Le chouchou du mois de janvier 2016

Allez, on redémarre 2016 avec le même principe. En fin de mois, je fais un bilan de mes chroniques et j’élis le chouchou du mois, qui est un titre totalement honorifique.

Janvier lance habituellement la rentrée littéraire mais cette année, ce fut plutôt calme du coté des sorties. C’est donc l’occasion de fouiller dans mes bibliothèques et de ressortir quelques romans que l’on a tendance à oublier ou bien de publier des avis sur les dernières sorties de l’année dernière.

Honneur à un grand auteur, Harry Crews, dont les éditions Sonatine ont sorti un inédit : Les portes de l’enfer. Je dois avouer que je ne connais pas assez l’univers de cet auteur, même si son écriture est toujours aussi fantastique.

Honneur aussi aux éditions Points qui ressortent le deuxième roman de Antonin Varenne, Le gâteau mexicain. A mon avis, c’est à réserver aux fans de l’auteur car ceux qui ne le connaissent pas risquent d’être surpris par le coté fantasque et presque burlesque de l’intrigue qui part un peu dans tous les sens.

Avec Le baiser de Caïn de John Connoly (Pocket), j’ai continué le cycle de Charlie Parker. Et cette quatrième enquête est aussi réjouissante que les autres, aussi stressante. J’y ai particulièrement apprécié l’intrigue, fournie et très bien construite, tant et si bien que c’est à ce jour mon roman préféré.

Avec Eté rouge De Daniel Quiros (Editions de l’aube), j’aurais découvert un nouvel auteur. Si on y trouve quelques défauts dus au fait que ce soit un premier roman, le sujet est remarquablement bien traité. Et comme il est édité en poche, il serait dommage de passer au travers.

Deux autres lectures datant de 2015 viennent compléter cette liste, et ce sont deux formidables romans français, très réussis par leur façon de traiter de sujets difficiles. Travailler tue ! De Yvan Robin (Lajouanie) traite avec beaucoup de cynisme du burn-out au travail. Méfaits d’hiver de Philippe Georget (Jigal) se veut plus intimiste et fouille les psychologies des maris cocus.

Je pourrais aussi classer Les ombres innocentes de Guillaume Audru (Editions du Caïman) dans les lectures de 2015. Mais comme il est sorti en toute fin d’année, il servira de transition. Ce très bon roman policier nous dévoile un pan de l’histoire française contemporaine dont bien peu ont la connaissance. A ne pas rater, assurément.

Passons donc à 2016. Avec Ubac de Elisa Vix (Rouergue), l’auteure part d’une situation classique, l’irruption de la sœur du mari dans un couple et va nous stresser tout au long des 180 pages que compte ce court roman. C’est un roman qui m’a impressionné.

Le loup peint de Jacques Saussey (Toucan), dernier opus en date de cet auteur prolifique est un roman à l’intrigue complexe qui réserve son lot de surprises. On y retrouve le talent et l’écriture si explicite de Jacques Saussey que j’adore.

Viens avec moi de Castle Freeman Jr (Sonatine) enfin est un court roman basé essentiellement sur les dialogues et qui nous décrit une course poursuite dans le fin fond des Etats Unis. On y trouve des cinglés, ça va vite et c’est du pur plaisir.

Le titre de chouchou du mois revient donc à Les salauds devront payer de Emmanuel Grand (Liana Levi) pour sa peinture d’une région massacrée par le chômage. Tous les personnages sont formidables et le constat sans être démonstratif est extraordinaire. Cela m’a fait penser à Martyn Waites et sa peinture de l’Angleterre post Thatcher. C’est l’une des excellentes surprises de ce début d’année.

Je vous donne donc rendez vous la mois prochain. D’ici là, n’oubliez pas le principal, lisez !

Le loup peint de Jacques Saussey (Toucan)

Après son excellent La pieuvre, je dois dire que j’étais impatient de lire le dernier roman de Jacques Saussey. Pour ce roman, il abandonne son couple de flics Daniel Magne et Lisa Heslin pour nous offrir un roman sous haute tension.

