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Terres fauves de Patrice Gain

Editeur : Le Mot et le Reste (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

J’avais adoré De silence et de loup l’année dernière. La sortie de son nouveau romans, Les brouillards noirs, m’a donné l’idée de consacrer une semaine à cet excellent conteur qu’est Patrice Gain. Voici donc Terres fauves …

Alors qu’il peaufine la biographie d’Andrew Kearny, le gouverneur de New York City, David McCae reçoit l’ordre de son éditeur d’agrémenter son manuscrit d’un chapitre supplémentaire où il ferait intervenir un proche du gouverneur. Quoi de mieux que d’aller interviewer Dick Carlson, un ami proche du gouverneur et une idole reconnue de l’alpinisme pour avoir gravi un pic de plus de 8000m dans l’Himalaya ?

Malheureusement pour David, Dick Carlson habite à Valdez en Alaska. Pour y accéder, il faut prendre un hydravion, un bateau, bref toute une aventure voire un cauchemar pour ce citadin pure souche qui ne se sent bien qu’en ville. Arrivé sur place, il est confronté au climat rigoureux et à l’animosité des autochtones mais arrive tout de même à décrocher un rendez-vous avec la Gloire américaine.

Le premier contact avec Dick Carlson s’avère froid, voire agressif. David enregistre leur conversation qui dure toute la nuit autour de quelques bouteilles de whisky. A tel point que les deux hommes finissent par s’endormir. Le lendemain, on vient le ramener dans une contrée plus civilisée mais l’hydravion tarde à se montrer. Il doit bien se rendre à l’évidence, Carlson et ses hommes l’ont abandonné en pleine nature.

Si ma précédente lecture d’un roman de Patrice Gain m’avait impressionné, celle-ci me confirme tout le bien que je pense de lui. D’ailleurs j’avais écrit à propos de De silence et de loup : Avec une simplicité remarquable dans le style, mais avec une vraie profondeur dans les thèmes traités, ce roman comporte des scènes d’une force dramatique impressionnante et des thèmes tristement contemporains dans l’actualité),

Si ce roman touche moins à l’actualité, il nous démontre à quel point Patrice Gain est un conteur hors pair. Dans un premier tiers, David nous raconte sa vie, son objectif d’être fier devant son père et ses erreurs, en particulier le fait qu’il délaisse sa compagne et sa sœur. Tout est fait pour nous le rendre sympathique malgré son inconstance et son immaturité. On ressent aussi particulièrement bien la torture pour lui de sortir de sa zone de confort et de se confronter à un environnement hostile.

Pour lui, ce voyage en Alaska ressemble à une torture qui va devenir un cauchemar dans une scène effrayante située au milieu du roman, LA scène du roman. A partir de ce moment, Patrice Gain nous dessine un personnage en quête de vengeance, de justice mais aussi de rédemption envers ses proches. Une nouvelle fois, on ne peut que louer les qualités de conteur de l’auteur.

Ce roman confirme donc tout le bien que l’on peut penser de Patrice Gain. Il a cette faculté de créer des personnages aux prises à des situations inextricables et a le talent de nous parler de sujets différents. Ici il s’agit de l’impunité des gens de pouvoir et on retiendra de cette lecture une scène en particulier. Il me conforte à continuer de lire les romans de cet auteur au talent rare.

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La Femme Paradis de Pierre Chavagné

Attention, coup de cœur !

Editeur : Le Mot et le Reste

A l’origine, j’ai trouvé le conseil de lecture sur le blog PassionPolar de mon ami du sud Bruno. Puis, les avis se sont accumulés, tous positifs et ils ont tous raison : Ce roman fera partie de mes meilleures lectures de ce début d’année 2023.

Elle se lève ce matin-là, pousse la porte en chêne qui ferme sa grotte. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle vit ici, dans le causse. Elle ne compte plus les jours, les semaines, les mois, les années peut-être. Elle connait par cœur le paysage qui entoure sa maigre habitation, connait toutes les couleurs, toutes les odeurs, tous les bruits, les chants des oiseaux, les grattements des animaux.

La veille, une détonation a retenti. Le silence a appesanti la forêt alentour, comme une menace qui risquait de s’imposer. Rien n’est arrivé mais elle ne peut empêcher une appréhension, une certaine inquiétude. Elle avait fait un tour, et avait été surprise par une meute de loups. Comme s’ils avaient senti qu’elle faisait partie de leur environnement, ils avaient passé leur chemin.

