Le chouchou du mois d’octobre 2023

Je vais attendre un mois avant de vous seriner avec les messages du genre : « C’est bientôt Noël ! », « Achetez des livres pour Noël ! » et autres. Et honnêtement, plutôt que d’allumer la télévision et de subir l’actualité déprimante, le bon remède me (nous ?) pousse vers la fiction et de bons romans. Parmi les billets publiés ce mois, vous pouvez aisément faire votre choix.

L’avantage de relire de « vieux » romans, c’est de tomber sur des pépites. C’est le cas de l’extraordinaire La conspiration des ténèbres de Theodore Roszak (Livre de Poche), auquel on croit dès les premières pages et qui est un formidable hommage aux créateurs, aux artistes. Il plonge dans le domaine des experts du cinéma, créé un personnage imaginaire et débouche sur un complot incroyable. Et pourtant, on y croit, on plonge dans la folie de l’auteur et ce roman mérite un énorme Coup de Cœur !

J’avais eu un avis mitigé sur son premier roman, j’ai été emballé par Jusqu’à la corde de Lionel Destremau (Manufacture de livres). L’auteur reprend le même principe d’un pays imaginaire aux noms de ville étranges, aux noms de personnages décalés et nous créé une multitude d’itinéraires de personnages pour former un tout qui débouche sur une intrigue diablement dramatique. Quand l’imagination de l’auteur prend le pouvoir ! je vous conseille de découvrir l’univers de cet auteur.

J’ai beaucoup réfléchi lors de la rédaction de mon avis sur Pour mourir, le monde de Yan Lespoux (Agullo) ; j’avais peur que l’on prenne mes élucubrations comme de la complaisance, puisque Yan Lespoux est le boss du blog Encoredunoir. Il faut pourtant reconnaitre le souffle des grands romans d’aventures dans les itinéraires de ces trois personnages, la grande qualité littéraire de sa plume et la documentation historique sans faille. Au final, c’est un sacré premier roman !

Le boss des éditions du Caïman est aussi un auteur de polars. Son petit dernier Le teorem des grands hommes de Jean-Louis Nogaro (Arcane 17) nous plonge dans une intrigue foisonnante où un journaliste et son ami enquêteur sont poursuivis par la police et par une organisation occulte. C’est du costaud du début à la fin.

Le manoir des glaces de Camilla Sten (Seuil – Cadre Noir) m’a donné l’occasion de revenir en Suède et de découvrir une auteure, fille de la célèbre Viveca Sten. Sans être le polar de l’année, l’intrigue redoutable et diabolique l’emporte sur les quelques défauts dans un huis-clos frigorifiant.

Les loups de Benoit Vitkine (Livre de Poche) écrit avant l’invasion russe imagine l’élection d’une femme à la tête de l’état ukrainien et raconte les trente jours avant son investiture sous la forme d’un compte à rebours. Ce roman fictif nous éclaire sur la difficulté de ce pays à s’émanciper de l’ogre russe et à se sortir de la spirale de la corruption.

Les terres animales de Laurent Petitmangin (Manufacture de livres) nous plonge dans une zone interdite, radioactive après un accident nucléaire. Un groupe de personnes refuse de partir et s’accroche aux trois années de survie qu’il leur reste jusqu’à ce qu’un événement bouleverse tout. Voilà un roman subtil, imagé, simple et juste beau sur l’Homme face à ses problèmes.

Le titre du chouchou du mois revient donc à Le bon camp d’Eric Guillon (Nouveau Monde – Sang Froid) parce que les romans abordant les liens entre la résistance pendant la guerre et l’avènement de la pègre qui a suivi sont rares ; parce que par son langage parlé, il nous présente un personnage auquel on croit et on le suit dans ses (més) aventures. Ce roman mérite son titre, c’est typiquement le type de roman que j’aime.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez-vous, protégez les autres et surtout lisez !

Les terres animales de Laurent Petitmangin

Editeur : Manufacture de livres

Après Ce qu’il faut de nuit, son premier roman que j’avais beaucoup aimé, et Ainsi Berlin que je n’ai pas lu car le sujet ne me bottait pas, voici son troisième bébé, porteur pour moi d’une espérance de déguster un roman sensible et subtil. J’en ressors moyennement convaincu.

Après une catastrophe nucléaire, toute la zone alentour a été évacuée et interdite. La fusion continue de progresser, projetant de lourds nuages porteurs de mort. Deux groupes de personnes ont décidé de rester sur place, au grand dam des autorités. D’un côté on trouve deux couples : Sarah et Fred, et Lorna et Marc ainsi qu’un solitaire Alessandro.  Un peu plus loin, un groupe d’Ouzbeks s’est installé.