Ce roman est construit autour d’un personnage ou du moins c’est la façon la plus simple que j’ai trouvée pour résumer cette intrigue foisonnante. Vincent Galtier est vétérinaire dans l’Yonne. Il vient de terminer une mise à bas d’une jument, qui s’est mal passée d’ailleurs. Pour évacuer son stress, il décide de passer chez son amante avant de rentrer à la maison. Il faut dire que depuis son accident de la route, six mois auparavant, et la mort de son fils, sa femme Estelle lui a tourné le dos.

Alors qu’il est tard et qu’il roule vers chez lui, une voiture le harcèle et manque de le pousser dans le ravin. Il a juste le temps d’apercevoir quatre silhouettes. Un peu plus, il aperçoit un éclair. Ce n’est pas un radar, mais il est persuadé que les passagers de la BMW viennent de tuer l’un d’entre eux. Il tente de s’enfuir, la poursuite s’engage et la BMW finit encastrée et prend feu. Puis on lui tire dessus. En se relevant, il se rend compte que deux corps brulent mais que les autres passagers viennent de lui voler sa voiture. Il va tenter tant bien que mal de rentrer chez lui à pied. En arrivant chez lui, sa femme a été tuée et massacrée.

En parallèle de l’itinéraire malheureux de ce vétérinaire de campagne, nous allons suivre les histoires de beaucoup de personnages, dont Laurel et Hardy qui sont deux lieutenants pas doués et pas drôles, mais aussi l’adjoint de Vincent, une mystérieuse infirmière, une tueuse sans limites, un chien lycaon et même vers la fin du livre, un commissaire Paul Colize qui va nous faire rire avec ses élucubrations.

On va passer d’un personnage à l’autre et comme c’est bien fait, on suit cette histoire sans aucun problème. Par contre, on a du mal à savoir où l’auteur veut en venir … mais en fait, tout se tient. C’est là tout le talent de cet auteur qui n’arrête pas de me surprendre, car son écriture est d’une fluidité telle, ses descriptions d’une justesse telle qu’il pourrait nous raconter ce qu’il veut. En quelques lignes, il arrive à nous planter un personnage dans un décor, et à le faire vivre. C’est du pur plaisir de lecture.

Il faudra donc s’armer de patience pour comprendre de quoi il retourne et on aura droit auparavant à quelques scènes mémorables, qu’elles soient saignantes, stressantes ou même sexuelles. Il y a juste quelques passages au début du livre qui m’auront paru sonner un peu faux. Mais sur les 86 chapitres qu’il comporte, c’est bien peu par rapport au plaisir procuré ensuite.

Une nouvelle fois, Jacques Saussey arrive à me surprendre. Il essaie d’innover, ne se contente pas d’écrire le même roman policier, mais fait à chaque fois quelque chose de différent. Celui-ci va vous faire battre le cœur à 100 à l’heure, avant de vous laisser vous reposer dans un calme relatif, il va vous malmener, presque vous torturer pour arriver à une conclusion surprenante, et qui, à y réfléchir, faire froid dans le dos. Et ne vous y trompez pas, la couverture superbe n’est en rien mensongère.

Ne ratez pas les avis de Sandra, Loley, Yvan et Ptitblog

Viens avec moi de Castle Freeman Jr. (Sonatine)

Outre le sujet indiqué sur la quatrième de couverture, qui m’a interpelé, le fait que ce soit le premier roman publié en France de Castle Freeman Jr. a beaucoup joué dans mon choix de lecture. En fait, Go With Me est le troisième roman de l’auteur. Ce roman, très court, est effectivement un roman noir rapide comme un coup de poing. Et comme la quatrième de couverture est très bien faite, j’ai joué au fainéant en la copiant. De toute façon, je n’aurais pas fait mieux pour résumer le sujet du livre.

Quatrième de couverture :

Dans les fins fonds désolés du Vermont, la jeune Lilian est devenue la cible de Blackway, le truand local. Son petit ami a préféré fuir, elle a décidé de rester. Bien résolue à affronter celui qui la harcèle. Alors que le shérif se révèle impuissant, Lilian se tourne vers un étrange cénacle. Sous la houlette de Whizzer, ancien bûcheron en chaise roulante, quelques originaux de la région se réunissent chaque jour dans une scierie désaffectée pour disserter en sirotant des bières. Devant la détermination de la jeune femme, Whizzer décide de l’aider en lui offrant les services de deux anges gardiens peu ordinaires : un vieillard malicieux, Lester, et un jeune garçon, Nate, plus baraqué que futé. Avec eux, Lilian se met à la recherche de Blackway dans les sombres forêts qui entourent la ville pour s’expliquer avec lui. De bar clandestin en repaire de camés, la journée qui s’annonce promet d’être mouvementée, l’affrontement final terrible.

