Le chouchou du mois de février 2023

La météo frigorifiante du mois de février ajoutée aux difficultés de transports en communs m’ont permis d’accumuler beaucoup de lectures … donc beaucoup de billets en retard. Malgré cela, j’ai fait carton plein ce mois-ci avec trois billets par semaine et comme je l’avais annoncé, cette année s’annonce comme une année de découvertes.

Nous allons bien vite oublier Le cercle des poètes disparus de NH.Klienbaum (LdP), une bien pâle copie du film, sans relief ni émotion. Avant de le commencer, je ne savais pas qu’il s’agissait d’une novellisation du scénario. Je viens de revoir le film, et j’ai ressenti plus d’émotions qu’avec cette lecture. Lecture à oublier pour moi.

A un autre niveau, bien meilleur, La vérité engendre la haine de Nicolas Bouquillon (Ex-Aequo éditions) m’a surpris par sa plume littéraire et par son sujet qui nous apprend beaucoup de choses sur la troisième République. Si l’on ajoute des personnages bien brossés, cela en fait un roman passionnant et instructif.

Je n’avais jamais lu de roman de cet auteur islandais, A qui la faute de RagnarJonasson (La Martinière) fut l’occasion de le découvrir dans un huis-clos en pleine tempête de neige. L’auteur démontre un grand savoir-faire dans le déroulement de ce roman choral et ménage un beau suspense avec force rebondissements.

Dans la catégorie thriller, Sur un arbre perché de Gérard Saryan (Taurnada) est le deuxième roman de cet auteur et nous déroule un scénario aussi impressionnant qu’horrible. L’auteur montre un style remarquablement fluide avec une fin inattendue, une belle surprise.

Parmi les auteurs que j’affectionne particulièrement, il y a Gilles Vidal qui nous convie à une errance littéraire ; son parcours passe par une Fantaisie héroïque de Gilles Vidal (La Déviation) nous parle de jouissance du présent, d’oubli du passé et nous procure un plaisir de lecture peu commun.

La stratégie de l’écureuil de Serge Brussolo (H&O éditions), le dernier opus en date de cet auteur prolifique est en fait un roman paru en numérique en deux parties, et remodelé ici pour une sortie en format poche papier. Comme d’habitude, l’intrigue part dans des directions inattendues pour notre plus grand plaisir.

Les gentils de Michael Mention (Belfond) est un roman terrible de vengeance jusqu’au-boutiste d’un père envers l’assassin de sa fille, avec un scénario incroyable, avec des ambiances inoubliables, avec une rythmique basée sur des morceaux des années 70, avec des morceaux de bravoure d’où l’on sort à bout de souffle, à bout de nerfs, à bout de tout. Comme je l’ai dit, vous n’avez jamais lu un roman pareil !

J’avais déjà initié des semaines consacrées à des auteurs, j’ai récidivé avec un auteur italien qui, en trois romans, se montre comme une voix imposante dans le domaine du roman noir social. Les trois romans montrent une facette différente, Ceci n’est pas une chanson d’amour d’Alessandro Robecchi (Mikros Noir) avec un humour cynique et féroce, De rage et de vent d’Alessandro Robecchi (Mikros Noir) avec une rage rouge envers l’injustice et Le tueur au caillou d’Alessandro Robecchi (Editions de l’Aube) avec cette histoire fantastique qui dénonce le sort des pauvres gens obligés de payer des loyers à des mafias et qui nous parle de justice, d’injustice et d’impunité. Les enquêtes de Carlo Monterossi font partie de ces romans que l’on n’est pas prêts d’oublier. C’est pour cette raison que le titre du chouchou du mois revient à Le tueur au caillou d’Alessandro Robecchi (Editions de l’Aube)

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez-vous, protégez les autres et surtout lisez !

A qui la faute de Ragnar Jonasson

Editeur : La Martinière

Traducteur :

Depuis la parution de son premier roman en France, je me suis dit qu’il faudrait que je découvre cet auteur islandais. Depuis, j’ai acheté tous ses livres en format poche sans trouver le temps d’en ouvrir. La sortie de cet huis-clos hivernal était trop tentante !

Ils étaient quatre amis inséparables pendant leurs études puis ont suivi chacun leur chemin. Cette idée de se retrouver ensemble le temps d’un week-end pour découvrir les paysages enneigés semblait bonne.

A la fin de ses études en Arts Dramatiques, Daniel s’est exilé en Angleterre où il galère à boucler ses fins de mois avec les petits rôles qu’il décroche. Vis-à-vis des autres, il est devenu un acteur reconnu.

