Archives pour la catégorie Coup de cœur 2023

La conspiration des ténèbres de Theodore Roszak

Editeur : Editions du Cherche-Midi (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

Traductrice : Édith Ochs

Attention, coup de cœur !

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

J’avais acheté ce roman il y a quelques années et le fait de consacrer les Oldies de cette année au Livre de Poche m’a permis de le ressortir. Le hasard veut que mon ami blogueur François Braud en ait parlé dans un de ses épitres (https://broblogblack.wordpress.com/2023/06/04/en-verite-je-vous-le-crie-epitre-3/).

L’auteur :

Theodore Roszak, né le 15 novembre 1933 à Chicago dans l’Illinois et mort le 5 juillet 2011 (à 77 ans) à Berkeley en Californie, est un historien, professeur à l’université de Californie, un sociologue et un écrivain américain. Sa lecture du monde peut être qualifiée d’holistique. Il a popularisé la notion de contre-culture en 1968 dans Vers une contre-culture (The Making of a Counter Culture) et la notion d’éco-psychologie dans son livre The Voice of the Earth : An Exploration of Ecopsychology, en 1992.

Il est l’auteur de plusieurs essais consacrés à l’information, la science, la culture, l’écologie, la psychologie, l’impérialisme américain. Il collaborait également au New York Times.

Theodore Roszak effectue de brillantes études, décrochant un doctorat en histoire anglaise de l’université de Princeton (1958). Il enseigne à l’université Stanford, puis successivement à l’université de la Colombie-Britannique et à l’université d’État de San Francisco. En 1963, il entre au département d’histoire de l’université d’État de Californie, où il deviendra professeur.

Au milieu des années 1960, il est à Londres. Il y devient le rédacteur en chef du journal Peace News, principal organe d’expression de la dynamique pacifiste et non-violente, créé en 1936. Il y publiera, en 1967, une étude intitulée « Mumford et la Mégamachine ».

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Jonathan Gates, personnage principal du roman, étudie le cinéma à l’université de Californie. Il fréquente régulièrement une petite salle de cinéma Underground, le Classic, cogéré par Clarissa Swan et Don Sharkey, le projectionniste. Il sympathise rapidement avec les deux personnes, et devient bientôt l’amant de Clarissa (Clare).

Il découvre, grâce au Classic, un réalisateur de films muets d’avant-guerre, Max Castle. Celui-ci a d’abord commencé sa carrière en Allemagne, entre les deux guerres mondiales, avant d’émigrer aux États-Unis, à la suite de l’accession au pouvoir des nazis.

Les films de Max Castle mettent mal à l’aise, sans pour autant que l’on sache toujours pourquoi. Cela est en fait dû à des techniques particulières permettant de cacher des images dans le film… Ainsi, les films de Max Castle se révèlent être truffés de mouvements de caméra, d’effets spéciaux, de messages subliminaux, que permet de découvrir un appareil spécial que Zip Lipsky, le cameraman de Castle, appelle Sallyrand.

Le réalisateur a reçu ces techniques de l’Église des Orphelins de la Tempête, où il a été élevé. Cette Église est la descendante du mouvement cathare, dont les fidèles furent exterminés au Moyen Âge par l’Église catholique. Avec l’aide très précieuse de Clare, Jonathan soutient une thèse sur Max Castle. Ainsi, il fait redécouvrir au monde ce mystérieux réalisateur. Et il va partir à la recherche des origines de cette religion en France.

(Extrait de Wikipedia et adapté par mes soins)

Mon avis :

La taille de ce roman ne doit pas vous rebuter. Il faut juste se dire que cela représente 820 pages de plaisir et d’érudition, mais aussi de défense du cinéma, de respect pour les auteurs du Septième Art et enfin du pouvoir de la culture. Car ce pavé comme on surnomme les romans de cette taille est juste un monument injustement qualifié de thriller car son message comporte bien plus de messages que cela.

Theodore Roszak nous fait entrer avec une grande facilité dans cette intrigue par la voix du narrateur, passionné de cinéma, qui découvre par hasard un auteur oublié de films de série B, ou C, ou D ou Z. et tout ce qu’il nous décrit est tellement minutieusement détaillé qu’il nous fait croire à tout ce qu’il raconte des lieux aux personnages en passant par les descriptions des scènes de films et leur analyse scrupuleuse.