La détonation l’inquiète. Pour se calmer, elle écrit dans son petit cahier. Elle se rappelle un autre temps, un autre lieu, le passé. Elle se rappelle son mari, si charmant, si touché par sa timidité. Elle préfère laisser les souvenirs s’évaporer pour éviter la douleur et l’absence. Elle a construit son habitation, vit de chasse, de pêche et de cueillette. Elle a construit sa nouvelle vie comme une fusion avec la nature.

Jamais un roman ne m’a fait une telle impression … ou rarement. Entrer dans un lieu inconnu, en compagnie d’une personne inconnue, se pelotonner auprès d’elle comme un témoin silencieux, de peur de déranger le calme, l’équilibre parfait dans une nature calme et sereine. Vivre au rythme du soleil, des nuages menaçants qui s’amoncellent, des bruits enchanteurs et des odeurs simples.

Lire ce roman procure un plaisir proche d’un enchantement. Cette femme vit un retour à la nature et en devient comme un animal apeuré pour qui tout contact avec la pseudo-civilisation devient un danger. Jamais un roman ne m’aura fait voir autant de beautés naturelles, ne m’aura fait sentir les feuilles humidifiées par la brume matinale, ne m’aura fait écouter les chants mélodieux des oiseaux.

Et pourtant, elle va rencontrer des gens, des hommes. Dans ces moments-là son cœur s’enfuit, court à tout rompre, lui crie de se défendre d’une menace, existante ou à venir. De ces moments survient la violence, d’elle ou d’eux. Cet ode à la nature, à la femme, à la liberté est apparu sur les étals des libraires comme un miracle, comme un joyau rare, qu’il faut lire, relire, presque apprendre par cœur.

Coup de cœur !

Ne ratez pas le coup de cœur de mon ami Bruno sur PassionPolar

Fantaisie héroïque de Gilles Vidal

Editeur : La Déviation

Chaque roman de Gilles Vidal ressemble à un voyage, à la fois dans le monde extérieur et dans celui intérieur du narrateur. Avec ses couvertures magnifiques, sortes de puzzle coloré, l’auteur nous invite à une errance littéraire.

Paul a perdu son père, avec lequel il avait peu de contacts. Après avoir connu un succès critique et public lors de la parution de son premier roman, il cherche l’inspiration en parcourant le monde. La mort d’un oncle dont il conserve peu de souvenirs lui permet de se détacher des nécessités matérielles. Son travail dans une agence de communication pour des publicités occupe ses journées vides d’observation.

Paul a tendance à oublier le passé, et à se contenter du monde présent, celui des autres. Dans un bar, alors qu’il déguste son café, une femme le dévisage. Elle se nomme Charlène, et lui rappelle qu’ils étaient voisins dans la rue des Moulins. Elle vient de quitter son mari, surpris à sortir son sexe dans un ascenseur devant une femme. Paul lui demande de l’accompagner à l’enterrement de son oncle.

Gilles Vidal écrit des romans différents des autres, des hymnes à la littérature, à la culture (populaire mais pas que …) et nous invite à profiter du moment présent. Si l’intrigue passe au second degré, il s’agit ici de suivre Paul dans son voyage, et d’apprécier le verbe, l’image qu’il a bien voulu nous partager.

Il m’est bien difficile de décrire le plaisir que je ressens à cette lecture. J’ai l’impression de lire du Philippe Djian en moins noir et moins introspectif, mais avec un même talent littéraire. Et puis, avec les crises à répétition que nous avons subies, Gilles nous rappelle le plus important : vivre aujourd’hui le moment présent, s’installer à une terrasse et regarder les autres, la vie, la vraie vie. Magnifique parce que puissant !

Une saison pour les ombres de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Etienne Gomez

Moi qui ai lu presque tous les romans de Roger Jon Ellory, je peux ressentir derrière ce nouveau titre à la fois l’évolution de l’auteur et sa passion pour la psychologie humaine, la faculté de l’homme à prendre des décisions et les assumer … ou pas. Le Ellory nouveau est arrivé !

Montréal, 2011. Jack Devereaux parcourt la maison qui a été la proie de l’incendie avec son comparse Ludovick Caron. En tant qu’enquêteur pour la compagnie d’assurance, il s’aperçoit vite qu’un court-circuit dans un appareil ménager est à l’origine du sinistre. Jack est surpris de recevoir un coup de fil d’un numéro inconnu. Le shérif de Jasperville l’informe que son frère Calvis a été arrêté pour tentative de meurtre.