Son meilleur ami, Gunnlaudur, a toujours été la dernière roue du carrosse, suiveur plutôt que leader. Il s’est tout de même débrouillé pour devenir avocat dans un petit cabinet.

Après avoir connu une adolescence agitée, parsemée d’excès en tous genres, Armann Est revenu au pays pour devenir guide des contrées enneigées.

Helena, la seule fille du groupe, a accepté de faire ce week-end avec ses amis, alors qu’elle vient de perdre l’amour de sa vie.

Les quatre amis vont se lancer dans un week-end découverte dans des paysages immaculés loin de toute habitation. Mais au milieu de leur périple, une tempête de neige s’abat sur eux …

Ragnar Jonasson nous convie ici à un huis-clos en plein air, dans un environnement rigoureux, à faire glacer les os. Et quoi de mieux pour innover que de créer un roman choral. Nous allons donc suivre tout à tour nos quatre compagnons mais la narration se déroulera à la troisième personne de façon à laisser planer le suspense car tout le monde ne va pas s’en sortir.

Les chapitres étant courts, et surtout le style étant fluide et simple, ce roman se lit rapidement. On sent le savoir-faire d’un auteur confirmé pour nous passionner dans le déroulement de cette histoire où il ne se passe rien … dans la première moitié du roman, le seul rebondissement se situe dans la présence d’un homme dans le refuge qu’ils avaient ciblé pour leur week-end.

Malgré cela, psychologiquement, ce roman s’avère passionnant … surtout qu’il va semer quelques zones d’ombre qui vont nous étonner avant de nous tenir en haleine dans la deuxième moitié où les événements vont se précipiter. Pour une découverte, je dois dire qu’elle fut bonne et que je vais poursuivre dans la lecture des romans de cet auteurs, qui malgré son rythme lent, arrive à nous passionner avec peu d’éléments.

Les gentils de Michael Mention

Editeur : Belfond

Si vous êtes un fidèle de Black Novel, vous savez que je suis un fan de Michael Mention, dont j’ai lu tous les romans depuis 2014. De l’eau a coulé sous les ponts depuis, et il ne me viendrait pas à l’esprit de rater la dernière production d’un auteur au style particulier, personnel et assumé. Ce roman comporte toutes les passions de Michael.

Paris, 1978. Franck Lombard ne peut se résoudre à oublier le drame qui l’a frappé. Lors du braquage de la boulangerie du coin, un homme, drogué probablement, bouscule la fille de Franck. Violemment. La tête frappe le mur … Franck a perdu sa raison de vivre. Il croit que la police va vite trouver le meurtrier. Des jours passent, des semaines, des mois … et toujours aucun résultat.

Sa rage monte, devient insoutenable ; sa femme l’a quitté ; il ne lui reste que la voix de sa fille qui l’accompagne à chaque pas qu’il fait. Il se prend en main, en l’absence d’information, zone dans le quartier des drogués, et n’en retire qu’un passage à tabac. Quand il retourne dans la boulangerie, désaffectée depuis le drame, il tombe sur un squatteur qui lui parle d’un homme arborant un tatouage Anarchie sur l’épaule. Son assassin aurait migré à Toulouse dans une clinique de désintoxication.

Franck se résout à vendre sa boutique de disques à Didier, son collaborateur pour disposer d’argent liquide et se lancer dans sa quête personnelle de vengeance. Là-bas, avec la maigre description du bonhomme, il obtient un nom, Yannick et une destination : il serait tombé amoureux d’une Jane, camée aussi et le couple aurait rejoint une association d’aide aux drogués à Marseille. Le périple de Franck ne fait commencer …

Pour un passionné de musique comme Michael Mention, il fallait bien qu’un jour il aille plus loin que nous laisser en fin de roman sa play-list. C’est chose faite avec ce personnage de Franck, disquaire de métier, dont la musique majoritairement sombre des années 70 va rythmer sa vie, trouver un sombre écho à sa quête personnelle. Car ce roman nous impose un voyage autant intérieur qu’extérieur …

Voyage intérieur tout d’abord, puisque Franck est le narrateur de cette histoire. On y trouve donc beaucoup de pensées et très peu de descriptions extérieures (surtout dans la partie française du roman, puisqu’il est un homme refermé en lui-même, bouillonnant de rage aveugle. Dans ces moments-là, la rythmique lourde accompagne chaque battement de cœur, les pauses apparaissent à chaque indice avant de nous replonger avec une guitare basse entêtante, obsédante.

