Le chouchou du mois de novembre 2021

Avec le mois de novembre, arrive le moment où il va falloir songer aux cadeaux de Noël. Evidemment, il faut offrir des livres et évidemment, il faut les acheter chez nos libraires. Je vous propose donc mes avis dans le but de vous aider dans vos choix.

Commençons par mon coup de cœur du mois : Les rêves qui nous restent de Boris Quercia (Asphalte), un roman de science-fiction situé dans un futur proche, nous présente une société où les Humains se sont laissés séduire par les robots et leur ont laissé gérer leur vie. Avec une intrigue policière simple, un style sec digne des meilleurs polars, Boris Quercia, en faisant le parallèle avec notre situation actuelle, nous pose une question essentielle : les robots ne sont-ils pas plus humains que les Hommes ?

Le Oldies du mois sort du polar. Malgré cela, Dans la forêt de Jean Hegland (Gallmeister) nous décrit dans un monde apocalyptique comment deux jeunes filles vont survivre dans une maison perdue au fond des bois. Psychologiquement juste, remarquablement écrit, ce roman offre de bien belles heures de lecture.

Parmi les romans chroniqués ce mois-ci, vous trouverez beaucoup d’enquêtes bien qu’on ne puisse pas tous les classer dans les romans policiers. Cela confirme que les auteurs aiment mélanger les genres pour notre plus grand plaisir. City of windows de Robert Pobi (Points) nous propose par exemple un formidable personnage Lucas Page à la recherche d’un serial killer dont les cibles sont des policiers. La forme ressemble à un thriller et tout repose sur le rythme et le déroulement du scénario. Un excellent divertissement.

Comme son titre l’indique, La consule assassinée de Pierre Pouchairet (Filatures) nous propose de trouver un assassin dans un pays étranger d’Europe de l’est. Là encore, l’auteur nous montre les dessous du pouvoir, les luttes en toute diplomatie et l’histoire nous propose de lever le voile sur la vraie personnalité de la consule. Un polar costaud et passionnant.

De roman policier, il est aussi question dans Le carnaval des ombres de Roger Jon Ellory (Sonatine), mâtiné de psychologie, de mystère, de fantastique et de politique. Un agent nouvellement promu agent spécial sénior au FBI doit enquêter sur un homme que l’on a retrouvé mort dans un cirque de freaks. L’agent Travis va être bousculé dans ses certitudes cartésiennes et découvrir les exactions du FBI et de la CIA. On se laisse emporter par la plume magique de l’auteur tout en regrettant des longueurs et le fait que Ellory ait mis trop de thèmes dans son livre.

Il est aussi question de personnages et de politique dans La sirène qui fume de Benjamin Dierstein (Points), premier roman, premier tome d’une trilogie dont j’avais adoré le deuxième. Deux flics, deux trajectoires et des meurtres de jeunes filles sur fond d’élections politiques alors que DSK fait peur à la droite au pouvoir, voilà pour le menu. Je retrouve ce style que j’adore, ces deux personnages écorchés et extrêmes et une plongée dans le glauque qui ouvre le chemin au deuxième tome. Auteur à découvrir.

Direction Toulouse, avec Divin Toulouse de Luis Alfredo (Cairn éditions), où c’est un détective privé, cette fois-ci qui enquête sur un groupe meurtrier faisant référence au Marquis de Sade. Le style littéraire de l’auteur et les personnages font merveille dans une intrigue complexe à souhait.

Je pourrais le classer dans les polars, ou dans les romans noirs, ou dans les romans humoristiques sauce féroce. Un tueur sur mesure de Sam Millar (Métaillié) abandonne le cycle Karl Kane et démarre avec un casse loufoque à Halloween. A partir de ce moment, s’engage une course poursuite pour retrouver et / ou tuer les voleurs et / ou mettre la main sur l’argent. On y trouve une belle galerie de personnages, ça va vite et surtout on rit devant l’humour féroce et les répliques hilarantes.

De roman noir, il en est question dans Octobre à Paris de Gérard Streiff (La Déviation). Chloé Bourgeade, détective privée, enquête sur la noyade d’un flic à la retraite. C’est l’occasion pour l’auteur de nous rappeler le massacre du 17 octobre 1961 dans un court polar pour faire œuvre de mémoire. Essentiel.

Tableau noir du malheur de Jérémy Bouquin (Editions du Caïman), dernier roman en date de cet auteur prolifique que j’aime tant par son style et ses sujets. Après les gilets jaunes, Jérémy Bouquin aborde ici la situation d’une professeure des écoles dans une classe difficile. Il ajoute à ce personnage de Céline des raisons de pêter un câble mais le tableau qu’il fait de l’Education nationale est sans appel.

