Le chouchou de l’été 2021

Allez, finies les vacances ! Il va falloir retourner au boulot. Avant que les nouveautés ne débarquent, même si quelques-unes sont déjà sorties, voici un petit récapitulatif des avis publiés cet été qui devrait vous permettre de trouver votre bonheur. Comme les autres années, j’ai classé les titres par ordre alphabétique de leur auteur et trouvé un adjectif pour qualifier chacun d’eux. A vous de choisir :

Toucher le noir – Collectif (Belfond) : troisième recueil de cette série dédiée aux cinq sens, encore meilleur que le précédent

La prophétie de Barintown de George Arion (Ex-Aequo éditions) : un polar atypique qui montre la vie d’une ville imaginaire avec beaucoup de dérision

Joe de Larry Brown (Gallmeister) : Coup de Cœur pour ce polar noir d’une force peu commune.

Le gêne du perce-neige de Jacques Bullot (Editions du bout de la rue) : Hommage à cet auteur engagé qui nous met en garde contre les risques des OGM.

Un jour viendra de Giulia Caminito (Gallmeister) : Une plume franche et directe d’une jeune auteure à suivre qui nous plonge dans l’Italie du début du XXème siècle.

Le pacte de l’étrange de John Connolly (Pocket) : 16ème enquête de Charlie Parker, qui donne une part belle à l’entourage de notre enquêteur favori avec un humour ravageur

Moriarty : Empire mécanique (2 tomes) de Fred Duval, Jean-Pierre Pécau et StevanSubic (Delcourt) : Duel entre Moriarty et Sherlock Holmes dans un univers cyberpunk au dessin flouté. Bande dessinée

Batignolles rhapsody de Maxime Gillio (Pygmalion) : un bon polar rythmé qui rend hommage à la culture populaire et au groupe Queen en particulier

Solak de Caroline Hinault (Editions du Rouergue) : Un premier roman fascinant dans sa faculté à faire monter la pression dans une station scientifique du pôle nord.

Little bird de Craig Johnson (Gallmeister) : Premier tome des enquêtes de Walt Longmire très réussi, qui nous plonge dans le Wyoming

Une affaire italienne de Carlo Lucarelli (Métaillié) : Un roman policier qui nous parle de l’Italie de l’après-guerre avec une chute mémorable.

Le Tatoueur de Matz et Attila Futaki (Bamboo éditions) : Une histoire simple avec un dessin proche du Tueur. Vivement la suite … Bande dessinée

Le baiser des Crazy Mountains de Keith McCafferty (Gallmeister) : quatrième enquête de Sean Stranahan, détective en dilettante et professeur de pêche à la mouche, et Martha Ettinger, shérif du comté de Hyalite qui se révèle être un excellent roman policier

Dog Island de Michel Moatti (HC éditions) : un huis clos sur une île existante en forme d’hommage à la grande Agatha Christie

Il faut flinguer Ramirez Acte 2 de Nicolas Petrimaux (Glénat) : Le premier tome était excellent, celui-ci est génial. Bande dessinée

L’île des âmes de Piergiorgio Pulixi (Gallmeister) : Plongée en Sardaigne et ses légendes pour cette première enquête policière d’une série mettant en scène deux enquêtrices au caractère bien trempé

Zombillenium tome 5 : Vendredi Noir d’Arthur de Pins (Dupuis) : J’adore cette série même si dans cette histoire, il y a plus d’action que de fond. Bande dessinée

Fucking melody de Noël Sisinni (Jigal) : Un petit polar bien noir, bien direct à la conclusion dramatique.

Le titre du chouchou de l’été 2021 revient donc à La maison du commandant de Valerio Varesi (Agullo) parce ce personnage de Soneri créé une vraie intimité avec le lecteur, que le style nonchalant et visuel nous fait voyager et parce qu’il parle des travers de la société avec tant de justesse.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous souhaite un bon courage pour la reprise et vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Le pacte de l’étrange de John Connolly

Editeur : Presses de la Cité (Grand format) ; Pocket (Format poche)

Traducteur : Jacques Martinache

Je continue mon exploration de l’univers de Charlie Parker avec sa seizième enquête. Une nouvelle fois, John Connolly nous enchante avec cet excellent thriller. La liste des billets chroniqués sur Black Novel sur Charlie Parker est à la fin de ce billet.

Quatrième de couverture :

« Vous croyez aux fantômes, monsieur Parker ?

– Aux miens seulement. Mais peu importe ce que je crois. »

Charlie Parker, le privé tourmenté revenu d’entre les morts, est chargé par le FBI de retrouver Jaycob Eklund, un autre détective manquant à l’appel. L’homme enquêtait discrètement sur une série de meurtres sauvages et de disparitions s’étalant sur plus d’un siècle, tous associés à des événements surnaturels.