Castle Freeman Jr. manie la langue et la narration avec une virtuosité rare, faisant de ce récit intense, qui se déroule sur quelques heures, une lecture inoubliable, aussi terrifiante que drôle. Le portrait qu’il dresse d’un Vermont sauvage et désolé, de la réalité violente et criminelle des régions les plus reculées de l’Amérique, marquera à coup sûr les esprits.

Castle Freeman Jr. est né au Texas. Écrivain, journaliste, essayiste, il habite dans le Vermont. Unanimement loué par la critique anglo-saxonne, Viens avec moi est son premier roman publié en France.

Mon avis :

La quatrième de couverture ne fait pas que résumer le sujet du livre, il donne un aperçu complet de son contenu. C’est donc un roman court, qui nous montre une sorte de chasse à l’homme, même si ce n’est pas une course poursuite. Nos trois compères Lester, Nate et Lilian vont donc arpenter les bas fonds du Vermont à la recherche d’un ancien adjoint du sheriff qui fait peur à tout le monde. Et il faut bien être trois pour en venir à bout.

On a donc droit à une sacrée galerie de personnages totalement frappés, que l’auteur va nous présenter succinctement de façon à ce que nous les imaginions physiquement. Car, tout le livre avance grâce aux dialogues, avec très peu de descriptions. En ce sens, c’est presque une pièce de Théâtre que Castle Freeman Jr. a écrit. Donc, cela se lit vite et il y a suffisamment de traits humoristiques pour que l’on prenne son pied. Il y a en fait dans ces dialogues le décalage que l’on peut trouver dans les films de Tarantino.

Intercalés entre chaque rencontre que font nos trois compères, on y trouve des scènes avec Whizzer qui commente ce qui vient de leur arriver, comme s’il était omniscient, ou comme s’il avait prévu ce qu’il allait leur arriver. Et je me pose la question si Castle Freeman Jr. n’a pas voulu dire que Whizzer se positionnait comme un Dieu qui voit tout, qui sait tout. Cela m’a aussi fait penser à En attendant Godot de Samuel Beckett.

Mais ne nous y trompons pas. Si ce roman n’est pas un chef d’œuvre à la hauteur de Godot, il n’en reste pas moins que c’est une lecture recommandable au sens où on passe du bon temps à le lire, et où on s’amuse beaucoup. En tous, cela vaut le coup d’être curieux pour découvrir ce qu’il y a derrière une couverture mystérieuse et très belle.

Ne ratez pas les avis de Claude , Yan et Unwalkers

Le gâteau mexicain de Antonin Varenne (Points)

Depuis Fakirs, premier coup de cœur Black Novel, je suis un fan inconditionnel de Antonin Varenne. Les éditions Points ont eu la bonne idée de ressortir son deuxième roman, qui était paru à l’époque (en 2008) aux éditions Toute Latitude.

Quatrième de couverture :

Rien ne va plus pour Nino Valentine. Depuis le braquage désastreux d’une bergerie qui lui a valu une rafale de chevrotine dans les fesses, la malchance le poursuit. Dépassé par les événements, le beau manouche prend la fuite au volant d’une voiture volée avec un bébé orphelin à l’arrière. Objectif : survivre. En cavale, son destin se mêle à celui d’un poète raté, d’un flic obèse et de prostituées insoumises.

Né à Paris en 1973, Antonin Varenne est diplômé de philosophie. Il a parcouru le monde avant de revenir en France pour se consacrer à l’écriture. Ses romans Fakirs et Le Mur, le Kabyle et le Marin sont disponibles en Points.