Le titre du chouchou revient donc ce mois-ci à Traverser la nuit d’Hervé Le Corre (Rivages). Vous pouvez me dire que je manque d’originalité mais ce roman, plus noir que noir, nous plonge dans une abime de désespoir ; A la fois par les trois personnages piliers de cette intrigue mais aussi par le tableau d’une société violente dans laquelle on a toutes les raisons de perdre espoir. Hervé Le Corre avec sa plume poétique touche au sublime, émeut, secoue, et nous laisse pantois devant cette fin.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou et un bilan de fin d’année. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez-vous, protégez les autres et surtout lisez !

Traverser la nuit d’Hervé Le Corre

Editeur : Rivages/Noir

Acheté dès sa sortie en début d’année, je m’étais mis ce roman de coté pour mes ultimes lectures de 2021. Annoncé comme un roman noir, c’est effectivement une lecture qu’il vaut mieux entamer avec un bon moral, tant le ton y est sombre.

Un homme est retrouvé à un arrêt de tramway, vraisemblablement ivre. Les flics le ramènent au poste de police et se rendent compte que son tee-shirt est ensanglanté. Pour récupérer l’habit, ils lui enlèvent les menottes mais le prisonnier en profite pour prendre un pistolet. Mis en joue, l’homme ne sait quoi faire, puis se jette par la fenêtre. Quelques étages plus bas, sur le trottoir, la flaque de sang s’agrandit.

Louise a pris la bonne décision ; elle a pris son fils Sam et a quitté le domicile conjugal. Elle n’en pouvait plus qu’il la roue de coups chaque fois qu’il avait trop bu. Après avoir conduit son fils à l’école, elle va faire le ménage chez des petits vieux et faire leurs courses, avec cette menace pesante que son mari pourrait bien la retrouver.

Le commandant Jourdan entre dans l’appartement. La voisine a entendu les coups de feu, cinq ou six. La femme a été abattue dans la salle de bains, les corps des trois enfants parsemés dans la salle de séjour et le couloir, tués froidement. Le forcené s’est réfugié dans sa belle famille pour les descendre. Quand Jourdan arrive, la maison est bouclée et il décide d’y aller seul.

Christian vit seul et rend souvent visite à sa mère. Il doit subir les différentes humeurs, en général mauvaises, de ses clients à qui il livre des matériaux de construction. Depuis son retour du Tchad, il est pris de bouffée de haine, qu’il assouvit en poignardant de jeunes femmes rencontrées au hasard. Justement, il vient d’en repérer une à la sortie d’un bar. Cela lui donne comme une bouffée, une pulsion incontrôlable.

Bâti autour de trois piliers, des personnages plus vrais que nature, inoubliables, Hervé Le Corre construit un roman noir implacable, d’une noirceur et d’une violence brutale. Que ce soit Louise, Jourdan ou Christian, il nous présente trois âmes en peine, en souffrance : Louise obligée de s’en sortir seule et sous la menace constante de son ex-compagnon, Jourdan plongé dans les pires horreurs des drames familiaux et Christian obligé de tuer pour calmer ses pulsions.

Toutes ces scènes mises bout à bout vont passer en revue leur vie somme toute banale, dans une société que l’auteur nous montre sans pitié, ayant perdu toute humanité, où on est capable de frapper, de tuer sans raison. Il est par conséquent difficile de retenir son souffle, d’autant plus qu’on s’empêche de respirer devant tant de noirceur, grâce à la minutie apportée à la psychologie des personnages principaux et secondaires.

Si on sait qu’Hervé Le Corre fait partie des meilleurs auteurs de romans noirs français, il confirme ici sa capacité à nous plonger dans une réalité d’une noirceur infinie grâce à sa plume capable de décrire l’horreur et de décrire poétiquement une ville en automne, où derrière les ombres se cachent les monstres. Comme je vous le disais, il vaut mieux avoir le moral avant d’attaquer ce livre fantastiquement noir, sans nuances, et ce n’est pas la fin qui va vous soulager. Malgré cela, le monde doit continuer à tourner …

Le carnaval des ombres de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Fabrice Pointeau

Roger Jon Ellory fait partie des auteurs incontournables dans le paysage du polar, situant ses intrigues aux Etats-Unis et présentant à chaque fois des personnages complexes et des sujets toujours très intéressants. Ce dernier roman en date risque de surprendre son lectorat, par son aura mystérieuse.