Flanqué de ses deux inséparables acolytes, Louis et Angel, Parker ne tarde pas à remonter la piste d’une mystérieuse organisation fondée au XIXe siècle, les Frères, dont les actions violentes ont laissé derrière eux des monceaux de cadavres. Mais les dangers qui guettent Parker prennent bien d’autres formes, notamment celle de la redoutable veuve d’un baron de la pègre à la tête d’un empire criminel, ou encore celle d’insaisissables fantômes qui semblent en vouloir aux vivants…

Avec l’extravagance, l’humour et le style qui le caractérisent, John Connolly continue ici à explorer l’occulte et les méandres de l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus noir et nous prouve, si cela est encore nécessaire, qu’il est un des seigneurs de l’angoisse.

Mon avis :

Mon petit plaisir de vacances estivales …

L’intrigue entre vite dans le vif du sujet et on retrouve toutes les raisons qui font que j’adore cette série : une histoire foisonnante mettant en scène une multitude de personnages, des scènes angoissantes à souhait et le plaisir de retrouver Charlie, Louis, Angel et Samantha sa fille.

La thématique de la société secrète, les Hommes Creux, retrouvée lors des premiers tomes passe au second plan et John Connoly nous parle du monde des morts et du monde des fantômes, comme les grands auteurs de romans d’angoisse savent le faire.

Dans ce tome, Charlie Parker doit faire face à beaucoup d’éléments qui vont bouleverser sa vie, comme la demande de divorce de sa femme et son droit très restreint de visite auprès de sa fille. Nous découvrons aussi Angel atteint de maladie et qui refuse de voir un docteur, ce qui laisse augurer d’aventures dramatiques à venir.

Enfin, outre le fait que cette enquête est très tournée vers l’entourage de Charlie Parker, cette histoire est écrite avec beaucoup d’humour, surtout dans les répliques hilarantes dans les dialogues et nous laisse avec l’eau à la bouche sur l’avenir de nos amis. Vivement la suite …

Les enquêtes de Charlie Parker dans l’ordre de parution sur Black Novel sont :

Tout ce qui meurt

Laissez toute espérance …

Le Pouvoir des ténèbres

Le Baiser de Caïn

La Maison des miroirs

L’Ange noir

La Proie des ombres

Les anges de la nuit

L’empreinte des amants

Les murmures

La nuit des corbeaux

La colère des anges

Sous l’emprise des ombres

Le chant des dunes

Le temps des tourments

La prophétie de Barintown de George Arion

Editeur : Ex-Aequo éditions

Traducteur : Sylvain Audet-Gainar

La bonne nouvelle de cet été est le retour sur nos étals de George Arion, auteur Roumain qui nous a enchanté avec les (més) aventures d’Andreï Mladin, en particulier dans Qui veut la peau d’Andreï Mladin ? et La Vodka du Diable. Ici, George Arion, avec l’humour ironique qui le caractérise, nous invite dans une ville imaginaire, Barintown.

A Barintown, petite ville des États-Unis, un homme entre dans un restaurant, s’installe à une table puis ort en passant par les cuisines. Le bilan est lourd : 3 morts et une quinzaine de blessés. Fred Brown, policier qui a toujours rêvé d’intégrer la brigade criminelle, et a assisté au drame, y voit là une opportunité unique. Mais quand la brigade anti-terroriste arrive, il se fait écarter comme un malpropre.

L’église catholique de Barintown ne tient debout que miraculeusement, malgré tous les efforts déployés par le Père Pascal. Mais il doit bien se rendre à l’évidence que l’audience se vide, et les dons aussi. Un soir, un jeune garçon se présente à sa porte. N’écoutant que sa bonté, il lui offre le diner et le souper. Le jeune garçon dit s’appeler Emmanuel mais reste muet sur ses origines.

Plus tard, alors qu’Emmanuel jouait dans un terrain vague, il tombe en butant sur une aspérité. Il s’agit en réalité d’une main qui dépasse du sol. Demandant l’aide du Père Pascal, ils se précipitent au commissariat. Fred Brown les reçoit et se décide à aller voir sur place. Il s’agit bien de la main d’une jeune femme. Emmanuel leur dit alors que ce corps n’est pas le seul à être enterré là. Effectivement les fouilles mettront à jour vingt-quatre cadavres.

Pendant ce temps, toujours à Barintown, la découverte d’un vieil ouvrage dans la bibliothèque du presbytère trouble au plus haut point le père Pascal. Les pages de ce livre renferment en effet le récit apocryphe et incroyable des premières années de la vie du Christ. Mais d’où peut bien provenir un texte aussi explosif ?