Calvis, son petit frère, vient se rappeler à ses souvenirs, de même que Jasperville, qu’il a voulu oublier ;Jasperville, que l’on surnomme Despairville, petite commune située à l’extrême nord-ouest du Canada et qui vit uniquement grâce à ses mines de métaux ferreux. Pour Jack, Jasperville représente son pire cauchemar, un endroit inhumain ne connaissant que rarement des températures positives, une ville de 5000 habitants enclavée par les monts Torngat, surnommés le lieu des esprits mauvais par les indiens ayant vécu là auparavant.

Canada Ironexploite les minerais issus des roches éruptives de Jasperville. A cause de la crise économique, en 1969, Henri Devereaux accepte un poste de contremaître et y emmène sa famille, Elisabeth sa femme et ses deux enfants Juliette et Jacques, ainsi que le grand-père William. William raconte les légendes indiennes et le Wendigo, un esprit malfaisant qui prend possession des hommes et leur fait faire des meurtres. Dès 1972, un corps de jeune fille est retrouvé dans les bois. Le policier en poste en déduit vite qu’elle a été attaquée par un animal, un ours ou un loup.

Le Ellory Nouveau est arrivé ! cela peut paraitre bizarre comme entrée en matière, comme si je le comparais au Beaujolais. Détrompez-vous, le but de cette phrase d’introduction est bien de mettre l’accent sur tout ce qui change chez cet auteur incontournable dans le paysage du polar contemporain.

Commençons par le contexte : Roger Jon Ellory reste sur le continent américain mais change de pays : direction le Canada et en particulier l’extrême nord du pays, avec son climat rigoureux, inhumain, où les températures descendent à -40°C et la population ne voit quasiment jamais le soleil. L’auteur utilise cet aspect pour les conséquences sur la psychologie des gens, enfermés chez eux, renfermés sur eux-mêmes.

Il apparait donc logique que de nombreuses légendes fassent leur apparition, et en particulier celles émanant des tribus indiennes. Avec la proximité des Monts Torngat qui pèsent sur le village comme une main maléfique se refermant sur la petite ville, Roger Jon Ellory utilise à merveille le contexte pour faire monter l’angoisse et introduire les meurtres de jeunes filles qui vont se succéder.

Utilisant des allers-retours entre le présent (le retour de Jack dans sa ville de jeunesse) et le passé (sa jeunesse, ses drames familiaux), Roger Jon Ellory place au centre de son intrigue Jack qui a amputé son prénom comme s’il voulait laisser derrière lui ces mauvais souvenirs. Prévu pour être sympathique, nous allons avoir affaire à une histoire introspective, une méticuleuse analyse de sa réaction d’homme.

Car le sujet, au-delà de la recherche du ou des tueurs, se situe bien au niveau de ce jeune homme qui a quitté sa ville 26 ans plus tôt à l’âge de 19 ans, laissant derrière lui sa famille, ses amis, son amour de jeunesse. Et une fois sa décision prise, la difficulté d’assumer son choix, surtout quand le passé se rappelle à lui d’une façon particulièrement cruelle et fait ressortir son lot de culpabilité.

De la même façon que le paysage est brutal, les événements violents, le contexte sans pitié, le style de Roger Jon Ellory évolue pour s’adapter à son histoire. Finies les digressions ou la volonté d’expliquer les réactions de ses personnages, place ici à un style plus direct, plus franc, sans pour autant délaisser les qualités de narration, ni les événements placés au bon moment de l’histoire. Indéniablement, cette Saison pour les ombres est remarquable et fait partie des meilleurs romans de l’auteur avec Seul le silence et Papillon de nuit.

Pour seul pardon de Thierry Brun

Editeur : Jigal

Thierry Brun, voilà un auteur que j’apprécie tout particulièrement. J’ai lu quasiment tous ses romans, et à chaque fois, j’ai l’impression qu’il construit des personnages, qu’il écrit des histoires qui me parlent.

Thomas Asano a connu les guerres, hors de France. Il a passé un pan de sa vie derrière les barreaux en France. Alors qu’il est encore en liberté conditionnelle, il a décidé de s’isoler dans une petite cahute, perdue au fond des Vosges. Le plus sûr moyen pour tourner la page et ne pas faire de bêtises, reste encore de quitter ce monde et de couper les ponts avec les gens civilisés. Alors, les soirs, il se réfugie dans ses souvenirs de l’amour de sa vie, Béatrice.

Vivant de braconnage, il se fait embaucher comme manutentionnaire auprès de Cheuvreux, propriétaire d’une entreprise de bois. La fille du patron, Elise, sort de l’adolescence, se brouille avec son père et trouve refuge dans la cahute d’Asano. Il arrive à s’accommoder du harcèlement des gendarmes venus vérifier qu’il ne franchit pas la ligne jaune.