Le personnage de Jonathan en est le narrateur, et nous voyons son évolution tout au long de ces pages qui représentent plus d’une dizaine d’année. De jeune étudiant ébloui par les connaissances de Clarissa, nous allons assister à son développement et son envol, pour être reconnu comme l’expert de l’œuvre de Max Castle. Sa vie personnelle et sentimentale n’est pas laissée de côté, et elle va même le guider dans ses recherches. De ce point de vue, ce roman est exemplaire.

Theodore Roszak nous montre dans ce roman son amour du cinéma et met surtout en évidence les créateurs. Quand il nous décrit des scènes (tellement visuelles qu’on a l’impression de les voir se dérouler devant nos yeux), il nous démontre les détails que les réalisateurs mettent en place, les innovations qu’ils implémentent. Outre sa fascination, il les met en avant et leur confère le rang d’artistes majeurs.

Clairement, le sujet de ce roman concerne la place de la culture dans l’évolution du monde et cela devient terriblement actuel avec l’avènement de l’Intelligence Artificielle. Ecrit en 1991, on ne peut qu’être admiratif devant son aspect visionnaire, avec la place de plus importante de la télévision et le fait que l’Art finit par devenir un bien de grande consommation, quelle que soit sa qualité. Et quand l’auteur prédit que la Culture va être bradée pour que le grand public y ait accès mais aussi pour faire plus de fric, il dévie son intrigue vers une conspiration qui clôt le débat sur l’importance et le réel pouvoir du Savoir sur le Monde.

Forcément, on ne se lance pas dans ce genre de roman quand on ne recherche un simple divertissement. Ce roman demande des efforts autant par ce qu’il raconte, ce qu’il démontre et par sa taille bien entendu. Mais il saura vous emporter vers un autre monde, par son style et par son message, il vous posera des questions auxquelles vous serez le seul à pouvoir répondre : Quelle place réservez-vous à la Culture ?

Coup de cœur Obligatoire !

Okavango de Caryl Ferey

Editeur : Gallimard – Série Noire

Attention, coup de cœur !

Caryl Ferey occupe une position unique dans le monde du polar. Il se positionne comme un écrivain globe-trotter humaniste et nous partage à travers des intrigues policières la vraie vie dans des pays étrangers.

Dans un restaurant de Nairobi, Rainer du Plessis accueille à sa table M.Zeng, un puissant exportateur chinois. Du Plessis lui confirme sa commande de vingt kilos de cornes de rhinocéros, qui servira à confectionner des pilules pour soi-disant améliorer les performances sexuelles. La commande s’accompagnera du Longue-Corne. Du Plessis a prévu une surprise, un cérémonial pour son invité : lui présenter son futur repas vivant, avant qu’il soit cuisiné. La cage arrive enveloppée d’un drap, qui s’efface bientôt devant un tigre mâle magnifique et impressionnant. Mais Du Plessis reçoit un coup de fil de Joost, son neveu : leur pisteur a disparu. Sans pisteur, pas de Longue-Corne. Mais rien ne peut arrêter Du Plessis, que l’on surnomme Le Scorpion, l’un des pires braconniers au niveau mondial.

Le désert Kalahari s’étend sur le Botswana et la Namibie, jusqu’aux rives du fleuve Okavango. Cette zone est classée au patrimoine mondial de la biodiversité et surveillée par des rangers à la chasse des braconniers. A sa limite, John Latham a exploité une mine de diamants avant d’y implanter une réserve naturelle appelée Wild Bunch. En faisant visiter sa réserve à des touristes américains, John et N/Kon, son ami inséparable issu du peuple San, découvrent le corps d’un homme, probablement un pisteur. Trop tard ! les touristes l’avaient vu. Mais comment est-il entré alors que Wild Bunch est protégé par des clôtures électrifiées et les entrées surveillées par des caméras ?

En tant que Ranger à la KAZA, la zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze, Solanah Betwase est dépêchée sur les lieux par le directeur de la KAZA, qui n’est autre que son mari. Elle s’y rend avec Seth, son jeune adjoint, alors qu’elle était en train de sauver une girafe d’un piège mortel. Sa mission est de découvrir si le meurtre de l’homme trouvé au Wild Bunch est un crime de braconnier ou juste une affaire criminelle.

Caryl Ferey nous a fait voyager en Nouvelle-Zélande (Haka et Utu), en Afrique du Sud (Zulu), en Argentine (Mapuche), au Chili (Condor),  en Colombie (Paz) et en Sibérie (Lëd). Il pose ses valises, s’imprègne du pays, de ses habitants, de leur mode de vie et nous ramène à chaque fois, non pas des romans, mais de vraies fresques d’aventure où l’on plonge avec avidité tant les intrigues, les personnages et les informations nous passionnant.

