai, assure Charles, surtout ce qui est inventé.

Ce n’est presque pas une boutade. Au long de sa carrière de romancier, il a eu maintes occasions de s’apercevoir qu’il inventait des choses qui se produisait par la suite. »

« Un livre mobilise presque totalement celui qui le cogite et l’écrit (…) Ses personnages sont enroulés autour de lui, tel le lierre parasite autour de l’arbre qu’il paralyse lentement. »

« Il ne suffit pas de vivre les affres de l’écriture, il convient ensuite d’en assurer la « promotion ». Le terme l’écoeure. (…) Vendre son livre après se l’être arraché de l’âme, de ses tripes, n’est-ce pas une dure condition ? »

« Il désespère des hommes, Charles Dejallieu. Ne les jugeait pas si bas, si veules, si purulents. Du coup, son œuvre est à reconsidérer. Il l’a bâtie sur une certaine conception du monde et il s’aperçoit qu’il nourrissait des idées fausses, que l’univers ne correspond pas à l’idée qu’il s’en faisait. Il a construit sur le sable des illusions. Les mauvais sentiments qu’il dénonçait sont véniels par rapport à ce qui est. On patauge dans l’ignominie, car estimer les autres capables de bassesse, c’est être bas soi-même, c’est se déshonorer par suppositions malsaines ; c’est opter pour le mal qu’on prétend dénoncer. »

Ce billet aurait été moins complet sans les blogs suivants :

http://francois.kersulec.free.fr/FK/SA/HTML/livre.php?CodeLivre=FITLPGQOLM&DepuisListe=TousLivresOC-%-Non&PosDansListe=352

https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/39300

https://touchezmonblog.blogspot.com/2024/01/san-antonio-faut-il-tuer-les-petits.html

Mirror Bay de Catriona Ward

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Szczeciner

L’année dernière, nous découvrions une nouvelle auteure et un roman pour le moins surprenant qui remettait sans cesse en cause les certitudes du lecteur ; il s’appelait La dernière maison avant les bois. Même si le thème est très différent, ce roman nous surprendre mais cette fois-ci, à mon avis, avec plus de maîtrise et un sujet plus sérieux. Place donc à Mirror Bay.

1989. La famille Harlow vient d’hériter de la maison de l’oncle paternel décédé et décide d’aller y passer leurs vacances estivales. Située au bord du Whistler Bay, cette région regorge de forêts, de gorges et de multiples endroits pour s’y amuser. Wilder Harlow, 17 ans, pense qu’il va s’y ennuyer et subir les disputes de ses parents. Heureusement, il rencontre deux adolescents de son âge : Nathaniel et la jeune Harper.

Pour ces jeunes, l’endroit se révèle mystérieux avec le vent qui siffle dans les entrailles des falaises. Wilder apprend par ses amis que des âmes errent dans les grottes et qu’un effrayant rôdeur s’introduit chez les gens la nuit pour prendre un polaroïd des enfants qui dorment dans leur lit. Petit à petit, les jeunes se confient leurs secrets et la réputation de ce coin perdu. L’année suivante, Wilder renvient avec ses parents pour des aventures bien plus dramatiques (ne comptez pas sur moi pour vous raconter !).

1991. Se rêvant écrivain, Wilder a quitté ses parents pour intégrer l’université. Il rêve de devenir écrivain et de raconter les événements qui se sont passés à Whistler Bay. Son premier colocataire Doug est un sportif. Il changera de chambre pour laisser sa place à Sky, jeune homme qui a déjà décidé d’écrire un roman. Les deux jeunes hommes vont se nourrir mutuellement pour écrire une histoire.

Il est bien difficile de faire un résumé du livre sans en dévoiler trop. Si vous trouvez les paragraphes précédents trop flous, c’est normal ! Au début du roman, on pense lire du Stephen King tant c’est bien fait. Et puis, dès que l’on parle d’une histoire avec des adolescents, on pense au King. Et les deux premières parties qui couvrent les deux premières années vont nous malmener avec de nombreuses révélations et des affaires criminelles terribles.

Entretemps, nous avons un paragraphe sur Pearl … mais qui est Pearl ?

Puis Wilder va entrer à l’université et le ton va changer, devenir plus sérieux et aborder tout d’abord le lien entre les deux jeunes hommes et ensuite leur rapport à la littérature. Très intéressante, cette partie offre aussi les premières dérives du roman, les premières scènes où on ne comprend pas trop comment tout cela finit par partir en vrille. En fait de vrille, il s’agit plutôt d’un voile que l’on soulève, d’une poupée russe que l’on ouvre.

Et Catriona Ward s’amuse dans la deuxième moitié du roman à nous balancer de droite et de gauche, alternant réel et virtuel, roman et vraie vie, mélangeant les personnages fictifs et vrais. Mais elle nous offre aussi et surtout une vraie réflexion sur la création, sur les auteurs, leur vie, leur douleur, sur le pouvoir des œuvres et sur le rôle des auteurs. Les écrivains ne sont-ils pas des voleurs ? ou bien est-ce la littérature qui nous dérobe notre vie ?

Je n’aime pas le terme de méta littérature que j’ai lu par-ci par-là, et qui me semble être un terme à la mode pour faire mieux vendre. Mais je dois dire que ce roman de Catriona Ward m’a amusé et aussi stimulé dans ma réflexion. Et oui, je l’ai préféré au précédent car je l’ai trouvé plus maitrisé, plus sûr de son propos. Ceux qui ont adoré le précédent vont adorer, ceux qui ne l’ont pas aimé devront passer leur chemin.