« Retenez bien son nom, car Antonin Varenne trône en bonne place dans la nouvelle génération des polardeux français. » L’Express

Mon avis :

On entre dans ce roman comme on entre dans un bazar. Le roman repose sur trois personnages, et on découvre dans ce roman tout le talent de l’auteur à faire vivre des personnages extrêmes, impossibles, que l’on n’a aucune chance de rencontrer dans la rue … et ça vaut mieux. On y trouve Nino qui va vite rencontrer des Romanichelles. D’aventure en aventure, il va être poursuivi par des gens, alors qu’il se retrouve avec un bébé dans les bras. Il y a Nathalie, la pute au grand cœur. Et il y a Padovani, inspecteur aux mœurs, qui fait plus de 150 kilos, et qui a une philosophie : « J’aime pas les gens ».

Antonin Varenne additionne les scènes, toutes bien faites, avec des dialogues brillants, sans qu’elles aient des liens évidents les unes avec les autres. Cette lecture peut déconcerter et on peut avoir une impression d’improvisation et de grand n’importe quoi. Et pourtant, pourvu que l’on fasse un peu d’effort, que l’on poursuive dans l’intrigue, on découvre des scènes hilarantes, mais aussi délirantes.

C’est donc un polar original, qui ne plaira pas à un grand nombre par son coté foutraque mais qui rendra curieux tous les fans de cet auteur qui a écrit tant de grands livres par la suite. Après avoir fini le roman, on en gardera tout de même quelques scènes inoubliables voire même quelques scènes intimes que personne n’est capable d’écrire comme cela. Un objet littéraire étrange et attachant.

Les salauds devront payer de Emmanuel Grand (Liana Levi)

Terminus Belz, le premier roman d’Emmanuel Grand, fut une belle découverte. Outre le fait que cela soit remarquablement écrit, il y avait un souci de montrer la vie des pêcheurs et leurs difficultés, voire même d’approcher le sujet de l’immigration clandestine. Si ce roman est bien différent, car il change de région, je trouve, pour ma part que c’est un roman très mature qui vaut plus que le détour.

Wollaing est une petite ville des environs de Valenciennes. Comme beaucoup de villes du Nord, elle est ravagée par le chômage. Il y eut par le passé une usine de plomb et de zinc qui, faute d’investissements, a connu de plus en plus d’accidents de travail. Si l’on ajoute à cela la vétusté de l’outil industriel et les grèves à répétition, l’issue devint inéluctable et l’usine ferma en 1983.

On retrouve de nos jours, une génération plus tard, toute une galerie de personnages ayant subi cette situation. Les anciens se rappellent les 10000 personnes que faisait vivre l’usine, les jeunes n’ont connu que le chômage et les fins de mois difficiles. D’autres ont profité de cette femreture pour ouvrir leur commerce, mais à part un bar, bien peu d’entre eux ont survécu.

En l’absence d’aide de l’état ou des banques, si on veut s’en sortir, il faut emprunter de l’argent auprès d’organismes douteux ayant pignon sur Internet. Et quand on oublie une mensualité, la société en question fait appel à des gros bras pour se faire payer par la force. C’est le cas de Pauline Leroy, une jeune femme douée d’une force de caractère peu commune. Depuis qu’elle est tombée amoureuse de Serge Maes, elle décide d’emprunter 50000 euros pour partir loin de la France. Quand Pauline est retrouvée morte dans un terrain vague, l’enquête fait place à peu de doute. Mais le commandant Buchmeyer et la lieutenante Saliha Bouazem vont avoir à faire avec une intrigue redoutablement retorse.

Habituellement, je fais un résumé des 100 premières pages pour donner un ordre d’idées du contenu d’un roman. Pour celui-ci, il m’aura fallu aller plus loin dans la lecture, non pas parce que le roman a un rythme lent, mais parce que l’auteur installe tranquillement le contexte avant que nous nous trouvions en présence du corps de Pauline. Jugez en plutôt : Les 50 premières pages m’ont plongé dans l’horreur de la guerre d’Indochine, puis d’Algérie, en compagnie de 4 soldats, livrés à eux-mêmes. Puis, nous faisons un saut dans le temps, jusqu’à aujourd’hui, et nous rencontrons une galerie de personnages habitant tous Wollaing, pour nous présenter le contexte.

Ne croyez pas que ce roman est long à lire, c’est tout le contraire : il est passionnant, vivant, véridique, écrit dans un style hypnotique. Il fait partie de ces romans qui vous plongent dans une ambiance et que l’on stoppe avec regret, en étant pressés d’y revenir. J’ai adoré tous les personnages, la minutie que l’auteur a mise à décrire leur quotidien, la subtilité qu’il a employée pour nous décrire la situation passée, pour nous montrer les conséquences sur la vie d’aujourd’hui.