Alors que le commissaire James Warren prend en charge cette affaire avec le légiste Sid Thatcher, le père Pascal, remis de ses émotions, trouve dans son grenier un document apocryphe, racontant la vie de Jésus à travers des épisodes méconnus. Fortement ébranlé par l’histoire racontée dans ces feuillets, il continue malgré tout sa lecture.

Ses précédents polars étaient fort drôles. Ils avaient été écrits sous le règne immonde de Ceausescu, et avaient réussi à passer à travers la censure grâce à sa trop grande subtilité humoristique. Ce roman de 2015 est résolument plus moderne mais présente la même apparente légèreté et une ironie féroce envers le monde actuel. Au premier degré, cette histoire se révèle amusante, foisonnante. Au second degré, c’est hilarant. Décidément j’adore l’humour roumain.

Car tout le monde va en prendre pour son grade, mais gentiment, et tous les personnages sont montrés comme des gens ayant leur propre motivation mais surtout faisant preuve de bien peu de recul. Seul le père Pascal, impliqué dans sa foi, pourra se rendre compte de la futilité du quotidien face au futur incertain qui nous attend.

Du maire aux journalistes, des scientifiques à l’église, des policiers aux amoureux éconduits, des terroristes aux simples citoyens, sans oublier les conspirationnistes et les prophètes de malheur, tous vont avoir des tares qui, par la simplicité des situations et la subtilité de l’humour vont se révéler irrésistibles. George Arion semble vouloir nous décrire par le petit bout de la lorgnette notre vie qui peut s’appliquer à n’importe quel pays.

Chaque chapitre étant précédé d’une phrase qui introduit la scène ou propose une réflexion philosophique (par exemple : « il existe une seule vérité incontestable : le hasard tient une place essentielle dans la vie de chacun »), ce roman bâti autour d’un nombre incommensurable de personnages est construit comme une série télévisée auquel il apporte un aspect amusé et amusant supplémentaire souvent absente de la télévision. J’aime beaucoup ce roman original et je vous conseille de le découvrir.

Batignolles rhapsody de Maxime Gillio

Editeur : Pygmalion

Voir Maxime Gillio sur les étals des libraires est toujours une bonne nouvelle car c’est l’assurance de passer un bon moment de lecture. Ce roman, en fait, une œuvre de jeunesse totalement remaniée et actualisée, ne déroge pas à la règle.

Au Prince, bar et boite de nuit du 17ème arrondissement, les samedis soirs sont occupés par des prestations de sosies qui viennent exercer leur talent (ou non) en hommage aux stars de la pop music. Ce soir-là, le groupe se nomme Ibex, en référence au groupe de Freddy Mercury datant d’avant Queen, et le chanteur Frédéric Pluton, habité dans son rôle de réincarnation du chanteur britannique.

Après avoir exécuté The show must go on, et formidablement raté les notes aigues de la fin, Frédéric Pluton décide de se mettre au piano pour You are my best friend, la meilleure chanson de Queen d’après lui. Quand il plaque ses doigts sur le clavier du piano, des étincelles en sortent et on retrouve le chanteur amateur mais néanmoins habité, quelque peu cuit, voire grillé sur place, infusant une âcre odeur de barbecue.

Stella Poliakov est réveillée par son téléphone et sa nuit précédente et fortement alcoolisée lui tape dans la tête. Son chef, Billy Bienstock, rédacteur en chef de Parisnews, un journal en ligne lui demande de faire un portrait de la victime en la mettant bien en garde : ne pas remettre en doute les conclusions de la police, attestant qu’il s’agit d’un accident. Stella va commencer par le sosie de Brian May, qui n’en est pas un …

Par moments, il faut revenir aux règles basiques d’un bon polar : Une bonne histoire, bien racontée, un personnage principal réaliste auquel on s’attache, et un style fluide, direct et rapide. Ce fut la règle des polars d’antan, raconter en deux cents pages une intrigue et faire passer un bon moment au lecteur.

Dans ce cadre-là, Maxime Gillio maitrise son art et nous offre un beau personnage, Stella est craquante. Marquée par la disparition de son ami Gabriel, l’amour de sa vie, elle possède un penchant certain pour l’autodestruction à base de litres d’alcool. Malgré cela, elle est douée pour mener une enquête (à ce titre les dialogues sont savoureux) et va découvrir une sacrée machination.

Et puis, les chapitres sont courts, le rythme est élevé, et l’air de rien, on se rappelle encore de Stella, de son histoire et de cette fin. On en vient même à espérer la retrouver dans une autre enquête. Car si Maxime Gillio ne veut pas passer de message revendicateur, il parle de ce qu’il aime.