Voyage extérieur aussi et surtout car Michael Mention nous créé un scénario incroyable en France, puis en Guyane où la force, la puissance, la détermination ne suffise plus à le tenir debout. Ses pensées noires font place à un paysage d’un vert obsédant, tout aussi dangereux, où là aussi, la rythmique vient pulser les lignes, exploser les phrases, quand un danger surgit ou même quand il est aux portes de la mort de soif.

La rythmique est voulue omniprésente dans ce roman, l’auteur jouant avec les mots, adaptant ses phrases au moment raconté, sans jamais perdre l’objectif : montrer jusqu’au bout la passion ultime de son personnage, l’aspect subjectif de cette histoire, qui est une des plus grandes réussites sur un homme obstiné qui a tort (ou pas ?), une histoire qu’il use, torture, déforme pour un final que l’on ne peut deviner en entamant le roman.

De la culture populaire, autre que musicale, on y décerne bien l’influence du cinéma de la fin des années 70, ces films de fous tels que Apocalypse Now ou Voyage au bout de l’enfer (Mon film préféré de tous les temps). Michael Mention réussit la gageure de créer des scènes visuelles telles qu’elles m’ont ramené dans une jungle verte à vomir, opaques et tellement dangereuse car trop calmes.

Voilà pourquoi j’aime Michael Mention et ce qu’il écrit. Il nous parle des Hommes, de leur folie, passée ou présente, revendique sa culture, n’en a pas honte et la revendique, et fait revivre avec son propre style ce que l’on peut ressentir au plus profond de soi. Alors oui, Les Gentils est probablement son livre le plus personnel, probablement le plus difficile à écrire pour lui (imaginer pour un père de perdre sa fille est au-delà de l’horreur) mais c’est avant tout un grand roman de folie.

Sur un arbre perché de Gérard Saryan

Editeur : Taurnada

Cette année 2023 va décidément se positionner sous le signe de la découverte. Sur un arbre perché n’est pas le premier roman de l’auteur mais son deuxième après Prison Bank Water. Une bien belle découverte en ce qui me concerne.

Guillaume a refait sa vie avec Alice après un divorce sans anicroches. Il veut profiter d’avoir la garde de ses deux enfants Barbara et Dimitri pour s’offrir un week-end à Paris. Guillaume étant sur Paris, Alice embarque donc les deux enfants dans le TGV. Elle connait sa première frayeur quand Barbara disparait de sa place soi-disant parce que son voisin ronfle. Son statut de femme enceinte l’a transformé en mère poule attentive à ses beaux-enfants.

Dans la gare de Lyon, à Paris, le foule se dirige vers la sortie à peine le TGV arrivé à quai. Des musiciens jouent sur le piano et Alice reste avec les enfants qui le suivent. Au bout d’un moment, elle s’aperçoit que le petit Dimitri ne la suit plus. Elle est prise de panique, cherche du regard, l’appelle, court dans tous les sens. Elle appelle Guillaume au téléphone qui vient d’arriver ; elle l’aperçoit de l’autre côté de la rue et traverse en courant quand un camion la renverse.

Elle se réveille à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, fourbue de douleurs. Guillaume est près d’elle n’osant lui avouer la vérité. Elle finit par comprendre qu’elle vient de perdre son bébé et que Dimitri a disparu, probablement enlevé. Aux informations, des messages font état d’enfants kidnappés dans les gares. Au-delà de son état de culpabilité, elle décide de chercher Dimitri et de retourner sur les lieux.

Ce roman se révèle une excellente surprise, autant pour son scénario que par l’écriture fluide et bigrement agréable. Grâce à ses chapitres courts, on ressent une réelle urgence, une rapidité et une tension monter en suivant les pérégrinations d’Alice. Ayant une psychologie de battante, ne s’avouant jamais vaincue, elle va vivre des aventures incroyables, menées à un rythme élevé.

Le scénario est particulièrement impressionnant, et complexe à souhait. Des souterrains de la gare de Lyon en passant par Saint Denis et les camps de nomades, de l’Albanie à la Suisse, Alice va découvrir des réseaux qu’elle n’aurait jamais imaginés. Bien qu’aveuglée par sa culpabilité, elle va creuser quitte à mettre sa santé en danger. J’ai juste regretté le passage en Albanie où des coïncidences vont la mettre sur le bon chemin trop facilement et le nombre de fois où l’auteur maltraite son héroïne. .

Par contre, quand on croit en avoir fini avec cette histoire, la dernière partie rebat les cartes et on s’aperçoit qu’une machination que l’on n’aurait pas imaginé est à l’œuvre. Du coup, on repense aux éléments parsemés dans le livre, et à cette conclusion menée de main de maitre. Pour un deuxième roman, ce roman passionnant impressionne et je ne peux que vous conseiller sa lecture.