Pour moi, mes romans préférés de Caryl Ferey sont Zulu et Mapuche. Et je dois avouer que roman après roman, sa plume s’affirme, se précise et devient de plus en plus acérée, évidente, parfois dure, parfois poétique, en un mot littéraire. Dans tous ses romans, ses personnages sont ni bons, ni mauvais, confrontés à des choix, des situations difficiles, ni tout blancs, ni tout noirs. Enfin et surtout, Caryl Ferey sait rester en marge de ses histoires, et arrive à créer un genre à mi-chemin du documentaire et de la littérature (noire en l’occurrence, mais c’est notre monde qui veut cela).

Et ce nouveau roman vous prend à la gorge dès les premières lignes. Ma brève tentative de résumé couvre les trois premiers chapitres. La scène du restaurant pose l’enjeu dans toute son horreur. La visite de Wild Bunch pose le décor. Le sauvetage de la girafe permet de boucler le triangle des forces en présence. En trois chapitres, tout est mis en place, sans jamais juger les uns ou les autres, mais surtout, nous sommes projetés dans un autre monde, un paysage chaud, dur, et nous avons devant nos yeux grands ouverts des animaux magnifiques en toute liberté.

Outre l’intrigue impressionnante de bout en bout, j’ai adoré comment Caryl Ferey nous apprend la vie dans cette zone d’Afrique centrale. On va vivre avec les différentes peuplades, souffrir de la faim et de la soif comme eux, apprendre la loi de la nature (car non ! le Lion n’est pas le Roi des animaux !) et la politique de ces pays, leur histoire, leurs relations. Caryl Ferey nous rappelle dans ses romans que notre Monde n’est pas le Monde des Bisounours, et de grandiose façon.

Il y aura quelques scènes dures, mais Caryl Ferey s’est retenu et cela donne d’autant plus de force à son message : partout où l’Homme passe, la nature trépasse. Et même quand on a tourné la dernière page, il nous gratifie d’une note en guise de conclusion qui enfonce le clou pendant que l’on serre notre poing de rage : « Je voulais être tueur de braconniers quand j’étais petit. Je le veux toujours. Ecrire comme remède. »

Ma conclusion à moi sera plus simple : Roman indispensable, Un grand cru de Monsieur Caryl Ferey, coup de cœur !

La saga Michael Forsythe d’Adrian McKinty

Editeur : Gallimard Série Noire (Grand Format et format poche) ; Livre de Poche (Intégrale en format poche)

Traducteurs : Isabelle Artega et Patrice Carrer

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Attention, coup de cœur !

Adrian McKinty, remarqué pour son thriller La Chaine et sa série ayant pour personnage principal Sean Duffy, inspecteur de police catholique en Irlande, avait commencé sa carrière avec une trilogie mettant en scène Michael Forsythe, un jeune irlandais obligé d’immigrer aux Etats Unis et intégrant la mafia irlandaise. Pour la première fois, un recueil regroupe au format poche les trois tomes de la trilogie, A l’automne, je serai peut-être mort, Le fils de la mort, et Retour de flammes.

L’auteur :

Adrian McKinty, né le 6 août 1968 à Belfast, en Irlande du Nord, est un écrivain irlandais, auteur de roman policier et de littérature d’enfance et de jeunesse.

Il grandit à Carrickfergus, dans le comté d’Antrim (Irlande), sur la côte est de l’Irlande du Nord. Il étudie le droit à l’Université de Warwick, puis les sciences politiques et la philosophie à l’Université d’Oxford.

Au début des années 1990, il déménage aux États-Unis, vivant d’abord à Harlem, le quartier noir de Manhattan, à New York. En 1998, il fait paraître son premier roman intitulé Orange Rhymes With Everything.

À partir de 2001, il s’installe à Denver, au Colorado, où il enseigne l’anglais au secondaire et continue à écrire des fictions. À partir de 2004, il se lance dans le roman noir avec À l’automne, je serai peut-être mort (Dead I Well May Be), premier titre d’une trilogie ayant pour héros Michael Forsythe, un ancien agent du FBI, autrefois responsable de l’arrestation d’un gang de mafieux de Boston et qui tente maintenant de refaire sa vie en Irlande du Nord. Cette trilogie place McKinty parmi les représentants de la nouvelle vague du polar irlandais, aux côtés de Ken Bruen, Declan Hughes et John Connolly. Le journal britannique The Guardian le considère même comme un « maître du roman noir moderne, non loin de Dennis Lehane ». Pourtant, les romans de McKinty rappellent plutôt ceux de James Ellroy, en raison d’un recours fréquent et explicite à la violence, et ceux d’Elmore Leonard pour la présence en filigrane de l’ironie et de l’humour noir dans l’évocation lyrique de ses sombres univers.