Sarah et Fred ne veulent partir car ce bout de terre héberge le corps de leur petite fille Vic. Marc et Lorna ont décidé de rester par amitié. Cette petite troupe voit son quotidien dicté par des mesures strictes pour se protéger des radiations mortelles. Ils vivent sur des réserves de nourriture dont la date de péremption est dépassée. De toutes façons ils savent que leur espérance de vie ne dépassera pas trois ans.

Jusqu’à ce qu’une nouvelle venue fasse son apparition, car Sarah est enceinte …

On peut séparer le roman en deux parties, que l’on pourrait intituler « Avant Adèle » et « Après Adèle ». Pour la construction de son intrigue, Laurent Petitmangin utilise la forme du roman choral, donnant à chacun la parole, en commençant par Fred. Il va nous présenter sa vie dans cet espace clos, en pleine nature sauvage, les gestes pour rester vivant juste un peu plus longtemps, et comment ils arrivent à survivre. Je dois dire que cette partie qui occupe la moitié du livre a fini par me paraitre longue.

Quand l’auteur abandonne l’aspect technique, et se concentre sur les personnages, cela devient tout de suite plus intéressant. Car d’un roman survivaliste (comme on en a lu tant), on revient à l’essentiel, l’Homme et ses relations avec les autres. On entre alors dans une sorte de marivaudage, où l’arrivée d’un enfant dans ce décor mortel va chambouler les cartes bien peu maitresses.

Et dès lors, nous nous posons les mêmes questions que l’auteur, sur le devenir de l’Homme, sur la survie de la Nature et sur la nécessité ou pas de faire perdurer la race humaine. Dans cette deuxième partie, l’auteur conserve son style simple et évocateur quand il aborde non pas le thème de la tromperie (quelle importance de connaitre le père quand on sait qu’on va mourir bientôt ?) mais celui-ci du sens de la vie et de l’héritage que l’on va laisser à nos enfants … ou pas.

Forcément dramatique, mais pas dans le sens où on peut l’entendre ni imaginer (la magie du créateur est de nous surprendre), l’intrigue reste très introspective et presque philosophique sans forcément nous donner de solution. Accepter ou fuir ? Vivre malgré tout, en profitant des moments présents ; tels sont les messages que je retire de ce roman.

Les loups de Benoit Vitkine

Editeur : Les arènes – Equinox (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

J’avais beaucoup aimé Donbass, roman policier se déroulant en Ukraine dans la zone interdite de Tchernobyl, et j’ai attendu la parution en poche de son roman suivant qui s’attache plus particulièrement aux hautes sphères de l’état ukrainien.

Olena Vladimirovna Hapko, ponte de l’acier ukrainien vient de se faire élire présidente de l’Ukraine avec 52,7% des voix. Le peuple espère un renouveau et croit au message de la nouvelle première dame d’en finir avec la corruption généralisée dans le pays. Elle doit donc se préparer pendant 30 jours pour son investiture officielle.

Avec son surnom de La Chienne, elle est reconnue pour être sans pitié dans les affaires. Elle laisse aussi de côté sa vie privée, se contentant par moments de son jeune garde du corps. Son associé Semion « Grands Mains » est le seul à la connaitre vraiment et à l’avoir suivi depuis plus de trente ans.

Olena doit donc négocier avec les politiques et les riches industriels pour former son gouvernement et insuffler un vent de renouveau. Elle veut surtout tenir à l’écart les oligarques russes qui détiennent le vrai pouvoir dans son pays. Elle doit aussi se prémunir de son passé pas toujours rose et de son argent à l’abri à Chypre, un paradis fiscal pour tous les riches ukrainiens.

Quand l’ambassadeur de Russie lui fait passer un message sous la forme d’un article racontant comment un jeune homme s’est empoisonné avec des noyaux de cerise, elle comprend de suite la menace. Sa société écran porte le nom de Noyau de cerise. Elle va donc essayer de retrouver la seule trace qui peut la rattacher à ce nom de société, qui remonte à son adolescence.

Bâti comme un compte à rebours, le roman de Benoit Vitkine va nous montrer toute la difficulté de ce pays anciennement inclus dans l’URSS pour se détacher de l’influence politique et financière de son géant voisin. On va assister à de nombreuses réunions, à des menaces et des chantages voilés comme autant d’obstacles qu’Olena doit franchir pour espérer mettre son pays sur de nouvelles voies.