La vérité engendre la haine de Nicolas Bouquillon

Editeur : Ex-Aequo éditions

Il suffit de peu de choses pour tomber sur un roman bigrement instructif : un gentil mail de l’auteur, un livre distribué par mon nouveau facteur, une lecture vorace … typiquement la chance du blogueur de découvrir un nouvel auteur !

Pharaon Tarlais, éternel étudiant d’une trentaine d’années, a réussi à trouver un poste de stagiaire chez la sénatrice Sophie Dutertre et se sont trouvé de nombreux points communs, dont leur origine nordiste et une passion pour l’histoire institutionnelle de notre pays. Quand il arrive ce matin-là, il la découvre battue à mort dans son bureau, un voile blanc posé sur son visage. Il appelle immédiatement la police.

La lieutenante Gloria Novacek est dépêchée immédiatement sur les lieux. Ce meurtre est vu comme une attaque contre la République et traité en priorité, comme un acte terroriste. Bien qu’elle ait la cinquantaine, elle est aussi exigeante envers son travail qu’envers elle-même en tant que sportive accomplie. Quand elle se retrouve face à un jeune homme qui ne se décide pas à se choisir une voie professionnelle, elle a du mal à le prendre au sérieux.

Ressentant une sorte de culpabilité envers sa maîtresse de stage, Pharaon va étudier les détails en lien avec les Royalistes et les partager avec la lieutenante qui l’écoute d’une oreille distraite, quand un ancien ministre est retrouvé la tête tranchée, puis un journaliste spécialisé dans les histoires des dirigeants égorgé. Et à chaque fois, Pharaon y trouve des indices qui le confortent dans son idée que la clé du mystère est à trouver dans notre histoire.

Les premières pages surprennent par la plume de l’auteur que l’on a plus l’habitude de lire en littérature blanche. On y trouve peu de dialogues, de longues et belles phrases et les décors sont aussi rutilants que les expressions utilisées. Même si l’auteur en rajoute un peu (et c’est très rare), je dois dire qu’il montre une belle maitrise dans la construction des personnages, dans le déroulement de l’intrigue et dans l’opposition psychologique.

D’un coté Pharaon, éternel étudiant ne sachant pas se choisir un avenir professionnel mais d’une érudition incroyable ; De l’autre, Gloria, femme forte, exigeante, adepte de sports de combat, vivant à un rythme incroyable. Ces deux-là n’ont aucune raison de se côtoyer ni de s’apprécier et l’auteur évite une histoire d’amour qui aurait été pour le coup trop improbable. Passant de l’un à l’autre, on suit avec grand plaisir cette histoire.

Nicolas Bouquillon nous livre des rebondissements entre quelques révélations historiques sur notre pays démocratique, sur notre république et comme cela n’est pas pompeux, cela m’a passionné ; je suis même allé chercher des informations complémentaires sur Internet, sur cette période de la troisième république que je connais si mal.

Et puis, à partir de la moitié du roman, l’intrigue policière laisse sa place à une course poursuite puis à une chasse à l’homme (et à la femme) et le rythme s’accélère tout logiquement. L’auteur se permet même une scène dantesque de manifestation particulièrement réussie. Bref, ceux qui cherchent un roman policier instructif et fort bien construit, n’hésitez plus, ce roman est fait pour vous. Et allez savoir, peut-être y aura-t-il une suite ?

Le tueur au caillou d’Alessandro Robecchi

Editeur : Editions de l’Aube

Traducteurs : Paolo Bellomo et Agathe Lauriot dit Prévost

Avec cette troisième enquête (aventure) de Marco Monterossi, après Ceci n’est pas une chanson d’amour et De rage et de vent, on reprend les ingrédients des deux précédentes, les mêmes personnages pour une histoire dramatique et rageante qui pose beaucoup de questions.

Milan voit ses températures augmenter avec le retour du mois de mars. Dans une cité HLM (Habitation pour Locataires Miséreux) que l’on surnomme la caserne, toutes les populations pauvres de différentes nationalités se côtoient. Ces barres d’immeubles comportant plusieurs milliers d’appartements sont vouées à la démolition. Faute d’argent, la municipalité a délaissé cette cité et ferme les yeux sur des mafias qui permettent à des familles pauvres de squatter moyennant un loyer versé en dessous de table.