On y trouve de tout : ceux qui ont réussi en ouvrant qui un bar, qui une salle de musculation ; ceux qui survivent en réalisant de petits boulots ; ceux qui ont échoué. Et a coté de cela, il y a ces jeunes, nés dans le chômage et n’ayant qu’un seul espoir : partir le plus loin d’ici. Ce roman montre aussi comment une région ravagée et sans avenir se tourne vers le trafic de drogue ou la prostitution car pour eux, c’est un moyen comme un autre de gagner de l’argent.

Ce roman est passionnant car tout sonne vrai, et malgré le nombre de personnages, on s’y retrouve aisément. Il faut dire qu’Emmanuel Grand a eu une sacrée idée d’associer deux flics à l’esprit totalement opposé : Buchmeyer étant plus bordélique et faisant confiance à son intuition, Saliha étant extrêmement factuelle. Et si on ne lira pas forcément ce livre pour son intrigue, le contexte et les personnages prenant toute la page, celle-ci (l’intrigue) est tout de même fort bien trouvée et sa résolution absolument pas tirée par les cheveux.

S’il faut comparer ce roman avec quelques références, Claude Le Nocher, dans une réponse à son billet, parle de Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu. J’ajouterai pour ma part qu’il y a du Martyn Waites dans sa façon de faire une autopsie d’une société qui va dans le mur, consciencieusement, en laissant à l’abandon des régions entières, des gens honnêtes qui ne demandent finalement pas grand-chose d’autre que de pouvoir vivre décemment.

Ne ratez pas l’avis de l’ami Claude

Ubac de Elisa Vix (Rouergue)

Depuis La nuit de l’accident et L’hexamètre du Quintilien, je dois dire que j’adore les petits polars de Elisa Vix, par sa façon de créer des intrigues simples, et pour autant stressantes au possible. Ubac est un excellent cru !

Estelle n’aime pas trop parler de son passé. C’est un peu pour cela qu’elle est venue se perdre dans une petite station des Alpes, Val Plaisir, située au pied du mont Ubac. Il faut dire qu’elle ne tient pas trop à évoquer sa jeunesse à la DDASS, abandonnée qu’elle fût par des parents alcooliques. Préparatrice de pharmacie, elle aurait pu passer inaperçue, jusqu’à ce que Jérémy, un jeune lyonnais, ne débarque pour reprendre le bowling du village.

Jérémy est le genre à plaire à tout le monde, toujours souriant, charmeur. Estelle qui n’a rien d’extraordinaire, va pourtant le séduire par sa retenue. Ils vont se plaire, s’aimer, se marier et avoir un enfant, une petite Lilas. Jérémy non plus ne parle pas de son passé, et Estelle, tout à son amour, ne lui pose pas de questions. Jusqu’à ce qu’il lui apprenne qu’il a une sœur jumelle nommée Nadia, et qu’elle va venir les voir après quatre années d’exil aux Etats Unis.

Nadia s’avère une jeune femme méfiante, timide, très proche de son frère. Au début, Estelle va faire des efforts, mais petit à petit, des faits étranges vont l’amener à se méfier de la nouvelle venue. Tout d’abord, alors qu’elle laisse Nadia donner le bain à Lilas, Estelle entend sa fille pleurer ; elle se précipite et trouve sa fille avec les cheveux mouillés et Nadia nie tout problème. Puis, ce sont tous les moments que Jérémy passe avec sa sœur plutôt qu’avec sa femme, allant même lui offrir une améthyste superbe. L’angoisse est à son summum quand lors du repas de Noel, Estelle voit sa fille jouer avec un coureau alors qu’elle était sure de l’avoir éloigné de sa main.

Quelle réussite que ce roman où Elisa Vix s’approprie le trio amoureux, en y mettant sa propre patte, celle d’une tension, d’une angoisse croissante. Et quoi de plus efficace que de prendre pour victime une petite fille de quelques mois, innocente, entre les mains d’une femme qui vient d’arriver et que l’on ne connait finalement pas si bien que cela ? Racontée à la première personne du singulier par Estelle elle-même, Elisa Vix se permet de faire monter le suspense doucement mais surement.