Il faut voir ce roman comme un très bon divertissement, mais aussi comme un hommage envers les polars du siècle dernier (Spécial Police par exemple) ainsi qu’envers la culture populaire, Queen en premier lieu, mais aussi nombre de chanteurs aujourd’hui reconnus. Il insiste aussi sur l’importance de cette pop culture dans le quotidien et de sa valeur puisqu’elle est passée à la postérité.

Tiens, je vais me réécouter des chansons de Queen, moi !

Toucher le noir (Collectif)

Voici donc le troisième recueil de nouvelles consacré aux cinq sens et dirigé par le Maître de la critique du thriller, Yvan Fauth, taulier du blog Gruznamur. Après avoir écouté et vu, il a réuni une douzaine d’auteur pour nous apprendre à toucher le noir.

8118 – Envers Laurent Scalèse et Franck Thilliez :

Dans un monde futuriste, où la criminalité est maitrisée par des robot-chiens, Tom Croft sort du métro après sa journée à l’usine de fabrication d’armes. Alors qu’il traverse un terrain vague, un homme le menace d’une arme et des robot-chiens interviennent, mais trop tard. George Wood, le patron de la Police Anti-Criminalité apprend la nouvelle et arbore un sourire.

Mon avis : Quand deux maîtres de Noir français s’allient, on ne s’attendait pas à tant d’audace. Raconter cette histoire à rebours est un sacré pari (réussi) dans lequel on ressent le plaisir des auteurs à avoir créé cet exercice de style. La version à l’endroit se trouve en fin de livre sous le titre 8118 – Endroit et c’est presque une autre histoire.

Retour de soirée de Valentin Musso :

Sandrine et Paul sont invités au restaurant en compagnie de leurs amis Louis, Dimitri et Claire. Ils vont dans un restaurant qui est plongé dans le noir et où les serveurs sont non voyants. Après la soirée, Sandrine détache la ceinture de sécurité de Paul et jette volontairement sa voiture contre un arbre, tuant Paul sur le coup.

Mon avis : Voilà une histoire simple, qui donne la parole successivement aux trois personnages principaux pour une chute inattendue.

L’ Ange de la Vallée de Solène Bakowski :

Dans un paysage bucolique, une jeune fille emmène ses chèvres paitre dans la montagne, quand elle est surprise par une meute de loups. N’écoutant que son courage, elle les menace à l’aide d’un morceau de branche avant de tendre la main vers eux et de les calmer. Le curé qui assiste à cette scène est persuadé de voir un miracle et la ramène avec l’assentiment de la mère en tant que renouveau de Dieu.

Mon avis : Alors que cette histoire commence comme une poésie, elle se poursuit comme une sorte de conte pour se terminer dans l’horreur, illustrant la folie des hommes. Cette terrible nouvelle est un des meilleurs morceaux de ce recueil à mon avis.

Signé de Benoit Philippon :

La signature de Marcy, artiste peintre, se reconnait entre mille et sa cote atteint des sommets vertigineux. Elle réalise aussi des tatouages et des policiers viennent l’interroger suite à la découverte de corps dépecés : l’assassin a voulu récupérer le tatouage de l’artiste aujourd’hui incontournable.

Mon avis : On peut regretter sa taille, trop courte, et pourtant, sous ses dehors de nouvelle policière, elle se révèle féroce avec une fin que je qualifierai de géniale tant elle est surprenante. Excellent.

Mer Carnage d’Eric Cherrière :

N’ayant pas connu ses parents massacrés par un assassin lors de l’élection de Mitterrand, il est devenu le ponte du plastique. Alors qu’il est en galante compagnie, un visiteur lui annonce que quelqu’un a des révélations à lui faire sur ses parents.

Mon avis : Une nouvelle classique

No smoking de Michaël Mention :

5 juillet 1971. Deux hommes montent dans un ascenseur. Ils ne se connaissent pas. L’un d’eux est Richard Kross, directeur de l’Alpha Oil Company, l’une des plus grosses entreprises de négociation de gisements de pétrole. Soudain, l’ascenseur s’immobilise … c’est la panne.

Mon avis : Cette nouvelle donne l’occasion à Michaël Mention de lister les interventions américaines pour assouvir leur souveraineté au monde. Découpée en courts chapitres représentant chacun une minute, elle va comporter suffisamment de rebondissements pour nous tenir en haleine. Dans le fond et dans le forme, c’est une grande réussite. Un huis-clos que je verrais bien adapté en pièce de théâtre.