Francisco habite là-bas et travaille dans sa propre entreprise en tant que décorateur de boutiques, en réalisant leur devanture. En rentrant, il fait part de sa colère envers son dernier client qui ne lui règle pas sa facture alors que le travail a été réalisé depuis six mois. Sa femme Chiara essaie de le calmer, en sachant qu’il a raison. Merde ! il ne peut pas se permettre avec sa petite entreprise de travailler gratuitement pour les riches ! Pour arrondir ses fins de mois, il stocke des équipements « tombés du camion » sur lequel il touche une commission.

Au centre-ville, Fabrizio Gotti, le propriétaire d’une chaîne de boucheries a été retrouvé assassiné au pied de sa maison. On lui a tiré une balle dans la poitrine et une dans la tête, à bout portant. Le brigadier Carella et le sous-brigadier Ghezzi penchent pour un amateur plutôt que la mafia. Chose étonnante : un caillou a été posé sur le corps. Pourvu que ce ne soit pas un tueur en série ! Il va être difficile de trouver une raison à ce meurtre, l’homme semblant honnête, inconnu des services de police.

Quand Cesare Crisanti, un architecte connu est retrouvé assassiné d’une balle dans la tête avec un caillou, la panique gagne la justice et la police. On ne peut décemment pas laisser cette affaire aux mains de la police milanaise. Rome décide d’envoyer sa propre équipe de spécialistes, accompagnée d’un profileur, pour calmer les médias. Ne voulant pas lâcher l’affaire, Carella et Ghezzi se mettent en congés avec l’accord de leur chef pour poursuivre l’enquête. Les deux morts ont été tués par deux armes différentes dont le seul point commun est qu’elles sont mal entretenues.

Encore un mois à tenir avant d’être dégagé de ses obligations envers l’émission qu’il a créée : Crazy Love ! Carlo Monterossi se demande ce qu’il va faire après. Katia Sironi, son attachée de presse l’appelle : sa mère a cédé aux belles paroles d’un vendeur de religiosités et s’est fait voler une bague valant des millions. Elle demande à Carlo et Oscar, un détective secret de la récupérer en dehors de tout circuit légal.

On retrouve dans ce roman tout le charme que j’avais trouvé dans les deux premiers, avec un meilleur équilibre entre l’humour et la colère de Carlo (et donc de l’auteur ?). On y retrouve de l’humour froid, du cynisme mais aussi un aspect humain et social que l’auteur endosse pour dénoncer les conditions de vie des pauvres travailleurs. Il faut voir comment ils se retrouvent essorés par la mafia calabraise et vivent dans des conditions lamentables alors que la police et les politiques ferment les yeux.

Déjà dans De rage et de vent, Carella et Ghezzi prenaient de l’importance dans l’intrigue. Ici on les retrouve au même niveau que Carlo et Oscar et les deux fils de l’histoire sont menés en parallèle pour se retrouver à la fin de façon totalement inattendue. Alessandro Robecchi nous construit ici une intrigue que l’on aura du mal à oublier, de celles qui nous placent face à un dilemme, à des choix impossibles à prendre, à des questions impossibles à répondre.

Alessandro Robecchi arrive à nous faire vivre dans les familles italiennes, arrive à nous plonger dans des discussions typiques, où les italiens parlent vite, nous enrobent dans des circonvolutions, des phrases sans fin. Et puis, il donne une importance de plus en plus importante aux femmes, Katrina la moldave cuisinière pour Carlo mais aussi Madame Rosa, la femme de Ghezzi qui occupe un rôle central, et pas seulement pour les plats délicieux qu’elle concocte pour Carella et son mari.

Avec ce roman, Alessandro Robecchi s’impose comme un auteur de premier plan dans le polar milanais. Il apporte un fort aspect social et a décidé de montrer comment la majorité des gens vivent, ceux qui travaillent et n’ont pas assez d’argent pour se loger et manger décemment. Ajouté à cela, on trouve une intrigue qui pose clairement la question de la justice et on se retrouve face à un dilemme qui nous fait réfléchir. Je peux vous garantir que vous n’êtes pas prêt d’oublier cette histoire immensément dramatique et tristement réaliste.

De rage et de vent d’Alessandro Robecchi

Editeur : Editions de l’Aube

Traducteurs : Paolo Bellomo et Agathe Lauriot dit Prévost

Deuxième tome des enquêtes de Carlo Monterossi, après Ceci n’est pas une chanson d’amour, ce roman change totalement le ton, car on passe d’un humour cynique agressif à de la rage pure et froide. Tout aussi excellent !