1958. Le corps d’un homme a été découvert sous le manège d’un cirque ambulant à Seneca Falls. L’agent spécial superviseur du FBI Tom Bishop confie cette enquête à Michael Travis, et le nomme pour l’occasion agent spécial sénior. Il devra se rendre sur place en solo, ce qui est inhabituel, et déterminer s’il s’agit d’un meurtre local donc de la responsabilité du shérif ou d’un crime fédéral.

Arrivé sur place, Travis fait la connaissance du shérif Charles Rourke. Ce dernier lui assure qu’il fera tout ce qui est en pouvoir pour l’aider, ce qui veut dire qu’il veut se débarrasser d’une enquête qui vient troubler la quiétude de cette petite ville. Rourke ne lui cache pas que l’arrivée du Carnaval Diablo, mené par Edgar Doyle, avec ses magiciens, ses géants et ses membres difformes gêne la tranquillité des habitants.

A la morgue, l’examen du corps ne lui apprend rien de plus : l’homme a été tué ailleurs et son corps glissé sous un manège tournant. Une lame l’a poignardé à l’arrière de la tête. Le corps comporte un nombre impressionnant de vieilles blessures ce qui laisse penser à un membre de gangs ou un soldat. Sur l’arrière du genou, Travis remarque un tatouage en forme de point d’interrogation inversé.

On pourrait penser à un simple roman policier, à la lecture de ce bref résumé qui parcourt les premières dizaines de pages. Puis, quand on entend parler de monstres exhibés dans un cirque, on se dit qu’on va avoir droit à un défilé de Freaks. En fait, le roman aborde plusieurs thèmes, beaucoup de thèmes qui vont bien au-delà du rejet de la population envers des gens différents.

Le personnage principal est remarquablement bien construit. Son passé montre un enfant issu d’une famille violente, son père alcoolique battant sa mère. Un jour, celle-ci tue le père et se livre aux autorités. Travis va alors aller dans une maison de correction avant d’être adopté par sa tante. Il recevra une éducation lui inculquant de suivre les règles, de ne pas sortir des limites qu’on lui a fixées.

Et le Carnaval Diablo va faire voler en éclats ce qu’il considère comme acquis et ce que lui demande son travail au FBI. Sortir des règles et dénicher ce qui se cache derrière les apparences lui permettra de découvrir l’identité du mort mais aussi des exactions du FBI et de la CIA, en particulier l’Opération Paperclip, à la fin de la 2ème guerre mondiale, consistant à récupérer les scientifiques nazis. J’ai trouvé remarquable la façon dont l’auteur nous oppose un esprit matérialiste et cartésien avec l’irrationnel des membres du cirque.

A tout cela, il faut rajouter, et c’est ce que j’ai préféré, une ambiance mystérieuse, où on voit Travis perdu dans ses convictions, dans une affaire, qui, au fur et à mesure de son avancement, va devenir obscure. Les artistes bizarres du cirque vont ajouter une aura brouillardeuse à des événements étranges tels que la disparition du corps et l’accumulation de mystères ou même la possibilité de lire les pensées d’autrui.

La plume de Roger Jon Ellory s’avère toujours aussi hypnotique (et la traduction lui rend un formidable hommage), même si j’y ai trouvé des moments longuets où l’auteur en rajoute. Et le fait qu’il multiplie les thèmes donne une impression qu’il ne sait pas où il veut nous emmener. Décidément, ce roman détonne par rapport aux précédents opus de l’auteur et on passe un bon moment à parcourir ce pavé de plus de 600 pages.

La sirène qui fume de Benjamin Dierstein

Editeur : Nouveau Monde (Grand format) ; Points (Format Poche)

Benjamin Dierstein a décidé de consacrer une trilogie aux années 2010, celles qui ont vu la défaite de Nicolas Sarkozy, dont deux tomes sont déjà parus. J’avais adoré le deuxième (La défaite des idoles) … eh oui, je les ai lus dans le désordre … et j’ai donc décidé de revenir en arrière avec La sirène qui fume.

Dimanche 13 mars 2011. Une Renault Espace est garée devant le Bunny Bar. La conductrice fait un signe à une jeune femme qui en sort. Elles se rejoignent et prennent la direction de la place de Clichy. Une BMW les suit. Elles se garent sur un parking de Saint Ouen. Le conducteur de la BMW empoigne un Ruger et se dirige vers la Renault. Arrivé à la porte, il tue les deux jeunes femmes de sang froid.