Et si Olena nous parait une bonne personne au premier abord, les retours en arrière dans son passé lointain vont nous faire découvrir son côté sombre, sa personnalité sans pitié pour qui oserait se mettre sur son chemin. Loin d’écrire un roman naïf, Benoit Vitkine nous offre une histoire réaliste n’hésitant pas à faire intervenir des personnages réels pour étayer un peu plus son histoire.

On comprend mieux l’histoire de ce pays, gangréné par la Russie, essoré par la corruption, réduit à l’état d’esclave comme tout son peuple. D’ailleurs, Benoit Vitkine, bien qu’il aborde les hautes sphères du pays, n’hésite pas à faire intervenir les travailleurs ukrainiens qui souhaitent un changement dans leur vie de tous les jours, mais pas à n’importe quel prix.

Même si certains passages sont un peu longs, poussifs, j’ai particulièrement apprécié sa façon de montrer le décalage entre les hautes sphères et le peuple, ce qui est particulièrement le cas dans de nombreux pays. Il est à noter aussi que ce roman a été écrit avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Pour mourir, le monde de Yan Lespoux

Editeur : Agullo

Après son formidable recueil de nouvelles, Presqu’îles, on attendait avec impatience un format plus long, un vrai roman de la part de Yan Lespoux, boss du blog Encoredunoir dont j’apprécie beaucoup la plume. Quelle surprise de découvrir le sujet abordé pour ce premier roman, qui met en évidence ses passions, que sont la mer et l’histoire.

Côte du Médoc, janvier 1627. Fernando flotte, désespérément accroché à son ballot de coton. Le bateau dans lequel il voyageait a rendu l’âme devant la puissance de la tempête qui s’est abattue sur l’Atlantique. Il garde précieusement son sac à coté de lui, si précieux à ses yeux. Quand une vague le renverse, il lâche prise puis se rattrape sur une planche de bois. Soudain, sous ses pieds, il sent le sable.

Canal du Mozambique, Aout 1616. Plutôt que de mourir de faim à Lisbonne, Fernando Texeira a tenté l’aventure et se retrouve en Afrique, dans ce lieu stratégique pour le commerce entre l’Orient et le vieux continent. Le scorbut ou le cholera déciment les troupes et Fernando rencontre Simao. Les deux apprentis marins vont faire la route vers les Indes, à bord du Sao Juliao, quand ils rencontrent une frégate anglaise.

Médoc, mars 1623. La mer gagne du terrain sur les dunes et recouvre petit à petit les habitations. Son père conseille à Maris de partir et elle prend la route avec le colporteur, à destination de Bordeaux. Elle a toujours su se défendre, ce qui est bien la cause de ses malheurs : Serveuse dans une taverne, un homme la coince dans la cave pour la violer. Elle se retourne et le tue. Elle va devoir se cacher chez sa grand-mère.

Sao Salvador de Bahia, mai 1624. Diogo Silva quitte sa maison avec son père Carlos. Ils doivent réceptionner des nefs emplies de bois brésil et des bateaux transportant des Africains. La ville subit les assauts des hollandais et va bientôt sombrer. Diogo assiste à la mort de son père et s’enfuit pour arriver dans un village bahianais tenu par des jésuites et se lie d’amitié avec Ignacio, un indien.

Quand je lisais les billets de Yan sur son blog Encoredunoir (l’un parmi la dizaine que je suis avidement) j’étais sûr qu’il deviendrait un excellent écrivain. Il possède ce don de décrire naturellement des scènes ou des personnages et de les faire vivre devant nos yeux. Par contre, je ne m’attendais pas à un sujet d’une telle envergure, ni de tomber sur un roman d’aventures historiques.

Yan nous raconte donc un passage méconnu de notre histoire, la tempête de 1627, l’échouage de bateaux portugais, attendus sur le rivage par la population du Sud-ouest pour un massacre en bonne et due forme. Par sa profession, le sujet possède donc un solide socle historique, de nombreuses informations mais aussi des détails nous permettant de nous imprégner de l’époque.

Il m’est difficile de parler de civilisation tant le seul langage que les gens comprennent est la violence. Yan évite les scènes sanguinolentes mais ne nous cache rien. Il parvient à un bel équilibre entre les décors somptueux, les villes colorées et bruyantes autant que la jungle mystérieuse et dangereuse. Une scène m’a particulièrement marqué quand un soldat s’approche trop de la jungle et se fait égorger par un tigre à Goa.