Billy Summers de Stephen King

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Jean Esch

En lice pour les trophées 2023 de l’association 813, je me suis donc penché sur le dernier roman en date du Maître Stephen King. Et c’est l’occasion de se laisser porter par un conteur hors du commun.

Billy Summers est un tueur à gages très prisé sur le marché, puisqu’il n’a jamais raté une mission. Il décide d’accepter une dernière mission avant de raccrocher définitivement. Il a toujours travaillé pour Nick après avoir été tireur d’élite dans l’armée américaine et avoir participé à la guerre d’Irak. Il n’accepte de tuer que des « méchants » comme il appelle les nuisibles à la société. Il couve une passion pour la lecture ; en ce moment, il plonge dans Thérèse Raquin d’Emile Zola dès qu’il en a l’occasion, alors qu’il passe pour un attardé devant les autres qui le côtoient.

Sa mission sera d’éliminer un dénommé Joe Allen, assassin d’un jeune garçon de quinze ans, alors qu’il se rendait à l’école six ans auparavant. Il sera amené au tribunal par une voiture de police et aura une possibilité à ce moment là. La date du procès devrait être fixée dans quelques mois. Pendant ce temps, Billy devra s’intégrer à la vie d’un immeuble en face du tribunal, se faire bien voir par ses voisins et leur faire croire qu’il est un écrivain en train d’écrire son livre.

Se fondre dans la foule, se lier d’amitié avec les gens fait partie de ses points forts. Il devra abandonner son rôle d’attardé et se faire passer pour un écrivain qui commence un roman. D’ailleurs, il décide d’écrire une histoire, la sienne mais romancée. Et cela débute avec son beau-père qui frappe sa sœur dans leur mobil-home. Il écrit comment il a voulu la défendre et a dû tirer une balle dans le ventre du monstre … sauf que … la vérité n’est pas exactement celle-là … sa sœur est morte sous les coups et lui a réussi à s’enfuir.

Même si je ne lis pas tous les romans de Stephen King, j’arrive encore à être surpris à chaque fois que j’en ouvre un. Monsieur Stephen King mérite son surnom de Maître, quel que soit le domaine dans lequel il se lance. Et pour Billy Summers, il nous offre un roman noir dans lequel il peut aborder les thèmes qui lui sont chers mais aussi quelques autres messages plus contemporains.

Dès le début, on se laisse embarquer dans cette histoire de tueur à gages qui s’engage dans son dernier contrat avant de raccrocher. Si ce thème a été maintes et maintes fois traité, il arrive dès les premières pages à nous passionner par ce personnage qui ne tue que les « méchants » et qui est passionné par la littérature. Et le premier choc arrive très vite dans l’intrigue quand il parle de son passé et de la mort de sa sœur … et de sa lâcheté puisqu’il décide de fuir.

Le roman peut être divisé en deux parties, sa mission tout d’abord puis sa fuite après une volte-face surprenante. Et cela lui permet de parler d’éducation et de transmission du savoir, de la guerre, des horreurs subies et des conséquences sur sa psychologie, mais aussi de littérature quand Billy Summers décide d’écrire son roman, et même de la nécessité pour un auteur d’être lu et surtout aimé pour ce qu’il a inventé.

Dans cet aspect, on sent bien que Stephen King, qui a souvent mis en lumière des personnages auteurs de littérature, parle d’un sujet qui lui est très personnel. La contemporanéité de son intrigue lui permet d’envoyer quelques piques envers Donald Trump et les Républicains. Et même si la fin peut sembler attendue, le Maître Stephen King arrive encore à nous surprendre.

Avec ce roman, Stephen King arrive à nous emmener, à nous passionner, et à nous offrir un plaisir de lecture comme si c’était un de ses premiers romans. Il nous démontre qu’il a encore des chose à nous dire et qu’il n’a pas son pareil pour nous conter ses histoires. Et sa sélection pour le trophée de l’Association 813 du meilleur roman étranger 2023 est amplement méritée.

Terres fauves de Patrice Gain

Editeur : Le Mot et le Reste (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

J’avais adoré De silence et de loup l’année dernière. La sortie de son nouveau romans, Les brouillards noirs, m’a donné l’idée de consacrer une semaine à cet excellent conteur qu’est Patrice Gain. Voici donc Terres fauves …

Alors qu’il peaufine la biographie d’Andrew Kearny, le gouverneur de New York City, David McCae reçoit l’ordre de son éditeur d’agrémenter son manuscrit d’un chapitre supplémentaire où il ferait intervenir un proche du gouverneur. Quoi de mieux que d’aller interviewer Dick Carlson, un ami proche du gouverneur et une idole reconnue de l’alpinisme pour avoir gravi un pic de plus de 8000m dans l’Himalaya ?

Malheureusement pour David, Dick Carlson habite à Valdez en Alaska. Pour y accéder, il faut prendre un hydravion, un bateau, bref toute une aventure voire un cauchemar pour ce citadin pure souche qui ne se sent bien qu’en ville. Arrivé sur place, il est confronté au climat rigoureux et à l’animosité des autochtones mais arrive tout de même à décrocher un rendez-vous avec la Gloire américaine.