Malgré le fait que la scène soit occupée par les trois personnes du couple, les personnages secondaires, Claudine la pharmacienne et Fabien, l’ami et voisin, sont là pour à la fois faire relâcher un peu la pression mais aussi pour rajouter une pincée de suspense. Car une fois planté le décor, Elisa Vix passe à une guerre ouverte entre les deux femmes, Estelle et Nadia, mais elle insuffle aussi une once d’incertitude. Car à chaque chapitre, on se demande ce que cette auteure de grand talent va bien pouvoir nous inventer. Et on finit par douter de tout le monde. Car tout est moins simple qu’il n’y parait !

Avec son format court, 180 pages, le style est évidemment très efficace, mais pour autant il n’est pas dénué de sensibilité, d’émotion. On finit par vibrer avec Estelle, serrer les dents, sursauter lors des tempêtes, puis devenir froide comme la glace. Car, évidemment, cela se passe en hiver, dans un décor de neige immaculé, où seules se trouvent des traces de pas de loups. Car c’est bien une histoire de loups, de louves que nous offre Elisa Vix, acérées comme des canines.

Tout cela peut paraitre simple, facile à faire, mais c’est bien là tout le talent de cette auteure : savoir s’effacer derrière la force de son histoire, la véracité de ses personnages, la puissance des émotions véhiculées. Elisa Vix a écrit avec ce roman un roman fort, très fort, dont certaines scènes sont inoubliables, un excellent suspense.

Ne ratez pas les avis de l’ami Claude, de Smallthings, et Quatresansquatre

Le baiser de Caïn de John Connolly (Pocket)

Voici la quatrième enquête de Charlie Parker chroniquée sur Black Novel. Les précédents titres sont :

Tout ce qui meurt

Laissez toute espérance …

Le pouvoir des ténèbres

Quatrième de couverture :

Quand Charlie Parker reçoit un appel au secours de l’avocat Elliot Norton avec qui il travaillait lorsqu’il faisait partie de la police de New York, il hésite à descendre en Caroline du Sud pour l’aider dans une affaire qui s’annonce difficile : Atys Jones, le client de Norton, un Noir de dix-neuf ans, est accusé du meurtre de Marianne Larousse, une jeune femme blanche, fille d’une des plus grosses fortunes de l’Etat.

Norton n’est même pas sûr que les Larousse, ou d’autres, attendront le procès pour venger la mort de Marianne. La Caroline du Sud a un passé de racisme et de lynchage qui a laissé quelques traces durables… Parker hésite d’autant plus à partir, que Faulkner, le révérend démoniaque, qu’il a contribué à faire arrêter, pourrait bien être libéré sous caution.

Malgré le fait que sa compagne Rachel soit enceinte, il répond à l’appel de Norton mais à peine est-il arrivé à Charleston que les meurtres se multiplient et qu’il se heurte à de drôles de types : néonazis, membres du Ku Klux Klan, extrémistes de tout poil. Il doit alors faire face à une conjonction de phénomènes apparemment sans rapport ressurgissant du passé.

Mon avis :

Je vous donne un conseil avant de vous donner mon avis : Lisez le pouvoir des ténèbres avant de lire ce roman ci. Car le révérend Faulkner est en prison, et c’est le « méchant » que nous rencontrons dans le précédent volume des enquêtes de Charlie Parker. Cette introduction sert surtout pour vous expliquer que cette série se veut comme un tout, que les personnages, ou du moins certains, sont récurrents ; et qu’il serait donc dommage de prendre le train en marche.

En même temps, on sent au fur et à mesure des lectures de John Connoly que son style s’affermit et ce qui étonne dans ce roman, c’est que pour la première fois, j’ai l’impression que l’auteur a réellement construit minutieusement son intrigue. Dans les précédents, on avait l’impression qu’il se laissait conduire par son écriture. Dans celle-ci, l’histoire est une vraie toile d’araignée qui aboutit à deux scènes finales surprenantes.

On retrouve bien entendu tout le talent de l’auteur, celui de ciseler des dialogues plus vrais que nature, celui d’ajouter du fantastique à base de monstres et autres apparitions de fantômes, et surtout de créer des scènes angoissantes à partir d’une banalité de tous les jours. C’est toujours impressionnant de voir (pardon, de lire) comment il arrive à stresser le lecteur, juste avec une voiture garée au sommet d’une colline. A priori, ce n’est pas angoissant ; eh bien, John Connoly arrive à nous foutre la trouille, juste à partir de ça ! Et ça, c’est rudement fort.