En 2012, il amorce une série de romans policiers historiques située pendant les « Troubles » des années 1980 et ayant pour héros le sergent Sean Duffy, un flic catholique en plein Ulster. Dans Une terre si froide (The Cold Cold Ground), le premier titre de la série, peu après le décès de Bobby Sands, deux homosexuels sont assassinés et le meurtrier mutile les cadavres et arrache leur main gauche. Tous les enquêteurs croient qu’il s’agit d’un serial killer, mais Duffy flaire une solution plus paradoxale. Avec le cinquième roman de cette série, Rain Dogs, parue en 2016, il est lauréat du prix Edgar-Allan-Poe 2017 du meilleur livre de poche original.

En parallèle à ses récits criminels, McKinty publie, à partir de 2006, des ouvrages de littérature d’enfance et de jeunesse avec la trilogie The Lighthouse.

A l’automne, je serai peut-être mort :

Michael est un jeune Irlandais peu scrupuleux, qui émigre aux États-Unis. Pour survivre, il entre au service d’un gangster pour le compte duquel il accomplit de sordides missions punitives. Il convoite bientôt la maîtresse de son patron, dont il est tombé amoureux. La belle, qui n’est pas née de la dernière pluie, cède sans résister. Un crime impardonnable ! Devenu soudain l’objet d’une vengeance plus que vicieuse, Michael, avec quelques camarades, se retrouve brutalement plongé en enfer, c’est-à-dire au fond d’une immonde prison mexicaine où la police les jette sur la base d’une accusation fallacieuse. Dans Cette bâtisse construite au milieu d’une jungle marécageuse, l’horreur s’installe, car les conditions de vie s’y révèlent infectes et dangereuses. On les passe à tabac. L’épuisement les gagne. Michael n’a qu’une idée : s’échapper à tout prix pour venger ses amis, dût-il en être à jamais marqué dans sa chair…

Le fils de la mort :

Le Fils de la Mort s’ouvre sur une émeute entre hooligans anglais et irlandais à l’issue d’un match de football en Espagne. En vacances sur place, Michael Forsythe, un ancien malfrat retourné par le FBI ayant permis l’arrestation d’un gang de mafieux bostoniens, est arrêté en marge de ces violences. Alors qu’il risque une lourde peine de prison, une agente des services secrets britanniques du MI6 lui propose un marché qu’il ne peut refuser s’il veut retrouver un jour la liberté. Nous sommes en 1997 et l’IRA est sur le point d’annoncer un cessez-le-feu avec les forces armées britanniques. Le MI6 soupçonne certaines cellules dormantes établies aux Etats-Unis de refuser cet état de fait et de lancer une campagne terroriste sur le sol américain. La mission de Michael est simple : infiltrer les « Fils de Cuchulainn », un groupe de vieux Irlandais en exil basé dans les environs de Boston. Tout semble se passer pour le mieux jusqu’à ce que Michael tombe amoureux de la fille de Gerry McCaghan, le leader du groupe…

Retour de flammes :

Tous ceux qui ont croisé son chemin vous le diront : Michael Forsythe est increvable. Mais cela ne semble malheureusement pas décourager les mauvaises volontés de ses poursuivants qui veulent lui faire la peau depuis qu’il a témoigné une dizaine d’années plus tôt contre la mafia irlandaise de Boston.

Caché par le FBI dans le cadre du programme de protection des témoins, Michael vit sous une fausse identité dans la ville de Lima, au Pérou. Mais Bridget Callaghan, dont il a abattu le fiancé douze ans plus tôt et qui a repris les rênes de la mafia de Boston, a réussi à retrouver sa trace.

Aussi, quand ses tueurs tendent le téléphone à Michael pour qu’il lui parle, croit-il qu’elle souhaite simplement le narguer ?