Le premier contact avec Dick Carlson s’avère froid, voire agressif. David enregistre leur conversation qui dure toute la nuit autour de quelques bouteilles de whisky. A tel point que les deux hommes finissent par s’endormir. Le lendemain, on vient le ramener dans une contrée plus civilisée mais l’hydravion tarde à se montrer. Il doit bien se rendre à l’évidence, Carlson et ses hommes l’ont abandonné en pleine nature.

Si ma précédente lecture d’un roman de Patrice Gain m’avait impressionné, celle-ci me confirme tout le bien que je pense de lui. D’ailleurs j’avais écrit à propos de De silence et de loup : Avec une simplicité remarquable dans le style, mais avec une vraie profondeur dans les thèmes traités, ce roman comporte des scènes d’une force dramatique impressionnante et des thèmes tristement contemporains dans l’actualité),

Si ce roman touche moins à l’actualité, il nous démontre à quel point Patrice Gain est un conteur hors pair. Dans un premier tiers, David nous raconte sa vie, son objectif d’être fier devant son père et ses erreurs, en particulier le fait qu’il délaisse sa compagne et sa sœur. Tout est fait pour nous le rendre sympathique malgré son inconstance et son immaturité. On ressent aussi particulièrement bien la torture pour lui de sortir de sa zone de confort et de se confronter à un environnement hostile.

Pour lui, ce voyage en Alaska ressemble à une torture qui va devenir un cauchemar dans une scène effrayante située au milieu du roman, LA scène du roman. A partir de ce moment, Patrice Gain nous dessine un personnage en quête de vengeance, de justice mais aussi de rédemption envers ses proches. Une nouvelle fois, on ne peut que louer les qualités de conteur de l’auteur.

Ce roman confirme donc tout le bien que l’on peut penser de Patrice Gain. Il a cette faculté de créer des personnages aux prises à des situations inextricables et a le talent de nous parler de sujets différents. Ici il s’agit de l’impunité des gens de pouvoir et on retiendra de cette lecture une scène en particulier. Il me conforte à continuer de lire les romans de cet auteur au talent rare.

Dans les règles de l’art de Makis Malafékas

Editeur : Asphalte

Traducteur : Nicolas Pallier

Cela faisait un petit bout de temps que je ne m’étais pas penché du côté de chez Asphalte. Il a suffi que mon dealer de livres attire mon attention sur ce premier roman pour que je plonge aussitôt. Accrochez-vous, ça va vite.

Ecrivain grec vivant à Paris, Mikhalis Krokos profite du lancement de son dernier roman consacré un musicien de jazz John Coltrane pour revenir à Athènes. Tout est prévu pour que le livre soit annoncé en grandes pompes lors de la Documenta, la grande exposition d’art contemporain, qui est pour la première fois décentralisée en Grèce.

Il retrouve Christina, sa grande amie, qui lui demande un service. Lors d’une soirée orgiaque, leur ami Harry a demandé à ses invités de dessiner sur un tableau pour créer une œuvre nouvelle. Alors qu’elle avait abusée d’alcool et de drogues, elle a fait un pari de dérober le tableau, ce qu’elle a fait. Mais, pleine de remords, elle voudrait le rendre à Harry et ne sait pas comment le faire.

Le lendemain matin, malheureusement, Christina se rend compte que quelqu’un a pénétré chez elle et a dérobé le tableau. Krokos, par gentillesse, accepte de rendre visite à son ami Harry dans sa luxueuse villa d’Hydra pour savoir s’il est l’auteur du vol ou s’il tient vraiment à récupérer cette peinture sans aucun intérêt. Krokos vient de mettre un doigt dans un engrenage qui va le dépasser.

Ce roman comporte tous les ingrédients d’un polar pour me plaire. On se retrouve avec un personnage principal jeté en pâture dans une affaire qui au départ peut paraitre simple et qui va se compliquer au fur et à mesure. On apprécie le style simple et rythmé ainsi que les événements qui s’enchainent et qui créent un tourbillon qui nous entraine dans sa course folle. Bref, c’est du pur plaisir.

J’ai été surpris de la facilité de l’auteur à nous faire vivre l’ambiance chaude (cela se passe en été) d’Athènes, à nous décrire la ville et à nous présenter le festival, les coulisses, les antis qui montent leur propre contre festival. Et on a droit aussi à des fêtes, toutes plus orgiaques les unes que les autres, avec drogues, alcools et sexe à gogo, ce qui entre en opposition avec l’état de délabrement du pays.

Et c’est ce chemin là que Makis Malafékas nous propose d’emprunter avec le trafic d’œuvres d’art, élargissant même son propos au niveau international, dans lequel il ne se gêne pas pour montrer une Grèce plus victime que proactive sur ce terrain. Je ne sais pas si ce qu’il raconte à des bases réelles, le fait est que j’ai passé un bon moment avec ce roman et que je le recommande chaudement (je vous rappelle que cela se passe à Athènes en été !). Et puis, un auteur qui cite Richard Brautigan est forcément à suivre !

L’homme peuplé de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Est-il seulement imaginable de ne pas acheter le nouveau roman de Franck Bouysse ? Est-il seulement imaginable de ne pas le lire et de ne pas en parler. Que nenni !

Caleb habite une petite maison dans une campagne perdue de France. Il se rappelle Sarah sa mère, qui prenait soin de lui, tous ces petits gestes qui font l’amour. Il se rappelle aussi quand il lui avait présenté sa première petite amie, comment elle l’avait presque insultée pour qu’elle s’éloigne de son fils. Par contre, Caleb ne connait pas son père, et d’ailleurs, Sarah n’en parle jamais.