Les personnages constituent les pierres angulaires du livre. Fernando y occupe une large place, étant celui qui voyage le plus ; il nous est présenté comme un être placé au mauvais endroit au mauvais moment et il va connaitre bien des horreurs. Marie nous est présentée comme une femme forte et violente comme le monde qui l’entoure ; plutôt que de plier l’échine, elle tue ceux qui lui veulent du mal. Enfin, Diogo va parcourir le monde et rencontrer les deux autres dans un final flamboyant, même si je trouve qu’il aurait mérité plus de visibilité.

Premier roman, coup de maître ! Yan remet au gout du jour les romans d’aventures avec ce qu’il faut d’exotisme et de scènes fantastiques. Il nous emmène à l’autre bout du monde et dans un autre temps et on ne se lasse pas de suivre ses trois personnages. Le seul petit reproche que je ferai, c’est que certaines scènes d’assaut auraient mérité plus de bruit et de fureur. Mais Pour mourir, le monde, est bien un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire. Magnifique !

« Naitre petit et mourir grand est l’accomplissement d’un homme ;

C’est pourquoi Dieu a donné si peu de terre pour sa naissance

Et tant pour sa sépulture.

Un lopin de terre pour naitre ; la Terre entière pour mourir.

Pour naitre, le Portugal ; pour mourir, le Monde. »

Antonio Vieira (1608 – 1697)

Le manoir des glaces de Camilla Sten

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Traductrice : Anna Postel

Dans la famille Sten, je demande la fille. Ce roman est l’occasion de découvrir une nouvelle autrice, Camilla Sten, fille de sa mère Viveca Sten, mais aussi un retour pour moi vers la littérature suédoise.

Eleanor a été élevée par sa grand-mère Vivianne et s’arrange toujours pour aller manger avec elle le dimanche. Cette semaine-là, Vivianne a essayé de la joindre plus d’une dizaine de fois mais Eleanor ne lui a pas répondu à cause de ses occupations professionnelles. Quand elle se décide à aller la voir, la porte est ouverte. Elle découvre sa grand-mère allongée par terre égorgée avec une paire de ciseaux en argent.

Sous le choc, elle se sent bousculée par une personne qu’elle pense être l’assassin. Eleanor étant atteinte de prosopagnosie, maladie neurologique qui l’empêche de reconnaitre les visages, elle est incapable de décrire la personne à la police quand elle est interrogée.

Quelques mois plus tard, elle apprend que Vivianne lui a léguée le Domaine du Haut Soleil, une vaste demeure située au nord de Stockholm. Elle s’y rend avec son petit ami Sebastian, et y retrouve sa tante Veronika, et l’avocat Rickard Snäll chargé de faire l’inventaire. Seul Bengtsson, le régisseur chargé de l’entretien de la propriété est absent.

1965. Anushka vient d’arriver au domaine en tant que femme de chambre au service de la mère de Vivianne. D’origine polonaise, on lui fait vite comprendre qu’elle doit oublier sa langue maternelle, le polonais et qu’elle doit garder ses distances avec sa cousine qui n’est autre que Vivianne.

Des romans proposant une intrigue dans une demeure mystérieuse en prise à une tempête, ce n’est pas nouveau et cela s’apparente à une variation du huis-clos. Dès lors, quand il se passe des événements étranges, qu’on entend des bruits incongrus, et que l’on est en présence de quatre personnes (cinq si l’on compte Bengtsson), on comprend vite que le but recherché par Viveca Sten n’est pas de chercher un éventuel tueur.

On ne peut pas non plus dire que ce roman nous terrifie, contrairement à ce que nous annonce la quatrième de couverture. Camilla Sten joue sur différents genres sans en choisir un, roman d’ambiance, roman de mystères, roman psychologique et l’intérêt est plutôt à chercher du côté de l’intrigue avec le journal d’Anushka et sur la subjectivité de la narration qui nous montre le strict nécessaire pour mieux nous surprendre dans le final.

On peut juste regretter quelques facilités ou quelques incohérences, surtout avec les batteries de téléphone portable un coup vides, un coup encore chargées mais on apprécie grandement cette histoire familiale racontée de façon emberlificotée pour mieux attirer le lecteur dans ses filets. Camilla Sten n’est pas encore au niveau de sa mère, mais avec une faculté à construire des intrigues tordues comme cela, elle en prend le chemin.