En réalité, plongée dans le désespoir par la disparition de sa fille, Bridget veut donner à Michael une occasion de se racheter. Tout ce qu’il a à faire, c’est rentrer en Irlande et retrouver sa gosse, qui vient de se faire kidnapper. S’il la sauve, il pourra vivre. Il ne lui reste plus que 24 heures chrono…

Mon avis :

Ce recueil nous propose les aventures de Michael Forsythe au complet, soit une trilogie complète au prix d’un grand format, 1500 pages soit trois livres pour le prix d’un. Déjà, chaque tome en vaut la peine, alors quand on nous en propose trois, le rapport Qualité / Prix est indéniable. Comprenons-nous bien, ces romans s’adressent aux fans de hard-boiled, de romans d’action violents non dénués d’émotions extrêmes, ni d’humour froid et cynique typiquement irlandais.

Même si les quatrièmes de couverture dévoilent beaucoup d’éléments de l’intrigue, il faut vraiment lire les romans pour en apprécier le ton donné par l’auteur et l’évolution du personnage lors de ces trois aventures, et se laisser malmener par le rythme incessant additionné à la paranoïa de Michael Forsythe. Et vous placerez ce personnage parmi les inoubliables de la littérature noire.

Dans A l’automne, je serai peut-être mort, l’histoire commence en Irlande dans les années 80. Etant catholique, Forsythe n’a pas le droit d’occuper deux métiers pour vivre. Alors qu’il trouve un boulot de serveur dans une réception mondaine, un photographe l’immortalise au second plan et cette photo finit par être publiée dans les journaux. Pour éviter la prison, il n’a d’autres choix que d’immigrer aux Etats-Unis où un oncle se chargera de lui trouver un travail, qui s’avère lié à la mafia irlandaise. Son humour et sa faculté de se lier aux autres vont lui permettre de progresser dans la hiérarchie jusqu’à ce qu’il rencontre la future femme du parrain pour qui il travaille.

Le fils de la mort nous montre Forsythe en fuite après sa vengeance sanglante et son statut de traitre. Il a en effet passé un marché avec le FBI et devient un témoin protégé avec une nouvelle identité. Mais sa tête est mise à prix par la mafia irlandaise dirigée par son ex-amante et par la police mexicaine, après s’être échappé de leur geôle. Il doit malgré tout reprendre du service pour le compte du MI6.

Retour de flammes clôt ce triptyque avec logique et fureur. Depuis l’épisode précédent, ses seuls ennemis sont la mafia irlandaise pour laquelle il a travaillé à son arrivée aux Etats-Unis. Une opportunité va lui permettre d’envisager une nouvelle vie propre mais elle sera dangereuse et bien sanglante.

Si dans le premier tome, on découvre un jeune homme immature et ne comprenant pas le milieu dans lequel il nage, on adore son humour, et son sens de la débrouille. Son passage dans les geôles mexicaines va le transformer en monstre de vengeance, sans foi ni loi, ne se posant jamais la question et n’hésitant pas à foncer droit devant. Et cette première aventure est une sacrée découverte.

A partir du deuxième tome, on le découvre paranoïaque, ne se liant avec personne car il existe un risque que chaque personne soit un traitre prêt à le tuer. Sa réponse est toujours immédiate, la mort. Ce deuxième tome est un vrai coup de cœur, tant par le rythme que par les dialogues, et on le suit dans son périple sanglant, luttant pour l’espoir que son casier judiciaire soit lavé. On fond aussi devant les sentiments qu’il ressent envers l’agente de MI6 et qui nous donne la possibilité de lire des scènes effroyablement émotionnelles.

Le troisième tome clôt de magistrale façon cette trilogie, en reprenant les qualités des deux premières aventures et en renvoyant Forsythe dans son pays natal, un pays déchiré par des clans à la recherche de tous les moyens pour gagner de l’argent. Comme pour toutes les autres aventures, Forsythe est malmené, torturé, obligé d’employer des moyens extrêmes et se conclut dans une scène dans le brouillard inoubliable.

Avec cette trilogie, Adrian McKinty mettait le pas dans le monde du roman noir violent, n’hésitant pas à créer des scènes ultra-violentes à coté de dialogues d’une drôlerie rare, avec cet humour froid que l’on adore chez les auteurs irlandais. Le rythme est incessant, le personnage intéressant et cette trilogie un incontournable pour les amateurs de romans d’action. Enfin, on comprend mieux la genèse du personnage de Sean Duffy qu’il créera juste après.

Coup de cœur !

La Femme Paradis de Pierre Chavagné

Attention, coup de cœur !

Editeur : Le Mot et le Reste

A l’origine, j’ai trouvé le conseil de lecture sur le blog PassionPolar de mon ami du sud Bruno. Puis, les avis se sont accumulés, tous positifs et ils ont tous raison : Ce roman fera partie de mes meilleures lectures de ce début d’année 2023.