Caleb se rappelle quand l’ambulance a débarqué, pour emmener la vieille Privat qui loge en face. Caleb la voyait nourrir ses poules, s’occuper de son jardin. La vieille était morte avant d’arriver à l’hôpital, contrairement à sa mère qui avait fait une crise cardiaque quand il avait parlé d’avoir une femme. Peut-être n’était-il pas fait pour avoir de femme, en tant que sourcier ? En attendant, Caleb voit un homme emménager dans la maison de la Privat.

Alors que son premier roman a été adulé par les critiques et le public, Harry a tenté d’écrire un deuxième opus. Mais il sent que la sincérité n’y est pas, il ne veut pas se mentir, donc mentir au lecteur. Il vient d’acheter une maison, dans un coin perdu, pour retrouver son âme, ou pour fuir l’effervescence des milieux littéraires. Peut-être va-t-il retrouver ici l’inspiration qui lui fait tant défaut ?

On se retrouve dans ce nouveau roman en territoire connu, dans une campagne isolée, avec deux hommes que tout oppose. L’un est issu du cru, issu de la Terre, matériel ; l’autre est étranger, spirituel ou à tout le moins intellectuel. On trouve d’ailleurs une belle image dans le livre où Caleb fouille dans le puits quand Harry visite son grenier, créant entre eux la distance égale de la Terre au ciel.

De même, on y retrouve cette vie dure, âpre, avec sa météo rigoureuse et ses habitants qui ne s’adressent pas plus d’un mot. On y retrouve Caleb, sorte de sourcier, que tout le monde craint car il serait capable de jeter des sorts. Ma foi, on a déjà lu ce genre de scénario chez Franck Bouysse, et on serait tenté de laisser tomber ce roman sous ce fallacieux prétexte. Sauf que quelques dérapages attirent l’œil, quelques reflexions semblent plus personnelles et la fin nous rassure.

Franck Bouysse utilise son terrain de prédilection pour parler de la création littéraire, pour se questionner que la page blanche, sur l’inspiration mais aussi et surtout sur la nécessité de ne pas se mentir, de rester honnête envers soi-même et donc envers son lectorat. A ceux qui pourraient lui reprocher de prendre tout le temps le même décor, les mêmes personnages, il leur répond par ce livre, il leur dit son intégrité, son refus de la compromission.

Et puis, il y a ce style qui n’appartient qu’à Franck Bouysse. On n’y trouve jamais un mot de trop dans une phrase, mais une nouvelle façon d’aborder les choses. Franck Bouysse nous invite à regarder le monde autrement, en s’aidant de la richesse de la langue et de la poésie dont il fait preuve. Comme le dit ma femme : « C’est très bien écrit, on n’est plus dans la littérature, on touche à la poésie … du Franck Bouysse, quoi ! ». Dont acte

Oldies : Demande à la poussière de John Fante

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; 10/18 (Format Poche)

Attention, coup de cœur !

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Ce mois-ci, je vous propose de découvrir un des meilleurs auteurs américains, dont je ne connaissais que Bandini, le premier tome de son quatuor. Demande à la poussière en est le troisième.

L’auteur :

John Fante, né le 8 avril 1909 à Denver (Colorado) et mort le 8 mai 1983 à Los Angeles (Californie), est un romancier, nouvelliste et scénariste américain.

Fils d’immigrants italiens (son père était né à Torricella Peligna et sa mère, italo-américaine, était la fille d’un immigré de l’Italie méridionale)1, John Fante naît au Colorado (États-Unis) en 1909, au sein d’une famille croyante et conservatrice. Son enfance de gamin des rues turbulent se fera au sein d’une école jésuite, où Fante découvrira le besoin de liberté, la sexualité et l’écriture.

Il commence à écrire très tôt et, si on en croit ses romans autobiographiques, se montre un enfant particulièrement sensible, enflammé, charismatique et avide de la beauté du monde. À trois reprises entre 1927 et 1931, ses tentatives de mener des études universitaires échouent au bout de quelques mois.

À 20 ans, il se rend à Los Angeles (en 1929) où il travaille notamment dans une conserverie de poisson (évoqué dans La Route de Los Angeles) et exerce de nombreux petits boulots pour survivre. Avide de littérature, le jeune homme se nourrit spirituellement avec Knut Hamsun, Dostoïevski, Nietzsche, Jack London et Sinclair Lewis, et fait ses premières gammes en écriture.

Ses premières nouvelles attireront l’attention de H. L. Mencken, rédacteur en chef de la revue littéraire The American Mercury, qui publiera régulièrement, dès 1932, la prose du jeune Fante (sa première nouvelle est publiée alors qu’il a 23 ans, mais il se fait passer pour plus jeune, par orgueil et goût de la mise en scène de son propre talent) et gardera même une correspondance de 20 ans avec le jeune écrivain.

En 1933, son roman La Route de Los Angeles (The Road to Los Angeles) est refusé car jugé trop cru et trop provocant (malgré une correction de son ébauche vers 1936, le roman ne sera publié qu’en 1985, après sa mort).