Doigts d’honneur de Danielle Thiéry :

Sasha, Martin et Anna concourent pour le prix Chopin du meilleur jeune pianiste. Ludo le gardien de la salle Pleyel leur accorde l’accès au piano en douce. Ce soir-là, c’est au tour de Sasha de s’entrainer. En sortant, il se fait agresser, et les malfaiteurs lui coupent les doigts. La douleur intense entraine une crise cardiaque. La police enquête sur cette mort.

Mon avis : Ecrit de façon remarquablement fluide, l’auteure nous construit une intrigue policière où les personnages sont parfaits de crédibilité et débouche sur une fin d’un cynisme que j’adore.

L’ombre de la proie de Ghislain Gilberti :

La Bête suit Géraldine, une jeune fille de onze ans pour assouvir ses instincts les plus bas. Marchant à distance, dans les ombres, ses pulsions montent et la Bête sent que le jour est venu, sa patience est à bout. Non loin de là, une voiture avec deux personnes à l’intérieur guettent.

Mon avis : Parmi les auteurs français qu’on me conseille de lire, et dont je n’ai pas encore abordé les livres, Ghislain Gilberti est situé pas loin du haut de la pile. Cette nouvelle remarquable ressemble à s’y méprendre à un roman d’horreur jouant sur les ambiances et les scènes d’action sont justes impressionnantes tant elles sont prenantes. Excellent.

Une main en or de Jacques Saussey :

Alors qu’il purge une peine de prison conséquente, Enzo Gniani est convoqué chez le directeur Alberto Bozzini. Bozzini lui montre alors une esquisse du tableau de Dali, La Licorne. Il lui annonce qu’il l’a dénichée dans une brocante. Comme Bozzini connait le talent de Gniani pour la peinture, il lui demande de peindre pour lui.

Mon avis : Voilà un auteur dont j’attends avec impatience des nouvelles. On retrouve dans cette nouvelle tout l’art de peindre des personnages, un décor (ici plusieurs et ne ratez pas le tunnel infesté de rats) ainsi qu’une intrigue. Pour le coup, on aurait aimé que cette nouvelle soit un peu plus longue !

Zeru Zeru de Maud Mayeras :

Bibi est une jeune enfant qui n’a pas connu sa mère. Elevée, chouchoutée par son père, elle a grandi en l’aidant dans les champs, loin des autres enfants. Quand un matin, son père l’emmène voir le gourou …

Mon avis : Terrible en même temps qu’attachante, cette histoire nous éclaire sur un phénomène dont personne ne parle : l’albinisme. Cette nouvelle, aussi subtile qu’intrigante, fait partie des meilleures de ce recueil.

L’île des âmes de Piergiorgio Pulixi

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons-Reumaux

Je vous en avais parlé il y a quelque temps : les éditions Gallmeister, après avoir arpenté les routes étasuniennes, se tournent vers l’Italie d’abord, et probablement d’autres lieux dans le monde à venir. Ce roman s’annonce comme le début d’une série. Prenons donc la direction de la Sardaigne.

« Quand on arrive en fin de carrière, les affaires non résolues continuent de vous hanter jusqu’à votre mort ». Cette pensée lamine l’esprit de Moreno Barrali, inspecteur en chef proche de la retraite. Depuis que son docteur lui a annoncé qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre, il rumine deux affaires qui pour lui furent intimement liées, les meurtres de deux jeunes femmes, orchestrés comme un sacrifice.

Les autorités de Cagliari ont décidé de créer un service « Cold case », principalement pour des raisons d’amélioration des statistiques de résolutions d’affaires. Mara Rais qui vient d’être déboutée dans le cas d’un harcèlement sexuel est décriée dans le département de police, malgré ses grandes qualités d’inspectrice. Le commissaire Farci, son chef lui propose de rejoindre ce nouveau service.

La mauvaise nouvelle concerne l’organisation du service. Mara devra faire équipe avec Eva Croce, qui vient de débarquer de Milan avec une réputation sulfureuse. Quand Mara rencontre Eva pour la première fois, elle se retrouve face à une jeune femme au look punk, très éloigné de ce qu’elle a l’habitude de voir. Barrali est heureux de partager les informations qu’il a collecté pendant plusieurs dizaines d’années, alors qu’une jeune fille vient de disparaitre.

L’auteur n’est pas connu chez nous, mais il n’en est pas à son coup d’essai. Ceci explique la grande maitrise dans l’intrigue, construite avec beaucoup d’application. Le roman commence par présenter dans le détail le contexte et les personnages, ce qui fait que l’enquête met un peu de temps à démarrer. Et l’auteur se permet d’introduire des notions de fantastique liées aux croyances de cette région de Sardaigne.