Samedi 19 mars 2011. Le lieutenant Christian Kertesz se traine à son bureau de la Brigade de Répression du Proxénétisme. Il se désintéresse des déclarations de viol du week-end, et rentre chez lui. Au milieu des vapeurs d’alcool médicamenteux, il entend son voisin frapper sa femme et débarquent chez eux, armé de son Sig Sauer. Le coup de téléphone d’un de ses amis corses lui demande de rendre un service : retrouver Clothilde, la fille du sénateur Edouard Le Maréchal. Cette affaire peut lui permettre de rembourser une partie de sa dette de plusieurs millions d’euros envers la mafia corse.

Lundi 28 mars 2011. Le capitaine Gabriel Prigent n’a pas encore terminé de déballer ses cartons avec sa femme Isabelle. Il arrive de Rennes et sent bien que sa fille de 15 ans, Elise, le déteste. Accueilli par la commissaire Nadia Chatel de la Brigade Criminelle, il fera équipe avec la brigadier Nesrine Bensaada pour l’exécution dans un parking de Saint-Ouen. Mais ses collègues le regardent de travers ; ils n’oublient pas qu’il a dénoncé ses collègues à al police des polices.

Même s’il s’est passé un an et demi entre ma lecture de La défaite des idoles et celui-ci, je n’ai rien oublié de l’histoire ni du style de l’auteur. Je savais donc ce à quoi je devais m’attendre, et je n’ai pas été déçu. Ces deux personnages de flic qui entament leur descente aux enfers sont juste inoubliables dans leurs excès, leurs obsessions, leurs cicatrices ouvertes et leur passé qui les hantent ; deux hommes solitaires courant après une solution non pas en guise de rédemption mais en guise de course vers un idéal inatteignable.

Outre le contexte très fortement policier et formidablement bien décrit, on y découvre l’ampleur de la guerre des services de police, chacun gardant ses informations pour soi. On y découvre aussi des femmes et des hommes prêts à tout, obligés d’affronter le pire. Le fait que Prigent et Kertesz enquêtent séparément dans deux enquêtes qui vont se rejoindre se révélera plus anecdotique, tant l’aura de ces deux-là emplit tout l’espace.

On se retrouve aussi en plein contexte politique bouillonnant : la course aux élections présidentielles bat son plein, la gauche semblant pouvoir l’emporter grâce à son « champion » DSK, avant que la célèbre affaire n’éclate à New-York. L’auteur en dit d’ailleurs dans une interview que ces trois années ont été les plus importantes pour la France et que c’est pour cela qu’il veut y consacrer une trilogie.

L’ambiance, les décors, les personnages nagent donc dans un univers glauque, à base de prostitution infantile et déroule une enquête où tout le monde est impliqué et doit arranger la vérité pour sauver sa peau (ou son poste). Et cela donne un premier roman impressionnant, qui amoncelle les scènes comme on entasse les morceaux de cadavres, c’est violent, dur, aidé par une plume acerbe, rapide, hachée qui donne un rythme infernal à la lecture. On n’a pas envie de lâcher ce roman, et le plaisir qu’il procure nous rendra indulgent quant à certaines scènes de la fin du livre, quelque peu excessives. Vivement le troisième !

La consule assassinée de Pierre Pouchairet

Editeur : Filatures

De la part de cet auteur prolifique, on peut s’attendre à tout. On connait Pierre Pouchairet pour avoir remporté le Prix du Quai des Orfèvres, pour son cycle des Trois Brestoises (chez Palemon) ou ses romans plus géopolitiques (chez Jigal, Plon et Filatures). Prenons la direction de l’Europe de l’Est pour celui-ci.

Comme tous les soirs, Baha Babaef va faire le ménage du consulat français à Schimansky, au Beyazstan. Arrivé dans le bureau de la consule, il branche une clé USB sur l’ordinateur qui va installer un logiciel espion. Puis, entendant un gémissement dans la pièce attenante, il prend peur et s’enfuit en prenant soin de voler une autre clé USB qui trainait sur le bureau. La consule Guenola Fontaine agonise à coté et mourra de ses blessures.

Le soir même, Baha reçoit un appel lui donnant rendez-vous en bas de chez lui. Le chef des services secrets qui lui avaient demandé d’installer le logiciel tient à le remercier personnellement. Baha se rend compte qu’on le conduit en pleine campagne, vraisemblablement pour le tuer. Prenant comme excuse une envie pressante, il parvient à s’échapper.

A Paris, le monde politique est en ébullition : l’assassinat de la consule est pris au sérieux. Bien que les services de police du Beyazstan assurent que le coupable n’est autre que l’homme de ménage, le gouvernement veut diligenter une équipe qui coopérera avec l’enquête. Delaroque, un ancien ambassadeur et Girard, inspecteur de la Police Judiciaire vont faire équipe pour résoudre ce mystère.