Jusqu’à la corde de Lionel Destremau

Editeur : Manufacture de livres

Deuxième roman de Lionel Destremau après Gueules d’ombre, l’auteur reprend le principe d’un pays imaginaire et nous concocte cette fois-ci une intrigue policière et une histoire dramatique intemporelle.

Alors qu’il promène sa chienne Roxi dans les bois, aux environs de Pristin, Victas Greletti s’aperçoit que celle-ci s’échappe ne répondant pas à ses appels. Puis il se rend compte qu’elle est occupée à creuser dans un tas de feuilles. Quand il s’approche, il découvre une main d’enfant noir dépassant de la terre meuble.

L’inspecteur Filem Perry approche de la soixantaine et a du mal à maitriser la fougue de son chien Pat, surtout avec sa patte folle. Le chef Servan lui demande de s’occuper d’une affaire où un chien aurait attaqué et dévoré un enfant. Avec son jeune adjoint Mayid Frin, il se rend sur place et découvre le corps vraisemblablement étouffé avec un lainage et enterré à la va-vite. Dans une des poches, il trouve une boite de musique en bois, avec une marque gravée indiquant « Fresco ».

Ne connaissant pas l’identité du jeune garçon, il se renseigne aux alentours mais personne ne semble le connaitre. Bizarrement, personne n’a non plus déclaré de disparition. Après la découverte de la pendaison de Ern Fresco, le gérant de l’entreprise de boites à musique, il est obligé de passer un avis de disparition dans les journaux. Cela va lui permettre de découvrir l’identité de l’enfant.

Arkan Neria a commencé très jeune à travailler avec sa famille pour ramasser les balles de coton. Dans le pays, on avait bien donné le droit de vote aux noirs comme eux, mais la population blanche ne leur accordait aucune considération. La loi leur autorisait presque tout mais dans les faits, des boutiques ou les cinémas leur étaient interdits. Après la mort de sa mère et le lynchage de son père, il décide de partir.

Lionel Destremau reprend le même principe que son premier roman. Il situe son histoire dans un pays imaginaire, un savant mélange de pays européen et des Etats-Unis avec des noms de ville ou des noms de personnages aux consonances étranges. De la même façon, la temporalité se mélange entre des événements qui font penser à la première guerre mondiale, la menace d’une autre guerre qui se dessine et des innovations dans la recherche policière qui rappellent une période plus contemporaine.

Bref, Lionel Destremau préfère laisser éclater son imagination plutôt que de s’enfermer dans le carcan temporel et s’amuse (et nous avec) de la liberté qu’il prend à plein bras. Dans son premier roman, j’avais beaucoup apprécié ce jeu entre les personnages et l’époque floue qu’il nous décrivait. Mais le sujet d’un enquêteur cherchant un soldat disparu me semblait tourner en rond et devenait répétitif.

Quand ici il reprend une intrigue policière, je retrouve mes repères et j’ai pu apprécier cette histoire dramatique faite d’allers retours entre le passé et le présent, passant d’un personnage à l’autre en écrivant leur vie et leur itinéraire qui vont les amener à avoir un rôle dans cette affaire diablement dramatique. Il faut effectivement accepter la liberté de narration et se laisser emporter par la fougue créatrice de l’auteur.

Alors, d’un point de vue personnel, je déplore toujours ces paragraphes qui me paraissent trop longs, parfois plusieurs pages, mais c’est la marque de fabrique de l’auteur. Et on finit par adorer ces vies qui se déroulent devant nos yeux et on apprécie la place originale que Lionel Destremau est en train de se faire tranquillement dans le paysage de la littérature française. Car sans être réellement un roman policier, ce roman raconte surtout une histoire en se basant sur des personnages du peuple et leur choix qui vont amener à la mort de ce jeune enfant.

Le Téorem des grands hommes de Jean-Louis Nogaro

Editeur : Arcane 17

J’ai eu l’honneur de rencontrer Jean-Louis Nogaro dans des salons et de posséder quelques romans parmi ses premiers écrits. Quand il m’a proposé de lire son petit dernier, je n’ai pas hésité une seconde.

Son Sen travaille officiellement pour une entreprise de sécurité. En réalité, c’est un hacker professionnel et son travail du jour consiste à entrer sur le site de la section Archéologie de l’université de Poitiers. Après avoir aspiré la totalité des données, il reçoit un SMS lui indiquant que tout va bien à Concarneau. Un code pour son salaire.

En tant que responsable historique du laboratoire de paléontologie de l’université de Poitiers, Edwyn Moutardon ne comprend qu’on veuille lui adjoindre un technicien, titulaire d’un doctorat en plus ! Juste avant de prendre le métro parisien, quelqu’un le pousse sur les voies.