La lecture est grandement facilitée par une fluidité du style et par la volonté de l’auteur d’être explicite sur le contexte. Dans ce cadre, les paysages sont magnifiquement décrits, incluant des zones mystérieuses ; les pratiques ancestrales sont bien expliquées. On a vraiment l’impression d’être plongé dans la vie de ces petits villages, émerveillés dans ces paysages inconnus pour nous. On apprend beaucoup de choses sans forcément avoir l’impression de subir un cours universitaire.

Les deux personnages principaux, Eva et Mara, sont des femmes fortes, sans concession, pour lesquels j’ai craqué. Ayant des caractères forts, leur relation est plus que houleuse, et elles devront faire avec, pour faire avancer leur enquête. A ce titre, les dialogues, « rentre-dedans », francs, directs, à la limite de l’agressivité, sont remarquablement bien faits. Ces parties de ping-pong ajoutent à notre plaisir de lecture une touche de réalisme. Et l’évolution de leur relation est remarquablement construite.

L’air de rien, ce roman dépasse les 500 pages, et on ne s’ennuie jamais, même si certains passages ont tendance à être bavards. Surtout, ce roman fait naitre une attente quant à une future enquête, surtout avec une fin telle qu’elle est présentée, ouverte aussi bien sur ses conséquences que sur les relations entre Mara et Eva. Alors, dites-moi, quand est prévue la prochaine enquête ?

Le baiser des Crazy Mountains de Keith McCafferty

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Marc Boulet

Après Meurtres sur la Madison, Les morts de Bear Creek et La Venus de Botticelli Creek, ce roman est la quatrième enquête de la série Sean Stranahan, détective en dilettante et professeur de pêche à la mouche, et Martha Ettinger, shérif du comté de Hyalite. En ce qui me concerne, je parlerai plutôt de découverte.

Max Gallagher, auteur de romans à succès, a connu des déconvenues lors de ses dernières parutions. Il loue donc un chalet perdu dans les montagnes du Montana pour se concentrer sur son prochain opus qui doit lui permettre de retrouver le devant de la scène. Suffisamment isolé de potentielles tentations, équipé de bouteilles de bourbon, tous les ingrédients sont réunis pour qu’il travaille sérieusement.

Alors que la température plonge, Max veut faire un feu dans la cheminée, et s’aperçoit que la fumée s’évacue mal. En sortant dehors, il voit des corbeaux et pense à un nid mal placé. Après avoir récupéré une échelle, il grimpe et éloigne les oiseaux noirs, mais ne voit pas de nid. En regardant attentivement, il aperçoit plus bas dans la conduit un corps dont la tête est tournée vers lui ; les yeux ont été dévorés par les corbeaux.

La shérif Martha Ettinger est appelée sur les lieux et la question qui se pose est : comment faire sortir le corps coincé dans le conduit. Après moult possibilités, le corps d’une jeune femme tombe dans les bras de son adjoint. Or la disparition de Cindy Huntington a été signalée six mois auparavant. Max connaissant Sean Stranahan, il le contacte et Martha Ettinger s’arrange pour que Stranahan soit engagé par la famille de Cindy Huntington. Ils pourront être deux à enquêter sur cette affaire.

Malgré le fait que je n’aie pas lu les précédentes enquêtes, je n’ai ressenti aucune gêne dans la compréhension des personnages et leurs relations. J’irai même plus loin : cela m’a donné envie de lire les autres romans. Car ce roman, qui est à classer dans le genre roman policier, est du pur plaisir de lecture. Et en premier lieu, on peut placer l’intrigue, qui avance selon deux aspects en parallèle, qui présente moult fausses pistes, rebondissements et revirements de situation.

Keith McCafferty nous présente le Montana et le décor est un personnage à part entière. Les tableaux sont d’une beauté passionnante et il nous fait découvrir des lieux que l’on n’aurait pas pu imaginer. De même, les psychologies des personnages bénéficient d’une vraie complexité, les relations familiales obscures et cela contribue à donner à ce roman et cette intrigue une vraie épaisseur.

Enfin, nos deux enquêteurs sont deux personnages bien particuliers et participent au plaisir de la lecture. Jouant au jeu du chat et de la souris, ils sont aussi opposés que le feu et la glace mais sont attirés l’un par l’autre comme des aimants. Et les dialogues ajoutent une sorte de légèreté et d’humour surtout grâce à des réparties décalées qui finissent par nous convaincre du haut niveau de divertissement. N’hésitez pas à ajouter Le baiser des Crazy Mountains dans vos bagages de vacances.