Quand Chervier récupère par hasard un chargement de cocaïne, qu’il veut garder pour lui, Asano se retrouve sous la menace du gang de trafiquants de drogue. Cheuvreux n’a aucune idée de la violence de ces truands, et il craint pour la vie d’Elise. Asano se voit contraint et forcé de reprendre du service.

A nouveau, c’est bien dans sa forme que le dernier roman de Thierry Brun se démarque. Avec des chapitres découpés en scènes, il va alterner entre présent et futur et faire un mélange sans pour autant donner de clé au lecteur. Cela n’en fait pas forcément une lecture exigeante mais cela nécessite au début du roman une certaine adaptation.

Le personnage principal Asano va occuper la majeure partie du roman, et sa psychologie est juste et remarquable, d’un homme qui bout, qui demande de l’action et qui est obligé de se cacher. Malgré la taille réduite du roman (200 pages à peine), la créativité de l’auteur fait merveille en amoncelant d’innombrables petites scènes, comme une descente vers un enfer promis. En cela, ce roman ressemble à un tableau, fait de tâches de peinture jetées au hasard (mais pas tout à fait), commençant par le haut, la lumière, pour finir en bas, dans le noir.

De ce tableau, on en retire cette thématique d’un Icare moderne, Asano ayant connu l’Amour et s’étant brûlé les ailes, qui ne demande qu’à retourner, approcher, toucher le soleil. Thierry Brun nous présente l’Amour comme une drogue, attirante, irrésistible, et qui nous fait faire les pires bêtises, au péril de notre vie. Il a l’habitude de nous présenter la Femme comme l’avenir de l’Homme, il nous peint ici l’illusion d’une rédemption par l’Amour dans notre société d’aujourd’hui.

Reflux de Franck Membribe

Editeur : Ska (Numérique) ; Horsain (Papier)

Je n’avais plus entendu parler de Franck Membribe depuis Coup de foehn ; c’était édité chez Krakoen en 2011. Cette année, il nous revient avec un thème évoquant les racines de tout un chacun dans un roman intrigant et attachant.

Un homme se réveille tout nu sur la plage  de Malu Entu (Mal du Ventre), une île au large de la Sardaigne ; il vient d’être vomi par la mer. Un hélicoptère vient le chercher et une infirmière lui demande s’il va bien. Elle s’appelle Enza. Elle lui apprend qu’il est le seul survivant après le passage d’un tsunami sur ce morceau de terre qui dépasse à peine du niveau de la mer.

Dans le lit d’hôpital, à Cagliari, sa fiche d’identité indique qu’il est inconnu. Enza vient le voir et elle lui montre un journal qui le décrit comme l’unique survivant du tsunami. Mais il ne se souvient de rien. Comme il semble en bonne santé, il doit quitter l’hôpital, et Enza lui propose de prendre une chambre que loue Maddalena, sa mère ; il y sera au calme, loin des journalistes et des curieux.

Enza se propose de l’aider. Au consulat, elle déniche une liste de ressortissants français. A priori, il ne reconnait aucun nom parmi les six hommes et six femmes. C’est le lendemain qu’elle lui annonce qu’il s’appelle Edwin Salmantin, grâce à une caisse en plastique étanche retrouvée sur une plage. Il serait banquier et travaillerait en Suisse. Un peu plus tard, ses certitudes sont remises en cause : sur le marché, quelqu’un l’accoste pour qu’il lui dédicace un livre : Berlin express de Daniel Wantmins.

Pour un romancier, partir d’un personnage amnésique est à la fois un sujet casse-gueule mais aussi un formidable potentiel pour revisiter son passé. Dès les quarante premières pages, on se laisse bercer par la douce musique de l’auteur, par cette légèreté dans le ton qui donne une vraie fluidité à la lecture. Et ces quarante premières pages nous mettent mal à l’aise car on ne sait qui est réellement ce Monsieur X ni où l’auteur veut nous emmener.

Le roman commence avec un Monsieur X, puis passe à Edwin Salmantin, pour semer le doute dans nos esprits. C’est suffisamment intrigant pour que notre attention soit accrochée, et l’impression ne nous lâche pas, puisque l’auteur décide de passer au personnage d’Enza et de nous plonger dans un roman choral, donnant la parole aux deux personnages principaux à tour de rôle. Si le principe est connu, il est remarquablement bien utilisé ici et forme comme une danse, entre ces deux personnages qui vont se tourner autour, avancer, reculer, pour creuser un passé qui semble fuir Edwin.