Son premier roman Bandini, paraît en 1938. Largement autobiographique, le récit y suit les pérégrinations du jeune Arturo Bandini, fils d’immigrés italiens, habile rhéteur, manipulateur, joueur et jouisseur, qui a quitté son Colorado natal pour se faire une place au soleil. L’œuvre est habile, élégante, montre un Bandini/Fante sûr de lui et de sa folie, bien en adéquation avec la personnalité de Fante : menteur, joueur, il n’a pas hésité ici, et comme il ne cessera de le faire, de travestir la réalité, pour lui donner plus de substance, plus de goût, plus de puissance. Et l’effort marche à merveille : Bandini est un héros inimitable, borderline, toujours à chercher l’extrême et la nausée dans ses envies : l’art, la philosophie, les femmes. Bandini constitue le premier quart d’un cycle autobiographique constitué de La Route de Los Angeles, Demande à la poussière (Ask the Dust, publié en 1939), et beaucoup plus tardivement de Rêves de Bunker Hill (Dreams from Bunker Hill, publié en 1982).

L’autre cycle de Fante, Molise, comprend Les Compagnons de la grappe (The Brotherhood of the Grape, 1977) et Mon chien Stupide (My Dog Stupid, 1986).

À l’époque de Demande à la poussière, Fante est encore un gamin torturé et impulsif, qui s’est installé dans un petit hôtel tenu comme une pension de famille par une dame patronnesse. Fante vit alors seul et envoie de l’argent à sa mère dès que tombe un cachet de l’American Mercury. Il prophétise le monde et est sans cesse tendu entre deux abîmes : les femmes et la littérature.

Sa rencontre avec Joyce, une étudiante fortunée, éditrice et écrivain, qu’il épouse en juillet 1937 lui permettra de s’adonner pendant de longs mois à ses deux passions, le golf et le jeu. Il trouve tout de même le temps d’écrire et d’éditer son plus grand succès de librairie Pleins de vie (Full of Life, 1952) dont la manne financière lui permet d’acquérir une maison à Malibu. Le succès de sa dernière parution lui ouvre aussi les portes d’Hollywood. De 1950 à 1956, John Fante vit sous le règne de l’abondance, il travaille notamment pour la Fox et la MGM où il devient un scénariste important et reconnu avec les films My Man and I (1952), Full of Life (1956), Un seul amour (Jeanna Eagels, 1957), Miracle à Cupertino (The Reluctant Saint) (1962), La Rue chaude (Walk on the Wild Side, 1962), Mes six amours et mon chien (My Six Loves, 1963) et le téléfilm Something for a Lonely Man (en) (1968). Il est nommé aux Writers Guild of America Award du meilleur scénario en 1957 pour Full of Life. Durant cette période, il se rend également pour travailler à Rome et à Naples et ces séjours réveillent en lui la nostalgie de ses origines italiennes.

Cette carrière fut vraisemblablement alimentaire pour Fante, qui regrettait la cruauté bruyante de son travail de romancier. Il tombe alors dans un oubli relatif jusqu’à ce que Charles Bukowski, qui le vénérait, entreprenne avec son ami et éditeur John Martin de Black Sparrow Press, de rééditer Demande à la poussière. La situation matérielle de Fante s’améliore dans les années qui suivent grâce à l’éditeur de Black Sparrow Books et à Bukowski qui font tant pour le faire redécouvrir du grand public ; mais Fante est désormais aveugle et cul-de-jatte à cause de complications liées à son diabète. À l’occasion de sa rencontre avec Charles Bukowski, Fante dit alors : « La pire chose qui puisse arriver aux gens c’est l’amertume. Ils deviennent tous si amers ». Peu avant sa mort, il dicte à sa femme Joyce les épreuves de Rêves de Bunker Hill. Il meurt en mai 1983, à l’âge de 74 ans.

Fante est le père de quatre enfants, dont l’écrivain Dan Fante.

(Source Wikipedia)

Résumé :

Pendant la grande dépression, Arturo Bandini est un écrivain tourmenté et fauché vivant dans un hôtel résidentiel de Bunker Hill (Los Angeles). Il crée inconsciemment une image de Los Angeles comme une dystopie moderne à l’époque de la grande dépression. Démuni, il erre dans les cafés et fait la connaissance de Camilla Lopez, une serveuse au tempérament fougueux. Bien qu’attiré par cette belle Mexicaine, Bandini, d’origine italienne, rêve plutôt d’une alliance avec une Américaine, qui faciliterait son ascension sociale.

Or, chaque fois qu’il tente de s’éloigner de Camilla, celle-ci lui revient, sans qu’il puisse lui résister. Bandini lutte alors avec sa propre pauvreté, sa culpabilité catholique et son amour pour Camilla dont la santé se détériore. Elle-même est amoureuse de Sammy, mais il part s’exiler dans le désert en apprenant qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre, et refuse de la voir. Camilla est finalement admise dans un hôpital psychiatrique.

Lorsque son éditeur lui offre une somme importante pour son roman, Bandini décide d’emmener Camilla loin de Los Angeles et part s’installer avec la serveuse dans un bungalow sur la côte, où leur amour et l’ouvrage autobiographique en chantier se font écho. Il lui achète un chiot et repart à Los Angeles récupérer ses affaires. Lorsqu’il revient, elle a disparu. Il suit ses traces jusque chez Sammy, qui l’a déjà chassée et lui apprend qu’elle est probablement en train d’errer dans le désert avec son chien. Bandini essaie de la retrouver, en vain. Il prend une copie de son dernier roman tout juste publié, le dédicace à Camilla et le lance le plus loin possible dans la direction qu’elle a prise.