A Saint-Malo, un homme se gare près de la plage et décharge des sacs. Il est interrompu par un promeneur qui malheureusement va devoir mourir.

Yvon Ben Ouassil profite de son pèlerinage annuel à Saint Malo avec son chien Ghriba quand son camping-car Volkswagen se mit à chauffer. A la recherche d’une bouteille d’eau, il trouve une voiture abandonnée et récupère un bidon.

Il se fait contrôler par deux gendarmes. Son faciès, ajouté à un corps retrouvé dans sa voiture sont suffisants pour finir en prison. Le corps est celui de la voiture abandonnée, Etienne Lanaët.

La seule chose qu’Yvon pense à faire, c’est de demander à son avocat Maître Brochand de prévenir son ami Ludovic Mermoz, rédacteur en chef dans un journal local de Saint-Etienne. Ce dernier passe son temps à rendre visite à sa compagne Lola, plongée dans le coma. Quand il reçoit l’appel de Yvon, il n’hésite pas et prend la direction de la SPA de Saint Malo.

Je tiens juste à vous signaler que ce résumé ne couvre même pas les cinquante premières pages, ce qui vous donne une idée du rythme donné par ce polar. Dès le départ, les scènes s’enchainent mettant en place différents personnages et je dois dire que l’on a du mal à imaginer comment l’auteur va pouvoir relier tout ce maelstrom et comment arriver à en faire une et une seule intrigue.

La magie et le talent suffisent à créer une intrigue qui se tient, et montrer la montée d’un parti politique inconnu en se basant sur des faits extraordinaires voire incohérents pour des scientifiques : découvrir des ossements de dinosaures inconnus à deux endroits différents de la France et au même moment. Mais les journalistes et le peuple y croit et la mayonnaise n’a pas de mal à prendre.

J’ai particulièrement apprécié les personnages, en particulier Ben Ouassil et Mermoz lancés dans une fuite pour leur vie, poursuivis à la fois par les gendarmes, la police et par un groupement occulte. Mais il ne faut pas oublier le Major Jo Digoin et la jeune gendarme Pauline Chardelet, formidablement bien brossés jusque dans leurs bourdes et leurs défauts presque comiques parfois.

Le but de ce roman est de nous faire passer un bon moment, de parcourir différentes régions de France et de ressentir de l’empathie pour nous autres manipulés jusqu’aux bout des ongles. Et la mission est accomplie tant après les points d’interrogation acquièrent une réponse et que la fin nous fait vivre un concert de rock. Bref, ce Téorem des grands hommes est un polar hautement recommandable.

Le bon camp d’Eric Guillon

Editeur : La Manufacture de livres (Grand Format) ; Nouveau Monde – Sang Froid (Format Poche)

Pioché au hasard dans ma PAL qui déborde, je me rends compte qu’il va falloir que je lise plus de romans de cette nouvelle collection des éditions Nouveau Monde qui s’appelle Sang Froid. Car ce roman m’a passionné de bout en bout, un sacré roman qui comporte tous les ingrédients qui me plaisent.

Dans sa geôle algérienne, en 1961, Jo sait que, celle fois-ci, il ne va pas s’en sortir. Même sous la torture, il ne parlera pas. Alors, pour supporter la douleur, il se rappelle Lily, l’amour de sa vie, qui l’appelait Loulou. Et tous les noms qu’il a pu porter au cours de ces trente années, Joseph Mat, Marcel Gonthier, Maurice Charpin, ou Joseph Chapuis. Peu importe ! Sa vie aura été mouvementée !

Il se rappelle 1936, quand il a pris le train de Sostès pour Barcelone, pour combattre les franquistes. Orphelin très jeune quand il a perdu son père pendant la guerre de 14-18, il a dû travailler tôt et est devenu typographe. Il a sa carte du parti communiste et s’est engagé naturellement dans la guerre d’Espagne, pour lutter contre le fascisme. Là-bas, il y perdra deux doigts sur une mine.

De retour en France, il reprit son travail et la déclaration de la guerre lui permit de fabriquer des faux papiers, de fausses cartes d’alimentation. L’accord de non-agression entre Hitler et Staline lui fit prendre ses distances avec le parti communiste, plutôt violemment puisque sa tête fut mise à prix. A partir de ce moment-là, il commença son périple de Toulouse à Marseille en passant par Lyon et Paris, en grande partie grâce à Robert Blémant.