J’ajouterai que John Connoly met un pied dans un sud peuplé de gens ultra-violents, ultra-racistes, et que c’est un bon terreau pour des scènes d’anthologie. Si on ajoute à cela que l’auteur nous dévoile un pan de l’histoire des deux amis de Charlie, Angel et Louis, dans des passages tantôt violents, tantôt émouvants, on a là un des meilleurs tomes de cette série, du moins mon préféré. N’hésitez plus, venez plonger dans le cauchemar de Charlie Parker.

Je vous le dis tout de go, je vais bientôt attaquer le prochain : La maison des miroirs.

Travailler tue ! de Yvan Robin (Editions Lajouanie)

Ce roman est l’occasion d’épingler un nouvel auteur sur Black Novel. Et même si ce n’est pas un premier roman, c’est une découverte en ce qui me concerne. Travailler tue ! est le deuxième roman de l’auteur, sur le thème du Burn-out, avec un titre qui claque. A découvrir, à déguster, pour rire jaune.

Dans une ville imaginaire nommée Neuville. Nous sommes dans un chantier de Travaux Publics. Les hommes s’affairent pour avancer dans la construction d’un gigantesque portique. Ils posent les armatures en acier, quand l’un d’eux tombe et s’embroche. Le filon d’acier le transperce de part en part. Le chef de chantier appelle immédiatement au téléphone son responsable. Quelques minutes plus tard, un homme débarque, et sans sortir un mot, déplace le corps, met des embouts de protection sur les tiges d’acier et demande au chef de chantier de signer un mot stipulant que les règles de sécurité étaient respectées. S’il signe, alors l’homme appellera les secours.

Hubert Garden est cet homme. Il est chargé de faire respecter les règles de sécurité. A chaque fois qu’il fait un audit, il rappelle aux ouvriers qu’il faut porter les équipements de protection. Pour eux. Pour l’entreprise aussi qui risque de payer des charges supplémentaires en cas d’accident. Mais la direction décide de fixer un objectif intenable, un chiffre extrêmement faible en termes d’accidents. Hubert ne peut tenir ce chiffre et décide de faire l’inverse : provoquer des accidents.

Ce roman est un pur roman noir, ou du moins devrais-je dire un pur roman cynique. Car malgré son ton sérieux, malgré son sujet difficile voire brulant, on ne l’apprécie qu’en le lisant au second degré. C’est comme cela que l’on découvre à la fois une situation qui pourrait se révéler réelle, mais aussi l’hypocrisie entre des objectifs de rentabilité et la sécurité des ouvriers qui n’est finalement rien d’autre qu’un indicateur et un facteur de marge financière.

Et donc nous allons assister à un véritable burn-out, où le personnage principal va pêter un câble (trait d’humour involontaire, quoique …) et entrer dans une démarche de destruction dirigée à la fois contre son entreprise, le système et enfin, lui-même. Nous assistons donc à une véritable descente aux enfers, où Hubert fait preuve de créativité dans les messages qu’il passe, bénéficiant d’une position où il peut leur faire faire n’importe quoi ou bien en faisant tout bonnement du sabotage.

En parallèle, nous avons la femme d’Hubert, qui est aide soignante dans un service de gériatrie. Elle aussi, à son niveau, se rebelle contre sa fonction et finit par s’enfermer dans la lecture de magazines inutiles, ou dans la contemplation de séries télévisées montrant des gens vivant une vie idéale. On se retrouve alors avec une galerie de personnages qui nous montrent une société avant tout gérée par l’image que l’on renvoie, qui doit être lisse et politiquement correcte.

Avec son ton sérieux, ce roman remarquablement bien écrit, serait un pur joyau qui rappelle le film Chute libre (cité en quatrième de couverture) sans son coté raciste. Il y a juste certains passages que j’ai trouvés un peu bavard et qui m’ont détourné du véritable sujet du roman. En tout état de cause, je vous conseille très fortement ce roman, décidément pas comme les autres, et qui mérite autant de succès que les Visages écrasés de Marin Ledun.