Il peut y avoir mille façons de traiter ce genre de scenario, du roman d’action au roman policier. Pierre Pouchairet va prendre le temps d’installer tous les protagonistes et dérouler son histoire selon tous les points de vue : la fuite de Baha, la chasse menée par les Services Secrets, les aides venant de certains habitants et même d’un mafieux, les relations diplomates des politiques et l’enquête policière elle-même.

Le rythme ne va pas être rapide, l’auteur préférant prendre le temps de décrire à la fois les tenants et les aboutissants, les décors, les personnages et leurs réactions. On va découvrir les dessous de la politique, les informations officielles et officieuses, et petit à petit, le voile va se lever sur un personnage moins lisse que prévu.

De nombreux passages, en effet, vont montrer comment Guenola Fontaine va arriver au poste de consule. Et la jeune femme que tout le monde semble apprécier va se révéler quelqu’un maltraité et détesté dans son milieu professionnel. On se retrouve donc avec une multitude de mobiles en parallèle de la course poursuite pour éliminer Baha et on ne sait plus où donner de la tête.

J’ajouterai quelques cerises sur le gâteau. Les relations entre les deux enquêteurs, loin d’être orageuses va surtout montrer deux façons de mener l’enquête, totalement opposées. Enfin, les fans des trois brestoises ne seront pas déçus puisqu’elles apparaitront bien à la fin du roman et participeront activement à la résolution de l’énigme. Cette Consule Assassinée s’avère un roman à la croisée des genres, un polar costaud que l’on a grand plaisir à lire.

Un tueur sur mesure de Sam Millar

Editeur : Métailié

Traducteur : Patrick Raynal

Laissant de coté (provisoirement ?) sa série consacrée au détective Karl Kane, Sam Millar nous revient avec un polar noir, qui démarre comme une farce et qui est parsemé de cadavres, tout cela avec classe et humour … noir bien entendu.

Halloween. Charlie Madden, Jim McCabe et Brian Ross sont entassés dans leur camionnette et révisent leur plan. Affublés de déguisements en forme de loups, ils se dirigent vers la Bank of New Republic. Trois clients attendent encore leur tour avant la fermeture, dont un gros homme portant une mallette. Après avoir facilement neutralisé l’agent de sécurité, ils demandent à tout le monde de s’allonger et à Dana Robinson, la directrice d’ouvrir le coffre. Quand la porte blindée s’ouvre, l’intérieur vide les stupéfie. A cause d’Halloween, le coffre a été vidé plus tôt ce jour-là. Les trois compères s’enfuient donc avec la mallette qui s’avère être pleine d’argent liquide.

Le sergent Colin Lindsay reçoit l’appel signalant le braquage et le transfère à l’inspecteur principal Harry Thompson, qui ne rêve que de sa retraite. Accompagné McCauseland, Boyd et du débutant Kerr, ils se dirigent vers la banque.

Conor O’Neill, George Magee (l’homme à la mallette), Barney Denison et Seamus Nolan se retrouvent au restaurant pour un repas frugal. O’Neill est recherché par toutes les polices en tant que membre fondateur de la Fraternité pour la Liberté Irlandaise. O’Neill apprend qu’il vient de perdre un demi-million, volé par des incapables. Plutôt que de demander à Nolan, O’Neill va faire appel à tueur Haut de Gamme, Rasharkin. Nolan ne va pas se laisser faire ainsi …

Après avoir lu tous les romans de Sam Millar, je dois dire qu’on ne peut être que surpris par celui-ci. Après des romans noirs, une biographie romancée et la série Karl Kane, détective atteint d’hémorroïdes, cette histoire parait bien plus classique et bien plus loufoque. Il semblerait donc que Sam Millar ait décidé d’écrire un divertissement sur la base de courses poursuites, un divertissement haut de gamme.

Dans ce roman, tout le monde court après tout le monde, et on s’aperçoit que tout le monde est truand, un peu, beaucoup, … les situations vont s’enchainer, avec une montée en violence au fur et à mesure que l’on avance, mais toujours avec ce décalage humoristique, aussi bien dans des réparties excellentissimes que dans des descriptions décrites avec un flegme irlandais.

Car on reconnait bien la patte de Sam Millar, à la fois dans la qualité de la narration que dans les dialogues vraiment excellents et efficaces. Et je dois dire que la traduction (par Patrick Raynal, quand même !) est fortement appréciable et permet de souligner les tirades cyniques. Même quand il écrit des romans moins sérieux, plus féroces, Sam Millar nous concocte de bonnes histoires noires et ce roman est une bonne occasion d’entrer son univers.