Grenouillant parmi les adeptes du marché noir, il se retrouva pris à partie dans les règlements de comptes, entre collaborateurs et résistants, entre communistes et fascistes. Alors que les morts tombèrent autour de lui, il rencontra de nombreuses femmes parmi lesquelles Françoise et surtout Lily, l’amour de sa vie, une vie pleine de périls et de péripéties.

A la manière des grands auteurs français André Héléna à Albert Simonin, Eric Guillon créé un personnage de communiste résistant, prêt à tout pour sauver sa vie, rentre-dedans, assassin à ses heures et regrettant d’être entouré de tant de morts, amoureux des belles femmes mais ne montrant jamais ses sentiments. Bref, Joseph Mat est un beau personnage complexe comme je les aime, pétri de contradictions.

Eric Guillon choisit de placer Joseph Mat en tant que narrateur, chose difficile a priori mais formidablement réussie ici tant on a l’impression de l’écouter nous raconter sa vie. En utilisant un langage parlé, mâtiné de quelques mots d’argot parfaitement compréhensibles, on se retrouve prêt à le suivre n’importe où, tant l’enchainement, ses allers-retours dans le passé se font aisément comme si un lieu, un objet lui rappelait soudain l’anecdote suivante ou une rencontre fortuite.

Fort intelligemment, il utilise ces rencontres pour introduire des personnages célèbres, rendant ainsi son intrigue plus réaliste. On verra donc passer la bande à Bonnot, Pierrot le fou, Abel Danos, Ange Salicetti, le docteur Petiot et surtout le commissaire Robert Blémant. Avec pléthore de détails, de descriptions de lieux, d’ambiances des bas-fonds pendant l’occupation, ce roman est un extraordinaire voyage pour les yeux et les oreilles.

Eric Guillon arrive à lier tout cela grâce à la gouaille de sa langue, grâce à sa capacité à nous faire croire à son personnage et aussi à ne pas utiliser une intrigue linéaire, temporellement parlant. On a l’impression de suivre les mémoires d’un bourlingueur, qui nous montre les liens entre la pègre, les vrais-faux résistants et les vrais-faux collaborateurs. Et quand on a vécu dans l’illégalité, il est difficile d’en sortir.

Ce roman balaie la période 1936 à 1947. Il laisse entendre un passage de Joseph Mat à Saigon, et passe sous silence ce qu’il a pu réaliser dans les années 50 ou pourquoi il se trouve réellement dans les geôles algériennes. Je me dis qu’il y a la place pour une suite qui nous évoquerait les années 50. J’espère sincèrement avoir le droit à un deuxième roman tant celui-ci m’a bluffé. De même, ne vous étonnez pas de voir dans les semaines à venir d’autres romans de cette collection Sang Froid qui en dit tant sur notre passé récent. Exemplaire, Génial !

La conspiration des ténèbres de Theodore Roszak

Editeur : Editions du Cherche-Midi (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

Traductrice : Édith Ochs

Attention, coup de cœur !

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

J’avais acheté ce roman il y a quelques années et le fait de consacrer les Oldies de cette année au Livre de Poche m’a permis de le ressortir. Le hasard veut que mon ami blogueur François Braud en ait parlé dans un de ses épitres (https://broblogblack.wordpress.com/2023/06/04/en-verite-je-vous-le-crie-epitre-3/).

L’auteur :

Theodore Roszak, né le 15 novembre 1933 à Chicago dans l’Illinois et mort le 5 juillet 2011 (à 77 ans) à Berkeley en Californie, est un historien, professeur à l’université de Californie, un sociologue et un écrivain américain. Sa lecture du monde peut être qualifiée d’holistique. Il a popularisé la notion de contre-culture en 1968 dans Vers une contre-culture (The Making of a Counter Culture) et la notion d’éco-psychologie dans son livre The Voice of the Earth : An Exploration of Ecopsychology, en 1992.

Il est l’auteur de plusieurs essais consacrés à l’information, la science, la culture, l’écologie, la psychologie, l’impérialisme américain. Il collaborait également au New York Times.

Theodore Roszak effectue de brillantes études, décrochant un doctorat en histoire anglaise de l’université de Princeton (1958). Il enseigne à l’université Stanford, puis successivement à l’université de la Colombie-Britannique et à l’université d’État de San Francisco. En 1963, il entre au département d’histoire de l’université d’État de Californie, où il deviendra professeur.