Andrea Serini, en tant que propriétaire de l’agence de vente de véhicules de luxe, tient absolument à fermer sa boutique et éteindre les lumières. Ce soir-là, un bruit de mouvement l’attire, quelqu’un est entré. Il se retrouve face à un vieux camarade qui veut retrouver son argent. Sous la menace, Andrea lui donne un nom, Anna Galinda, avant de prendre un balle en pleine tête. En sortant, un moine l’aperçoit et lui intime de s’arrêter. Il s’agit du sous-brigadier Tarcisio Ghezzi, qui n’a pas le temps de sortir son arme devant la rapidité de l’homme. En deux coups, il se retrouve assommé et son arme dérobée.

Carlo Monterossi, créateur de l’émission Crazy Love pour la grande usine à merde (la télévision) où il s’agit d’étaler au grand jour les histoires d’amour du grand public, veut depuis un certain temps stopper sa collaboration. Pour lui, ce concept est devenu indécent. Mais son agente Katia Sironi insiste : il ne peut pas partir comme ça, Ils sont prêts à lui offrir un pont d’or (sur lequel un touchera un copieux pourcentage). Elle veut qu’il rencontre le Boss en personne, Luca Calleri. Et contre toute attente, Carlo accepte.

Dans le restaurant de luxe, Carlo arrive en avance et assiste à l’arrivée du « Ponte », devant qui tout le monde plie. Son temps est compté, il n’accorde pas dix minutes à quiconque, et d’ailleurs, il ne mange pas et confirme qu’il compte sur Carlo. Dépité par cette attitude, Carlo finit au bar et est accosté par une femme. Tous deux boivent et Carlo raccompagne la jeune femme chez elle, la couche sur canapé et la couvre. En sortant, il claque la porte, avec un bruit sec, un CLAC qui résonnera longtemps dans la tête de Carlo. Le lendemain, il apprend qu’elle a été torturée et tuée avec le même revolver qu’Andréa Serini.

Par rapport au premier roman, qui étalait un humour cynique que j’avais adoré, cette deuxième enquête se révèle bien plus sérieuse. On y trouve bien quelques traits d’humour dans les dialogues ou quand il s’agit de se moquer des policiers. Mais le ton est irrémédiablement noir, à l’image de cette ville de Milan, balayée par un vent glacial, qui correspond bien au titre et à l’humeur de Carlo Monterossi.

Le décor hivernal anormal, ce vent infernal, fait ressurgir une rage froide, que Carlo va ressentir, ajouté à un sentiment de culpabilité envers la mort d’Anna Galinda. Il ne cessera de se rappeler cette porte se fermant dans un CLAC fatal, croyant qu’il est à l’origine de sa mort. Il va donc se lancer dans cette croisade pour dénicher les coupables et comprendre cet engrenage mortel.

Car derrière Carlo et son humeur noire, l’auteur nous montre combien les richards se servent des pauvres et rien de plus efficace que de mettre sur le devant de la scène les prostituées. Il nous montre une caste sans aucune pitié ni humanité, une frange d’ultra-riches fiers de leur impunité, usant et abusant de gens qui, finalement, ne peuvent qu’être définitivement les perdants de cette société.

A nouveau, on trouve dans ce roman colérique un scénario remarquable, complexe à souhait où les intrigues sont menées en parallèle entre Carlo, Ghezzi et Carella, où l’auteur nous imprègne de cette ville glacée par ce vent inhabituel. Cette deuxième enquête, très différente de la première, confirme que cette série est à suivre avec impatience, avec une mention spéciale pour Katrina, la cuisinière moldave de Carlo, une vraie mama qui prend soin de son protégé. 

Ceci n’est pas une chanson d’amour d’Alessandro Robecchi

Editeur : Editions de l’Aube

Traducteurs : Paolo Bellomo & Agathe Lauriot Dit Prévost

Suite au billet de Jean-Marc Lahérrère, j’avais acquis ce roman et l’ai mis de côté. Maintenant que les trois tomes sont sortis, nous commençons donc une semaine complète dédiée à Alessandro Robecchi et son personnage récurrent Carlo Monterossi.

A voir les célébrités (que l’on appelle « stars ») squatter les émissions de télévision et étaler leurs problèmes de cœur, Carlo Monterossi a l’idée de transposer le concept auprès des gens du public et créé l’émission « Crazy Love ». Grâce à des scenarii concoctés aux petits oignons, l’émission rencontre un succès immédiat dès lors qu’il s’agit de regarder les malheurs de la ménagère, aidé en cela par la présentatrice vedette que tout le monde s’arrache Flora de Pisis.