Ne ratez pas l’avis de Jean le Belge

Les ombres innocentes de Guillaume Audru (Editions du Caïman)

Il faut dire que Guillaume Audru a frappé fort avec son premier roman, L’île des hommes déchus. On y retrouvait dans ce roman choral la maitrise d’un grand auteur. L’attente était donc grande pour son deuxième roman.

2013, Massif central. Héléna Roussillon est infirmière à la clinique psychiatrique des Dômes. Lucie, une patiente qui n’arrête pas de se lacérer vient encore de crier. Elle abandonne ses mots croisés et se dirige vers sa chambre. Elle a encore réussi à se détacher. Héléna, qui ne croit pas aux médicaments, arrive à la calmer à force de caresse sur les cheveux. En sortant, Karine Palmal, la doyenne des aides-soignantes la convoque et lui annonce que la situation a assez duré. Elle sera convoquée chez le directeur.

Elie Sarrabé profite de sa retraite de flic et lit comme chaque matin les faits divers. Un article attire son attention. Un vieil homme, Marcel Chauffour, a disparu de chez lui et a été découvert en bord de route, vraisemblablement tabassé. Ce nom lui rappelle de lointains souvenirs. Quinze ans déjà, Eygurande. Il doit se bouger. Il commence par prendre contact avec le journaliste, un dénommé Matthieu Géniès.

Nicolas Jansac, comme chaque semaine vient rendre visite à sa vieille mère, qui habite une ferme isolée. Il aperçoit quelques gouttes de sang sur le sable, et l’inquiétude grandit. Il suit les traces jusqu’à la grange. Quand il ouvre la porte, sa mère est pendue à un croc de boucher, le ventre ouvert. Le lieutenant Serge Limantour, accompagné de la jeune Samira Boulmerka arrivent sur les lieux. Ils n’ont aucune idée de l’affaire dans laquelle ils mettent les pieds.

Si je peux vous donner un conseil, ne lisez pas la note aux lecteurs, que l’auteur nous offre en fin de roman ; sinon, vous allez avoir une idée du sujet proprement scandaleux que Guillaume Audru aborde dans ce sujet. Je ne le dirai jamais assez : Le polar est un genre, pour ne pas dire, LE genre le plus apte pour anborder des sujets difficiles, pour dénoncer des scandales, pour faire un effort de mémoire, pour que les gens n’oublient pas … et demandent justice.

Avant d’en arriver là, il faudra lire les 260 pages de ce roman écrit comme un roman policier. Mais c’est un roman policier que l’on croirait écrit par un auteur qui a déjà une dizaine de romans derrière lui. Que nenni ! Guillaume Audru nous livre là son deuxième roman est c’est, après L’île des hommes déchus, une nouvelle réussite. Nous avons en effet quatre personnages qui vont converger vers le centre de l’Affaire :

D’un coté, Helena est une aide soignante dévouée, dénigrée par sa hiérarchie. Puis, nous avons Elie Sarrabé, un ancien flic qui s’ennuie, qui décide de faire un retour en arrière, comme pour se sentir moins vieux, plus vivant. Nous avons le journaliste Matthieu Géniès qui est tout le contraire d’un vautour à la recherche de scoop, un homme honnête dans sa vie comme dans son travail et que l’on aimerait rencontrer. Enfin, le couple de flics Limantour et Boulmerka sont étranges dans leur relation, comme s’ils vivaient cote à cote sans se marcher sur les pieds, totalement complémentaires.

Le déroulement de l’intrigue est impressionnant de maitrise et on passe d’un personnage à l’autre sans aucun souci. Et tous les points cardinaux de ce roman vont petit à petit converger vers le sujet central qui vaut le détour, je ne vous dit que ça ! Allez, je vais tout de même vous dire que certains dialogues m’ont paru sonner faux, mais c’est vraiment pour vous expliquer pourquoi ce roman n’a pas obtenu un coup de cœur.

Je terminerai par un message personnel : M.Audru, j’adore votre façon d’écrire et votre façon de tisser vos intrigues. Je serai au rendez vous de votre prochain roman.

Ne ratez pas l’avis de Vincent et Loley

N’oubliez pas que pour commander le livre, il vaut mieux passer par le site des éditions du Caïman