Octobre à Paris de Gérard Streiff

Editeur : La Déviation

J’ai eu beau chercher parmi mes lectures, je n’avais jamais lu un roman de Gérard Streiff. C’est maintenant chose faite avec ce roman qui rappelle une date importante : le 17 octobre 1961.

« L’escalier de pierre donne sur le vide. On devine en aplomb une étendue d’eau noire. De part et d’autre de la volée de marches se tiennent des policiers, leurs visages disparaissent sous un large casque et d’énormes lunettes de motocycliste. Ils portent un manteau de cuir tombant sur de hautes bottes, brandissent des matraques. Des civils, des Maghrébins, en file indienne, gravissent l’escalier. Ils sont frappés, méthodiquement, les flics visent la tête, ils tapent pour tuer. Au sommet, ils précipitent les suppliciés dans le vide. Les corps virevoltent et s’écrasent sur la surface de l’eau dans un claquement sec. »

Ce cauchemar réveille Chloé Bourgeade, à bord de sa péniche. Son colocataire, Racine, dort encore. Après un petit déjeuner vite expédié, elle se dirige vers Le Sémaphore, l’agence de détectives privés. Pierre Leglay, DRH d’une enseigne de grande distribution, leur demande d’éclaircir la mort étrange de son père Bernard. Policier à la retraite, ce dernier passait son temps à la pêche et son corps vient d’être retrouvé noyé.

Pierre Leglay leur montre une lettre que son père venait de recevoir, un tract daté du 31 octobre 1961, qui détaille les différentes étapes de la répression des manifestations des Algériens. Marike Créac’h la patronne de l’agence décide de confier cette affaire à Chloé, la seule détective disponible. Très vite, Chloé reçoit des lettres de menace anonymes et même des messages sur son répondeur lui demandant de ne pas remuer ces « vieilles histoires ». Cela ne fait que la motiver davantage.

Ce roman comporte tous les atouts pour me plaire. On y trouve un personnage obstiné, rigoureux, décidé à ne rien lâcher ; Un scénario basé sur des entretiens, construit avec une grande rigueur ; et un style rapide, efficace qui aidé par des chapitres courts permet de lire vite ce roman pour savoir de quoi il en retourne.

Et on est ravi du dénouement et on ne peut que louer la volonté de l’auteur de faire œuvre de mémoire, sur un fait d’histoire qui démontre que l’Etat peut se faire plus assassin que ceux qu’elle traque. L’auteur nous montre aussi que nous avons fermé les yeux, nous n’avons rien entendu des cris, des corps qui s’écrasaient sur l’eau, nous n’avons pas vu les coups pleuvoir, nous n’avons pas voulu savoir ce massacre organisé.

A ce titre, je vous encourage à aller voir cet article explicite que j’ai trouvé sur le site de Telerama :

https://www.telerama.fr/debats-reportages/retour-sur-le-17-octobre-1961-nous-avons-su-mais-nous-nous-sommes-tu-6999020.php

Voilà un roman salutaire.

Les rêves qui nous restent de Boris Quercia

Editeur : Asphalte

Traducteurs : Isabel Siklodi et Gilles Marie

Attention, coup de cœur !

Ayant tourné le dos à son inspecteur récurrent Santiago Quinones (3 romans et 3 coups de cœur pour moi), Boris Quercia rend hommage dans son nouveau romans aux grands thèmes de la science fiction.

Ce jour-là, Natalio doit remplir une mission périlleuse avec son électroquant : débusquer un nid de dissidents. Entré dans la maison, il a vite débusqué une trappe. Quand il a ouvert la trappe, les dissidents ont balancé une bombe magnétique artisanale, létale pour son robot. Natalio a riposté avec une grenade suffocante et bloqué la trappe. Malgré son niveau de classe 5, il sait qu’il ne sera pas inquiété pour ces morts.

Les attentats ravagent la City, le centre de la ville habité par les riches dominants. La médecine permettait d’adapter les médicaments à l’aide de l’analyse des ADN, jusqu’aux événements d’Oslo. Personne n’a compris pourquoi les gens soi-disant soignés sont devenus paranoïaques et ultra-violents. Alors les riches se sont enfermés. Tous les matins, les travailleurs font la queue pour entrer à la city.

Tout le monde souffre de l’amnésie des rêves. Les revendications des dissidents luttent contre ça : « Nous avons droit à de vrais rêves ». Disculpé suite à l’enquête sur la mort des dissidents, Natalio se retrouve tout de même en disponibilité pour quatre jours. Il accepte alors une mission de sécurité pour la société Rêves Différents. Cette société propose aux travailleurs de la vieille ville de rêver pendant deux ans gratuitement.