Et plus le roman avance, plus le thème du roman s’affirme : l’importance de notre mémoire et de nos racines. De la recherche de l’identité d’Edwin va s’ajouter celle d’Enza, et ces virevoltes vont se compléter, se soutenir, et bâtir les deux piliers de ce roman. Peut-on ignorer ses racines ? Surement pas. En quoi peuvent-elles influer sur notre avenir ? Peut-on changer de vie et réparer nos erreurs passées ? Voilà les questions posées par Franck Membribe, des questions qui lui tiennent à cœur, et auxquelles il répond avec passion et sensibilité, sans en rajouter, avec une belle subtilité et émotion.

Ce que savait la nuit d’Arnaldur Indridason

Editeur : Métaillié (Grand Format) ; Points (Format Poche)

Traducteur : EricBoury

Il va bien falloir s’y faire, on ne verra plus apparaître Erlendur Sveinsson, l’inspecteur inventé par Arnaldur Indridason, ou en tous cas pour un certain temps. Après la trilogie des ombres (Dans l’ombre, La femme de l’ombre et Passage des ombres), l’auteur islandais se lance dans une nouvelle série mettant en scène Konrad, un inspecteur de police à la retraite.

Un groupe de touristes de Wolsburg fait une pause sur le glacier Langjökull. La guide  s’apprête à entamer son sandwich quand un de ses clients l’interpelle. Suite à la fonte des glaces, on voit nettement apparaitre un visage, voire un corps sous la pellicule gelée. La police identifie rapidement le mort : Sigurvin, un jeune dont la disparition, qui a eu lieu 30 ans auparavant, n’a jamais été élucidée.

L’autopsie est surréaliste car le corps est celui d’un jeune homme grâce à la conservation dans la glace. A l’époque, déjà, son collègue Hjaltalin était soupçonné. Ce dernier est arrêté in extremis à l’aéroport, tentant de s’enfuir à l’étranger. Mais au lieu d’aller en prison, il est emmené directement à l’hôpital, puisqu’il est atteint d’un cancer et n’a que quelques semaines à vivre.

Hjaltalin demande à voir Konrad, policier à la retraite qui a suivi une partie de l’affaire à l’époque. Il clame à nouveau son innocence et demande à Konrad de reprendre l’affaire. Il faut dire que Sigurvin n’était pas habillé pour lutter contre le froid glaciaire et que son véhicule a été retrouvé loin du glacier. Alors, certes, les deux collègues amis se sont engueulés, mais il assure qu’il n’y est pour rien. C’est la visite d’une jeune femme qui va décider Konrad de chercher la vérité : en effet, son frère, a vu les deux amis dans un bar le jour de la disparition de Sigurvin, et depuis, il est mort, renversé par un gros 4×4.

D’un Erlendur taiseux et discret, Arnaldur Indridason passe à Konrad, un personnage bourru et réfléchi. Pour autant, ce n’est pas un roman d’action, tant l’intrigue va suivre son rythme lent et nonchalant, avançant à coups de réflexions et d’indices. L’aspect psychologique va donc prendre une grande place dans l’intrigue, ainsi que le décor, celui de Reykjavik dans une ambiance d’automne triste.

De la psychologie de Konrad, on va en savoir beaucoup. Veuf, ayant perdu sa femme juste au moment de prendre sa retraite, il a un fils Hugo. C’est la solitude, l’absence de l’être aimé qui lui pèse, et qui fait partie de sa décision de reprendre le collier. Sans y mettre plus de passion que cela, il va dérouler l’enquête comme un cruciverbiste, avec la volonté d’aller jusqu’à sa résolution. Konrad a aussi eu un père, violent qui a connu une mort mystérieuse. Tous ces petits indices sont autant d’énigmes à découvrir dans les prochaines enquêtes.

Car on a connu Arnaldur Indridason plus convaincant dans ses romans, avec des messages autrement plus frappants. S’il fait toujours preuve d’une subtilité quasi-unique dans le monde du polar, au ton triste, taciturne et désenchanté, il ne nous a pas habitué à une enquête aussi classique. Il faudra donc apprécier ce roman comme le premier d’une série, et trépigner d’impatience avant d’entamer la lecture de la deuxième enquête de Konrad, qui s’appelle Les fantômes de Reykjavik.

Victime 2117 de Jussi Adler Olsen

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Caroline Berg

Les fidèles des enquêtes du Département V attendaient avec impatience que se lève le voile sur le passé d’Assad. A l’origine, Carl Mørck a pris la tête de ce service dédié aux affaires anciennes, et s’est retrouvé affublé de Rose, la secrétaire et d’Assad, originaire du Moyen Orient. Ce roman va raconter une partie du passé de l’énigmatique Assad.