Elle se lève ce matin-là, pousse la porte en chêne qui ferme sa grotte. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle vit ici, dans le causse. Elle ne compte plus les jours, les semaines, les mois, les années peut-être. Elle connait par cœur le paysage qui entoure sa maigre habitation, connait toutes les couleurs, toutes les odeurs, tous les bruits, les chants des oiseaux, les grattements des animaux.

La veille, une détonation a retenti. Le silence a appesanti la forêt alentour, comme une menace qui risquait de s’imposer. Rien n’est arrivé mais elle ne peut empêcher une appréhension, une certaine inquiétude. Elle avait fait un tour, et avait été surprise par une meute de loups. Comme s’ils avaient senti qu’elle faisait partie de leur environnement, ils avaient passé leur chemin.

La détonation l’inquiète. Pour se calmer, elle écrit dans son petit cahier. Elle se rappelle un autre temps, un autre lieu, le passé. Elle se rappelle son mari, si charmant, si touché par sa timidité. Elle préfère laisser les souvenirs s’évaporer pour éviter la douleur et l’absence. Elle a construit son habitation, vit de chasse, de pêche et de cueillette. Elle a construit sa nouvelle vie comme une fusion avec la nature.

Jamais un roman ne m’a fait une telle impression … ou rarement. Entrer dans un lieu inconnu, en compagnie d’une personne inconnue, se pelotonner auprès d’elle comme un témoin silencieux, de peur de déranger le calme, l’équilibre parfait dans une nature calme et sereine. Vivre au rythme du soleil, des nuages menaçants qui s’amoncellent, des bruits enchanteurs et des odeurs simples.

Lire ce roman procure un plaisir proche d’un enchantement. Cette femme vit un retour à la nature et en devient comme un animal apeuré pour qui tout contact avec la pseudo-civilisation devient un danger. Jamais un roman ne m’aura fait voir autant de beautés naturelles, ne m’aura fait sentir les feuilles humidifiées par la brume matinale, ne m’aura fait écouter les chants mélodieux des oiseaux.

Et pourtant, elle va rencontrer des gens, des hommes. Dans ces moments-là son cœur s’enfuit, court à tout rompre, lui crie de se défendre d’une menace, existante ou à venir. De ces moments survient la violence, d’elle ou d’eux. Cet ode à la nature, à la femme, à la liberté est apparu sur les étals des libraires comme un miracle, comme un joyau rare, qu’il faut lire, relire, presque apprendre par cœur.

Coup de cœur !

Ne ratez pas le coup de cœur de mon ami Bruno sur PassionPolar

La garce de David Goodis

Editeur : Fayard (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

Traducteur : Claude Benoit

Attention, coup de cœur !

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Ce mois-ci, nous avons l’occasion de redécouvrir, de se rappeler un grand auteur du Noir, un monument de la littérature américaine, tombé aux oubliettes dans son propre pays.

L’auteur :

David Goodis, né le 2 mars 1917, à Philadelphie où il est mort le 7 janvier 1967, est un écrivain américain de roman noir.

Issu du milieu juif de Philadelphie, David Loeb Goodis fréquente brièvement l’université de l’Indiana avant de terminer ses études en journalisme à l’université Temple en 1938. Peu après, il se trouve un emploi dans une agence de publicité et, pendant ses temps libres, rédige un grand nombre de nouvelles policières pour divers « pulps » américains. Il publie son premier livre Retour à la vie (Retreat from Oblivion) en 1938. À New York, où il déménage l’année suivante, il travaille comme scripteur dans le milieu de la radio.

Pendant la première moitié des années 1940, les éditeurs rejettent systématiquement ses manuscrits. En 1942, il se rend sur la côte Ouest et est engagé par les studios Universal. Il se marie à Los Angeles en 1943.

Puis vient le succès en 1946 avec la publication de Cauchemar (Dark Passage). L’adaptation de ce récit en 1947, sous le titre Les Passagers de la nuit avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui permet de signer un lucratif contrat de six ans avec la Warner Bros, mais la plupart des scénarios qu’il écrit pour le studio ne dépassent pas l’étape de la rédaction.

En outre, sa vie privée s’effrite et il divorce en 1948. De retour à Philadelphie en 1950, il s’occupe de ses parents et de son frère schizophrène, puis sombre dans l’alcool. Cette version de l’écrivain maudit relèverait toutefois de la légende d’après l’enquête biographique de Philippe Garnier.