Pendant ce temps, elle cultive des ADN modifiés pris sur les rêveurs. Ces ADN sont revendus à Recycladen et permettent aux gens des Hautes Sphères de vivre éternellement. Aucune loi n’est arrivée à empêcher Rêves Différents de fonctionner. Accompagné de son nouvel electroquant aux mimiques humaines, Natalio se voir confier sa mission : découvrir qui a usurpé une identité pour aller chez Rêves Différents.

Je sors tout juste du futur, je suis revenu meurtri en mon âme. Boris Quercia nous dépeint une société divisée entre riches et pauvres, qui a succombé au confort de la possession d’androïdes. La situation, bien que relativement compliquée, est expliquée au fur et à mesure et le talent de l’auteur fait le reste : une fois entré dans ce monde futuriste, on ne peut plus en sortir.

Avec une intrigue d’usurpation d’identité pour lier le tout, ce roman est écrit comme un roman noir : style sec, direct, avec des descriptions minimalistes, passant plus de temps à peindre le contexte que le décor. Mais ce qu’il sous-entend fait bigrement froid dans le dos. Car le propos de l’auteur va bien plus loin et nous interpelle sur les chemins que nous sommes en train d’emprunter.

A confier nos vies aux machines, à se complaire de leur laisser faire de plus en plus de choses, à se laisser séduire par le confort que cela apporte et se laisser embringuer dans un espace de jeux inutiles, nous perdons petit à petit pied, nous oublions le goût de l’effort, l’envie de réfléchir, de progresser, d’aider les autres, de vivre en société. Nous laissons même des algorithmes gérer nos opinions et à qui on veut les partager sur les réseaux « sociaux ». Il rappelle ainsi Blade Runner (le film), Philip K. Dick, Brazil (le film) ou même les robots d’Isaac Asimov.

L’auteur se permet des parallèles entre la situation actuelle et l’avenir qu’il a imaginé. Son décor se révèle alors d’une lucidité remarquable et impose une réflexion salvatrice : Les robots seraient ils plus humains que les Hommes ?

Quant à la fin, elle ne peut pas être définitive car l’humanité continue à vivre. Mais elle se révèle ouverte et surprenante comme rarement j’aurais eu l’occasion de la lire. Vous l’avez deviné, ce roman est un coup de cœur, un énorme coup de cœur.

Des poches pleines de poches

C’est déjà la 11ème rubrique consacrée aux livres de poches, avec deux auteurs que j’affectionne particulièrement : Luis Alfredo et Jérémy Bouquin

Divin Toulouse de Luis Alfredo

Editeur : Cairn éditions

Depuis quelque temps, la ville de Toulouse connait une série d’actes odieux qui adviennent tous les mardis. Tous ces actes, du vandalisme d’un cimetière à l’agression violente de personnes (prostituées ou homosexuel) vont atteindre leur apogée pendant le carnaval où l’explosion d’un char va tuer une vieille femme. Le groupe s’appellerait Groupe Divin-Marquis en faisant référence au Marquis de Sade.

Le compagnon d’une des victimes va demander au détective privé Juan Nadal de trouver les coupables, ne faisant que peu confiance à la police pour résoudre un tel cas. Il va prendre contact avec son ami René-Charles de Villemur (que l’on connait par ailleurs dans la série Itinéraire d’un flic du même auteur) et faire la rencontre de sa voisine Juliette, elle aussi victime du groupe pour ses activités de prostituée.

On retrouve dans ce roman ce style si littéraire que j’adore qui convient parfaitement à cette histoire, surtout quand on fait appel au Marquis de Sade. Ecrit à la première personne, on va découvrir Juan Nadal et ses centres d’intérêt (surtout les belles femmes). Le scenario va respecter tous les codes du genre, des interrogations de l’enquêteur aux interrogatoires des intervenants, des scènes d’action aux scènes de sexe.

Il est amusant d’avoir voulu, de la part de l’auteur, entrer dans cette histoire et proposer au lecteur (et donc à Juan aussi) une énigme inextricable et impossible à résoudre. Le déroulement en ressort aussi fortement appréciable mais surtout remarquablement retors, en nous ayant manipulé tout au long de ces 300 pages, sans oublier l’humour doucement cynique qui relève l’intérêt. Du très bon polar.

Tableau noir du malheur de Jérémy Bouquin :

Editeur : Editions du Caïman

Céline débarque dans sa nouvelle maison de banlieue avec son adolescent Ghislain. Elle va prendre en charge une classe de CM2 et on lui a réservé la classe des « durs ». Pour elle, il s’agit surtout de tourner la page d’un passé douloureux, avec la mort de son mari dans un accident de la route et une belle famille qui veut exercer son droit de visite (voire plus) sur leur petit fils.