Joan Aiguader est journaliste free-lance pour le Hores Del Dia. En manque d’argent, il voit à la télévision un reportage sur des immigrés sur une plage de Chypre, la plage d’Ayia Napa. Un compteur montre le nombre de corps rejetés par la Méditerranée. Ce matin, le nombre de morts était déjà de 2080. Alors, il vole l’argent de sa petite amie et vole vers Chypre pour décrocher un scoop.

Quand il arrive là-bas, le compteur en est à 2117. C’est le corps d’une vieille femme qui vient de s’échouer sur la plage. Il prend des photos et envoie son scoop. Cette photographie va faire le tour de l’Europe, mais pas pour la bonne raison. Lui qui pensait émouvoir les gens sur le sort se retrouve en fait avec une image d’une vielle femme assassinée. Il se retrouve ridiculisé et se lance dans une enquête pour savoir qui est la morte.

Alors que Rose vit recluse chez elle, Assad vient lui rendre visite et découvre les murs de son appartement couverts de photos de presse. L’une d’elles attire son regard : celle d’une vieille femme, avec juste derrière deux femmes et un homme. Assad connait la vieille femme ; elle l’a aidé dans une autre vie. Les deux femmes ressemblent à sa propre femme et sa fille. Quant à l’homme, il est sûr qu’il s’agit d’Abdul Azim, dit Ghaalib, son ennemi qui a tenté de le tuer. Assad ne va pouvoir retenir sa soif de vengeance.

Contrairement aux autres enquêtes du Département V, ce roman va nous faire voyager dans plusieurs pays d’Europe, dont l’Allemagne. C’est une course poursuite entre Assad et Ghaalib, à laquelle vont participer un certain nombre de services policiers pour éviter un potentiel attentat. C’est donc, contrairement à ce que l’on pourrait croire, un roman rythmé et non l’histoire d’Assad. Certes, Assad va raconter son passé à Carl et Rose, mais cela se passe dans la première moitié du roman, et l’auteur a choisi de faire un roman de duel entre les deux ennemis.

Jussi Adler Olsen étant un auteur d’expérience, il va nous tenir en haleine passant d’un personnage à l’autre, avec beaucoup de savoir-faire. Les pages se tournent toutes seules, et il y ajoute la vie privée de Carl, quelque peu compliquée puisqu’il va bientôt être père à plus de cinquante ans. Bref, c’est un polar costaud, populaire, agréable à lire qui, pour autant m’a laissé un peu sur ma faim.

J’aurais aimé plus d’immersion dans les pays visités, Chypre en particulier, mais aussi l’Irak, lors des passages qui racontent le passé d’Assad. De même, certains personnages semblent faire de la figuration, et on ne comprend pas bien ce qu’ils font là, et en premier lieu, Joan le journaliste. Enfin, certains passages souffrent d’une traduction approximative, en particulier dans les conjugaisons.

Sans être aussi catastrophique que Selfies, que je n’avais pas du tout aimé car trop bordélique, ce roman est un bon passe-temps alors que j’en attendais tant. Je ne suis pas déçu, juste sorti avec une sensation de manque; je suis resté sur ma faim. Et puis, les premiers romans avaient une construction complexe, une sorte de passion dans l’écriture, et un humour bienvenu qui faisaient de ces enquêtes un excellent divertissement.

Alors je suis partagé entre la volonté de savoir comment le Département V va rebondir et le souhait que Jussi Adler Olsen tourne la page et se lance dans une nouvelle série. Soyons patients, l’avenir nous le dira.

En moi le venin de Philippe Hauret

Editeur : Jigal

Je suis Philippe Hauret depuis son premier roman, Je vis, je meurs. Après sont venus Que Dieu me pardonne puis Je suis un guépard, qui pour moi, démontrait un vrai talent pour allier intrigue, personnages et contexte social.

Sans repères ni attaches, Franck Mattis erre sans but, vivant sur ses économies. Divorcé, sans contact avec son fils, il vient de se mettre en disponibilité de son poste de flic. Quand l’hôpital l’appelle, c’est pour lui apprendre la mort de sa mère. Il est étonné que son père ne l’ait pas prévenu, même s’il n’a plus gardé de contacts avec eux depuis bien longtemps. En essayant de le joindre, il apprend que son père est mort aussi, quelques semaines auparavant. Il décide donc de retourner dans sa petite ville natale, au moins pour les obsèques de ses parents.

Valery a passé des années de galère, avant de trouver le bon filon : ouvrir un night-club dans une petite ville. Comme il est d’abord facile et violent dans l’âme, il prévoit des filles, « exportées » des pays de l’est, qui seront chargées de faire boire les clients … et plus si affinités. Et quand il rentre le soir, il retrouve son amant, Warren, plus jeune que lui d’une vingtaine d’années, qu’il entretient.