Sauf que Carlo Monterossi ressent de la lassitude et veut arrêter de produire son émission pour « l’Usine à merde ». Quand un homme frappe à sa porte en voulant lui coller une balle entre les deux yeux, Carlo va faire appel à des deux amis Nadia et Oscar pour résoudre ce mystère plus tôt que la police ne serait capable de le faire.

Un homme riche monsieur Finzi fait appel à deux tueurs à gages pour résoudre un petit problème. Afin de pouvoir réaliser son centre commercial, il fait appel à un intermédiaire pour déloger des gitans du terrain. Mais l’affaire tourne mal, avec tirs de coups de feu et lancers de cocktail Molotov. Le bilan est lourd, deux morts côté gitans dont un enfant, et des policiers blessés. Il veut donc se débarrasser de l’intermédiaire incompétent.

En parallèle, les gitans ne peuvent pas laisser impuni cet acte meurtrier envers les leurs. N’ayant aucune confiance envers la police, et ils ont raison, ils vont mandater Hego et Clinton pour retrouver les assassins et les faire disparaitre de la surface de la Terre, ce qui ne serait pas une lourde perte.

Si vous ne le savez pas, je nourris une véritable aversion envers la télévision. Je ne peux donc que louer Alessandro Robecchi quand il l’évoque sous le terme « Usine à merde ». Et je m’attendais à détester Carlo Monterossi avant même de tourner la première page. Par son métier, scénariste et producteur d’émission de bas-étage (c’est mon opinion), Carlo pourrait ressembler à un chasseur de primes sans âme, courant après le profit en créant des émissions voyeuristes sans limites pourvu que cela lui ramène du fric.

Sauf que Carlo Monterossi, après avoir rencontré un succès incommensurable, songe à changer d’orientation devant son « bébé » qui devient de plus en plus obscène. Vous l’aurez compris, loin d’être un personnage exempt de tout reproche, nous avons affaire à quelqu’un en quête de rédemption, d’autant plus qu’on va vouloir attenter à sa vie. En comparaison, ses acolytes Nadia et Oscar sont plus effacés … mais attendons la suite de la série.

Par contre, les deux autres groupes permettent de profiter pleinement de l’humour de l’auteur, très cynique et bien noir comme je l’aime. Autant Carlo nous montre un humour noir et désabusé sur le Système, autant les tueurs à gages nous offrent des répliques d’une drôlerie irrésistible. Même certaines scènes prêtent à rire surtout dans la dernière émission de Crazy Love, flirtant avec du burlesque.

Enfin, Alessandro Robecchi a construit une intrigue retorse à souhait. Au-delà de faire avancer trois groupes indépendants n’ayant aucun lien, il va bâtir son édifice petit à petit et faire se rencontrer tout le monde, d’une façon totalement naturelle. On ne peut qu’être ébahi par cette maitrise mais aussi par le rythme global, même si on peut regretter quelques passages inutilement bavards et la présence d’un groupe néonazi qui aurait mérité à lui seul une enquête supplémentaire.

En conclusion, j’ai envie de dire : « Chouette, un nouveau personnage récurrent à suivre. » Mais il faut aussi souligner la remarquable acuité du monde de la télévision, la description de groupes néonazis, le ton personnel parsemé d’humour caustique et des personnages attachants. Ceci n’est pas une chanson d’amour, qui rappelle un titre de Public Image Limited, est une très bonne entrée en matière dans les affaires de Carlo Monterossi.

La stratégie de l’écureuil de Serge Brussolo

Editeur : H&O éditions

Ce roman était paru en 2017 en format uniquement numérique et en deux parties, sous le titre « Le manoir de l’écureuil ». Serge Brussolo a décidé, avec les éditions H&O de nous l’offrir en format papier, retravaillé avec une introduction nous présentant Mickie Katz.

Michelle Annabella « Mickie » Katz a connu une enfance difficile, entre un père mystérieux, disparaissant parfois pour des semaines, et une mère plus occupée par son travail d’illustratrice que par son statut de mère. Son père l’a éduquée à savoir se défendre dans les pires conditions imaginables dès son plus jeune âge. Puis, à la séparation de ses parents, elle a suivi sa mère aux Etats-Unis où elle a bénéficié d’un contrat juteux d’illustration de romans d’horreur.

A présent, elle est devenue décoratrice pour l’Agence 13. Son travail consiste à remettre en état des maisons où ont eu lieu des crimes sanglants. Sa nouvelle mission est de remettre en état le manoir de Savannah Warlock, une romancière de polars horrifiques aujourd’hui disparue, conformément aux directives de son testament. Si cela n’est pas fait, les éditions Screaming Black Cat dirigée par Benjamin Lovson perdront les droits sur les romans de cette auteure devenue culte.