Un jour viendra de Giulia Caminito

Editeur Gallmeister

Traductrice : Laura Brignon

Les éditions Gallmeister quittent le continent américain pour publier des romans issus d’autres endroits du monde. Ils débutent cette nouvelle aventure par l’Italie avec deux romans, Un jour viendra de Giulia Caminito à classer plutôt en littérature et L’Île des âmes de Piergiorgio Pulixi dont nous parlerons bientôt.

Le roman commence par un prologue terrible et donne le ton pour le reste de cette histoire. Nicola est présenté comme un garçon fragile, cherchant à se faire oublier des autres, préférant rester dans les ombres plutôt que d’affronter la lumière du jour. Lupo est tout son contraire, fort, imposant ; par sa stature, il se considère comme responsable de son petit frère, si frêle, et s’est donné comme mission de le protéger. Sur les bords du Misa, Nicola fait face à Lupo, armé d’un fusil et lui tire dessus.

Il faut dire que la famille Ceresa traine une mauvaise réputation, comme si elle attirait le mauvais sort. Luigi est le boulanger du village, sa femme Violante est aveugle, et sa famille a vu plusieurs de ses enfants mourir. Leur vie est rude, et laisse peu de place à l’amour familial. Les troubles qui secouent l’Italie en ce début du vingtième siècle vont être exacerbés par l’arrivée de la première guerre mondiale.

Par chapitres alternés, l’auteure nous plonge dans la vie d’un couvent dirigé par Sœur Adélaïde qui vient de se suicider par pendaison. Par tirage au sort, Sœur Clara va être désignée pour prendre sa place et dévoiler aux autres sœurs son caractère dur, lié à ses origines. Ce monde de silence et de foi cache en réalité un terrible secret qui va toucher le village et la famille Ceresa.

Il est surprenant de lire que ce roman n’est que le deuxième de cette jeune auteure italienne, tant l’intrigue est complexe et maitrisée. Situé dans un pays que je connais peu, parlant d’une période trouble de l’histoire italienne, il vaut mieux lire les notes de l’auteur et de l’éditeur situées à la fin du roman. Cela permet de nous éclairer sur le contexte et les positions prises par tous les personnages.

Car Un jour viendra est un roman qui nécessite des efforts pour se resituer dans le temps et dans l’espace. Ne précisant jamais quand les chapitres si situent dans le temps, il est parfois difficile de se raccrocher à l’intrigue. La façon de mener cette histoire est aussi originale puisque les secrets se dévoilent au hasard des scènes, sans qu’il n’y ait de logique dans la construction. Les lecteurs cartésiens, comme moi, se retrouveront désarçonnés.

Reste que la plume de Giulia Caminito se révèle à la fois originale et magnifique. L’écriture se montre descriptive et poétique, noire quand il le faut, quand il s’agit de décrire un décor ou la nature environnante. Elle se met en retrait et devient factuelle quand elle montre les actions des personnages, ne donnant aucune information sur les émotions. Enfin, les dialogues sont insérés dans la narration sans indication, et peut surprendre.

Malgré la beauté du texte, la noirceur du contexte, mon impression est tout de même en dents de scie. J’ai été ébahi par certains passages et regretté que le roman se révèle si difficile à suivre, par manque de visibilité. Il aurait été intéressant d’indiquer quand les scènes se déroulent et donner un peu plus de détail sur le contexte historique. Le roman creuse tout de même beaucoup de thèmes, de la loyauté fraternelle à la destinée, la religion, l’anarchie, les décisions politiques et on en ressort avec l’impression que cette période du début du vingtième siècle a été déterminante pour l’histoire de l’Italie et que le peuple, qui avait les cartes de son avenir entre les mains, s’est trompé.

Oldies : Joe de Larry Brown

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Lili Sztajn

Attention, Coup de Cœur !

Afin de fêter ses 15 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux éditions Gallmeister, spécialisées dans la littérature anglo-saxonne. Je vous propose de découvrir, si vous ne le connaissez pas, l’un des meilleurs auteurs américains, injustement considéré et méconnu chez nous, Larry Brown.

L’auteur :

Larry Brown, né le 19 juillet 1951 à Oxford dans le Mississippi aux États-Unis et décédé le 24 novembre 2004 à Oxford dans le Mississippi aux États-Unis d’une crise cardiaque, est un écrivain américain.

Il fréquenta brièvement l’université du Mississipi sans en être diplômé. Après avoir servi dans l’US Marine et exercé de multiples petits boulots : bûcheron, charpentier, peintre, nettoyeur de moquette, tailleur de haies, il fut pompier pendant seize ans. Un éditeur remarque un jour une de ses nouvelles dans un magazine et, enthousiasmé par son écriture forte, décide de prendre contact avec lui : il lui demande s’il aurait d’autres nouvelles à publier.