Les élections municipales approchent. La municipalité de gauche surfe sur son succès, se contentant de gérer une ville en en faisant le minimum. Un jeune loup aux dents longues, Maxence, s’annonce candidat, sans étiquettes parce que les gens en ont marre des partis traditionnels. Il se contente de faire des discours que les gens veulent entendre, aidé en cela par une directrice de communication douée, Esther.

Pur roman noir, cette lecture remarquable de fluidité prend deux personnages en parallèle, Franck et Valery, et les conduit sur une route dont l’itinéraire est joué d’avance. J’avais dit que, depuis quelques romans, Philippe Hauret évitait les effets faciles et se dirigeait vers une narration simple et efficace. C’est plus que jamais le cas ici, où il démontre une maîtrise et une force impressionnante, menant sa barque avec une assurance, sur de son fait et sur que le lecteur va le suivre.

Impressionnant en est le résultat, quand Franck débarque dans sa petite ville. Car de roman noir ou polar, Philippe Hauret transforme son intrigue en roman social, grâce à toute une galerie de personnages secondaires, qui font plus que planter le décor et tenir la chandelle. De Warren l’insouciant à Esther la jeune femme dynamique déprimée, on y trouve aussi Ben l’ancien copain qui veut que rien ne bouge ou Chana la pauvre jeune fille qui est obligée de se prostituer, sans oublier Maxence le candidat pourri aux élections.

L’absence d’effets de style rend plus forte encore cette intrigue et surtout cette peinture de notre société actuelle, dénonçant de façon subtile comment faire de l’argent en politique grâce à de petits arrangements. Et avec ce roman, Philippe Hauret se rapproche des grands auteurs du noir, qui ont su montrer notre société. Avec ce roman, Philippe n’a jamais été aussi prêt de Thierry Jonquet. J’adore !

La chronique de Suzie : Expiations – Celles qui voulaient se souvenir de Kanae Minato

Editeur : Atelier Akatombo

Traducteurs : Dominique Sylvain, Saori Nakajima et Frank Sylvain

Quand j’ai un roman japonais, je fais appel à ma spécialiste du genre, qui adore aussi les polars : Suzie. Et comme l’Atelier Akatombo est spécialisée dans les romans japonais, je les achète et les lui donne pour avis. A ton tour, donc, Suzie, et encore un grand, un énorme merci pour ces avis et ta contribution :

Bonjour amis lecteur,

Voici un moment que je n’étais pas sortie de mon antre. Cette fois-ci, je pense que je vais rester un moment à l’extérieur pur vous parler de mes différentes lectures. En ce moment, je suis dans une phase « romans japonais » et c’est de ces derniers dont je vais vous parler en commençant par le plus récent « Expiations : Celles qui voulaient se souvenir de Kanae Minato (en japonais shokuzai / 贖罪).

Cette auteure a à son actif une quinzaine de livres dont seulement deux ont été traduits en français : « Les Assassins de la 5e B » (Kokuhaku /告白), son plus grand succès, et « Expiations ». Elle n’est publiée que depuis 2008.

Comme souvent au Japon, « Expiations » a fait l’objet d’une adaptation télévisuelle, plus précisément une mini-série de cinq épisodes. Cette dernière sera remontée, un peu plus tard, en un long-métrage en deux parties.

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Mais revenons au livre. L’histoire est simple. Alors que cinq petites filles d’une dizaine d’années jouent ensemble pour la fête d’O-Bon, l’une d’elles part avec un inconnu et on la retrouve assassinée à la fin de la journée, à quelques mètres de ses amies. Bien que les autres filles aient vu l’assassin, bizarrement, ce dernier reste un inconnu car la police n’arrive pas à obtenir une description de la part des enfants. Et, lorsque la mère de la petite fille assassinée s’en mêle, comment les survivantes vont-elles réagir? Doivent-elles vraiment expier pour une faute qu’elles n’ont pas commise?

Ce livre se décompose en plusieurs chapitres. Chacun de ces chapitres va correspondre à une des protagonistes. Chacun des titres des chapitres est axé sur une caractéristique de chaque personnage. L’auteure va expliquer la vie telle qu’elle était perçue par chacun et ce qui a changé avec l’homicide. On va suivre la vie de chaque personnage et leur évolution jusqu’à la prescription du crime, environ quinze ans plus tard. Aux quatre fillettes, va se rajouter une personne supplémentaire. De plus, chaque protagoniste va raconter son histoire à la première personne du singulier pour appuyer encore plus ce qui a pu lui arriver dans sa vie. Le dernier volet, de quelques pages, donne la solution et la raison de cet homicide.