Mickie va donc visiter ce véritable château situé en plein milieu du désert, aux abords d’un lac salé. Elle y découvre des pièces étranges, à l’image de leur propriétaire et une bibliothèque impressionnante. A l’extérieur, un campement s’est créé comprenant les fans de la star qui refusent de croire à sa mort, ainsi qu’un certain nombre de personnages qui sont tous à la recherche de quelque chose, mais quoi ? Et quel rapport tout ceci peut avoir à faire avec la couverture du dernier roman paru, réalisé par la mère de Mickie ?

En réalité, La stratégie de l’écureuil est le quatrième tome des aventures de Mickie, après Dortoir interdit, Ceux d’en bas, et Le chat aux yeux jaunes. Il est paru en deux parties en format numérique sous le titre du Manoir de l’écureuil et cette version a été remodelée par l’auteur pour en faire un roman à part entière. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’avoir lu les précédents tomes pour s’imprégner de l’ambiance du roman.

L’auteur a ainsi prévu de nous présenter Mickie et sa jeunesse dans un long prologue où il détaille la personnalité de son père, de sa mère et les raisons pour laquelle elle a quitté ses parents de manière irrémédiable. Ce prologue, c’est du pur plaisir ! il est juste dommage que l’on retrouve dans la première partie (Les fils de la hyène) quelques redites qui ont dû échapper à l’auteur lors de la refonte du roman.

On retrouve ici tout le talent de Serge Brussolo, cet art de créer une ambiance non pas angoissante mais étrange, brumeuse et empreinte de mystères. Et connaissant l’auteur, on ne sait jamais à quoi s’attendre ; on se retrouve désappointé quand après nous avoir présenté le cadre et les environs du manoir, il nous livre une longue lettre de la mère de Mickie au milieu du livre qui épaissit encore le mystère.

Et au fur et à mesure de ma lecture, je n’ai pas arrêté de me demander ce qu’il se passait, qui était vivant, qui était mort, et le pourquoi de tous ces protagonistes … avant que tout ne devienne clair dans un dernier chapitre de haute volée. Je vous le dis, une nouvelle fois, par sa construction originale, cette intrigue est emberlificotée à souhait et procure un plaisir jouissif. Il est juste étonnant que ce roman m’ait occasionné des cauchemars pendant une nuit, alors qu’il ne comporte aucune scène d’horreur mais juste une ambiance oppressante … signe qu’il a réussi son objectif !

Un dernier mot : La stratégie de l’écureuil consiste à cacher de la nourriture en prévision de l’hiver puis d’oublier où elle est cachée.

Fantaisie héroïque de Gilles Vidal

Editeur : La Déviation

Chaque roman de Gilles Vidal ressemble à un voyage, à la fois dans le monde extérieur et dans celui intérieur du narrateur. Avec ses couvertures magnifiques, sortes de puzzle coloré, l’auteur nous invite à une errance littéraire.

Paul a perdu son père, avec lequel il avait peu de contacts. Après avoir connu un succès critique et public lors de la parution de son premier roman, il cherche l’inspiration en parcourant le monde. La mort d’un oncle dont il conserve peu de souvenirs lui permet de se détacher des nécessités matérielles. Son travail dans une agence de communication pour des publicités occupe ses journées vides d’observation.

Paul a tendance à oublier le passé, et à se contenter du monde présent, celui des autres. Dans un bar, alors qu’il déguste son café, une femme le dévisage. Elle se nomme Charlène, et lui rappelle qu’ils étaient voisins dans la rue des Moulins. Elle vient de quitter son mari, surpris à sortir son sexe dans un ascenseur devant une femme. Paul lui demande de l’accompagner à l’enterrement de son oncle.

Gilles Vidal écrit des romans différents des autres, des hymnes à la littérature, à la culture (populaire mais pas que …) et nous invite à profiter du moment présent. Si l’intrigue passe au second degré, il s’agit ici de suivre Paul dans son voyage, et d’apprécier le verbe, l’image qu’il a bien voulu nous partager.

Il m’est bien difficile de décrire le plaisir que je ressens à cette lecture. J’ai l’impression de lire du Philippe Djian en moins noir et moins introspectif, mais avec un même talent littéraire. Et puis, avec les crises à répétition que nous avons subies, Gilles nous rappelle le plus important : vivre aujourd’hui le moment présent, s’installer à une terrasse et regarder les autres, la vie, la vraie vie. Magnifique parce que puissant !