Editeur : Globe
Traductrice : Anne-Laure Vignaux
Quand j’ai lu la quatrième de couverture, j’ai immédiatement choisi de lire ce roman, bien que cela ne soit pas un roman. Je n’ai pas l’habitude de lire des essais ou des documents mais je comptais sur la forme et la façon de parler de sujets sociétaux importants.
Les faits : Daniel Maroy est retrouvé assassiné dans sa ferme en flammes. Agé de quatre-vingt quatre ans, il a été tué à coups de fourche par une bande de jeunes, dont certains habitent le village d’à coté. Chris de Stoop est le neveu de Daniel Maroy et s’est porté partie civile dans le procès des accusés. Il en a profité pour interroger les voisins, les proches, pour comprendre comment un tel drame peut arriver.
La reconstitution : Daniel Maroy s’est occupé de sa mère, de son frère épileptique sans jamais quitter sa ferme dans laquelle il élève des vaches de race noble. Après la perte de sa famille, il s’est renfermé jusqu’à ne descendre au village qu’une fois par semaine, toujours dans les mêmes habits. Il se moquait de son surnom, « Le vieux crasseux » mais portait en lui une cicatrice jamais refermée : il était amoureux de la bouchère qui a refusé de l’épouser ; depuis, il a vécu une vie d’ermite.
Les accusés : Daniel Maroy lui-même disait qu’il avait de l’argent plein les poches. En fait, il n’a jamais eu confiance dans les banques et conservait tout son liquide dans sa ferme. Rafael, stagiaire à la boucherie, est le premier à suggérer au groupe qu’il y a de l’argent à se faire dans la ferme du Vieux Crasseux. Ces jeunes désœuvrés, délaissés, sans avenir, rêvent de beaux habits, de chaussures, d’iPhone, de motos, d’alcool et de drogues. Ils seront cinq sur le banc des accusés Rachid, Ahmed, Rafael, Pascal et Arno qui auront participé à cette mise à mort.
Dans ce document / Enquête / Biographie, Chris de Stoop s’attache à faire revivre son oncle, à parler de sa vie, non pas longuement mais en grande partie par le regard que les autres portaient sur lui. On s’aperçoit vite que s’il pouvait passer pour un bourru vis-à-vis des inconnus, il pouvait se montrer charmant et disert envers ceux à qui il avait décidé de donner sa confiance.
Puis, entremêlant les témoignages ou les faits avérés, l’auteur va petit à petit décrire ce que Daniel a subi (pendant une semaine !) par le biais de l’itinéraire de ces jeunes, dont certains sont belges et deux français, comme pour montrer que ce drame n’a pas de frontière. Et dans ce cas-là, Chris de Stoop évite l’écueil de dire que les méchants sont forcément les jeunes et préfère pointer l’une des causes racines du doigt : La société, le chômage, les jeunes laissés pour compte, livrés à eux-mêmes, le manque d’espoir, les publicités qui vendent des produits de luxe que personne ne peut s’acheter, le besoin de marquer son identité dans une société anonyme, le besoin de reconnaissance donc la création d’un groupe quitte à ce que ce soit sur Internet, le désir de faire quelque chose de marquant, le manque de morale, l’explosion des limites de décence, la déshumanisation …
Mais ce serait trop réducteur, car il pointe aussi les voisins qui ne s’inquiètent pas, les commerçants qui ne le voient plus venir, la police qui ne se déplace pas quand il les appelle, les banques qui étouffent les fermiers en leur prêtant de l’argent à des taux exorbitants, et il n’hésite pas à se pointer du doigt lui-même qui ne s’est jamais inquiété d’un membre de sa famille.
Chris de Stoop, en grand reporter qu’il est, fait le constat en évitant tout pathos, en restant froid, descriptif, clinique même si on ressent dans certains passages son besoin de crier de rage. Le livre de Daniel est un document éloquent sur la déshumanisation de la société et l’égocentrisme individualiste qui mérite sa place dans votre liste de lectures parce qu’il va vous faire réagir ; enfin, j’espère.