Oublié dans son pays natal, David Goodis doit son succès en France à l’adaptation de plusieurs de ses livres au cinéma, notamment de Tirez sur le pianiste par François Truffaut en 1960, dont c’est le deuxième long-métrage, La lune dans le caniveau de Jean-Jacques Beineix, Rue Barbare de Gilles Béhat ou Descente aux enfers de Francis Girod.

(Source : Wikipedia, complété par mes soins)

Quatrième de couverture :

Clara Ervin pourrait être votre voisine. Elle vit tranquille auprès de son mari, mais sort traîner la nuit. Elle veut le bonheur de sa belle-fille, mais lui inculque ses conceptions à coups de poing. Elle aime un homme passionnément, mais lui fait littéralement perdre la tête. Elle veut améliorer son niveau de vie et n’hésite pas à tuer pour cela.

Après La Lune dans le Caniveau, Cassidy’s Girl, voici La Garce, le roman sans doute le plus noir, le plus dur de David Goodis qui, longtemps classé parmi les grands du polar, est maintenant considéré comme l’un des maîtres de la littérature américaine.

Mon avis :

Commençons par une anecdote : quand je fais mes courses le week-end, je ne rate jamais l’occasion de passer devant ce que mon hypermarché appelle la Bibliothèque participative. Je suis tombé sur ce roman que je ne connaissais pas et je n’ai pas hésité à le prendre et le lire aussitôt.

Je n’avais pas lu de roman de David Goodis depuis plus de trente ans, puisqu’en tant que grand fan de la collection Rivages Noir, j’en avais lu trois ou quatre. Peut-être étais-je trop jeune, mais je dois dire que je n’avais pas été enthousiasmé par ces romans. Peut-être suis-je aujourd’hui plus attentif à la construction d’une intrigue, aux descriptions, aux psychologies, au style, toujours est-il que La garce m’a totalement emporté.

Le premier chapitre nous présente Ervin, veuf avec une adolescente, conscient de devoir se trouver une femme qui l’aidera dans ses tâches quotidiennes dont l’éducation de sa fille. Ervin est persuadé d’avoir rencontré la femme idéale. Le deuxième chapitre aborde le personnage d’Evelyn et la façon dont elle voit son père, et sa volonté de faire sa propre vie.

Puis arrive Clara, que l’on découvre experte en manipulation. Le prisme change totalement et on découvre un personnage féminin qui, au fur et à mesure du roman, nous est dépeint comme un véritable monstre. Plus l’intrigue avance, plus on découvre un personnage sans sentiment, incroyablement et monstrueusement stratégique dans sa façon d’influencer les événements pour atteindre son objectif de récupérer l’argent de son mari.

Usant de charme, de sexe, de violence ou de chantage, Clara va se montrer remarquablement consciente des atouts qu’elle possède et des possibilités qui s’offrent à elle de façon incroyablement opportuniste. En se rappelant que ce roman date de 1947, je ne suis pas sûr qu’il existe un roman ayant présenté un tel personnage féminin auparavant.

Et puis, même si le roman se concentre sur les personnages, David Goodis fait partie de ces auteurs capables de vous transporter dans les décors qu’il a créés. Les descriptions se révèlent détaillées, remarquables dans leur évocation, imagées (d’aucuns diraient cinématographiques). Avec ce roman, j’ai enfin découvert la puissance de la plume de ce grand auteur et il va me falloir relire ses autres romans.

Je ne suis pas sûr que vous puissiez trouver cette édition au Livre de Poche, car le tirage est épuisé depuis bien longtemps. Vous pourrez le retrouver dans l’intégrale David Goodis des intégrales des éditions du Masque en eBook. Réhabilitons cet auteur incontournable !

Coup de cœur !

Black flies de Shannon Burke

Editeur : Sonatine

Traducteur : Diniz Galhos

Paru en 2012 sous le titre 911, les éditions Sonatine ressortent le roman sous le titre utilisé lors de son adaptation en film réalisé par Jean-Christophe Sauvaire (Johnny Mad Dog) avec Sean Penn, Mike Tyson et Michael Pitt. Ayant adoré ce roman, j’en profite pour recycler mon avis sous ce nouveau titre, puisque c’était un coup de cœur pour moi !

Attention, coup de cœur !