Mon avis :

Dans les années 30, un tsunami a déferlé sur la littérature américaine. Largement autobiographique, John Fante va donc décrire son arrivée à Los Angeles après avoir quitté son Colorado natal. S’il se persuade d’être le nouveau génie de la littérature, sa passion pour l’écriture va lui imposer de survivre un peu plus longtemps pour écrire, encore et encore, sur ses émotions, mais aussi son environnement.

A première vue, il s’agit d’une autobiographie mais ce roman dépasse très largement ce cadre tant au niveau du style que de ce qu’il raconte. Dès le début du roman, on est emporté par la fougue montrée par Arturo Bandini, l’alter-égo de John Fante. Chaque phrase est mûrement pensée, chaque mot comporte une puissance incroyable, une force d’évocation hors du commun. John Fante nous montre sa capacité à décrire son environnement, ses pensées, son entourage, son style emporte tout par sa passion, sa fougue, sa verve, son rythme. Et j’ose à peine le dire, peu importe ce qu’il raconte, on le suit.

Qui dit autobiographie, dit descriptif de la vie d’Arturo Bandini. Il va nous décrire sa vie et derrière ses tribulations va apparaitre un homme obsédé par l’écriture en se persuadant qu’il est un génie. On pourrait croire qu’il se veut écrivain parce que c’est un moyen facile de gagner sa vie, et de profiter de bons moments, des femmes et de l’alcool. Il n’en est rien, le peu d’argent lui sert à aller à la rencontre des autres pour alimenter ses nouvelles, pour leur donner plus de vie, plus de passion.

Pour autant, Arturo Bandini est un personnage à part. Voleur, menteur, bonimenteur, fabulateur, fabuliste, formidable conteur, il se représente la figure d’un écrivain comme un témoin maudit. Il ne faut pas croire qu’il écrit pour l’argent, il tient ce rôle comme une profession de foi, comme une nécessité pour vivre. De même, il considère qu’un écrivain doit vivre durement pour toucher à la vérité de ce qu’il exprime. Dès qu’il touche de l’argent, il dépense tout pour être sûr de vivre dans la pauvreté, pour être convaincu de toucher le fond. Seul un homme qui souffre peut devenir un artiste.

Contrairement à d’autres grands auteurs, il ne cherchera pas d’expédients, d’excitants, comme la drogue même s’il en parle. Sa volonté de vivre vite, de vivre durement, se retrouve motivée par l’alcool (surtout pour passer le temps) et les femmes. Sa relation avec Camilla et Vera se situera toujours dans une opposition Amour / Haine, avec toujours ce mantra qu’on sait ce qu’on aime quand on l’a perdu. Il malmènera, violentera les femmes de sa vie pour les perdre, juste pour être persuadé qu’il devra agir pour les retrouver. On retrouve d’ailleurs la même relation d’amour / haine envers la religion quand il appelle Dieu avant de le rejeter comme une gigantesque imposture.

Arturo Bandini va donc nous narrer la ville de Los Angeles, la grande ville pour lui qui est un campagnard. Il va nous montrer les rues et les quartiers glauques, les bars enfumés, les pauvres qui font la manche. Tout ce contexte servira de moelle épinière pour développer sa faculté à exprimer des émotions, à nous faire ressentir la pauvreté, la faim, la torture nécessaire qu’il s’impose pour atteindre le sommet de l’écriture.

Ce portrait d’un écorché vif, toujours en train de courir après un objectif dont il n’a aucune idée, est un voyage fantastique qui aborde le sujet de la difficulté d’écrire mais aussi la nécessité d’apporter un peu de beauté, de poésie dans un monde noir et sans pitié. Ce roman, c’est une pépite, un monument de la littérature, probablement encore plus fort que Bandini, que j’avais lu il y a plus de trente ans, car plus rythmé et empli de rage de vivre. Et on se rend compte du nombre d’écrivains qui ont été influencé par les romans de John Fante, auteur que l’on a tendance à oublier. Quelle injustice !

Coup de cœur !

La forêt des silences de Serge Brussolo

Editeur : H&O

L’année dernière, je découvrais avec beaucoup de plaisir Le cavalier du septième jour. Je me suis donc plongé avec envie sur ce nouveau roman, qui nous propose une plongée dans une forêt mystérieuse entourant un village qui ne l’est pas moins.

Le lieutenant J.T.Eldrick s’enfonce dans la plaine, pour rejoindre la citadelle. C’est son tour de garde, il doit surveiller la forêt alentour, silencieuse au point de ne percevoir ni bruits d’animaux ni chants d’oiseaux. Ancien vétéran du Vietnam, il s’est retiré dans le village de Hag’s (dont le vrai nom est Hairless Hag’s taffies, littéralement Les caramels de la vieille sorcière chauve).

Arrivé à son poste de garde, il monte dans la tourelle et surveille tout mouvement. Il sait très bien qu’il ne se passera rien avant la nuit. Ayant somnolé quelques minutes, il se réveille en pleine nuit ; un bruit l’a surpris. Effrayé par ce qu’il pourrait voir, il se terre et n’ose jeter un coup d’œil. Au petit matin, il trouve au pied de la citadelle un gâteau recouvert d’une crème qui ressemble à du sang coagulé. Dedans sont plantées trois bougies. Les bûcherons, êtres mystérieux qui habitent la forêt, réclament trois morts en offrande.

Naomi, jeune journaliste paranoïaque, enfile les kilomètres dans sa vieille voiture. Son patron, le richissime Bertram Aloysius Sweeton, propriétaire des éditions Sweeton& Sweet lui a demandé de retrouver son auteur phare Barney Lambster. Lambster a reçu une confortable avance pour écrire la biographie du juge Hooter et il ne donne plus de nouvelles. Il se serait rendu à Hag’s, ville que le juge Hooter a créée en 1867, en devenant le maire, le shérif, le juge et le bourreau.