« La nostalgie a le goût de l’amertume. La mélancolie, celui d’un relent de bière. » (Page 178)

Après la journée d’intégration des professeurs des écoles, elle découvre sa classe et commence par évaluer leur niveau. Elle se rend vite compte des énormes lacunes qu’ils ont, et fait connaissance avec le noyau dur, au fond de la classe : Kevin, Tanguy et surtout Gary. Et quand elle s’épanche auprès du directeur de ses observations, on lui rétorque que l’année prochaine, ils auront quitté l’école élémentaire et cesseront donc de gêner les autres ici.

Ce roman fait partie des romans de l’auteur qui vont faire un constat sur la vie des « petites » gens à travers une intrigue qui se veut autant sociale que noire. Céline veut faire son travail de la meilleure façon qui soit, parce qu’elle croit en son métier. Elle s’aperçoit vite que tout le monde a jeté l’éponge et songe plus à se débarrasser des éléments gênants, plutôt qu’à remplir leur fonction.

On le voit tous les jours, on le subit tous les jours et on ne fait rien quant à l’éducation de nos enfants. Face à ce constat sans appel, Jérémy Bouquin y ajoute une intrigue qui montre une jeune femme poussée à bout et qui petit à petit va perdre pied, aussi bien dans sa sphère personnelle que son environnement professionnel. A partir de là, il ne faudra pas attendre une issue positive et on en ressort avec un goût amer dans la bouche.

City of windows de Robert Pobi

Editeur : Les Arènes / Equinox (Grand Format) ; Points (Format poche)

Traductrice : Mathilde Helleu

J’étais passé à coté lors de sa sortie en grand format, ne trouvant pas le temps de l’ouvrir. Sa sortie en format poche est l’occasion pour moi d’effectuer une séance de rattrapage pour cet excellent thriller.

19 décembre, New York. Nimi Olsen tente de traverser la 42ème rue en dehors des passages réservés pour les piétons. Par chance, une bonne âme lui fait signe de passer et elle le remercie d’un simple sourire. A ce moment-là, le pare-brise éclate et la tête de l’homme au volant disparait. Puis, le coup de feu retentit. Par un pur reflexe, le corps appuie sur l’accélérateur et la voiture bondit en avant. Le bilan se monte à deux morts.

Alors qu’il termine son cours de licence à l’université de Columbia, le docteur Lucas Page souhaite de joyeuses fêtes de Noël aux étudiants puis rejoint son secrétariat, balayant rapidement les nombreux messages reçus dans la journée. Sur la télévision branchée sur CNN, il assiste à un compte-rendu de l’assassinat qui vient de survenir, mais préfère l’ignorer volontairement.

Lucas Page a perdu une jambe, un bras et un œil dans une précédente enquête pour le FBI. Il a refait sa vie avec Erin, qui l’a soigné. Ils forment une famille unie avec les enfants estropiés qu’ils adoptent. Quand l’agent spécial Brett Kehoe sonne à la porte, Lucas Page sait qu’il est le seul à pouvoir les aider à trouver d’où a été tiré le coup de feu, grâce à son génie mathématique. Il accepte contre l’opinion d’Erin, et fera équipe avec l’agent spécial Whitaker. Et la série de meurtres ne fait que commencer.

Pour l’introduction d’un nouveau personnage, Robert Pobi en a choisi un avec de nombreux handicaps, mais il lui a surtout concocté un caractère bien particulier basé essentiellement sur un humour ravageur, fortement cynique. L’auteur y ajoute de bons sentiments avec sa vie de famille et le fait qu’ils aient décidé d’adopter des enfants estropiés. N’en jetez plus : ce personnage là, on l’adopte et pour longtemps.

Robert Pobi fait montre d’un beau savoir faire, à la fois dans la conduction de son intrigue mais aussi dans la construction de son intrigue, écrite sur la base de chapitres courts. Il nous montre un sacré talent dans la description de scènes d’action ; j’en veux la scène où un groupuscule investit sa maison, où on se retrouve à dévorer une trentaine de pages sans prendre le temps de respirer.

Et puis, Robert Pobi nous présente son avis, au travers de ce personnage qui a acquis une grande lucidité sur le monde qui nous entoure. Il nous donne son avis sur les lobbyistes de tout poil, les défenseurs des possesseurs d’armes à feu, le racisme de tout poil mais aussi les préjugés de la police, les journalistes et les politiciens si prompts à désigner des boucs émissaires pour le peuple. Voilà un excellent thriller qui donne envie de poursuivre l’aventure avec Lucas Page.