Bien que court (moins de deux cent cinquante pages), l’auteur a un rythme et un style tout en finesse. La description de certains passages, qui serait pénible et douloureuse à lire, est juste évoquée. Elle va donner un élément qui va faire comprendre aux lecteurs l’horreur de la scène. A chaque chapitre, elle distribue des miettes d’information qui vont permettre de raisonner et de se poser des questions pertinentes. Au fur et à mesure de l’histoire, ce qui paraissait aller de soi n’est qu’un faux-semblant. La vérité n’est pas ce qu’elle semble être. La tension monte avec les découvertes et les questionnements de chacun. Et, la conclusion n’est qu’une explication d’une ignorance.

Outre cette histoire d’homicide, l’auteure va confronter deux univers, deux types de culture différents en rajoutant la notion de « hiérarchie » très présente au pays du soleil levant. Ce duel va être symbolisé par les enfants. Ce qui leur paraissait le summum de la classe va être dégradé par rapport aux nouveaux arrivants. Les uns essaient de trouver leurs marques dans un monde qui leur semble ancien alors que les autres envient les premiers et ne veulent pas les intégrer. Les deux univers ont du mal à se comprendre et à communiquer. Les préjugés vont bon train. Tout cela est évoqué par de légères touches au niveau de la vie quotidienne par des choses qui sembleraient étranges dans l’un ou l’autre de ces deux univers. Les enfants vont le démontrer tout au long de l’histoire.

Les personnages sont stéréotypés surtout les enfants avec une caractéristique mise en exergue : la petite timide, la grande sœur responsable, la sportive ou celle qui est en bonne santé. Chacune va percevoir le traumatisme de l’homicide ainsi que leur incapacité à se souvenir de l’agresseur de façon différente. Leur psyché va les protéger, soit en niant un aspect de leur corps, de leur aspect, soit en les convaincant que leur vision d’elle-même est fausse. Cela va engendrer des conséquences graves dans leur vie future. De plus, elles vont devoir gérer un deuxième traumatisme : l’expiation demandée par la mère de la victime. Cette dernière ne considère que son propre malheur. Elle considère que les camarades de sa défunte fille ont échoué dans leur rôle premier : retrouver l’assassin de sa fille. Elle va leur imposer une pression supplémentaire qui va peser lourdement sur leur psyché. La question que l’on peut se poser est de savoir si c’est l’homicide ou les paroles de la mère qui va conditionner leur futur. L’auteur rajoute un doute significatif sur le sujet. Elle laisse au lecteur le choix de trancher.

Etant dans ma période de romans japonais, celui-ci est le plus récent en termes d’écriture. Et, je peux vous dire que l’auteure est très efficace pour mettre en place une atmosphère. J’ai vite senti la différence de comportement entre les nouveaux venus s’installer à la demande de leur entreprise et les natifs qui se contentaient de peu car c’était ce qu’ils avaient toujours connus. On ressent les disparités de vie, de culture comme si on y était, comme si on pouvait se mettre à la place de chacun des protagonistes en se demandant comment on aurait réagi dans de telles circonstances. La culpabilité des fillettes va les poursuivre tout au long de leur vie, alourdie par la sanction de la mère de la victime.

Et, on sent ce poids qui écrase chacune d’elle lorsqu’on prend connaissance de leur histoire. Mais, là où l’auteur est proprement diabolique, c’est qu’elle va vous expliquer que « l’ignorance est la mère de tous les crimes », qu’elle « est la mère de tous les maux ». Car ce qui semble être la vérité n’est qu’une vengeance. Contre qui et pourquoi, difficile de le savoir. Il faudra attendre la conclusion pour comprendre. Ce sont des faux-semblants qui gouvernent les différents protagonistes. On ne peut effacer le passé car il interviendra toujours sur le futur. Le passé se vengera toujours de ce qui a pu se passer, quitte à détruire tout le monde. Il m’a fallu lire quelques pages deux fois pour comprendre certains des sous-entendus de l’auteur car mon cerveau avait décidé de passer outre le message. Efficace, diabolique, manipulateur et tout en sous-entendus, avec une précision dans la description des différences entre les protagonistes qui vont arriver au même point, voici un succinct résumé de ce roman. A lire absolument pour découvrir la noirceur de l’âme humaine. Auteur à suivre.

Sur ces dernières paroles, je m’en vais voguer de librairies en bibliothèques avant de vous parler d’une autre œuvre japonaise. A très bientôt.