Une nouvelle fois, je me suis laissé prendre par ce roman qui vous prend à la gorge dès les trois premiers chapitres. Le premier s’avère angoissant et mystérieux à souhait ; le deuxième est consacré à Naomi, dont on apprendra le passé par la suite ; et le troisième se consacre à l’accueil de Naomi par Ruth, la mairesse adjoint, qui va lui édicté les règles prévalant à Hag’s. On apprend donc que ce village ne bénéficie d’aucunes technologies, vivant en totale autarcie avec des règles de bonne conduite obligatoires. Très vite, Naomi a peur qu’on ne puisse jamais repartir de ce village.

Puis l’imagination de l’auteur nous prend par la main, dans des directions que l’on ne s’attend pas à lire. Inexorablement, la tension monte face aux événements et l’intrigue se transforme en sorte d’Escape Game, avec en parallèle le choix des trois victimes qui seront offertes en offrande. Mais ne croyez pas que cette histoire est aussi simple qu’il n’y parait. Car vous serez surpris par la tournure que prend ce roman.

D’un abord facile, écrit simplement, ce roman se veut un divertissement et il remplit largement son rôle. Relativement court, avec des chapitres d’une dizaine de pages, on passe d’un personnage à l’autre en passant par tous les sentiments, car Serge Brussolo sait parfaitement manipuler son lectorat.  Voilà un roman très divertissant qui vous fera passer quelques bonnes heures de lecture.

La ville de plomb de Jean Meckert

Editeur : Joëlle Losfeld éditions

Je continue ma découverte de l’œuvre de Jean Meckert avec un roman datant de 1949 et devenu depuis introuvable. Ce roman doit être considéré comme un questionnement de l’auteur sur son propre avenir.

Au premier niveau, l’auteur nous raconte la vie des ouvriers et surtout en dehors du travail, cherchant à oublier la monotonie et la répétition des journées sans but. Etienne Ménart et Martin Duhaut sont amis dans la vie et aussi éloignés que peuvent l’être le feu et la glace. Etienne est un impulsif qui cherche le plaisir immédiat alors que Martin est plus posé, plus timide et écrit son Grand Libre, La ville de Plomb.

Les deux jeunes hommes courent après la jeune et belle Gilberte Laurent, pour son physique en ce qui concerne Etienne, pour fonder une vie familiale en ce qui concerne Martin. Mais Etienne ne peut envisager de conquérir Gilberte s’il est puceau. Il décide donc de séduire Marguerite Pillot, la magasinière de 40 ans qui a encore de beaux restes.

La soirée entre Etienne et Marguerite qui ouvre le roman est typique des problèmes de communication mais aussi de la psychologie des personnages, ainsi que de la recherche du plaisir facile. Alors qu’Etienne a obtenu ce pour quoi il était venu, il n’accepte pas qu’elle insiste et cherche à le retenir. Lorsqu’il la frappe, elle tombe malencontreusement la tête contre le carrelage et en meurt.

Quels que soient les personnages masculins de ce roman, on découvre des jeunes gens à la recherche de leur identité, obligés de concilier avec leur nature. Au-delà de l’intrigue pseudo-policière, il s’agit bien de décrire la classe ouvrière et son mal-être, obligée de tomber dans la routine. Gilberte, quant à elle, représente la part féminine de ce roman. Hésitant entre passion et assurance, elle va se trouver un parti sûr, mais toujours hésiter entre la folie dévastatrice d’Etienne et le mariage promis par Robert Failloux, qui fait office de celui qui tient la chandelle.

Empli de tristesse et de désœuvrement, ce roman désarçonne par ses sujets et on se demande ce que l’auteur veut nous dire cette société qui lamine ses jeunes gens. Puis, apparaissent des chapitres de La Ville de Plomb, ainsi que des extraits du journal intime de Martin. Et on ressent derrière ces passages, à la fois les questionnements d’un jeune homme sur son quotidien de sa vie et le sens de la vie, mais aussi sur la valeur et le pouvoir de la création. De ces chapitres, on voit combien ce roman devait revêtir une importance capitale pour quelqu’un qui a décidé de vivre de sa plume sans succès.

Roman témoin de son époque, mais creusant des thèmes toujours contemporains, La Ville de Plomb prend sa place parmi les œuvres littéraires importantes sur le but des livres et sur le rôle que doivent avoir les grands auteurs, ceux qui nous font réfléchir. Déstabilisant par sa forme, ce roman n’en démontre pas moins la grandeur de l’auteur et sa faculté à écrire de la grande littérature avec un style précis et de formidables dialogues.

Tuer le fils de Benoit Séverac

Editeur : Manufacture de livres

J’avais adoré 115, et dans un autre genre, j’ai adoré ce roman. Avec sa couverture à contre-jour, avec ce titre terrible, et cette histoire qui tourne autour de la relation Père / Fils, ce roman a tout pour toucher le lecteur.