Voilà un roman qui va vous secouer, et à propos duquel j’aurais pu décerner un coup de cœur … Il n’est pas passé loin, je vous l’assure, au sens où ce roman est comme une pince chauffée à blanc, qui va prendre vos tripes une à une et les torturer en bonne et due forme. Quand vous allez lire le sujet, vous allez naturellement que cela a déjà été vu ou lu. Il y a même des séries télévisées à propos de services urgentistes. Sauf qu’ici, on affaire à quelqu’un qui connait le milieu, puisqu’il a été lui-même ambulancier urgentiste.

Le but de ce roman n’est pas de faire un roman reportage, où on s’attarde comme dans des reportages « réalité » à la dure réalité des urgentistes dans les quartiers défavorisés. Ce n’est pas non plus un roman gore où on étale sur chaque page des litres en des litres d’hémoglobine, pour le plaisir de lecteurs en mal de sang coulant en rigoles. Le but de ce roman, je pense, est de s’intéresser à ces personnages dont la vocation est de sauver les gens. Et si, avant d’attaquer ce roman, je me posais vraiment la question sur ce qui peut motiver ces soldats de la vie (l’expression est de moi),  je dois dire qu’après avoir tourné la dernière page, j’ai éprouvé un sentiment de satisfaction car j’y ai trouvé les réponses que je cherchais. Et pour cela, il va vous falloir plonger dans la tête de cette équipe d’ambulanciers urgentistes en charge du quartier de Harlem.

L’histoire tient en deux lignes : au début des années 90, Oliver Cross vient de rater le concours d’entrée pour devenir médecin. Alors qu’il est sur de sa vocation, il postule à un poste d’ambulancier urgentiste, poste qu’il envisage d’occuper pendant une année en attendant le prochain concours. Il choisit même le quartier de Harlem de façon à être confronté à ce qu’on peut trouver de pire. Mais il est loin d’imaginer ce qu’il va rencontrer …

Alors, oui, on y rencontre des scènes crues, des descriptions succinctes difficiles à supporter, mais le but n’est pas de faire dans l’outrance : cela est fait de façon très directe, avec un style que l’on peut qualifier de froid, mais aussi de médical, factuel. Lors des différentes interventions, ces scènes ne font l’objet d’aucune émotion, les urgentistes se contentant de réaliser le premier diagnostic, les premiers soins avant l’arrivée de la cavalerie, que ce soient les pompiers ou les ambulanciers.

C’est bien la psychologie des ambulanciers que l’auteur nous montre, de la même façon qu’il nous peint ses scènes. Cela est fait par petites touches, par des dialogues courts, par des réactions brutales. Pour un roman américain, c’est bigrement subtil ! Je vous avouerai que le début est brutal, mais l’auteur a décidé de nous mettre la tête dans le seau rempli de merde. On y trouve des gens drogués, des victimes par balles, ou juste des personnes âgées tombées dans leur escalier ou des suicidés.

C’est dur pour ces personnages de supporter cela et chacun le fait à sa manière. TOUS les portraits sont d’une justesse incroyable. TOUS nous font vibrer à leur niveau. TOUS ont des réactions vraisemblables. Et TOUS vont vous émouvoir. Car au fur et à mesure de cette lecture, aussi dure soit-elle, on finit par les connaitre, par les apprécier, par les comprendre surtout ; et c’est là une des grandes réussites de ce roman. Ce n’est plus Oliver Cross qui nous raconte son histoire, c’est nous, lecteur, qui courons avec lui, c’est nous qui posons les perfursions, c’est nous qui faisons les diagnostics. Et quand il s’agit de prendre une décision qui peut remettre en cause une vie humaine, l’auteur nous réveille en nous assénant de belles claques dans la gueule, en nous rappelant que c’est ça la vraie vie !

Vous l’aurez compris, il faut du courage pour lire ce livre, mais on est récompensé au bout du compte. Car devant la pauvreté, devant le sort des drogués, nous finissons par ne plus les juger mais par devenir aussi analytique que ces ambulanciers doivent être pour bien faire leur travail. A la fin du bouquin, on en ressort autant horrifié que satisfait d’avoir fait son travail, et on en sort comme d’un cauchemar, soulagé d’avoir échappé à l’horreur et conscient d’avoir parcouru un grand moment de littérature.

Et même si la dernière page veut laisser une once d’espoir, je l’ai plutôt interprété comme un happy-end malheureux, comme une autoanalyse de l’auteur lui-même pour ne pas péter un plomb. Ce qui est sur, c’est que ce livre est de ceux que l’on n’oublie pas, comme on n’en lit peu dans une année. Coup de cœur !