L’écrivain lui répond qu’il en a des centaines. En quelques années, Larry Brown est reconnu comme un grand romancier, par la critique qui lui décerne de nombreux prix tel le Southern Book Critics Circle Award for Fiction, comme par les lecteurs.

Il décède d’une crise cardiaque en 2004 à l’âge de cinquante-trois ans, laissant une œuvre forte et inachevée de six romans, deux recueils de nouvelles, une autobiographie et un essai. Deux nouvelles et le roman Joe ont été adaptés au cinéma. Il fait un caméo dans le film Big Bad Love d’Arliss Howard en 2001.

Quatrième de couverture :

C’est dans les forêts du nord du Mississippi que Joe Ramson, quadragénaire alcoolique et désabusé, va rencontrer Gary Jones, un gamin de quinze ans, illettré, ne connaissant ni sa date ni son lieu de naissance. Une fleur poussée sur le fumier ou l’absolue misère croisant le chemin d’un homme marginal et violent mais profondément humain. Joe dirige une équipe de journaliers noirs chargée d’empoisonner les arbres inutiles et de les remplacer par des pins qui seront utilisés comme bois d’abattage par les grosses compagnies forestières.

Gary est venu à pied depuis la Californie avec ses parents et ses deux sœurs. Ils se nourrissent en fouillant les poubelles et se sont installés au fond des bois dans une vieille cabane en rondins inhabitée depuis longtemps. Wade, le père, est un ivrogne, fainéant, mauvais et puant jusqu’au bout des ongles, exploitant et volant son fils pour quelques canettes de bière. Ce dernier réussit à se faire embaucher par Joe et il devient son ami. Du fond de son ignorance, Gary sent que son salut viendra de cet homme à l’avenir incertain.

Larry Brown offre aux lecteurs une histoire dans la grande tradition du roman américain. Histoire de Blancs pauvres et de Noirs indigents avec l’alcool et les coups pour unique langage. Une histoire tragique où le dénuement et le désespoir entraînent pour ces hommes la perte de leur humanité. Un récit terrifiant et émouvant. Claude Mesplède

Mon avis :

Relire ce roman permet de relativiser sur le niveau littéraire de beaucoup de romans actuels et je me demande si on ne devrait pas parler plus souvent des œuvres essentielles. Joe de Larry Brown est à classer comme un classique de la littérature américaine et le fait qu’il soit si peu connu chez nous est juste incompréhensible. Les mots me manquent pour qualifier ce livre, et un seul mot me vient à l’esprit : Monument. Au même titre que Père et Fils, d’ailleurs, autre roman de cet auteur.

S’appuyant sur trois personnages forts, Larry Brown ne se contente pas d’analyser l’illusion du rêve américain, mais situe son roman au niveau de l’Homme et de son envie ou besoin de liberté. Construit comme une rencontre entre Gary, un jeune adolescent illettré mais travailleur vivant dans une famille extrêmement pauvre et Joe, un bucheron alcoolique et foncièrement indépendant, libre et indépendant, le roman fait partie de ces témoignages sur la vie de ceux qui sont oubliés par le rêve Américain.

Le personnage qui marque le lecteur est bien entendu Wade Jones, le père de Gary, un fainéant alcoolique, violent, qui martyrise sa famille pour justifier sa position de Chef. Les Jones n’ont pas de maison, et errent à la recherche de travail pour payer l’alcool du père. Gary veut travailler pour gagner de l’argent et partir loin de cet enfer. Il rencontre Joe qui place sa liberté au-dessus de tout et de tous, ayant abandonné sa famille et même ses relations avec les autres, au profit de l’assouvissement de ses envies.

Roman d’émancipation, d’éducation et de rédemption, ce roman présente l’avantage de ne pas opposer des gentils avec des méchants. Tous les personnages ont leurs propres motivations et sont tous blâmables, dans une société « normale ». Larry Brown nous montre la société des libertés qui pousse chacun à ne penser qu’à lui avant tout, et à renier sa responsabilité collective, quitte à payer les conséquences de ses actes.

Avec une plume brutale mais formidablement évocatrice, cette histoire faire d’alcool et de bagarres, de sueur et de haine nous montre que même avec des personnages extrêmes, l’espoir d’une vie en société peut exister ; et qu’avec de l’éducation, on peut aboutir à une société vivable. Joe est un hymne littéraire à l’humanisme, sans concession, et d’une formidable force. On n’est pas prêt d’oublier ni ces personnages, ni ces forêts, ni cette intrigue terrible.

Coup de Cœur !

Ce roman est doté d’une suite, Fay, qui va nous montrer la vie de la jeune sœur de Gary qui a décidé de quitter sa famille. Nous en parlerons en septembre.