Le corps de Patrick Fabas est découvert chez lui. La mise en scène veut faire croire à un suicide raté : il aurait tenté de se pendre, et en tombant, sa tête aurait cogné sur la table basse, le tuant sur le coup. Sauf que la plaie qu’il a à la tête peut venir du cendrier massif, retrouvé cassé à proximité. Aucun indice ne laisse supposer qu’il se serait suicidé. Il était membre d’un groupe de Bikers néo-nazis mais n’était pas le plus violent, et c’était un battant. Il avait des dettes de jeu, certes. Mais cela n’est guère convaincant. Sauf que …

Sauf que l’on découvre sur les lieux du crime un journal, celui de Matthieu Fabas, le fils de la victime. Ce journal, il l’a écrit en prison, lors d’ateliers d’écriture organisés avec un écrivain. Incarcéré depuis plus de 12 ans pour avoir tué un jeune homosexuel, sa sortie coïncide à quelques jours près avec la mort de son père. La succession des événements en fait le coupable idéal.

Sauf que pour le commandant Jean-Pierre Cérisol, de la SRPJ de Versailles, cela n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. Les pistes semblent se multiplier entre le gang de bikers racistes et ses dettes de jeu, sans compter que Patrick Fabas n’était pas du genre à se faire beaucoup d’amis. Alors Cerisol va se plonger dans le journal de Matthieu et découvrir une autre facette de la vie familiale de Matthieu. Cela va aussi lui permettre de se donner une bouffée d’air entre son boulot et sa femme, Sylvia, atteinte de cécité à cause d’une maladie orpheline et championne de Torball.

Il faut que vous lisiez ce roman tant il va vous parler. Entre l’intrigue et sa résolution, les vies personnelles des flics et leur vie professionnelle, avec les allers-retours entre l’enquête proprement dite et les extraits du journal de Matthieu Fabas, c’est un roman d’une richesse rare que l’on tient entre les mains. Parce que l’on sort de ce roman indéniablement plus intelligent, et totalement marqué … mais je vais y revenir.

Psychologiquement, c’est très fort. Par l’alternance entre le groupe de flics et le journal de Matthieu, la construction devient à la fois classique par le déroulement de l’enquête et intime mais aussi implacable quant aux événements décrits. Cela permet aussi de positionner les opinions de différents points de vue, sans toutefois en dire trop, puisqu’il y a un aspect subjectif dans la narration. Ce qui est terrible, ce n’est pas tant l’éducation qu’a reçue Matthieu (On dit « A la dure ») que la façon dont il l’a vécue.

Même si Cerisol est l’enquêteur principal, ses collègues sont hauts en couleurs et bien présents : Nicodemo, le portugais très religieux et très respectueux de la famille mais qui se retrouve étouffé par ces liens ou Grospierres le petit jeune du service qui a un mastère et qui introduit un complexe d’infériorité en Cerisol à cause de ses diplômes. Cerisol, d’ailleurs, qui est à la tête de l’équipe, est psychologiquement lucide, plein d’empathie mais il ne peut occulter ses failles personnelles dont son incapacité à devenir père et ses envies et insatisfactions dans sa vie de couple.

C’est redoutablement intelligent de la part de Benoit Séverac d’avoir choisi un enquêteur qui n’a pas d’enfant, pour traiter cette affaire complexe, liée à la famille ; excellent choix, qui va être étayé par cette idée géniale d’avoir créé le journal de Matthieu, et de donner une autre vision de ce qu’a subi et ressenti le jeune homme. Et Benoit Séverac se permet d’adapter le style d’écriture ce qui se nous immerge totalement dans les différents personnages. Si l’on ajoute un style fluide et des dialogues brillants, cela fait suffisamment de qualités pour y plonger de suite.

Mais personnellement, j’y ai trouvé beaucoup de thèmes, organisés comme des duels ou des duos, emplis de contradictions, qui m’ont forcément forcé à me poser des questions. Et cela donne des passages d’une force émotionnelle terrible, que ce soient les relations entre Matthieu et son père, celles entre Matthieu et l’écrivain, ou même Cérisol avec chacun des membres de son équipe. Au-delà de la façon dont Matthieu est traité, on y parle de relations entre humains, et surtout de la façon dont on réagit, de la façon dont on encaisse un événement, de la façon dont on s’adapte et des conséquences qui peuvent en découler. Mais avec un tel thème, on ne peut que ressentir des réactions fortes tant le sujet est intime et fort.

C’est un roman dont l’on ressort à regret, car on en ressort plus intelligent. Ce n’est pas tant ce qui y est dit que ce qu’il implique. Ce roman nous pose des questions, car il touche à ce qu’on a de plus personnel et secret. Il nous pose des questions sur notre relation avec nos parents, sur la direction que l’on prend, des choix que l’on fait pour notre vie et personnellement, je me suis retrouvé dans ces questionnements. Pas sur les insultes qui y sont, car j’ai eu une enfance heureuse. Mais je me suis rendu compte qu’on réagissait tous par rapport à nos parents : soit on construit notre vie conformément à ce qu’ils veulent, soit on fait le contraire (pour les rebelles). Avant, les enfants prenaient la suite de leurs parents, commerce ou métier. Aujourd’hui encore, ils ont une grande influence sur ce qu’on va devenir, consciemment ou pas, parce qu’ils sont le socle sur lequel on construit notre vie.

Une nouvelle fois, Benoit Séverac m’a emporté dans son univers contemporain, en traitant de façon intelligente un thème fort mais pour autant d’actualité. Combien de fois entend-on que les parents démissionnent de leur rôle de parents ? C’est un roman fort, qui s’avère peu démonstratif mais qui place insidieusement les questions entre les lignes. Ce roman m’a beaucoup touché et il est et restera une de mes belles lectures de 2020.