Au milieu des années 1960, il est à Londres. Il y devient le rédacteur en chef du journal Peace News, principal organe d’expression de la dynamique pacifiste et non-violente, créé en 1936. Il y publiera, en 1967, une étude intitulée « Mumford et la Mégamachine ».

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Jonathan Gates, personnage principal du roman, étudie le cinéma à l’université de Californie. Il fréquente régulièrement une petite salle de cinéma Underground, le Classic, cogéré par Clarissa Swan et Don Sharkey, le projectionniste. Il sympathise rapidement avec les deux personnes, et devient bientôt l’amant de Clarissa (Clare).

Il découvre, grâce au Classic, un réalisateur de films muets d’avant-guerre, Max Castle. Celui-ci a d’abord commencé sa carrière en Allemagne, entre les deux guerres mondiales, avant d’émigrer aux États-Unis, à la suite de l’accession au pouvoir des nazis.

Les films de Max Castle mettent mal à l’aise, sans pour autant que l’on sache toujours pourquoi. Cela est en fait dû à des techniques particulières permettant de cacher des images dans le film… Ainsi, les films de Max Castle se révèlent être truffés de mouvements de caméra, d’effets spéciaux, de messages subliminaux, que permet de découvrir un appareil spécial que Zip Lipsky, le cameraman de Castle, appelle Sallyrand.

Le réalisateur a reçu ces techniques de l’Église des Orphelins de la Tempête, où il a été élevé. Cette Église est la descendante du mouvement cathare, dont les fidèles furent exterminés au Moyen Âge par l’Église catholique. Avec l’aide très précieuse de Clare, Jonathan soutient une thèse sur Max Castle. Ainsi, il fait redécouvrir au monde ce mystérieux réalisateur. Et il va partir à la recherche des origines de cette religion en France.

(Extrait de Wikipedia et adapté par mes soins)

Mon avis :

La taille de ce roman ne doit pas vous rebuter. Il faut juste se dire que cela représente 820 pages de plaisir et d’érudition, mais aussi de défense du cinéma, de respect pour les auteurs du Septième Art et enfin du pouvoir de la culture. Car ce pavé comme on surnomme les romans de cette taille est juste un monument injustement qualifié de thriller car son message comporte bien plus de messages que cela.

Theodore Roszak nous fait entrer avec une grande facilité dans cette intrigue par la voix du narrateur, passionné de cinéma, qui découvre par hasard un auteur oublié de films de série B, ou C, ou D ou Z. et tout ce qu’il nous décrit est tellement minutieusement détaillé qu’il nous fait croire à tout ce qu’il raconte des lieux aux personnages en passant par les descriptions des scènes de films et leur analyse scrupuleuse.

Le personnage de Jonathan en est le narrateur, et nous voyons son évolution tout au long de ces pages qui représentent plus d’une dizaine d’année. De jeune étudiant ébloui par les connaissances de Clarissa, nous allons assister à son développement et son envol, pour être reconnu comme l’expert de l’œuvre de Max Castle. Sa vie personnelle et sentimentale n’est pas laissée de côté, et elle va même le guider dans ses recherches. De ce point de vue, ce roman est exemplaire.

Theodore Roszak nous montre dans ce roman son amour du cinéma et met surtout en évidence les créateurs. Quand il nous décrit des scènes (tellement visuelles qu’on a l’impression de les voir se dérouler devant nos yeux), il nous démontre les détails que les réalisateurs mettent en place, les innovations qu’ils implémentent. Outre sa fascination, il les met en avant et leur confère le rang d’artistes majeurs.

Clairement, le sujet de ce roman concerne la place de la culture dans l’évolution du monde et cela devient terriblement actuel avec l’avènement de l’Intelligence Artificielle. Ecrit en 1991, on ne peut qu’être admiratif devant son aspect visionnaire, avec la place de plus importante de la télévision et le fait que l’Art finit par devenir un bien de grande consommation, quelle que soit sa qualité. Et quand l’auteur prédit que la Culture va être bradée pour que le grand public y ait accès mais aussi pour faire plus de fric, il dévie son intrigue vers une conspiration qui clôt le débat sur l’importance et le réel pouvoir du Savoir sur le Monde.

Forcément, on ne se lance pas dans ce genre de roman quand on ne recherche un simple divertissement. Ce roman demande des efforts autant par ce qu’il raconte, ce qu’il démontre et par sa taille bien entendu. Mais il saura vous emporter vers un autre monde, par son style et par son message, il vous posera des questions auxquelles vous serez le seul à pouvoir répondre : Quelle place réservez-vous à la Culture ?

Coup de cœur Obligatoire !